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GLYPHOSATE... Pourquoi tant de haine ?

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°302 - novembre 2017 - page 12

Malgré l'avis rassurant de plusieurs agences européennes, l'opinion publique et les associations de défense réclament l'interdiction du glyphosate.
La pulvérisation de glyphosate sous le rang est une pratique à laquelle de nombreux viticulteurs ne sont pas prêts à renoncer. © P. ROY

La pulvérisation de glyphosate sous le rang est une pratique à laquelle de nombreux viticulteurs ne sont pas prêts à renoncer. © P. ROY

De gauche à droite : Karine Jacquemart (Foodwatch), Mika Leandro (WeMove.EU), Élodie Audonnet (Ligue contre le cancer) et François Veillerette (Générations Futures) réclament l'arrêt du glyphosate. © C. STEF

De gauche à droite : Karine Jacquemart (Foodwatch), Mika Leandro (WeMove.EU), Élodie Audonnet (Ligue contre le cancer) et François Veillerette (Générations Futures) réclament l'arrêt du glyphosate. © C. STEF

C'est inédit. Jamais le renouvellement d'une matière active au niveau européen n'aura autant déchaîné les passions. Le glyphosate sera-t-il réautorisé ? Et si oui, pour combien de temps ? Après avoir plusieurs fois reporté leur vote faute d'avoir trouvé un accord, les États membres devaient se prononcer le 9 novembre sur la nouvelle proposition de la Commission, à savoir un renouvellement pour cinq ans. Au moment de boucler cet article, nous n'avons pas le résultat de ce vote.

Pourquoi tant de débats ?

Tout commence en mars 2015. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) classe le glyphosate comme « cancérogène probable pour l'homme ». Dès lors, de nombreuses associations réclament son interdiction.

Pourtant, en novembre 2015, l'Efsa, l'autorité européenne de sécurité des aliments, conclut, au contraire, « qu'il est improbable que le glyphosate constitue une menace cancérogène pour l'homme ». En février 2016, en France, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) confirme que « le classement du glyphosate comme cancérogène avéré ou présumé pour l'être humain n'est pas justifié ». En mars 2017, c'est au tour de l'Echa (Agence européenne des produits chimiques) d'écarter le risque cancérogène du glyphosate.

Mais le débat ne s'apaise pas, bien au contraire. Car le glyphosate est devenu emblématique du combat qu'une foule d'associations environnementales mènent contre les pesticides. Et, dans cette bataille, la mauvaise image dont pâtit Monsanto, l'inventeur du glyphosate, n'arrange rien. « C'est l'herbicide chimique le plus vendu au monde. En France, il représente un huitième des tonnages utilisés. Son interdiction est un enjeu pour la santé, l'environnement et pour que les agriculteurs changent de modèle de production », justifie Nadine Lauverjat, coordinatrice de Générations Futures. En clair, les associations de défense de l'environnement parient qu'une fois le glyphosate interdit, quantité d'autres matières actives suivront et qu'une agriculture plus naturelle verra le jour.

Un message fort des citoyens européens

Début 2017, ces associations lancent une Initiative citoyenne européenne (ICE), sous forme de pétition demandant l'interdiction du glyphosate. « Nous avons recueilli plus de 1,3 million de signatures entre février et juillet 2017. C'est un message fort exprimé par les citoyens européens. C'est la quatrième ICE à dépasser le million de signatures en cinq ans », explique Mika Leandro, directrice de campagne de WeMove.EU, une association qui milite pour que les citoyens soient davantage entendus que les lobbies. Or, une ICE n'est pas une simple pétition. Si elle dépasse le million de signatures, la Commission européenne est obligée d'y répondre. Dans le cas présent, elle doit le faire dans les semaines à venir.

En France, les antiglyphosates sont tout aussi actifs. Le 20 octobre, Générations Futures, la Ligue contre le cancer et WeMove.EU ont remis cette ICE à trois conseillers d'Emmanuel Macron ainsi qu'une lettre ouverte signée par 34 ONG, qui demande au président de la République d'exiger l'interdiction du glyphosate dans l'Union européenne. « Si la réponse est celle que l'on attend, ce sera le premier acte politique du gouvernement qui prend en considération la problématique de santé publique et environnementale. Le glyphosate est emblématique d'un combat plus large », ont expliqué ces associations le 20 octobre lors d'un point presse.

81 % des Français pour l'interdiction

Un sondage réalisé par Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et France Info, publié le 26 octobre, enfonce le clou : 81 % des Français interrogés estiment qu'il faut « interdire le glyphosate » parce qu'il est « potentiellement dangereux pour la santé ». Seuls 19 % considèrent « qu'il ne faut pas l'interdire » parce que « sa dangerosité n'est pas certaine et que les agriculteurs français en ont besoin ».

