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VIN

Petite récolte « On a joué à la dînette »

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°302 - novembre 2017 - page 70

À Bordeaux, dans le Languedoc et en Provence, des caves ont dû changer leurs habitudes pour vinifier au mieux leur petite récolte. Voici leurs astuces pour s'en sortir.
MATHIEU LALET, maître de chai des châteaux Grand Baril et Réal Caillou, à Montagne (Gironde), n'a formé que deux lots cette année : le meilleur et le reste.

MATHIEU LALET, maître de chai des châteaux Grand Baril et Réal Caillou, à Montagne (Gironde), n'a formé que deux lots cette année : le meilleur et le reste.

Le millésime 2017 a bousculé les habitudes. « Dans certaines propriétés, la récolte a été divisée par deux. Impossible de faire du copier-coller avec les années précédentes. Il a fallu composer avec des installations surdimensionnées par rapport aux volumes », témoigne Pascal Hénot, du centre oenologique de Coutras (Gironde).

Dans le Bordelais, comme dans le Languedoc et dans la vallée du Rhône, si l'on s'attendait à un coup de ciseau dans les rendements, son ampleur en a surpris plus d'un. « Nos clients ont déchanté quand ils ont rentré les premières bennes. Mêmes les vignes non gelées ont accusé une baisse de production », relate Jean-Louis Vinolo, d'Euralis, en Gironde.

Cette chute des volumes a entraîné des complications dès la gestion des apports. « Les premiers jours, on s'est rendu compte que les tonnages étaient insuffisants pour remplir les pressoirs en rosé. Nos capacités en froid étaient surdimensionnées et les températures de débourbage trop froides. Les fermentations alcooliques ont eu du mal à démarrer. Il a fallu accélérer les apports pour avoir un volume quotidien acceptable à traiter. Certaines caves ont de même réduit leurs horaires d'ouverture pour inciter les coopérateurs à ramasser au plus vite », raconte Arnaud Morand, oenologue consultant à l'ICV de Provence.

À la cave de Saint-Maximin (Var), Sylvain de Villèle a organisé ses journées différemment. Pour éviter les macérations inutiles, il a davantage fait travailler ses pressoirs. « On les lançait avant qu'ils ne soient pleins car les apports étaient plus lents que d'habitude. On a fait plus de pressées par pressoir. Cette année, ils ont tourné jusque dans l'après-midi alors que, normalement, on s'arrête à midi. »

Pour Pascal Hénot, l'objectif prioritaire, c'était de remplir les cuves : « On est allé au plus simple. Ne voulant pas pousser les sélections au vignoble, on a constitué de grands ensembles pour remplir les cuves et valoriser au mieux le potentiel. » L'oenologue a conseillé à ses clients de classer les parcelles en trois catégories : le meilleur, le moins bon et l'intermédiaire. Il les a aussi incités à commencer par remplir les petites cuves pour être sûr d'en avoir des pleines.

Mathieu Lalet, l'un de ses clients, a été encore plus radical. « D'habitude, on procède à de la sélection parcellaire. Cette année, on n'a formé que deux lots : le meilleur d'un côté, le reste de l'autre, explique le maître de chai des châteaux Grand Baril et Réal Caillou, à Montagne (Gironde). Comme on avait très peu de volume, on a réquisitionné toutes nos petites cuves de 100 hl et un garde-vin. Le but était d'avoir des cuves remplies à au moins 50 %. Et nous avons été très attentifs à l'inertage au CO2. »

Les châteaux Grand Baril et Réal Caillou, qui exploitent 40 ha, ont été touchés par le gel au point que moins de 300 hl ont été vinifiés contre 2 500 hl d'habitude.

En Languedoc, les exploitants ont aussi jonglé avec des petits volumes, comme l'a observé Sébastien Pardaillé, du Laboratoire Natoli & Associés. « La situation était complexe car les installations étaient inadaptées. Les coops et vignerons se sont fait prêter de petits contenants ou s'en sont équipés. On a joué à la dînette », plaisante-t-il.

