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VIGNE

Taille douce Ils ont franchi le cap

LUCIE MARNÉ - La vigne - n°305 - février 2018 - page 26

La taille non mutilante gagne du terrain. Mais,en dépit de ses bienfaits, son adoption demandeun temps d'adaptation car il faut consacrer plusde temps à la sélection des bois. Les viticulteurs convertis à la technique témoignent.
PHILIPPE KUNTZMANNa passé trois fois plus de temps à tailler ses vignes lorsqu'il a adopté la tailleen Guyot Poussard.

PHILIPPE KUNTZMANNa passé trois fois plus de temps à tailler ses vignes lorsqu'il a adopté la tailleen Guyot Poussard.

«Nous avons changé de mode de taille il y a six ans. On s'est alors fait des noeuds au cerveau et on a mis deux fois plus de temps à tailler ! » Pour Hélène Thibon, viticultrice au Mas Libian, en Ardèche, le passage à une taille respectueuse des flux de sève n'a pas été une mince affaire. « Cela faisait vingt ans que l'on pratiquait la taille en gobelet sur nos 25 ha de vignes sans se poser de question. Nous avons eu l'impression de devoir tout remettre en question. »

Même casse-tête pour Philippe Kuntzmann, viticulteur et conseiller chez un distributeur, en Alsace : « Lorsque je m'y suis mis, l'an dernier, j'ai passé trois fois plus de temps à tailler mes 2,5 ha de vignes. Et encore, j'ai essayé de gagner du temps en ne m'attardant pas trop sur les vieilles vignes. »

Comme beaucoup, il a adopté la taille en Guyot Poussard dont l'objectif est aussi d'anticiper la taille de l'année suivante en gardant des yeux bien placés sur les coursons de rappel. « Je taille en Guyot double. Jusqu'à présent, je ne gardais pas de courson. Il a donc été difficile de penser à en laisser deux et de bien regarder le positionnement des yeux pour les choisir et les tailler. Surtout que la première année de conversion, si les coursons sont mal placés, mieux vaut ne pas en laisser du tout et garder un gourmand bien orienté au moment de l'épamprage », relate Philippe Kuntzmann.

Au Mas Libian, on a toujours conservé deux yeux sur chaque bois pour la taille en gobelet, sans se soucier de leur positionnement. « Maintenant, il arrive qu'on laisse trois voire quatre yeux si l'on considère que le dernier oeil est le mieux placé pour former le cep l'année suivante », explique Hélène Thibon.

Dernier réflexe à abandonner pour nos vignerons : bannir les coupes rases qui entraînent des cônes de dessèchement responsables des ruptures de flux de sève.

Mais difficile de faire passer le message lorsque l'on gère du personnel. « Pour nos tailleurs de longue date, ce fut une vraie remise en question, reconnaît Matthieu Franchini, responsable technique au Château de la Fontaine Audon, dans le Sancerrois. Au début, les plus anciens d'entre eux pensaient qu'on leur reprochait de mal tailler. Il a donc fallu faire preuve de pédagogie et de diplomatie. »

Au Château de Marsannay, en Côte-d'Or, Sylvain Papion a rencontré les mêmes problèmes : « Parmi mes douze tailleurs, certains disposent encore des contrats de tâcherons. Ils rechignent à changer de mode de taille et à passer plus de temps sur chaque cep car ils seront moins bien payés. »

Le viticulteur a dû renoncer à convertir l'ensemble de ses 40 ha à la taille non mutilante. Il laisse un quart de vieilles vignes taillées en Guyot simple à la charge des tâcherons. « Pour celles-ci, de toute façon, le mal est fait. Il y a déjà des inversions de flux de sève », explique-t-il. Les autres employés, payés à l'heure et non à la tâche, taillent le reste de l'exploitation en Guyot Poussard.

Au Château Pichon Longueville Comtesse deLalande, on a résolu ce problème en modifiant les contrats des tailleurs. « Depuis qu'ils sont payés à l'heure, nos tailleurs peuvent passer plus de temps sur chaque cep », reconnaît François Taris Loiry, responsable technique du château. Mais il ne cache pas que les débuts ont été difficiles. « Les tailleurs les plus chevronnés, ceux qui ont plus de quinze ans d'expérience, ont eu du mal à accepter ce changement. Ils craignaient qu'en laissant des bois plus longs, il y ait davantage de pampres au printemps », poursuit le responsable technique.

Mais ce ne fût pas le cas et la seconde saison de taille s'est avérée plus facile. La nouvelle technique a donc fini par faire l'unanimité au sein de l'équipe du château. « Désormais, nos tailleurs sont habitués. Nous faisons chaque année un bilan en fin de taille avec nos chefs d'équipe et nos formateurs de chez Simonit et Sirch pour voir si des ajustements sont nécessaires l'année suivante », se félicite François Taris Loiry.

