NORBERT GAIOLA, le directeur de la coop, à côté de l'oeuvre que Miss.tic a bombé sur une cuve : une femme libre et épicurienne pour le millésime 2014. © M. TRÉVOUX
Chez les Vignerons de Saint-Chinian, ça décoiffe. Un binôme atypique a pris en main, en 2009, la destinée de la coopérative de ce paisible village héraultais : Yves Borel, président, et Norbert Gaiola, directeur. Ils sont tous deux fondus de musique : l'un est bassiste, l'autre saxophoniste. Pour promouvoir leurs vins, ils ont imaginé une coopération d'un genre nouveau : l'Art en Cave. « Nous devions repeindre nos cuves en béton. Quand nous avons reçu les premiers devis de peintres, nous nous sommes dit que ça ne coûterait pas tellement plus cher de confier le travail à des artistes », raconte le directeur.
Pour cela, les Vignerons de Saint-Chinian ont fait appel à l'agence Karactère, basée à Narbonne, qui a déposé la marque L'Art en Cave. La première fresque voit le jour en 2013. C'est un paysage très coloré de vignoble sur fond de montagne. Elle est signée Christian H., peintre figuratif. Miss.Tic, auteure de pochoirs poétiques, s'est vu confier l'édition 2014. Elle a livré une jeune femme en robe légère et au regard percutant tenant une grappe en main, agrémentée d'une épigraphe « Du vin pour une vie sans pépin ». En 2015, après l'attentat de Charlie Hebdo, le dessinateur de presse Aurel signe une oeuvre gigantesque qui s'étend sur trois cuves. En 2016, deux nouvelles peintures murales enrichissent les façades des cuves. L'une est l'oeuvre d'Alma, un duo d'artistes composé d'Anthony Lemer, figure du street art, et d'Arnaud Montagard, photographe. L'autre de Michel Nadaï, meilleur ouvrier de France en trompe-l'oeil.
Le cachet varie selon les artistes. Certains, enchantés par l'idée, ont refusé toute rémunération. Chaque fresque fait ensuite l'objet d'une cuvée tirée à 6 000 cols, vendus 10 € et dont l'étiquette reprend l'oeuvre de l'artiste.
« Chacun son métier. Karactère trouve les artistes. Nous, nous élaborons la cuvée en adéquation avec l'esprit de la fresque », précise Norbert Gaiola. Quant aux artistes, la coopérative leur demande d'exprimer leur vision de la vigne, du chai ou du vin. Autre contrainte, technique celle-ci : ils doivent utiliser de la peinture alimentaire. Leurs oeuvres sont ensuite recouvertes de vernis pour les protéger des salissures.
« Même décorée, la cave reste un lieu de travail. C'est d'ailleurs ce qui plaît aux artistes qui intègrent des éléments des cuves - comme les portes, les tuyaux ou les dégustateurs - dans leurs créations », confie le directeur.
Chaque année, les nouvelles créations sont inaugurées en présence de leurs auteurs, des adhérents et du personnel de la coopérative. Un assemblage de trois cultures : viticole, oenologique et artistique. Le président et le directeur ont l'ambition d'habiller ainsi toutes les façades des cuves du rez-de-chaussée de la cave et de l'ouvrir aux quelque 26 000 visiteurs annuels que reçoit leur caveau.
L'investissement paie : distinctions et articles de presse se multiplient. En 2016, L'Art en Cave a été lauréat du concours national de l'oenotourisme en coopérative dans la catégorie Événements et Animations. Il a également raflé deux prix aux trophées Hérault Vincoeurs et Saveurs ! La presse n'est pas en reste avec des reportages de France 3 et une prochaine parution dans Paris Match.
La croissance est également au rendez-vous. Depuis 2009, la coopérative a investi 2 millions d'euros pour accroître la qualité de ses vins et développer ses ventes conditionnées. À cette époque, elle vendait 70 % de ses vins en vrac. Aujourd'hui, elle vend presque tout en conditionné : 3 millions de cols et de Bib par an dont 40 % à l'export. Du grand art !