Pour éviter la surconcentration, qui aurait encore accentué la perte de volume, il a fait ramasser certains cépages, comme la syrah, en sous-maturité. « Il fallait avoir le nez dans les souches, observer les raisins, déguster les baies, surveiller la défoliation. Tout est allé très vite. En trois-quatre jours, les raisins se déshydrataient. »

Souvent, il a fallu revoir l'ordre d'arrivée des raisins en cave : les carignans ont été récoltés avant les grenaches, les merlots avant les syrahs. Mais le plus gros chamboulement a porté sur les assemblages. Pour remplir les cuves, il a fallu regrouper des parcelles qui d'ordinaire étaient vinifiées séparément. « On voulait éviter les cuves à moitié pleines où le rapport vendanges/jus est plus élevé, ce qui renforce les extractions. On a privilégié des extractions très douces, sans remontage, ni délestage, en faisant juste infuser les raisins dans l'alcool et à la chaleur. »

Pour que des cuves de 100 hl ne se retrouvent pas au quart remplies, Sébastien Pardaillé a préconisé le pré-assemblage de lots en fonction de la maturité et de l'historique des parcelles. Conséquence de ces assemblages précoces : il y aura moins d'ingrédients pour réaliser les assemblages finaux. Il faudra composer avec les rares cuves disponibles.

Jean-Louis Vinolo a insisté sur trois points avec ses clients : l'hygiène de la machine à vendanger et du chai pour éviter le développement de micro-organismes indésirables, l'inertage des cuves et des pressoirs et un levurage précoce dès l'encuvage afin de coloniser le milieu.

Malgré ces complications, la qualité surprend agréablement, notamment à Bordeaux. « 2017 est un bon millésime. Les vins sont bien colorés, souples et ronds avec de la fraîcheur et une belle expression aromatique sur le fruit frais. Ce n'est pas un millésime sur la puissance et la concentration comme 2016. Mais c'est une belle surprise », confie Jean-Louis Vinolo. Une consolation pour les vignerons qui n'ont pas fait le plein.

MARIE COURSELLE, CHÂTEAU THIEULEY, 80 HA À LA SAUVE, EN GIRONDE « On a changé notre fusil d'épaule en permanence »

« On accuse une baisse de 40 % de nos volumes en blanc et 30 % en rouge. Vu cette petite récolte, on n'a jamais attendu que les bennes soient pleines pour les rentrer en cave. Au chai, on a utilisé beaucoup plus de gaz inertes que d'habitude. On a inerté cuves et pressoirs deux fois par jour. Pour le débourbage des blancs, on a utilisé des petites cuves que l'on dédie habituellement aux rouges. On a aussi revu nos assemblages à cause du gel car nous avions très peu de sauvignon. Afin de remplir plus rapidement les pressoirs, on a complété avec nos sémillons. Pour obtenir des vins plus aromatiques, j'ai réincorporé des bourbes de sauvignon dans mes jus lors de la stabulation à froid. Pour nos rouges, nous avons utilisé nos plus petites cuves de 110 hl. La pluie nous a obligés à rentrer précipitamment certaines parcelles. Nous avons donc augmenté les volumes thermovinifiés. Nous avons chauffé 35 à 40 % de la récolte contre 5 à 7 % habituellement. Mais on n'a pas vinifié en phase liquide. Après la thermo, on a refroidi les moûts et on a laissé fermenter avec les pellicules. Au final, le résultat nous a heureusement surpris. Ces vins n'ont pas le caractère thermo : ils sont crémeux avec des tannins agréables. Et je n'ai aucune cuve en vidange car j'ai modifié mes assemblages et utilisé davantage les vins de presse pour faire le plein. »

Rosés La délicate gestion de la couleur

Avec la sécheresse, les baies étaient plus petites que d'habitude pour un ratio jus/pellicule plus faible. Or, c'est un facteur de risque d'extraction de couleur. Les petits volumes en sont un autre. Le rythme de la récolte étant plus lent, les raisins macèrent plus longtemps dans les bennes et les pressoirs. « La bonne surprise, ce sont les très bons rendements au pressurage. Il n'a pas été nécessaire de monter trop en pression, ce qui a limité l'extraction de couleur », indique Arnaud Morand, de l'ICV Provence, qui a conseillé d'enzymer sur le raisin pour faciliter l'extraction des jus. En Languedoc, Sébastien Pardaillé, de Natoli & Associés, a été confronté au même problème : « Les pressoirs se sont remplis lentement, occasionnant des macérations pelliculaires plus longues, qui ont donné des rosés plus foncés. Il a fallu travailler la couleur durant la fermentation alcoolique avec des collages pour baisser les intensités colorantes », explique-il.

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