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VIN

Édulcorez sans heurt

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°301 - octobre 2017 - page 54

Destinée aux vins à boire sur glace ou à l'export, l'édulcoration est une pratique à risques. Voici les précautions à prendre pour éviter que les vins ne refermentent une fois mis en bouteille.
ÉDULCORATION d'un IGP par des MCR, aux Vignerons Catalans, à Perpignan. © G. BARTOLI / FEDEPHOTO

ÉDULCORATION d'un IGP par des MCR, aux Vignerons Catalans, à Perpignan. © G. BARTOLI / FEDEPHOTO

Peu s'en vantent, mais de nombreux producteurs ou négociants adoucissent leurs vins avec quelques grammes de sucre. « La Russie, l'Europe du Nord et l'Asie réclament une édulcoration. Pour ces marchés, la teneur en sucre peut dépasser les 10 g/l. En France, on en rajoute moins : 2 à 5 g/l pour gommer l'acidité et les tannins. C'est un moyen d'apporter de la rondeur et un peu d'épaisseur aux vins maigres. Pour les rosés, point trop n'en faut. Si le sucre est un exhausteur d'arômes, il peut également éteindre la fraîcheur », indique Jean-Christophe Martin, oenologue consultant à l'ICV.

Dans tous les cas, les opérateurs doivent être très méticuleux, avertit Hervé Alexandre, professeur d'oenologie à l'Université de Dijon : « Quand il reste du sucre, il y a des risques microbiologiques aux lourdes conséquences. La fermentation de 1,6 g/l de sucre résiduel peut produire 800 mg/l de CO2, le niveau à partir duquel on perçoit le caractère perlant. Au-delà de 1 400 mg/l de CO2 (2,8 g/l de sucres résiduels), le bouchon risque de sortir du goulot sous la pression du gaz. »

La refermentation en bouteille entraîne également quantité d'altérations : apparition d'un trouble, changement de couleur, production d'acide acétique, de phénols volatils... Ce risque est accru avec les vins à faible degré d'alcool. « Avec les vins édulcorés, on n'a pas droit à l'erreur », résume Hervé Alexandre. Voici les précautions qu'il faut prendre, et ce dès la fin des fermentations.

1. Réduisez rapidement la charge microbienne

Durant la préparation des vins, il faut abaisser au maximum leur charge microbienne. On y parvient de deux manières : la filtration et le sulfitage. Ce dernier doit être maintenu à un haut niveau durant toute la vie du vin. Hervé Alexandre comme Jean-Christophe Martin recommandent de mesurer le SO2 actif, un critère plus pertinent que le SO2 libre. Pour les vins dont la population microbienne est importante, Hervé Alexandre conseille de viser de 0,5 à 0,6 g/l. Jean-Christophe Martin, lui, préconise de monter jusqu'à 1 g/l, en s'assurant toutefois qu'on ne dépasse pas les doses autorisées en SO2 libre et total.

Pour les filtrations, nos experts conseillent des procédés plus classiques, à commencer par des filtrations dégrossissantes. Durant la préparation, il faut aussi éviter les recontaminations grâce à une hygiène très soigneuse.

2. Édulcorez au dernier moment

L'édulcoration doit être réalisée sur les vins finis, au plus près de la mise en bouteille. L'opération est simple et rapide. On peut édulcorer un vin le matin et le conditionner l'après-midi. Il suffit d'ajouter le moût concentré (MC) ou le moût concentré rectifié (MCR) lors d'un transfert pour s'assurer d'une bonne homogénéisation du sucre ajouté.

3. Filtrez serré juste avant la mise en bouteille

Après l'édulcoration, il faut prévoir une dernière filtration très serrée. Chacun choisira le seuil de filtration selon ses marchés et les risques qu'il accepte de prendre. Une filtration stérile (0,2 <03BC_6>) apporte toute sécurité vis-à-vis des microbes, mais n'est pas impérative. Pour les vins destinés à l'export, Hervé Alexandre recommande une filtration au minimum à 0,45 <03BC_7>. Toutes les levures sont alors éliminées, mais pas les bactéries. Celles-ci étant plus sensibles au SO2 que les levures, la couverture en SO2 préconisée plus haut les neutralise. La flash-pasteurisation est un autre moyen d'éliminer tous les germes.

