À LA COOP VALPOLICELLA NEGRAR, la visite, très « pro », est menée par un guide muni d'un micro pour que chacun puisse entendre les commentaires en italien ou en anglais PHOTOS : P. BOURGAULT
À MASI, le belvédère, appelé aussi mirador, remporte un fabuleux succès auprès des visiteurs qui s'empressent de photographier la vue.
LA VISITE DE MASI propose aussi un impressionnant son et lumière avec une plongée dans une cuve de fermentation.
La Vénétie cultive depuis toujours un sens aigu du commerce. Au Moyen Âge, Venise, sa capitale, assurait les échanges entre l'Europe et l'Orient. La région a su garder depuis un don pour accueillir les touristes. En volume et en chiffre d'affaires, c'est ainsi la plus importante région viticole d'Italie, avec 8,1 millions d'hectolitres produits en 2017, devant les Pouilles.
La Vénétie livre des blancs et des rouges adaptés au goût international, mais aussi bon nombre de spécialités locales. L'appellation Valpolicella en compte plusieurs : le ripasso, vin qui fermente une seconde fois lorsqu'on ajoute des raisins passerillés, le recioto, vin de paille dont la fermentation est arrêtée lorsque le moût contient 100 à 130 g/l de sucre, ou encore l'amarone, un autre vin de paille à la fermentation complète.
Ajoutez à cela quantité de cépages locaux, et vous aurez une idée de la complexité de l'offre de cette région. Pédagogie et communication sont donc indispensables pour que le public s'y retrouve. Et, en la matière, les Italiens débordent d'imagination et de savoir-faire.
Nombreux sont les domaines à posséder un musée et à afficher de larges cartes indiquant leurs parcelles et cépages. Au Zeni Wine Museum, à Bardolino, les visiteurs découvrent de prime abord de vieux tracteurs Landini, des charrettes et charrues à cheval, d'anciennes et belles cuves en bois, de vieux pressoirs... À l'intérieur, ils tombent sur l'inévitable cartographie du domaine, des photos de famille en noir et blanc, des hottes, des balances anciennes et même une collection de raccords en laiton ! Un musée maison, bon enfant.
La scénographie du musée de la Villa Canestrari, à Illasi, près de Vérone, est plus élaborée. Différentes ambiances y sont recréées pour résumer cent cinquante ans d'histoire : un ancien bureau de la direction, avec sa machine à écrire, des photographies d'époque et des registres manuscrits, et une pièce dédiée au séchage des raisins sur des roseaux. Great Wine Capitals Global Network lui a remis un « Best of Wine Tourism ».
Au musée du domaine Valpolicella Negrar, on vous explique comment s'opère le séchage des raisins pour obtenir les vins passerillés. On y apprend que, durant trois mois, les grappes sont accrochées sur des fils, posées sur des claies en bambou ou des clayettes. « Au XIXe siècle, il y avait plus de 180 cépages. Le phylloxéra en a détruit une bonne part. Aujourd'hui, à chaque vendange, 50 cépages différents arrivent à notre coopérative », explique le guide.
« Avez-vous le wifi ? C'est la première question que les visiteurs nous posent désormais. Ils veulent raconter leur parcours sur les réseaux sociaux », observent les vignerons. Ces derniers pourraient s'agacer de voir ces touristes plus pressés de poster des photos et des vidéos que de goûter leurs vins. Au contraire, ils les encouragent ! « S'ils veulent se prendre en photo, c'est qu'ils estiment la visite mémorable », justifient-ils.
Les producteurs n'hésitent pas à mettre en avant ce qui est intéressant. Ils aménagent des décors spectaculaires et signalent l'emplacement idéal pour une photographie de groupe. Certains, comme le domaine Masi, vont jusqu'à élever un belvédère à deux pas de leur boutique pour offrir de jolis points de vue à ces photographes amateurs. Au passage, ils n'oublient pas d'afficher leur marque de manière visible afin qu'elle figure sur les images : « Les clients raffolent de prendre des selfies. En les postant, ils nous font de la publicité auprès de leurs amis. » De la publicité gratuite, cela va sans dire.
Masi a ouvert en septembre 2017 un univers décoiffant : la Masi Wine Experience. Par groupe de seize personnes, les visiteurs pénètrent dans une cuve à l'intérieur de laquelle des images sont projetées. « Bienvenue. En trois minutes, vous allez vivre sept jours de fermentation », indique la voix de ce son et lumière. Puis on voit se former le chapeau de marc et on entend le bruit des bulles de gaz carbonique qui naissent du remontage et du soutirage. Un spectacle beau et instructif.
Petit mais dense, le musée Masi présente de minuscules pièces figurant des univers à la déco différente, où des films sont diffusés sur des écrans. On y découvre les vignes depuis un drone, le séchage des raisins, etc. Aucune de ces vidéos ne dure plus de cinquante secondes, le temps maximal d'attention du public. Sur un panneau, l'entreprise a réuni tous les labels qu'elle détient : Vegan, Bio, Eco-friendly packaging & recycling, Viticulture durable, Wine in Moderation, etc. La voiture pour visiter les vignes du domaine est, bien sûr, électrique.
Tous les ans, la Fondation Masi remet un prix à une célébrité, « pour faire connaître non seulement Masi, mais aussi le valpolicella ». La visite s'achève par la boutique où l'on peut acheter les vins de cette famille qui cultive 800 ha en Italie et en Argentine.
Dans un registre plus classique, mais très haut de gamme, la Villa Cordevigo loue sa chapelle pour y célébrer des mariages. Le banquet se déroule dans son restaurant L'Oseleta, une étoile Michelin. La fête terminée, trente-quatre chambres accueillent les invités. La plupart des clients sont des étrangers fortunés.
La Vénétie excelle dans l'oenotourisme. Même les autorités locales s'y mettent. En automne, sous sa porte d'entrée historique, la petite ville de Soave met ainsi des raisins à sécher qu'elle presse en janvier sous les yeux du public.
Encore mieux que le virtuel, le sensoriel
Alors que ses confrères misent sur le high-tech et la réalité virtuelle, le domaine Zeni a voulu revenir à l'essentiel : la faculté du vin à éveiller les sens. Cette exploitation familiale située à Bardolino et fondée en 1870 vient d'ouvrir une galerie olfactive. Des boîtes à parfum sont alignées dans une pénombre rouge, la couleur du valpolicella. Les visiteurs parcourent ce couloir avec une ardoise et une craie et notent les arômes qu'ils reconnaissent. Bien sûr, ce sont ceux des vins de la propriété. Des ardoises qui rappellent qu'on peut encore écrire sans smartphone ni tablette. Radovan Littua, qui assure la visite en sept langues, répartit ses hôtes en deux équipes, par exemple les femmes contre les hommes. À la sortie, il compte les points. Au long de leur parcours, les visiteurs mémorisent les arômes et se préparent de façon ludique à les retrouver dans les vins, lors de la dégustation.