CHEZ SIGNORELLO ESTATE, le winemaker français Pierre Birebent constate la destruction de l'ancienne bâtisse commerciale, mais les cuves ont protégé la récolte de l'année. PHOTO : S. MOUILLARD
À SIGNORELLO ESTATE, ce caviste loge dans un fût à bière les quelques litres de vin qui n'ont pas trouvé place dans ses barriques. Il s'en servira ultérieurement pour les ouillages. PHOTO : S. MOUILLARD
LES BARRIQUES DE SIGNORELLO ont été évacuées vers un chai plus accueillant pour commencer leur vieillisement. PHOTO : S. MOUILLARD
L'NOTOURISME ET LES VENTES DIRECTES ont déjà souffert car les amateurs ont déserté les chais durant les incendies. PHOTO : S. MOUILLARD
Ses mains sont noircies par la suie et les cendres. Jimmy Hayes vient tout juste de redescendre du mont Veeder, où les flammes menacent encore les vignes de l'historique domaine de Mayacamas, à Napa, en Californie. Nous sommes le 18 octobre. Cela fait dix jours que le feu ravage les vallées de Napa et de Sonoma, les joyaux de la viticulture américaine. Cinq jours durant, Hayes, directeur de l'exploitation depuis 2014, a bataillé avec les moyens du bord pour protéger la propriété. « Les routes étaient coupées par la police, on a dû prendre des chemins de traverse avec quelques employés pour y accéder », raconte-t-il.
Sur place, il a découvert l'étendue des dégâts. Le chai originel de Mayacamas, érigé en 1889, n'a pas résisté au feu, pas plus qu'une grange ni qu'une bonne partie des engins agricoles. « C'est vraiment triste car il s'agit d'une des plus anciennes bâtisses de la région. Un siècle d'histoire, pour les États-Unis, ce n'est pas rien », poursuit l'homme de 37 ans.
Heureusement, au milieu de cette désolation, « le chai actuel, qui abrite nos cuves de fermentation et tous nos stocks a été épargné. C'est un miracle. »
Jimmy et ses hommes ont dû redoubler d'inventivité pour entonner la récolte 2017, principalement du cabernet-sauvignon : « Nous n'avions plus qu'un générateur électrique en état de marche. Nous avons écoulé les vins par la simple gravité. »
Il espère que les fumées toxiques qui enveloppent la région depuis deux semaines n'ont pas contaminé ses vins, et doit attendre encore quelques jours pour dresser un bilan précis des dégâts dans ses 20 ha de vignes qui produisent 5 000 à 7 000 caisses de vin chaque année. Mais, a priori, les ceps ont tenu le choc.
C'est aussi le constat que dresse Pierre Birebent, le winemaker de Signorello Estate, une autre exploitation familiale de la Napa Valley. Ce Corse de 57 ans, Californien d'adoption depuis vingt ans, dormait « comme un bienheureux » quand les coups de fil incessants de son patron l'ont réveillé dans la nuit du 8 au 9 octobre dernier. « Il m'a appelé du Canada où il se trouvait. J'ai sauté dans la voiture pour rejoindre le domaine, se remémore-t-il. En arrivant sur place, j'ai vu que la colline était déjà en flammes. »
Pendant plus d'une heure, en pleine nuit, lui et ses hommes ont fait face. « Avec trois tuyaux d'arrosage et des t-shirts mouillés sur le visage. Au bout d'un moment, l'air est devenu irrespirable et on a dû reculer. À distance, on a vu le toit de la propriété s'enflammer. »
De cette jolie bâtisse en pierre, où une clientèle fortunée venait déguster les vins, il ne reste plus rien. Mais le feu n'est pas allé plus loin. Il a épargné les cuves installées à une dizaine de mètres à peine.