Au Mas Libian, la question ne se pose pas. La taille se fait en famille : « C'est une étape trop importante. Nous voulons la faire nous-même », concède Hélène Thibon. Seule exception pour l'apprenti actuellement en formation au domaine. « Comme il débute, il n'a pas de mauvais réflexes comme pourrait en avoir un tailleur aguerri. »

En dehors des erreurs de coupe et des réticences du personnel, la mécanisation est une autre difficulté pour la taille non mutilante. Car, lorsqu'il s'agit de garder des coursons, gare aux ébourgeonnages et aux casses accidentels causés par des interceps ou une machine à vendanger ! Au Château de la Fontaine Audon, il a fallu faire des ajustements. « Comme nous pratiquons le travail du sol sur le rang, nous mettons désormais des tuteurs autour des jeunes pieds pour éviter d'ébourgeonner les coursons. Et nous ne récoltons plus les jeunes vignes à la machine », rapporte Matthieu Franchini.

Depuis sa conversion à la taille non mutilante, la famille Thibon semble opérationnelle : « Nous taillons à la même vitesse qu'avant car nous avons adopté de nouveaux réflexes », se réjouit Hélène Thibon. D'autres viticulteurs taillent désormais plus vite. « Le plus compliqué, c'est de modeler les jeunes pieds au départ pour qu'ils soient bien dans l'axe du rang. Mais une fois les ceps bien conformés, ça va tout seul ! D'autant plus que d'une année sur l'autre, on prévoit le bourgeon qui formera la baguette l'année suivante », souligne Philippe Kuntzmann. Pour Sylvain Papion, c'est une évidence : « Une fois installée, cette taille est très intuitive car tous les ceps ont une architecture commune. La taille Poussard permet littéralement de poser sa taille et de ne plus avoir à se questionner, d'où le gain de temps. »

Et pour l'épamprage, Philippe Kuntzmann semble satisfait. « C'est plus simple. Je garde systématiquement un gourmand sous chaque bras. Comme ça, si ce dernier meurt, je peux repartir sur le gourmand conservé. » Et ses efforts ne sont pas vains : « Ça valait le coup de le faire car, l'an passé, nos vignes ont gelé au printemps. Fort heureusement, les bourgeons sur les gourmands conservés l'année précédente sont repartis. Je n'avais donc pas fait tout ce travail pour rien. »

« Tous mes tailleurs ont été formés »

ALAIN PABIOT, DOMAINE JEAN PABIOT, 30 HA, À POUILLY-SUR-LOIRE (NIÈVRE)

ALAIN PABIOT, DOMAINE JEAN PABIOT, 30 HA, À POUILLY-SUR-LOIRE (NIÈVRE)

«Je pratique la taille Guyot Poussard depuis près de sept ans dans tout mon vignoble. Tous mes tailleurs ont été formés et ce n'est pas plus compliqué qu'avant. Il suffit de changer ses habitudes. Cela a été périlleux les deux ou trois premiers jours, le temps de s'y faire. L'objectif de départ était de diminuer les risques de contaminations de mes vignes par l'esca. Mais, outre les raisons sanitaires, je trouve un autre intérêt à cette taille : comme nous prévoyons d'une année sur l'autre les coursons sur lesquels les prochaines baguettes repartiront, la taille est beaucoup plus simple.

Cette année est particulière. Les pousses ne sont pas reparties comme prévu car nos vignes ont gelé au printemps dernier. Nous devons nous débrouiller avec les quelques bourgeons qui sont repartis. Nous sommes obligés de faire des inversions de fluxde sève. Nous pratiquons peu l'épamprage. Mais, lorsque nous le faisons, nous laissons en général un pampre du côté des baguettes. Cela permet de rattraper la taille, si jamais un bras meurt, tout en gardant les flux de sève. L'épamprage est en général fait par des saisonniers. Mais avecun bon encadrement,tout se passe bien.

« Il a fallu changer nos habitudes »

FRANÇOIS TARIS LOIRY, RESPONSABLE TECHNIQUE AU CHÂTEAU PICHON LONGUEVILLE COMTESSE DE LALANDE, 80 HA À PAUILLAC (GIRONDE)

FRANÇOIS TARIS LOIRY, RESPONSABLE TECHNIQUE AU CHÂTEAU PICHON LONGUEVILLE COMTESSE DE LALANDE, 80 HA À PAUILLAC (GIRONDE)

«Nous avons converti le vignoble à la taille Guyot Poussard en 2012 et 2013. Nous avons été accompagnés par Simonit et Sirch lors de ce changement. Nos quinze tailleurs ont suivi une vingtaine de jours de formation de taille et d'épamprage. Auparavant, nous pratiquions la taille Guyot dite « bordelaise ». Nous laissions donc deux baguettes par cep ; une sur chaque bras. Mais nous ne laissions pas systématiquement un courson par bras. Il a fallu changer nos habitudes pour laisser des chicots assez longs, préserver les bourgeons à la base des couronnes et conserver systématiquement un courson sous chaque bras dont le dernier oeil est orienté vers le haut et l'avant-dernier vers le bas. Nos formateurs nous ont accompagnés dans ces changements. Ensuite, nous avons formé l'équipe qui se charge du pliage des baguettes. Même si cette étape est simple à expliquer, il faut tout de même comprendre la finalité car, sur les jeunes pieds, il peut y avoir des particularités. Par exemple, si les tailleurs laissent un bois plus long, Il faut le plier dans le sens inverse du bras pour bien reformer le cep.

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