L'ARRIVÉE DE JÉRÔME ET SOPHIE ROUX (à droite) aux côtés de Jean Teissèdre va permettre de développer les ventes aux particuliers qui représentent 17 % du CA du domaine. FLORENCE BAL
JÉRÔME ROUX ET JEAN TEISSÈDRE vérifient la maturité et l'état sanitaire de cette vigne de tressallier, cépage emblématique de Saint-Pourçain, plantée en 2006. FLORENCE BAL
À L'APPROCHE DES VENDANGES 2017, Jérôme Roux, en charge du chai, prépare la mise en bouteilles de la cuvée Auvernat 2016 en la soutirant. PHOTOS : F. BAL FLORENCE BAL
C'est un pari réussi. En créant en 2011 le Domaine des Bérioles, à Cesset, dans l'Allier, Jean Teissèdre ne se doutait pas qu'il irait « si vite ». Ses parents livraient leur récolte de 7 ha de vigne à la cave coopérative de Saint-Pourçain. En 2010, il s'installe avec eux en EARL, avec la ferme intention de tout vinifier et de tout vendre en direct. Il se développe si bien qu'en 2015, sa soeur Sophie et son beau-frère Jérôme Roux le rejoignent.
« J'ai toujours voulu créer ma propre signature », confie Jean Teissèdre, 32 ans aujourd'hui. Après un BTS viti-oeno, il enchaîne les expériences dans le Mâconnais, les crus du Beaujolais et le Sancerrois. En 2010, il revient dans l'exploitation familiale et met aussitôt son projet en route. Avec ses parents, il rénove un vieux bâtiment de style bourbonnais de 300 m2 : « Au rez-de-chaussée, nous avons installé un chai entièrement équipé de matériel neuf. À l'étage, on a aménagé un caveau d'accueil avec une salle de réception pour trente personnes. » Pour le chai, il achète un pressoir Bucher de 40 hl, des cuves en Inox (440 hl) et trois cuves tronconiques en béton brut de 50 hl. Toutes les cuves sont thermorégulées et les bâtiments climatisés.
En 2011, le contrat avec la coop s'achève. Tout est fin prêt. Jean vinifie sept vins dès son premier millésime :trois rouges, trois blancs et un rosé. Et il axe sa communication sur les cépages locaux, l'appellation Saint-Pourçain et son appartenance à la vallée de la Loire.
L'AOC Saint-Pourçain date de 2009. « Elle commence à être connue, sans être encore reconnue. Mais cela viendra, affirme Jean Teissèdre. Nous constatons un intérêt croissant pour notre vignoble et nos cépages autochtones, le tressallier et l'auvernat. »
En fait, d'autochtones, il n'y en a qu'un à proprement parler : le tressallier. C'est le cépage emblématique de l'Allier qui signifie « traverse l'Allier ». Il est connu ailleurs sous le nom de sacy de Bourgogne. C'est un blanc vigoureux, issu d'un croisement entre le pinot blanc et le gouais, comme le chardonnay. L'auvernat est, lui, bien plus connu : c'est le nom local du pinot noir. Jean l'emploie pour désigner une cuvée, une manière de souligner son ancrage dans son vignoble. « Au fil des dégustations, nos vins se sont fait connaître », raconte-t-il. Ils sont entrés dans des établissements prestigieux comme les maisons Troigros à Roanne (Loire) ou Decoret à Vichy (Allier). « Ils ont eu rapidement une certaine notoriété. Cela a eu ensuite un effet boule de neige », évalue-t-il.
Dès 2013, son agent en Auvergne a présenté ses vins à Philippe Noyer, un agent parisien très connu qui place des domaines prestigieux. Les vins lui ont plu. Depuis, il travaille avec avec Jean. Au Salon des vins de Loire, à Angers, un importateur américain, en pleine conversation téléphonique remarque la cuvée Tressaille, devant le stand de Jean Treissèdre, et la goûte. Depuis, c'est un client fidèle. Jean-Luc Petitrenaud réalise une émission télévisée sur les vins de Saint-Pourçain dans laquelle Jean présente son premier millésime.
