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Fusariose du melon, pourquoi si virulente ?

François Villeneuve*, P. Mention**, G. Maignien* et C. Fournier** - Phytoma - n°624 - septembre 2009 - page 45

Une enquête sur les maladies telluriques du melon en France le prouve : cela reste de la fusariose mais elle a évolué
 ph. Ctifl

ph. Ctifl

En France, on connaît bien la fusariose du melon, notamment celle due à Fusarium oxysporum f sp melonis (ou « Fom ») race 1-2 jaunissante, et on la gère avec des résistances variétales et des porte-greffes. Mais voilà : ces derniers temps, les melons montrent de plus en plus fréquemment des symptômes ressemblant fort à de la fusariose... Différents partenaires ont donc mis en place une étude pour identifier les pathogènes en cause. Bilan : d'abord, il s'agit toujours de fusariose due à Fom race 1-2. Mais ensuite, ce Fusarium a évolué : il est devenu plus agressif et semble contourner certaines résistances. Alors que faire ? Re-tester les variétés (le test plantule reste représentatif de ce qui se passe sur les plantes adultes) et chercher à diversifier les techniques de protection.

Actuellement, les producteurs de melon des différentes régions françaises enregistrent une augmentation importante des pertes de rendement et de qualité liées à une recrudescence des maladies telluriques. Dans la plupart des cas, les symptômes visuels sont semblables à ceux provoqués par le Fusarium (jaunissement, gommose, flétrissement).

Cette situation n'est pas spécifique à la France : l'Espagne, l'Italie ou la Californie connaissent un problème similaire (Aegerter et al., 2000 ; Chilosi et al., 2008 ; Garcia Jiménez et al., 2000). Les études menées dans ces pays ont montré l'implication de plusieurs pathogènes émergents agissant seuls ou en complexe : Monosporascus cannonballus, Acremonium cucurbitacearum, Plectosperium tabacinum et Rhizopycnis vagum (Garcia Jiménez et al., 1994 ; Burton et al., 1995 ; Abad et al., 2000 ; Aegerter et al., 2000 ; Busi et al., 2004 ; Chilosi et al., 2008). Vu cette situation, il est apparu nécessaire de faire le point sur le ou les agents en cause dans les différentes régions françaises. Ainsi, le Ctifl, en collaboration étroite avec les stations régionales (Acpel, Hortis Aquitaine, Aprel, Arelpal, LCA, Cefel et CEHM) et l'INRA, a mis en place une étude destinée à mieux connaître les différents agents telluriques en cause dans cette recrudescence de problèmes.

En France, la fusariose reste le principal responsable

Les résultats ont permis de montrer que F. oxysporum f.sp. melonis race 1-2 jaunissante est le champignon pathogène le plus largement implanté sur le terrain dans les différents bassins de production de melon (Villeneuve et Maignien, 2005). Il peut être considéré comme le principal responsable des problèmes phytosanitaires telluriques du melon en France. Ce résultat corrobore les études précédemment entreprises (Perchepied et Pitrat, 2004).

D'autres pathogènes ont également été rencontrés et sont à l'origine de mortalité comme Macrophomina phaseolina, Phomopsis sclerotioides ou Verticilium dahliae.

Dans de nombreux cas, F. oxysporum f.sp. melonis est associé à d'autres pathogènes qui ont une réelle agressivité tels que Pythium spp., Didymella bryoniae, Pyrenochaeta terrestris et même Macrophomina phaseolina. Leur rôle exact n'a pas été clairement établi, mais ils peuvent aggraver le dépérissement observé.

Les analyses fongiques effectuées sur quelque 83 échantillons reçus depuis 2003 n'ont pas permis de mettre en évidence la présence de Monosporascus cannonballus malgré des conditions favorables à son expression en 2003 et en 2006. Ce champignon, non encore signalé en France mais présent en Espagne et en Italie, provoque la mortalité des plantes (maladie « muerte súbita »). Il n'existe pas encore de moyens de protection efficace.

Ces résultats conduisent à rechercher les causes de cette augmentation de la fréquence et de la sévérité des problèmes liés à la fusariose. C'est pourquoi un travail de caractérisation des souches a été entrepris sur le centre Ctifl de Lanxade en collaboration avec le centre Ctifl de Balandran.

Des souches globalement plus agressives sur plantules

Différentes souches de F. oxysporum f.sp. melonis (en abrégé « Fom ») race 1-2 jaunissante, collectées dans le cadre de l'étude de la cause de la recrudescence des problèmes telluriques, ont été inoculées sur des variétés tests.