« On a dégusté ce matin [le 18 octobre, NDLR]. La chaleur n'a pas fait tourner les vins au vinaigre », se réjouit Pierre Birebent. Il semble que la récolte 2017 est sauve, tout comme les 15 ha de vignes du domaine. Autant dire que l'essentiel est préservé. « Ici, c'est un domaine à l'européenne. Le vin, surtout du cabernet-sauvignon, est notre bébé de A à Z, décrit Pierre Birebent. On joue à fond le jeu des notes. On fait tout ce qu'il faut pour obtenir les meilleures, notamment chez Robert Parker. S'il faut faire tomber les rendements à deux tonnes à l'acre, on y va. »
Le propriétaire, Ray Signorello Jr, est venu sur place quelques jours après le sinistre, annonçant sa volonté de tout reconstruire. « Cela a mis du baume au coeur à tout le monde », reconnaît Pierre Birebent.
Bien sûr, les prochains mois seront compliqués. Traditionnellement, octobre est la période la plus faste pour les wineries de la région, qui voient affluer les touristes prêts à déguster, à acheter les vins et à devenir membres des clubs affiliés aux propriétés qui leur livrent ensuite des bouteilles tout au long de l'année.
Chez Signorello, ces ventes directes représentent 40 % du chiffre d'affaires, avec des bouteilles dont le prix dépasse souvent les 100 dollars (85 euros). Mais les incendies ont fait fuir les touristes. « Qui a envie de poursuivre ses vacances dans un pays en feu où l'air est irrespirable ? », pointe Simon Faury, vigneron et directeur d'exploitation de Merryvale. Ce jeune Français de 31 ans « touche du bois » : « Pour l'instant, on est passé au travers des flammes. »
85 % du raisin avait été ramassé lorsque les incendies ont débuté, le 9 octobre. Les vendanges ont commencé très tôt cette année, dès le 20 août, par la grâce d'une météo très ensoleillée. « Chez nous, une seule parcelle n'avait pas été vendangée, explique Simon Faury. Il a d'abord fallu combattre les flammes avant de ramasser. »
Pour le moment, juge-t-il, « le vin se goûte bien : on ne sent pas ce goût fumé, qui touche certaines productions ». Pierre Birebent abonde : « Cela arrivera peut-être à ceux qui n'avaient pas tout ramassé. Le goût fumé n'est pas ordinaire, mais pas vraiment désagréable. »
Pour le reste, assure-t-il, l'influence des incendies restera modeste : « Les vignes vont perdre leurs feuilles. On va les tailler. Elles repousseront au printemps 2018, comme si rien ne s'était passé. »
Pour Ken Moholt-Siebert, le propriétaire d'Ancient Oak Cellar (Le Cellier du vieux chêne), l'avenir est plus incertain. Le site principal de son domaine a été gravement endommagé par le feu. Ses vignes ont déjà perdu leurs feuilles sous l'effet du stress. « Je vais retarder la taille jusqu'à ce que je voie un signe de vie... en espérant en trouver. »
Des dégâts considérables
Le coût des incendies qui ont ravagé le « pays du vin » demeure encore incertain. En dix jours, du 9 au 19 octobre, 42 personnes ont trouvé la mort et près de 100 000 hectares et 8 400 âtiments sont partis en fumée dans le nord de la Californie. Mais la plupart des vignes ont été épargnées, comme les bâtiments des quelque 900 exploitations de Napa et Sonoma. Les experts ne prévoient pas de baisse notable de la production dansces vallées où sont élaborés les crus les plus réputés des États-Unis. Les conséquences pourraient se mesurer à deux autres niveaux. D'abord avec un recul très net de la fréquentation touristique, ensuite avec une crise du logement dans une région où les prix de l'immobilier atteignent des niveaux records. Ce qui ne manquera pas de toucher les salariés agricoles qui ont perdu leurs maisons. « On va reverser 10 % de nos revenus aux gens dans le besoin pour les aider à se relever », indique Jimmy Hayes, responsable du domaine de Mayacamas.