Il faut sauver le cuivre. S'il y a bien un sujet qui fait l'unanimité au sein de la filière viticole, c'est celui-ci. Bios et conventionnels, tous défendent ce brave petit soldat. La Fnab, l'Itab, France Vin Bio montent au front, tout comme les Vignerons indépendants, la CCVF, la Cnaoc, l'Apca et la FNSEA. « On assimile souvent cette matière active à la viticulture bio. Mais les conventionnels l'utilisent aussi », justifie Michel Gendrier, viticulteur en biodynamie dans le Loir-et-Cher et président de la commission environnement des Vignerons indépendants.
Le cuivre est en cours de ré-évaluation au niveau européen. Sera-t-il de nouveau autorisé ? Et si oui, à quelle dose ? Verdict d'ici le 31 janvier 2019. Mais le rapport que l'Efsa, l'agence européenne de sécurité alimentaire, a rendu le 16 janvier ne plaide pas en sa faveur. Jacques Carroget, viticulteur bio dans le Muscadet qui suit le dossier au sein de la Fnab, est très inquiet. « Le rapport indique que le cuivre est nocif pour l'eau, les mammifères, les vers de terre et les oiseaux », liste-t-il. « Il aborde le problème de l'exposition des travailleurs dans les vignes et recommande le port obligatoire d'EPI même après les délais de rentrée. Nous y sommes relativement opposés », ajoute Patrick Vasseur, de la FDSEA 33. Des conclusions très discutables selon les professionnels.
« Les agences d'évaluation du risque évaluent le cuivre selon le même processus que les produits de synthèse alors que c'est un minéral simple. C'est un non-sens. Le rapport pointe la dangerosité du cuivre pour le milieu aquatique. Mais, dans les cours d'eau, on retrouve souvent des taux de cuivre supérieurs au seuil de toxicité donné dans le rapport. Si l'on s'en tient à ces conclusions, la plupart des poissons devraient déjà être morts », assure Richard Doughty, le président de France Vin Bio. « Le cuivre à haute dose est toxique. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Mais c'est aussi un oligo-élément indispensable à la vie », insiste Jacques Carroget.
Selon les bios, le vrai problème du cuivre est son accumulation dans les sols. C'est la raison pour laquelle ils ont considérablement réduit les doses. « Il y a trente ans, dans le Muscadet, nous utilisions 15 kg/ha/an de cuivre métal. Aujourd'hui, nous tournons autour de 4,5 à 5 kg », détaille Jacques Carroget. Et dans les vignobles où la pression est moins importante, les doses utilisées sont encore plus faibles.
Michel Gendrier, qui a toujours eu recours à la bouillie bordelaise, a fait analyser les sols dans deux de ses parcelles : l'une plantée dans les années 1970, l'autre portant de la vigne depuis plus longtemps encore. La première contenait 37 mg de cuivre par kilo de terre en 2001 et 28 mg en 2013. Dans la seconde, le taux est passé de 150 mg/kg en 2001 à 107 en 2013. « Malgré nos traitements, les taux diminuent. Et je n'ai pas l'impression que mes sols soient morts. Les vers de terre sont bien là. Je fais paître des moutons dans mes vignes après les vendanges jusqu'au débourrement. Ces animaux sont très sensibles au cuivre. Or, je n'ai jamais eu de problème », indique le vigneron.
Il n'empêche, « vu les conclusions de l'Efsa, la Commission européenne pourrait interdire le cuivre », lance Jacques Carroget. Un scénario que personne n'imagine, et qui signerait « la mort de tout le vignoble bio », insiste Michel Gendrier. « Le cuivre est déjà interdit en Hollande. Depuis, ce pays ne produit plus de pommes de terre bio », illustre-t-il. « On va défendre cette molécule autant, sinon plus que le glyphosate. Et sur ce sujet, l'opinion publique devrait nous aider », confirme Patrick Vasseur.
Quel plafond la filière va-t-elle défendre ? Aujourd'hui, il est fixé à 6 kg de cuivre métal par hectare et par an en moyenne sur cinq ans pour les bios. Et il n'existe pas de plafond en viticulture conventionnelle. Mais les autorités ont déjà évoqué une limitation à 4 kg/ha/an, sans lissage, et pour tout le monde. En France, l'Anses vient de fixer ce plafond aux trois produits (Kobber, Novicure et Pangolin) qu'elle a autorisés « pour protéger les organismes du sol ». Pour les entreprises, c'est le signe qu'un changement de réglementation se prépare. Ce que l'Anses refuse de confirmer.