Qu'en pense l'Inra ? L'Institut vient d'être missionné par le ministre de l'Agriculture pour évaluer les conséquences de l'interdiction du glyphosate. « Nous travaillons sur le sujet pour répondre au ministre d'ici la fin novembre. Nous livrerons les éléments de notre réflexion début décembre », rapporte Christian Huyghe, le directeur scientifique agriculture qui s'est exprimé dans Le Figaro pour dire que cet herbicide n'avait « rien d'obligatoire ».

Les défenseurs de la molécule se sentent donc bien seuls. Et les viticulteurs ressentent le rejet du glyphosate au quotidien. « On ne parle que de cela en ce moment. Lorsque je suis invité chez des amis, ils évoquent le sujet. Je ne suis pas chimiste. Je ne sais pas si ce rejet est justifié ou pas », explique un Bordelais.

Les viticulteurs peuvent-ils s'en passer ? Le Basta venant d'être interdit, on ne voit qu'une seule solution si le glyphosate devait disparaître : la généralisation du travail du sol sur le rang. « Cela demandera beaucoup de travail supplémentaire, augmentera les coûts de production et engendrera des distorsions de concurrence avec des pays qui n'auront pas les mêmes contraintes », déplore un professionnel. Les consommateurs sont-ils prêts à absorber ces coûts supplémentaires ? Pas sûr.

Fin de partie pour le Basta F1

Le 24 octobre, l'Anses a retiré l'autorisation de mise sur le marché du Basta F1, l'herbicide à base de glufosinate d'ammonium commercialisé par Bayer. Ce produit affichait plusieurs phrases de risque. « Suite au réexamen de l'AMM, l'Agence conclut que des risques pour la santé des utilisateurs et des travailleurs, et des personnes présentes à proximité des espaces traités ne peuvent être exclus », indique l'Anses dans un communiqué paru le 26 octobre. L'Anses a toutefois prévu un délai d'écoulement des stocks de trois mois pour les distributeurs et de douze mois pour les utilisateurs. Les viticulteurs auront donc jusqu'au 24 octobre 2018 pour l'appliquer. Le Basta F1 est un herbicide très utilisé en viticulture. « Du fait de son spectre complet, de son action non systémique et de son délai avant récolte court (14 jours), c'est la seule alternative au glyphosate en situation de flore difficile, en particulier en période estivale », explique Jean-Luc Dedieu, le chef marché vigne chez Bayer.

Des agences très controversées

Après les attaques, la contre-attaque. Le 19 octobre, Reuters a publié une enquête indiquant que le Circ (Centre international de recherche sur le cancer) aurait écarté des résultats en faveur du glyphosate pour, finalement, le classer comme « probablement cancérigène », en 2015. Selon Reuters, le Circ dispose de plusieurs études montrant que l'herbicide ne provoque pas de tumeurs. Des études qu'il a rejetées. Bigre! Le 24 octobre, le Circ a démenti ces accusations. De leur côté, les ONG tirent à boulets rouges sur l'Efsa (Agence européenne de la sécurité des aliments) et l'Echa (Agence des produits chimiques) qui maintiennent que le glyphosate n'est pas cancérigène. Elles accusent ces deux agences d'avoir « copié-collé » des rapports fournis par Monsanto et d'autres industriels. Le 22 septembre, l'Efsa s'est fendu d'une déclaration indiquant que « ces allégations sont sans fondement et se basent sur un manque de compréhension de l'évaluation des pesticides dans l'Union européenne. [...] Le point de départ de toute évaluation est un dossier constitué par l'entreprise qui sollicite la mise sur le marché d'une substance active. Il est normal que certaines parties de [ce] dossier apparaissent dans le rapport d'évaluation de cette substance. »

ÉMILIEN GUILLOT-VIGNOT, PORTE-PAROLE DE LA PLATEFORME GLYPHOSATE « Son interdiction provoquerait 900 millions d'euros de pertes »

« Si le glyphosate disparaissait, la viticulture serait la filière agricole la plus pénalisée, avec l'arboriculture. Le glyphosate est l'une des matières actives les plus utilisées en viticulture, si ce n'est la plus utilisée. Son arrêt signerait la fin du désherbage chimique, car la principale alternative de postlevée qui existait - le Basta F1 - vient d'être interdite. Il reste la carfentrazone et le biocontrôle [acide nonanoïque, NDLR] mais ces molécules ne pourront pas remplacer le glyphosate et le glufosinate d'ammonium. Le retour au labour n'est pas réaliste dans tous les vignobles et demande de la main-d'oeuvre. Nous avons demandé à l'institut Ipsos une enquête auprès des agriculteurs sur le coût de l'arrêt du glyphosate. En viticulture, les coûts de production augmenteraient de 18 %, les rendements baisseraient de 13 % et les revenus de 20 %. Cela pénaliserait les exportations de vins et donc provoquerait une perte économique de 900 millions d'euros. »

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