« Les engrais verts, ça marche en agriculture. Alors, pourquoi pas en viticulture ? » Il y a trois ans, Lætitia Caillaud s'est posé la question. Aujourd'hui, elle a la réponse. « En 2014, après le lancement des fermes Dephy, nous nous sommes penchés sur le sujet et nous avons obtenu de bons résultats », explique cette conseillère viticole de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime.
À l'époque, quelques viticulteurs ont réalisé les premiers tests. Les engrais verts qu'ils ont semés ont largement répondu à leurs attentes. Ainsi, sur un sol argilocalcaire, un semis d'un mélange d'avoine à 205 kg/ha et de trèfle incarnat à 30 kg/ha a restitué au sol 31 unités d'azote, 12 de phosphore et 94 de potasse. « Et dès la deuxième année, les couverts s'implantent beaucoup mieux », se réjouit Lætitia Caillaud.
En Charente et en Charente-Maritime, vu les résultats, ils sont désormais une cinquantaine de vignerons à semer à l'automne un rang sur deux des couverts qu'ils détruisent au printemps. Ils se sont lancés d'autant plus facilement qu'ils n'ont pas à faire de passage de tracteur supplémentaire. En effet, la plupart des viticulteurs implante ces engrais avec un semoir à rampes ou à disques posé sur un outil de travail du sol.
Cette pratique rencontre le même intérêt dans le Tarn. Elle touche désormais au moins la moitié du vignoble, soit près de 3 000 ha selon Thierry Massol, le technicien viticole de la chambre d'agriculture. Les engrais verts se sont développés en très peu de temps. « En 2009, seuls deux ou trois viticulteurs en semaient. Ils maîtrisaient bien cette technique car ils étaient aussi en polyculture », précise Thierry Massol.
Dans cette région, la question de la fertilisation a fait basculer les choses : « Beaucoup de viticulteurs sont passés de l'AOP Gaillac à l'IGP Côtes-du-Tarn. Il fallait donc trouver une solution rentable pour faire grimper les rendements de 55 hl/ha à 120 hl/ha », souligne Thierry Massol. Les engrais verts ont rapidement fait leurs preuves. En semant un couvert de féverole à 45 kg/ha, le technicien a mesuré une production de biomasse moyenne de 2 t/ha, restituant 50 unités d'azote, 10 de phosphore et 90 de potasse. « Les rendements visés ont pu être atteints. Sur nos boulbènes, terres sablonneuses très pauvres, on a vite vu apparaître une terre bien noire dans les premiers centimètres, signe d'un enrichissement en matière organique », relate Thierry Massol.
En travaillant ainsi, les viticulteurs ont baissé leurs coûts de fertilisation. « Le coût moyen des engrais verts s'élève à 84 €/ha. Ce montant comprend l'achat des semences, le semis et la destruction du couvert. C'est peu : la fertilisation chimique coûte environ 180 €/ha pour un résultat identique, relève Lætitia Caillaud. Et nous pouvons encore diminuer le prix. Par exemple, un des viticulteurs qui nous a permis d'établir ce montant avait acheté de l'avoine rude à 1,98 €/kg. C'est très cher car on peut trouver de l'avoine noire à 0,17 €/kg et cette plante remplira le même rôle. » La conseillère prévoit aussi d'explorer la piste des semences fermières, très faciles d'accès pour les viticulteurs céréaliers de Charente.
En Alsace, région pionnière, « il y a dix ans, tout le monde semait du seigle dans les interrangs pour couvrir le sol. Maintenant, c'est terminé. La plupart des vignerons utilisent des mélanges d'au moins deux espèces, voire plus », observe Frédéric Schwaerzler, conseiller viticole à la chambre d'agriculture du Haut-Rhin.
Dans le Loir-et-Cher, les viticulteurs commencent à s'y mettre malgré l'étroitesse des rangs de vignes. « Outre la fertilisation, les viticulteurs prennent conscience qu'il est nécessaire de conserver l'activité biologique et la structure des sols pour préserver l'équilibre de la vigne », note Alice Reumaux, conseillère viticole à la chambre d'agriculture.
Mais des freins persistent : « Nous étudions des mélanges qui pourraient convenir à nos parcelles gélives. Nous testons notamment le moha, une graminée africaine qui gèle à -1 °C. À la sortie de l'hiver, le couvert serait couché, ce qui limiterait le risque de gel printanier », indique Alice Reumaux.
À ce sujet, Thierry Massol a son idée : « Au printemps dernier, nous avons placé des thermomètres au niveau des bourgeons pour mesurer l'impact des couverts sur le gel. Il semble que le paramètre déterminant soit la distance entre les couverts et les pieds de vignes. Il faudrait donc semer sur des bandes étroites pour éviter d'aggraver le risque de gel. »
Bernard Baguy, viticulteur, 11 ha, à Saint-Hippolyte, dans le Haut-Rhin « Je sème juste après les vendanges »
« Nous pratiquons les couverts temporaires depuis une trentaine d'années. Mais, à l'époque, mon père ne semait que du seigle et apportait du fumier pour compléter les besoins de la vigne. Désormais, je sème des mélanges de seigle, de légumineuses - pois-féverole-vesce - et de crucifères - radis ou moutarde. J'ai introduit ces mélanges car j'avais de plus en plus de difficultés à me fournir en fumier. Les fermes des alentours ont peu à peu disparu. J'ai dû trouver une autre solution pour apporter de l'azote : l'introduction des légumineuses. Dans la plupart de mes parcelles, je sème des engrais à l'automne et je les détruis au printemps. Dans ce cas, je n'utilise pas de moutarde car c'est une plante gélive. Dans les parcelles les plus vigoureuses, je procède différemment : je sème au printemps des couverts que je détruis après les vendanges, au moment du semis d'automne. Là, je mets de la moutarde qui va un peu pomper l'azote du sol. Dans tous les cas, j'emploie un semoir monté sur une vieille charrue à disques. Grâce à ce montage, je détruis l'ancien couvert en travaillant le sol sur environ 5 cm et je sème le nouveau. En général, je le fais juste après les vendanges car il m'arrive d'avoir des visites de sangliers sur la terre fraîchement travaillée. »
Ça se complique en Champagne
Les engrais verts ont du mal à s'implanter en Champagne. « Nous avons huit sites d'essais chez des viticulteurs. Mais seul l'un d'entre eux a étendu cette pratique à l'ensemble de son vignoble », regrette Johan Kouzmina, technicien viticole à la chambre d'agriculture de la Marne. Il faut dire que deux problèmes techniques se posent : la densité de plantation et la période de semis. « Comme nous vendangeons tout à la main, il est compliqué d'implanter un couvert avant les vendanges car il risque d'être détruit par le piétinement des vendangeurs. Et après, il fait vite très froid. Les levées sont lentes », souligne Johan Kouzmina. Mais le technicien a d'autres pistes : « Nous réfléchissons à des couverts de légumineuses comme le trèfle, peu concurrentiel avec la vigne. »