4. Stérilisez la chaîne d'embouteillage

La ligne d'embouteillage doit être stérilisée à l'eau chaude - au moins à 80 °C pendant 20 à 30 minutes -, à la vapeur ou au détergent. Ce nettoyage doit être effectué au minimum une fois par jour et de préférence avant et après chaque lot. Il faut également veiller à désinfecter l'ensemble du circuit de tirage depuis la cuve jusqu'au bec : tuyau, pompe... Par précaution, il est conseillé de filtrer à nouveau juste avant la tireuse, au cas où le vin se serait recontaminé.

5. Pensez à l'acide sorbique en recours

Pour les caves ou vignerons qui n'ont pas la possibilité de filtrer au seuil de 0,45 <03BC_8>, Jean-Christophe Martin conseille l'acide sorbique. Cet additif inhibe les levures, mais pas les bactéries. Il faut donc toujours l'utiliser avec du SO2 car, lorsqu'il est dégradé par les bactéries, il produit une substance dont l'odeur rappelle celle du géranium. La dose maximale autorisée - exprimée en acide sorbique - est de 200 mg/l, ce qui représente 275 mg/l de sorbate de potassium. Il est interdit sur certains marchés comme le Japon.

6. Contrôlez le résultat de vos mises

Hervé Alexandre recommande de prélever au moins une bouteille par lot, en vue d'une analyse microbiologique. Mais l'idéal est d'en contrôler trois : en début, au milieu et en fin de mise. L'objectif est de s'assurer qu'il n'y a plus aucune levure dans les bouteilles. Il faut donc recueillir la totalité du volume de vin de chaque bouteille et pas seulement 200 ml. « Lorsqu'il reste des sucres, une seule de levure formatrice de colonie (UFC) par bouteille constitue un vrai risque », affirme le professeur.

Ce que dit la réglementation

L'édulcoration est autorisée pour les IGP et les vins sans IG. Elle doit être effectuée avec des moûts de raisin, des MC ou des MCR. Pour les AOC, elle n'est autorisée que si le cahier des charges le prévoit. Auquel cas, le moût, le MC ou le MCR doivent provenir de l'aire d'appellation. Dans tous les cas, le titre alcoométrique volumique total du vin ne peut être augmenté de plus de 4 % vol. Il faut déclarer l'opération aux Douanes au moins 48 heures à l'avance. En outre, la détention de moût, MC ou MCR et l'édulcoration doivent être consignées dans un registre.

PASCAL NACENTA, DIRECTEUR DE LA CAVE DE FRONTON (HAUTE-GARONNE) « Du froid et des filtrations serrées »

Blockbuster de Vinovalie, le rosé piscine - un vin de France - contient 30 g/l de sucres, en partie résiduels, le reste provenant de moût concentré. Pour prévenir toute refermentation, Pascal Nacenta utilise deux leviers : la filtration et le froid.

« Après la fermentation, on centrifuge ces vins pour réduire leur charge en micro-organismes. Après assemblage et édulcoration, on réalise une filtration tangentielle à 0,2 µ. En principe, à ce seuil, on élimine levures et bactéries. On maintient quand même un sulfitage à 0,6 mg/l de SO2 actif pour ses effets antioxydants. Les vins sont ensuite maintenus au froid (10 °C) jusqu'au tirage. La mise en bouteille s'effectue toute l'année sur le site de production. Si elle intervient plus de trois mois après la filtration tangentielle, on filtre à nouveau les vins à 0,2 µ. Avant chaque tirage, on stérilise toute la ligne d'embouteillage. Et le vin subit une nouvelle filtration sur membrane à 0,45 µ, juste avant la tireuse. J'effectue des contrôles microbiologiques sur chaque lot embouteillé en prélevant six bouteilles : deux au début, deux au milieu et deux en fin de mise. On vérifie l'indice de germes totaux contaminants. En cas de problème, cela permet de rechercher le point de contamination. Jusqu'ici, nous n'en avons jamais eu. Pour le conditionnement en Bib, qui se fait sur un autre site, les vins sont expédiés en citerne stérile. »

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