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DOSSIER - Matière organique : le retour

Témoignages « Un capital à entretenir »

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°302 - novembre 2017 - page 30

Cinq vignerons nous expliquent comment ils s'y prennent pour entretenir, restaurer ou encore tirer profit du capital en matière organique de leur sol.
LAURENT LACUBE, viticulteur à Gardie, dans l'Aude, charge l'épandeur prêté par sa coopérative d'approvisionnement avec du compost de marc de raisins © L. LECARPENTIER

LAURENT LACUBE, viticulteur à Gardie, dans l'Aude, charge l'épandeur prêté par sa coopérative d'approvisionnement avec du compost de marc de raisins © L. LECARPENTIER

« Je veux rendre au sol ce que je lui prends. » Jérôme Corsin, du domaine de la Milleranche, à Jullié (Rhône)

« Je veux rendre au sol ce que je lui prends. » Jérôme Corsin, du domaine de la Milleranche, à Jullié (Rhône)

« J'ai hérité d'un bon capital organique que je dois valoriser. » Emmanuel Ogereau, viticulteur en Anjou

« J'ai hérité d'un bon capital organique que je dois valoriser. » Emmanuel Ogereau, viticulteur en Anjou

« Depuis dix-huit ans que je suis certifié Terra Vitis, je n'apporte que de la matière organique. C'est la base de la fertilité du sol ! », affirme Jérôme Corsin, du domaine de la Milleranche, à Jullié (Rhône), dans le Beaujolais. Lorsqu'il est entré dans cette démarche de viticulture raisonnée, il a analysé ses sols et constaté qu'ils contenaient moins de 1 % de matière organique. Pour y remédier, il a d'abord apporté, de temps en temps, des amendements en bouchons. Mais cela n'a pas suffi. La vigueur a fléchi dans certaines parcelles.

« Aujourd'hui, je fais des apports modérés mais réguliers pour entretenir l'humus sans attendre qu'il en manque. Je veux rendre au sol ce que je lui prends pour le transmettre en bon état à la génération suivante », explique le vigneron, qui note avec satisfaction que la vigueur est déjà plus homogène.

En Anjou, chez Emmanuel Ogereau, le sol est bien pourvu avec près de 2 % de matière organique. Mais celle-ci est trop stable. La minéralisation ne suffit plus à maintenir la vigueur des vignes. « Mon père apportait régulièrement des amendements. J'ai hérité d'un bon capital organique que je dois valoriser en stimulant la vie du sol », explique ce vigneron installé sur 24 ha à Saint-Lambert-du-Lattay, dans le Maine-et-Loire.

Pour y parvenir, il fait épandre par un prestataire 5 t/ha de fumier composté tous les trois ans. Il a aussi retourné l'enherbement dans certaines parcelles.

Là où il a appliqué ces deux traitements, il observe déjà un regain de vigueur. « Il me reste à caler la dose et le rythme des apports de matière organique. Je dois veiller à ne pas apporter trop d'azote disponible rapidement car le chenin est très sensible à la pourriture grise. »

D'autres vignerons ont carrément levé le pied. C'est le cas de Julien Tixier, du champagne André Tixier et fils, à Chigny-les-Roses, dans la Marne. Il travaille 5 ha de vignes affichant 3 % de matière organique. Comme son père, il épandait du compost tous les cinq ans, ainsi qu'un engrais organique les autres années. « Le problème, c'est que cette matière organique n'évolue plus. Son rapport C/N (carbone sur azote) est trop élevé », explique le vigneron.

En 2017, il a fait l'impasse sur les apports, retourné l'enherbement puis travaillé le sol à plusieurs reprises afin de relancer la minéralisation. Cet hiver, il va refaire une analyse du sol pour voir s'il doit reprendre ou non des apports. Il se pose aussi une autre question : jusqu'à présent, il n'a misé que sur la fertilisation organique, « mais avec un climat de plus en plus sec et chaud au printemps, il faudra peut-être en venir à des apports foliaires pour donner des éléments disponibles au bon moment ».

