N'allez pas lui parler d'accueillir des clients ! À cette seule idée, Vincent Nicod se sent mal à l'aise. Il s'imagine encore moins dans un chai grouillant de monde lors d'une journée portes ouvertes. À 28 ans, ce jeune Jurassien n'a pas le commerce dans la peau. Ce qu'il aime, c'est travailler les vignes au grand air et la mécanique, une passion qu'il exerce avec son père. Bricoler les tracteurs n'a pas de secret pour lui. C'est pourquoi, lors de son installation en 2011, à Beaufort, dans le sud du Jura, il décide d'apporter tous ses raisins à la Maison du vigneron, à Crançot.
Cette filiale des Grands Chais de France élabore 7,5 millions de cols par an, dont 1,2 million en vins du Jura, et a réalisé un chiffre d'affaires de 21,6 millions d'euros en 2016. Elle propose des contrats pluriannuels de trois, six ou neuf ans à ses fournisseurs. Vincent, lui, a signé pour neuf ans et pour la totalité de sa production, ce qui le sécurise.
Ce faisant, il marche dans les traces de son oncle Gilles Nicod et de son grand-père, Gérard Nicod. Ce dernier fut, avec d'autres vignerons, l'un des fondateurs d'une Sica créée en 1964 pour élaborer et vendre des mousseux. En 1986, ses adhérents choisissent comme repreneur « un jeune entrepreneur alsacien », Joseph Helfrich, fondateur des Grands Chais de France, plutôt que le négociant local Henri Maire. « Depuis, les prix n'ont jamais baissé, souligne Vincent Nicod. C'est une entreprise que l'on connaît et qui a fait de gros investissements à Crançot. Savoir que c'est une affaire familiale est réconfortant. »
Le jeune vigneron a construit son exploitation progressivement. Il passe d'abord un CAP vigne et vin, puis un bac pro CGEA option vigne et vin en alternance chez son oncle Gilles, de 2004 à 2007. Puis, ce dernier l'embauche à mi-temps. La même année, Vincent loue 1,5 ha de vignes. Cette surface étant trop petite pour qu'il soit considéré comme chef d'exploitation, il s'inscrit comme cotisant solidaire à la MSA.
En 2011, il loue 0,9 ha supplémentaire et s'installe. Il achète un tracteur vigneron John Deere 5080 GV et un 4 x 4 Ford Ranger pour circuler facilement dans les parcelles. Il saisit aussi l'occasion d'acquérir à bon prix un tracteur agricole d'occasion John Deere 6600 pour transporter les bacs à vendange et travailler avec une pelleteuse dont il a des parts dans une Cuma.
La même année, son oncle arrête de vinifier en prévision de son départ à la retraite et de la reprise de ses terres par Vincent. En 2014, ce dernier s'agrandit de 3 ha. L'année suivante, il loue les 4 ha de son oncle et rachète ses parts des matériels stockés chez lui : pulvérisateur, rogneuse et broyeur. Depuis, il « squatte » pour eux les granges de son père et de sa grand-mère.
« Mon oncle mettait en bouteilles et vendait en direct une partie de sa production, soit 10 000 cols par an, explique Vincent. Il vendait sur des petits salons ou au domaine. Je suis un peu timide. Je n'apprécie pas le contact avec les clients. Je me sens mal à l'aise. J'ai l'impression de ne pas expliquer comme il faudrait. » Il tire donc rapidement un trait sur cette activité.
Son exploitation est située dans une zone connue pour ses crémants. Elle compte désormais 10,2 ha de vignes dont 85 % de chardonnay. Toutes sont situées sur trois communes voisines : Orbagna, Grusse et Cesancey. 4,5 ha sont dédiés au crémant, à la demande du négociant. « Je m'adapte à mon client, remarque Vincent Nicod. Je privilégie le chardonnay, d'autant que ses rendements sont plus réguliers que ceux du savagnin ».
À la vigne, dès 2007, Vincent a proposé à son oncle d'arracher un rang sur cinq, de manière à établir « des chemins enherbés » permanents. « Rouler sur un sol portant est un gain de temps considérable, que ce soit pour les vendanges, le broyage de sarments, l'entretien du palissage ou les traitements phyto », précise-t-il.
Il traite ses 10 ha à bas volume (100 l/ha) avec son Berthoud Speedair 300 l. Pour avoir le maximum d'efficacité, il intervient toujours le matin entre 4 et 09 heures, un créneau sans vent ni chaleur. Pour réduire l'emploi des herbicides, depuis 2011, il travaille les interrangs, hors bande enherbée, d'avril à la floraison, puis il broie les repousses. « Sous le rang, c'est trop compliqué de travailler le sol. Je continue de désherber », explique-t-il, même s'il passe de temps à autre un intercep appartenant à la Cuma pour se préparer au travail du sol intégral.
