L'affaire Raphaël Michel redistribue les cartes entre la production et le négoce dans la vallée du Rhône. En juin, ce négociant vraqueur, qui revendiquait le traitement de 900 000 hl/an dont un peu plus de 300 000 hl de vins rhodaniens, a été mis en examen pour fraude et escroquerie. Entre octobre 2013 et mars 2017, il aurait vendu 289 000 hl de côtes-du-rhône et 10 800 hl de côtes-du-rhône-villages alors que ces vins n'en étaient pas. Fin octobre, le négociant s'est placé sous procédure de sauvegarde. S'il réfute les faits qui lui sont reprochés, « la confiance en lui est entamée », juge un courtier vauclusien.
Des négociants qui s'approvisionnaient auprès de Raphaël Michel le quittent. « Ils se tournent vers les caves - soit directement, soit par l'intermédiaire des courtiers - car elles apportent des garanties de traçabilité », commente un responsable professionnel. De même, des entreprises à qui ce négociant avait pris des marchés frappent de nouveau aux portes des caves.
Michel Bellier en voit défiler. « Des négociants qui ne passaient plus par nous reviennent, expose le président de la coopérative Costebelle, à Tulette (Drôme), qui produit 100 000 hl/an et en vend un peu moins de la moitié en vrac. Les volumes concernés ne sont pas énormes, 1 000 à 1 500 hl d'appellations Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône-villages, mais c'est tout de même intéressant. »
Olivier Andrieu, le directeur de la coopérative de Roaix Séguret (Vaucluse), qui vinifie 30 000 hl/an en moyenne et vend 100 % au négoce, est sollicité par des acheteurs qu'il n'avait jamais vus. Toutefois, il lui est difficile de dire s'il s'agit de la conséquence des mésaventures du négociant vraqueur.
L'appellation Côtes-du-Rhône enregistre une récolte 2017 historiquement basse : 1,1 million d'hectolitres, soit 30 % de moins que l'an passé. « D'où cet empressement des acheteurs », enchaîne Olivier Andrieu.
Reste que, pour les metteurs en marché, l'approvisionnement en direct auprès de la production s'avère plus contraignant qu'auprès d'un vraqueur. « Avec les coopératives, ils doivent signer des échéanciers de paiement et s'engager à respecter des délais de retiraison, expose un courtier local. Elles demandent que les vins soient enlevés avant l'arrivée de la nouvelle récolte. » Ce qui n'est pas le cas des vraqueurs.
« Nous achetons des vins pour des ventes ultérieures. Nous finançons des stocks », explique Christophe Montalban, directeur commercial de la société Friedman, spécialisée dans la vente de vin en vrac et basée à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse). L'entreprise traite 200 000 hl/an dont la moitié de la vallée du Rhône. « Nous allons livrer à nos clients des côtes-du-rhône 2016 jusqu'en juillet 2018. Nous disposons pour cela d'une capacité de stockage de 30 000 à 40 000 hl. »
En plus de stocker des vins, Raphaël Michel garantissait un prix fixe pour une durée définie à ses acheteurs. « Ses clients ne subissaient pas les variations des cours à la production, souligne un observateur. Ils vont devoir se passer de cette souplesse et prendre plus de risques. »
A fortiori avec un millésime 2017 dont les cours flambent. À 165 €/hl en novembre, le prix moyen du côtes-du-rhône régional a bondi de 20 à 25 €/hl par rapport à la campagne précédente. Si la petite récolte explique cette inflation, elle n'est pas la seule en cause. « La hausse des prix est une autre conséquence de l'affaire Raphaël Michel, puisque les volumes de côtes-du-rhône qu'il est accusé d'avoir frauduleusement mis en marché n'existent plus », analyse un opérateur local. Résultat de cette pénurie, les négociations entre la production et le négoce sont tendues.
Cela va-t-il inciter le négoce à sécuriser davantage son sourcing ? « C'est déjà le cas depuis quatre ans du fait de la succession des petites récoltes », remarque un courtier gardois. Castel a ainsi contractualisé une partie de ses achats auprès de coopératives. Ces contrats portent sur des quantités et des prix. Les prix de l'année sont fixés sur la base du cours moyen de la précédente puis réajustés en fin de campagne. Prodis, la filiale vin de Carrefour, a noué aussi des contrats pluriannuels avec des caves coopératives et particulières.