Dans d'autres régions, les sols manquent clairement de matière organique. C'est le cas chez Laurent Lacube, installé sur 40 ha à Gardie, dans l'Aude. « Je sais qu'il faut en apporter. Mais son prix doit être accessible », souligne-t-il. Un premier essai, avec un amendement en bouchons, ne l'a pas convaincu. « C'était cher pour un effet peu concluant », regrette-t-il. Avec le compost de marc de raisin proposé par sa coopérative d'approvisionnements, les résultats sont plus nets. « Pour 2 t/ha, j'ai payé seulement 170 €/ha, note-t-il. L'apport a boosté la végétation qui était plus régulière et plus verte. Cette année, je vais en acheter 50 t et en mettre sur les parcelles les plus faibles ou les plus sensibles à la sécheresse. » Malgré cela, il va continuer à épandre de l'azote minéral. « L'effet est plus rapide. Et dans les parcelles en IGP, c'est nécessaire pour parvenir à 90 hl/ha. »

Le message sur la nécessité d'enrichir les sols en matière organique semble être passé chez les vignerons. Si certains d'entre eux restent dans la stratégie du tout minéral, c'est d'abord pour des raisons de coût. Alexandre Foulque, qui cultive 38 ha à Villevieille, dans le Gard, apporte 500 kg/ha d'engrais minéral complet tous les ans. Et rien d'autre : « Cela ne me coûte que 170 €/ha. Le retour sur investissement est rapide et j'obtiens des rendements entre 75 et 80 hl/ha. » Pour lui, la matière organique est trop chère, mais il se soucie de l'équilibre de ses sols. « J'ai repris les labours pour les décompacter. Je broie les sarments et je les enfouis. Et, sur 3 ha, je vais tester un apport de Bactériosol pour stimuler la biomasse. Je ne veux pas laisser des sols morts dans vingt ans, lorsque je quitterai le métier ! »

Des sols peu pourvus

Le premier bilan national de l'état des sols, coordonné par l'Inra et publié en 2011, a mis en évidence que les sols viticoles étaient moins bien pourvus en matière organique que les autres sols agricoles. « Leur taux moyen est de 2 %, avec une grande partie des parcelles qui se situent en dessous. Par comparaison, ce taux atteint 2,9 % dans les terres labourables et 5,2 % dans les prairies », constatait alors Dominique Arrouays, rapporteur de ce bilan. Néanmoins, le taux de matière organique s'apprécie dans chaque parcelle en fonction du type de sol et des objectifs de la culture. « En vigne, la vigueur ne doit pas être excessive. La situation n'est vraiment préoccupante que dans les sols sensibles à l'érosion », estimait-il.

NICOLAS BESSET, CONSEILLER À LA CA DU RHÔNE « Des vignerons curieux »

« Dans le Beaujolais, les apports de matière organique ont longtemps été rares. Les épandages dans les vignes étroites étant difficiles, beaucoup de vignerons ne faisaient que des apports avant la plantation. Mais l'étude menée de 2009 à 2017 sur nos terroirs a remis en lumière l'importance de la matière organique et interpellé les producteurs sur leurs pratiques. Curieux de voir ce qui se passait sous la surface du sol, ils sont venus nombreux observer les fosses pédologiques creusées pour cette étude et écouter les commentaires d'Isabelle Letessier, du cabinet d'études Sigales. Ils ont ainsi pris conscience que la matière organique joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du sol, et qu'au-delà de la nutrition, elle intervient aussi dans la structure, la réserve en eau et la vie du sol. Durant cette période, j'ai animé régulièrement des formations sur ce thème et constaté un vif regain d'intérêt pour tout ce qui a trait au sol et à la matière organique. Les pratiques changent. La restitution des sarments au sol, par exemple, s'est généralisée. Elle apporte de l'humus et stimule la biomasse. »

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