À PARIS, LE 13 OCTOBRE, la Fête des vendanges de Montmartre bat son plein. Les trois coopérateurs qui tiennent le stand de la cave Saint-Marc servent leurs visiteurs sans temps mort. © F. BAL
LA FÊTE DES VENDANGES DE MONTMARTRE accueille près de 500 000 visiteurs. C'est la troisième manifestation parisienne après la Nuit blanche et Paris Plages : les vendanges et le vin, ça plaît aux Parisiens et aux touristes. © F. BAL
L'ÉQUIPE DE LA CAVE SAINT-MARC : Gérard Lafond, trésorier, Michel Reynaud et Thierry Chardon, tous deux vice-présidents. © F. BAL
En ouvrant leur stand, vendredi 13 octobre à 10 heures, Thierry Chardon, Michel Reynaud et Gérard Lafond savent qu'ils entament trois jours de marathon. D'autant que le temps est au beau fixe et la température estivale. L'affluence promet d'être record pour cette 84e édition de la Fête des vendanges de Montmartre, à Paris.
Thierry Chardon et Michel Reynaud sont tous deux vice-présidents de la cave Saint-Marc, à Caromb, dans le Vaucluse, au pied du mont Ventoux, et Gérard Lafond, le trésorier. Pour eux comme pour leur coopérative, la Fête des vendanges de Montmartre est une parenthèse. C'est la seule manifestation grand public à laquelle ils participent en dehors de leur région. Cette petite cave (700 ha, 80 adhérents, 34 000 hl, 3 millions de cols et 4,8 M€ de CA) ne vend que 10 % de sa production aux particuliers. À l'origine de sa présence sur la butte Montmartre : une histoire d'amitié entre un adhérent et l'ancien maire du 18e arrondissement de Paris.
Les trois hommes, bénévoles, reviennent tous les ans. « Tous les coopérateurs n'apprécient pas d'être en contact si direct avec le public », soulignent-ils. Bénévoles mais bien rodés. Ils sont arrivés la veille en camionnette avec 900 bouteilles et une quinzaine de Bib, des ventoux. « Année après année, on augmente la part des blancs et des rosés car c'est ce que les jeunes adultes demandent le plus », confient-ils.
Avant de quitter Caromb, ils ont fait l'inventaire « des petits choses indispensables qui manquent cruellement si on les oublie » : agrafeuse, ruban adhésif, marqueurs, tire-bouchons, marteau, clous, punaises, cales en bois pour stabiliser le comptoir du stand installé dans une rue en pente et deux spots pour l'éclairage nocturne.
Vigipirate oblige, ils devaient tout décharger sur leur emplacement avant 19 heures. Un stand de 2 m sur 3 qu'ils louent 2 240 € où une planche de 2,80 x 0,80 m, recouverte d'une toile grise, fait office de comptoir. Ils y ont accroché une banderole indiquant « Cave Saint-Marc Côtes du Ventoux » en grosses lettres. Sur le comptoir, ils ont posé des dépliants présentant leur cave et des bouteilles des six vins qu'ils s'apprêtent à vendre : un blanc, un rosé et quatre rouges. Un tarif plastifié mentionne les prix : de 8 à 12 € la bouteille et 2 € le verre. Des prix 50 à 80 % plus cher qu'au caveau. Au fond du stand, les coopérateurs ont empilé leur stock. Sur les côtés, ils ont affiché une carte sommaire qui situe leur cave dans le Vaucluse et en France. Tout est fin prêt pour recevoir le public.
La journée démarre en douceur. Les Parisiens sont au travail. L'après-midi, une majorité de touristes étrangers se présente : Américains, Russes, asiatiques, Ukrainiens, Espagnols, Italiens... Une des difficultés des vignerons est de converser avec toutes ces nationalités. « On ne parle pas anglais. On ne sait dire que quelques mots, rigole Michel Reynaud. Mais on se débrouille. »
La communication verbale avec ces touristes étant réduite au strict minimum, place à la communication gestuelle. « La cuvée Terroir est tannique », lance Michel à un jeune Ukrainien. Tout en disant cela, il ouvre et ferme très rapidement et plusieurs fois ses poings près de ses joues pour mimer la présence des tannins et faire à son interlocuteur comprendre la sensation qu'il éprouvera en dégustant le vin. « Saint-Marc est plus rond », clame-t-il ensuite, en faisant des cercles avec les mains. Pas sûr que son client ait bien compris ! Mais tout le monde rit.
« Oh ! C'est quoi ce cépage ? », interrompt une jeune femme. Sans attendre la réponse, elle pose une autre question : « Vous prenez la carte bleue ? » « Non. Mais il y a un distributeur plus haut à une centaine de mètres d'ici », répond Michel. Il y a peu de chance que la jeune femme revienne. À l'heure de pointe, dans ces ruelles au pied du Sacré-Coeur, bordées des 150 stands du parcours du goût, les tentations sont trop fortes pour ne pas s'arrêter ailleurs. La vente est perdue. Une scène qui se répétera des dizaines de fois durant le week-end.
Une autre question revient souvent : « Is this wine sweet (ce vin est-il doux) ? », demandent régulièrement des jeunes femmes italiennes, espagnoles ou asiatiques... « No. No sweet. Mais nous avons un rosé fruité. Testez-le », invitent les vignerons, en montrant la bouteille de Dicton rosé.
Un homme d'affaires américain de Boston, la quarantaine, en week-end prolongé à Paris, goûte le Saint-Marc rouge - le ventoux coeur de gamme de la cave, un assemblage de grenache, syrah et carignan, fruité et rond - et s'adresse à ses amis new-yorkais : « The guy is very nice and the wine is very good (le gars est très sympa et le vin très bon). » Et quatre verres de vendus ! « I love Paris », ajoute-t-il.