Habituellement, il apporte des engrais organiques sous formes de bouchons Agrimartin, à la dose de 600 kg, en décembre, mais cette année, il fait l'impasse. Il complète ensuite avec 300 à 400 kg/ha d'un engrais complet (NPK 14-5-20) à libération lente pour l'azote et afin de ne pas favoriser la coulure, soit 55 U d'azote.
Pour ses produits de traitement, il s'en remet aux conseils de la coopérative d'approvisionnement Terre Comtoise, à Poligny, et de la Société de viticulture du Jura. Contre le mildiou, il emploie des systémiques en début de saison, des pénétrants après la floraison et du cuivre en fin de saison. Contre l'oïdium, il mélange à demi-dose un systémique et du soufre afin de contrer les résistances. Si nécessaire, Fabrice Melet, responsable viticole de la Maison du vigneron, lui fournit un appui technique. Embauché en août 2016, ce dernier coordonne les vendanges et aide les apporteurs dans leurs démarches administratives. « Pour les dossiers de plantation, il nous fournit la carte des parcelles en AOC. Il nous renseigne sur la procédure à suivre, les contacts à joindre », précise Vincent.
Deux ou trois semaines avant les vendanges, les Grands Chais de France organisent une réunion avec les représentants des vignerons pour estimer les rendements, décider des volumes à livrer dans chaque catégorie de vin et négocier les prix. Une semaine avant, une nouvelle réunion d'information a lieu avec les 70 apporteurs de la Maison du vigneron.
Cet acheteur n'impose pas de cahier des charges à ses livreurs. Il leur demande seulement de respecter celui de leurs AOC. S'agissant du crémant, il ajoute l'exigence d'un tri très soigneux. Si l'état sanitaire n'est pas au rendez-vous, il renvoie les caisses de raisins au vigneron. Un remède aussi radical qu'efficace pour que le tri soit fait. Pour les vendanges manuelles, il verse dix centimes supplémentaires par kilo ; pour le chardonnay tranquille, un centime par kilo et par dixième de degré au-delà de 11°. Vincent touche également deux petites primes de fidélité : l'une pour l'apport total, l'autre pour l'engagement de neuf ans.
Lors de la récolte du crémant, le négociant fournit des bacs de 300 kg de vendange à ses apporteurs. Fabrice Melet organise les rotations des camions qui les livrent dans les villages, puis les rapportent au centre de pressurage deux ou trois fois par jour. En année normale, Vincent Nicod s'organise pour pouvoir livrer 45 bacs de crémant par jour. « Nous sommes à l'extrême sud du Jura, nous vendangeons les premiers, dit-il. Le négociant remonte ensuite vers le nord ».
Vincent Nicod embauche 20 personnes pour vendanger le plus vite possible ses 4,5 ha de crémant, de manière à libérer les bacs. Il vendange le reste avec la G85 de Grégoire qui appartient à la Cuma. Il fait également office de chauffeur pour ses collègues, une dizaine d'adhérents, soit une quinzaine d'hectares.
« Pour cette année terrible, la Maison du vigneron voulait en priorité du crémant. J'ai joué le jeu. J'ai tout vendangé manuellement en crémant », souligne Vincent. La récolte est très maigre - 50 hl en tout. C'est à peine 10 % d'une production normale.
Vincent espère maintenant passer ce cap difficile le mieux possible. Son oncle Gilles va l'y aider. « Il me donne toujours de précieux coups de main pour les travaux à deux. Il me dépanne, me conseille. Il m'aide pour le montant des fermages. Sans lui, je n'aurais pas pu m'agrandir si vite et le gel de 2017 aurait été dramatique », affirme-t-il.
Compte tenu de ce coup du sort, il va retarder son projet de planter 70 ares de chardonnay et d'arracher ses 83 ares de poulsard pour les remplacer par du chardonnay et du savagnin. À terme, il espère agrandir son exploitation jusqu'à 15 ha, toujours en contrat avec la Maison du vigneron « qui n'est pas prête à vendre aux Chinois, aux Russes ou aux Américains ».
CE QUI A BIEN MARCHÉ
Vincent Nicod estime avoir fait le bon choix de vendre toute sa récolte en raisin car il n'a pas la fibre commerciale.
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Il est rassuré par le contrat de neuf ansqu'il a signé avec la Maison du vigneron
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Il est ravi d'avoir arraché un rang sur cinq pour créer des chemins enherbés.Son travail s'en trouve facilité.
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Son oncle Gilles, retraité depuis 2015,l'aide beaucoup.
CE QU'IL NE REFERA PLUS
Il regrette de ne pas avoir planté, dès son installation en 2011, 1,4 ha de vigne auquel il avait droit. S'il l'avait fait, ces vignes seraient en production aujourd'hui. Il a commencé à rattraper ce retard en plantant 70 ares de chardonnay en 2015 et plantera le solde en 2020, si possible.
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« Désormais, la récolte d'une année sera payée avant la récolte suivante. C'est dommage, regrette-t-il. J'aimais mieux le paiement sur 24 mois qui lissait les bonnes et les mauvaises années. »