Quant aux Grandes Serres, filiale du groupe Taillan dans la vallée du Rhône, elles ont signé un accord avec la cave coopérative de Cairanne. Le négociant vend à la grande distribution française les vins vinifiés et embouteillés par la coopérative.
Le Cellier des Dauphins, qui truste près de 20 % des volumes de côtes-du-rhône, tente pour sa part de resserrer les liens avec ses onze caves adhérentes auxquelles il achète la moitié de leur récolte. « Nous l'avons fait cette année avec les rosés, explique Michel Bellier, président du groupement. Nos oenologues ont travaillé de manière étroite avec leurs homologues dans nos coopératives pour élaborer davantage de volumes et les qualités souhaitées. Elles vont nous fournir un pourcentage supérieur de rosé. »
Globalement, les contrats pluriannuels font peu recette. La plupart des liens sont classiques, informels et régulièrement reconduits. « 80 % de nos approvisionnements s'opèrent avec les mêmes vignerons d'une année sur l'autre sans engagement écrit sur des volumes, indique Étienne Maffre, directeur général de Gabriel Meffre. Pour la plupart d'entre elles, ces relations durent depuis dix ans. »
Production et négoce rechignent à s'engager plus avant. « Cette année, nous avons proposé à certains de nos fournisseurs de signer des contrats pluriannuels, mais ceux-ci ont suscité peu d'enthousiasme », commente Frédéric Lavau, le dirigeant de la maison éponyme, spécialisée dans l'achat de raisin et qui vinifie 100 000 hl en moyenne. Quand les prix montent, la production n'aime pas être maintenue à d'anciens cours. Et l'histoire montre que les contrats écrits n'ont pas forcément plus de valeur que des usages bien ancrés.
Olivier Andrieu s'est vu proposer un contrat pluriannuel. Il l'a décliné. « Nous en avions signé par le passé, mais ils se sont soldés par des échecs. En 2002, quand la récolte avait été de faible qualité, nous sommes restés avec des vins sur les bras. Des acheteurs n'ont pas honoré leur signature. »
Le Point de vue de
SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Oui, car la petite récolte 2017 remet en cause le modèle de ces dernières années. Nous avions construit des relations en privilégiant une certaine stabilité et dans la transparence du partage des marges. Ceci dans le but de développer des marques fortes. Mais le cours du côtes-du-rhône s'emballe. Dans ce contexte, des producteurs se montrent plus opportunistes. Reste que cette hausse ne comblera pas le manque à gagner que subissent les exploitations en raison dela petite récolte. Il est nécessairede lancer un plan social surle côtes-du-rhône. »
Le Point de vue de
SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Non, car nous vendons toute notre production de longue date à deux négociants. Nous ne percevons pas d'évolution majeure dans nos relations. Cette année, notre acheteur le plus ancien (30 ans) n'est pas pressé d'acheter en dépit de la petite récolte 2017. Il sait qu'il peut compter sur nous. Il est venu goûter nos vins en novembre. Nous produisons des vins fruités qu'il apprécie et qu'il nous paie un peu au-dessus du cours moyen. Les prix devraient augmenter car nous avons vendangé 30 % de moins. Mais notre demande de hausse reste modérée. »
Le Point de vue de
SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Oui. Nous contractualisons une partie plus importante de notre production que par le passé avec des négociants locaux et extérieurs au vignoble. Sur les 80 000 à 85 000 hl que nous mettons en marché chaque année, nous vendons 40 % à notre union, le Cellier des Dauphins, et 25 %au caveau. Des 28 000 hl restants, 40 % sont contractualisés soit 20 % de notre volume total. Nous souhaiterions faire davantage, mais le négoce reste réservé car il lui est difficile de savoir à l'avance quel volume et à quel prix il va vendre à la grande distribution chaque année. »
Le Point de vue de
SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?«Oui. Je suis installé depuis vingt ans. Au départ, nous traitions avec un seul client. Puis, il y a une dizaine d'années, nous avons étoffé notre portefeuille d'acheteurs pour obtenir de meilleurs prix car ils étaient au plus bas. Aujourd'hui, nous avons fidélisé trois ou quatre négociants par l'intermédiaire de deux courtiers. Mais les discussions autour des prix sont toujours âpres car les grandes surfaces rechignent à accorder des hausses à nos clients. Heureusement, le syndicat nous délivre des informations économiques qui nous aidentà mieux négocier. »