« En viticulture, nous souhaitons garder la limite de 6 kg/ha/an », explique Jacques Carroget. « 4 kg/ha/an, c'est trop juste. Cela fait prendre trop de risques aux bios les années de forte pression de mildiou », indique Patrick Vasseur. Tous insistent sur l'importance de conserver un lissage sur plusieurs années. « Cela permet une utilisation en bon père de famille car les années se suivent mais ne se ressemblent pas », explique Richard Doughty.
Le lobbying démarre. Le 31 janvier, des organisations bio, dont la Fnab pour la France, ont rencontré les directions générales de la santé et de l'agriculture, à Bruxelles. « Ils nous ont entendus. Ils ont bien compris qu'il n'y a pas d'alternatives au cuivre et que les professionnels ont déjà consenti des efforts considérables pour réduire les doses. Mais ils ne nous ont toujours pas fait part de leur position », rapporte Sylvie Dulong, viticultrice bio et élue à la Fnab.
Concernant les intentions du gouvernement français, la filière reste aussi dans l'expectative. Quelles sont-elles exactement ? En janvier, Patrick Vasseur a demandé qu'il éclaircisse sa position devant le conseil des vins de FranceAgriMer qui se tiendra le 21 février. « Avec le soufre et le biocontrôle, le cuivre est un levier important pour réduire les IFT. On a besoin de savoir où on va à moyen terme », justifie-t-il.
Le gouvernement pourrait-il lâcher le cuivre, au risque de mettre en péril la filière bio dont il ne cesse de vanter les mérites ? Personne ne l'imagine, mais le doute s'est installé.
Pour l'Inra, 1,5 kg/ha/an suffisent
Peut-on se passer du cuivre en bio ? Non, selon l'Inra. Mais il est encore possible d'en réduire fortement l'utilisation. « Sans changement majeur des systèmes de production, on peut envisager une réduction drastique des doses de cuivre, de près de 50 % avec des efficacités identiques dans les conditions normales de pression parasitaire. Si la pression de la maladie est très forte, ce sera plus compliqué. C'est valable pour la lutte contre le mildiou de la pomme de terre et de la vigne et la tavelure du pommier », a expliqué Philippe Mauguin, le PDG de l'Inra, le 16 janvier, lors de la restitution de l'expertise de l'Inra sur le sujet. Dans son rapport, l'institut soutient que l'on obtient une protection satisfaisante contre ces trois parasites avec « 1,5 kg de cuivre métal par hectare et par an, contre 3 kg/ha/an dans les programmes standard et 6 kg/ha/an dans les dispositions réglementaires ». Cette analyse fait bondir la Fnab. « Nous aimerions savoir sur quelles études se fonde l'Inra pour conclure ainsi car, actuellement, en cas de forte pression du mildiou, la plupart des vignerons bio ne savent pas comment atteindre "une protection très satisfaisante" avec 1,5 kg de cuivre par hectare et par an et un niveau de perte de récolte économiquement acceptable », insiste Diane Pellequer, chargée de mission viticulture et fruits et légumes à la Fnab. Selon l'Inra, en viticulture, la réduction des doses est possible grâce aux outils d'aide à la décision et aux produits de biocontrôle. Pour se passer du cuivre, l'institut dit qu'il faut commencer par planter des cépages résistants.
En hausse chez les conventionnels
En France, au cours des cinq dernières années, le marché du cuivre (solo, toutes formes confondues) a oscillé entre 1,9 et 2,2 millions d'hectares déployés par an. Globalement, son usage tend à augmenter. D'abord en raison de la progression de la viticulture bio. Mais celle-ci ne représente encore que 9 % des surfaces. Ensuite, les principaux utilisateurs du cuivre, à savoir les viticulteurs conventionnels, y ont davantage recours. « Traditionnellement, ils appliquaient le cuivre plutôt en fin de saison. Désormais, ils tendent aussi à l'utiliser en début de programme, seul ou en association, pour remplacer le mancozèbe ou le folpel, deux produits classés CMR », explique Laurent Oudin, chef de marché vigne chez UPL.