En 2014, les guides de la Revue du vin de France et de Hachette référencent le Domaine des Bérioles. « Les professionnels sont très intéressés par l'arrivée d'un nouveau domaine conduit par un jeune dynamique qui met en avant des cépages locaux », affirme Jean.
« Comme Jean s'est rapidement développé, il nous a proposé de revenir à Cesset pour travailler avec lui et remplacer nos parents qui partaient à la retraite », enchaîne sa soeur Sophie Roux.
En 2015, Sophie et son mari Jérôme, 38 ans tous les deux, quittent le Domaine de Montine, à Grignan (AOC Grignan-les-Adhémar), dans la Drôme, où ils travaillaient depuis une quinzaine d'années, lui comme caviste, elle au service commercial et administratif. « Nous avons d'abord été salariés de l'exploitation familiale pendant un an. Puis nous nous sommes installés aux côtés de Jean en créant le Gaec des Bérioles en janvier 2016 », poursuit Sophie.
À l'arrivée du couple, le domaine investit 200 000 € supplémentaires dans un local de stockage climatisé, une table de tri, deux cuves tronconiques en bois de 30 hl et un hangar agricole photovoltaïque. L'exploitation s'agrandit en prenant 3 ha en fermage, auxquels s'ajouteront 3 ha en 2017. En sept ans, il aura donc presque doublé de taille passant de 7 à 13 ha en production. Pour développer ses ventes, le trio ouvre toute l'année son caveau. Il participe également à de nouvelles manifestations comme De vignes en toques, une journée de balades et d'animations dans le vignoble qui s'achève par un dîner concocté par des chefs de l'Allier.
Dès 2015, ils instaurent une « journée vendange » pour une quarantaine de cavistes et restaurateurs baptisée la Foot Stamping Day (« la journée du foulage au pied ») afin de nouer et resserrer les liens avec eux. Ces derniers leur suggèrent d'en tirer une cuvée spécifique. C'est ainsi que naît Mille Pattes, un gamay gouleyant élevé en cuve tronconique en bois de 30 hl et vendu 9 €/col.
Le 8 septembre de cette année, le domaine a organisé son premier « Un soir, un chef à la cave », l'occasion de déguster le millésime 2016 et d'apprécier un repas gastronomique (65 €) cuisiné par le chef Matthieu Omont. Un rendez-vous qu'ils vont renouveller trois ou quatre fois par an. Enfin, ils proposent une découverte originale de leur truffière et de leurs vins d'octobre à janvier.
Au caveau, ils valorisent les quatre vins de leur coeur de gamme entre 9,50 et 11 € TTC, soit 50 à 70 % plus cher que la moyenne de l'AOC Saint-Pourçain. Des vins qui sont sur la fraîcheur et le fruit. « Nous voulons qu'ils se boivent avec plaisir », confie Jérôme Roux, qui est désormais en charge du chai.
Pour ses gamays et pinots noirs, Jérôme pratique des macérations de trois à quatre semaines, d'abord à 18-20 °C en réalisant un ou deux remontages par jour durant la fermentation. Ensuite, après dix à quinze jours, il immerge le marc une dizaine de jours sans remontage afin de ne pas surextraire, puis il termine la macération autour de 26 à 28 °C.
Jérôme débourbe sévèrement les blancs « pour obtenir beaucoup de droiture ». Il démarre les fermentations à 12-13 °C puis les maintient à 17-18 °C « en quête de complexité ». Enfin, il bloque la fermentation malolactique du tressallier en vue de garder la fraîcheur.
Les deux vins de la gamme Intrépide, un chardonnay (1 200 cols) et un pinot noir (2 500 cols) sont élevés douze mois en demi-muids et vendus 17,50 €/col. Autochtone, le haut de gamme, est un 100 % tressallier vinifié et élevé en demi-muids neufs. Il est produit en petite quantité (500 cols) et vendu en vin de France au prix de 25,50 €/col.