Puis vient Maria, une Russe originaire de Saint-Pétersbourg qui travaille à Paris. « Le vin est very, very good, s'exalte-t-elle, en dégustant la cuvée Sénéchal, un ventoux rouge composé à 90 % de syrah. I like shiraz. Is this shiraz ? » « Yes ! »
Certains visiteurs sont en quête de conseils. « Monsieur, on voudrait un verre de rouge, mais on ne sait pas lequel. Que nous proposez-vous ? » « Plutôt fruité ou plus corsé ? », s'enquête le vigneron. « Corsé », répond le visiteur. « La cuvée Étienne de Vesc, alors. Vous voulez la goûter ? » « Avec plaisir. » Aussitôt dit, aussitôt fait. D'autres s'intéressent aux dates des vendanges, au terroir. « Caromb possède un superbe terroir argilo-calcaire de la vallée du Rhône », explique Thierry, entre deux clients. « Eh, non, cela n'a rien à voir avec Châteauneuf-du-Pape. Là-bas, ils ont des galets roulés qui font leur spécificité. Ils sont de l'autre côté du Rhône », poursuit-il.
Un homme dubitatif s'arrête et demande en anglais « S'il vous plaît, 8 euros, est-ce pour un verre ou une bouteille ? » Une bouteille, bien sûr. Puis, un Parisien du quartier vient taper la causette et dérive sur le terme à la mode : « Vegan, veggie, on en voit partout. Bientôt il y aura du vin vegan. Mais ce ne sera pas du bon vin. Le bon vin, c'est celui qui est traditionnel. »
Au crépuscule, quand la nuit tombe, la foule se densifie. Les visiteurs avancent au coude à coude, verres de vin ou de bière à la main, bouteilles ouvertes qu'ils dégustent en déambulant. Rien à voir avec un salon du vin. Ici, personne ne vient acheter de cartons. Il n'y a pas le moindre crachoir sur les stands : ils ne serviraient à rien. À la Fête des vendanges, on ne crache pas, on boit ! « Il y a très peu de connaisseurs, observe Gérard Lafond. On n'est pas dans une manifestation d'amateurs éclairés ni dans un salon professionnel. La majorité des visiteurs achète des verres ou des bouteilles débouchées qu'ils consomment sur place. »
« Le soir, il y a beaucoup de Parisiens, plutôt jeunes, souligne le trio. À partir de 20 heures, on sert, on débouche, on encaisse. C'est du non-stop. Par moments, on ne touche pas terre et on a du mal à tenir le rythme. C'est comme dans le métro aux heures de pointe. »
Au final, « c'est très sympa, on discute avec les gens. J'adore. J'aime l'atmosphère », confie Gérard, qui en est à sa dixième édition. Pour Thierry, ce n'est que la deuxième fois. « Le monde qui passe pendant ces trois jours, c'est vraiment quelque chose ; l'affluence est impressionnante, enchaîne-t-il. Mais les gens ont le contact facile et s'intéressent au produit. L'ambiance, excellente, est détendue, façon week-end ou vacances. J'ai été surpris des retours : globalement, ils trouvent nos vins très bons, d'un excellent rapport qualité-prix, voire même pas assez chers ! »
Pour la cave, l'objectif n'est clairement pas financier. « Nous venons pour nous faire connaître et faire découvrir l'AOC Ventoux et notre région », souligne l'équipe. Comme la coopérative entend développer ses ventes aux particuliers, elle devrait ouvrir un site marchand. En fin d'année, elle veut lancer des offres de livraison en 24 heures aux particuliers, et même entre 19 et 22 heures pour les Parisiens. L'an prochain, son stand sera équipé d'un panneau affichant ses nouveaux services et d'une borne digitale pour collecter facilement les données de clients potentiels, ce qu'elle n'a pas fait jusqu'à présent. Un nouvel élan pour la Fête des vendanges 2018 qu'elle ne manquera pour rien au monde.
Des ventes à la clé
Rentrés épuisés, les trois coopérateurs sont très satisfaits de leur aventure sur la butte Montmartre et des contacts qu'ils ont eus. Ils ont vendu 510 bouteilles dont 55 % de rouges, 24 % de blancs et 21 % de rosés. En rouge, c'est la cuvée Saint-Marc, sur le fruit et la rondeur (10 €), qui s'est le mieux vendue (138 cols). La cuvée Sénéchal, à majorité de syrah, a eu moins de succès (30 cols). La recette s'élève à 6 000 € pour 4 800 € de frais (hôtel, restaurants, transport, stand). Petit bémol : les ventes auraient pu être plus importantes s'ils n'avaient pas été en rupture de blancs le dimanche et s'ils avaient eu un terminal de paiement par carte bancaire, une demande des clients qui a cruellement fait défaut cette année.
BILAN DE L'OPÉRATION
LES POINTS POSITIFS
- Une ambiance détendue, des coopérateurs toujours serviables malgré l'affluence record.
- Des vins d'un excellent rapport qualité-prix d'après les clients.
LES POINTS À AMÉLIORER
- Prévoir un terminal de paiement par carte bancaire.
- Amener des seaux à glace pour servir les blancs et les rosés.
- Prendre davantage de blancs pour éviter la rupture de stocks et moins de rouges.
- Prévoir deux personnes supplémentaires le samedi pour pouvoir « souffler » et se relayer.
- Diminuer la largeur du comptoir afin de se mouvoir plus facilement dans le stand.