À la vigne, Jean a instauré des changements progressifs. Ses parents désherbaient chimiquement en plein et vendangeaient à la machine. À son arrivée, il renoue avec les vendanges manuelles et enherbe un rang sur deux ou tous les rangs selon les parcelles. Peu à peu, il travaille les rangs à l'intercep sur 90 cm de large. Il ébourgeonne au printemps et effeuille systématiquement du côté du soleil levant après la fleur. En 2014, il diminue l'emploi des phytos de synthèse.
En septembre 2016, le trio démarre la certification bio. Pour limiter la concurrence de l'enherbement, il teste des couverts avec des légumineuses comme le trèfle blanc qui fixe l'azote et fane l'été. Puis Jérôme et Jean suivent une formation à la biodynamie, une pratique qu'ils initient en 2017. Ils investissent dans un pulvé porté Dagnaud avec deux panneaux récupérateurs. Grâce à celui-ci, ils récupèrent 80 % du produit lors des quatre premiers passages. Durant la dernière campagne, ils ont ainsi économisé 35 % de phytos.
« On y a été par étapes, confie Jean. Du point de vue technique, nous avons de très bons résultats, mais c'est aussi le marketing qui nous a fait franchir le pas de la certification bio. Ce sont surtout nos cavistes qui nous l'ont demandé. » Des cavistes également très friands de cépages locaux. Surfant sur cette demande, le Domaine des Bérioles a planté 1,7 ha supplémentaire de tressallier en trois ans. « Sur le plan commercial, nous avons été plus vite que prévu. Et c'est tant mieux, se félicite Jean. Travailler en famille nous a permis d'aller plus loin que mes objectifs initiaux. » « La reconnaissance de nos clients nous fait chaud au coeur », avoue le trio, qui entend développer l'oenotourisme et les ventes aux particuliers après avoir réussi une percée inattendue à l'export.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Tout a bien marché ! La création du domaine, la reconnaissance rapide des vins, leur vente en bouteilles et le travail en famille.
La décision de se convertir en bio en 2016.
Des rencontres déterminantes avec des agents qui ont permis de créer de très bons réseaux de vente.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
Jean regrette de ne pas avoir eu le temps de partir vinifier à l'étranger avant son installation.
« On ne reviendra pas à la pulvérisation pneumatique. On restera au confiné car nous avons économisé 35 % de produits en 2017 avec le Dagnaud à panneaux récupérateurs », justifie-t-il.
« On ne reviendra pas non plus au conventionnel : même en bio, les vignes affichent un état sanitaire excellent. »
LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE Priorité aux cavistes et aux restaurateurs haut de gamme
D'abord les pros. Jean Teissèdre vise avant tout les cavistes et restaurants haut de gamme. Dès le départ, il a confié la vente de ses vins à quatre agents couvrant Paris, Lyon, la Bretagne et l'Auvergne. Il a participé à diverses manifestations comme le Salon des vins de Loire, à Angers, Loire en scène, à Paris et à Bordeaux, Ici commence la Loire, à Paris, et au château de Chareil, dans l'Allier. Ces choix se sont avérés payants : les ventes aux cavistes et aux restaurateurs représentent deux tiers du chiffre d'affaires du domaine. Le tiers restant vient des ventes à l'export et aux particuliers.
Puis l'export. « En 2012, par chance, lors de ma première participation au Salon des vins de Loire, j'ai décroché un marché aux États-Unis et un en Belgique », explique Jean. Ainsi a démarré son aventure à l'export.
Et aujourd'hui les particuliers. Désormais, le domaine veut développer ce circuit. Sophie y travaille en participant à des salons des vignerons indépendants dans des régions où ils n'ont pas d'agent : Lille en 2016, Reims et Strasbourg en 2017. Pour l'heure, le domaine ne cible ni la grande distribution, ni les grossistes.