Il s'agit de variétés de melon qui permettent de qualifier l'agressivité des souches par rapport au matériel végétal et qui servent de référence à l'inscription des variétés au catalogue officiel français (CTPS). Ce sont :

– la variété Margot, résistante aux races 0, 1 et 2 et sensible à la race 1-2 ;

– la variété Lunasol, résistante aux races 0, 1 et 2 et présentant la résistance partielle minimum à la race 1-2 pour déclarer une variété résistante à la race 1-2,

– la variété Manta, résistante aux races 0, 1 et 2 et présentant une résistance partielle à la race 1-2, intermédiaire entre Lunasol et Isabelle,

– la variété Isabelle, résistante aux races 0, 1 et 2 et présentant la résistance partielle la plus élevée à la race 1-2 connue à ce jour.

Les souches de Fom race 1-2 isolées ont été comparées aux 2 souches de références utilisées dans les tests de screening variétal : la souche Fom 1-2 TST (souche jaunissante) et la souche Fom 1-2 Oléon 8 (souche flétrissante). Chaque test est constitué de 2 répétitions de 60 plantes individualisées dans des plaques mini-mottes pour éviter les contaminations croisées. à chaque plante, un apport de 3 ml d'une solution titrée à 4.105 conidies/ml est effectué au stade « cotylédons étalés ». Les souches TST et Oléon 8 permettent ainsi un classement des variétés (Figure 1).

Pour qualifier l'agressivité, nous avons calculé un indice pour chaque souche testée :

Indice de gravité :

((Σ mortalité Margot* 1) (Σ mortalité Lunasol* 3) (Σ mortalité Manta* 5) (Σ mortalité Isabelle* 7) (Σ mortalité Margot+Lunasol + Manta + Isabelle)) / 100. Puis ces indices sont rapportés à l'indice obtenu par la souche témoin TST.

L'analyse de l'agressivité des diverses souches de F. oxysporum f. sp. melonis race 1-2 jaunissante testées montre une agressivité largement supérieure aux souches de référence (Fom 1-2 TST, souche jaunissante de référence et souche Fom 1-2 Oléon 8, souche flétrissante de référence) utilisées dans les tests de screening (Figure 2).

Des souches modifiant le classement

Au-delà de cet aspect agressivité supérieure, quelques souches ont montré une aptitude à modifier le classement variétal, en provoquant des niveaux d'attaques supérieurs sur Manta ou Isabelle, par rapport à la variété Lunasol, comme par exemple les souches C3'S ou M18.1 (Figure 3).

A noter : ces souches ne sont pas forcément originaires de la même zone de production.

Le comportement sur plantes adultes est le même que sur plantules

Ce résultat pose une question : ces différences d'agressivité observées à un stade plantule ontelles une signification sur plantes adultes ?

Pour y répondre, une expérimentation a été mise en place sous serre en culture hors-sol avec inoculation artificielle afin de voir si les résultats obtenus sur plantes adultes sont comparables à ceux obtenus lors des tests sur de jeunes plantules.

Chacune des variétés de référence est plantée dans un substrat contaminé artificiellement (2.106 conidies par litre de substrat) en conditions contrôlées. Trois souches ont été testées : la souche de référence TST, une souche plus agressive mais ayant un classement identique à la souche TST, une souche moyennement agressive mais provoquant une modification du classement variétal.

Les résultats avec la souche TST montrent un niveau moyen d'agressivité : seule la variété Margot présente des symptômes de fusariose (Figure 4A).

Ceux obtenus avec la souche M24 confirment son niveau élevé d'agressivité (Figure 4B) : au bout de 30 jours, 100 % des plantes de la variété Margot sont atteintes (soit morts soit présentant des symptômes de gommose). Pour la variété Lunasol, il faut attendre 82 jours pour obtenir le même résultat (100 % de plantes atteintes). Enfin, 90 jours après plantation, 60 % des plantes sont atteintes pour la variété Manta et 50 % pour la variété Isabelle.

Pour la souche C3'S, les résultats montrent une agressivité intermédiaire entre la souche témoin TST et la souche M24 (Figure 4C). En revanche, elle confirme sa capacité à modifier le classement : les variétés Lunasol et Manta se trouvent avoir un comportement identique (alors que la variété Manta est censée avoir un niveau de résistance supérieur à Lunasol).

Faits à retenir

Au terme de ces quelques années d'études et d'observations, quatre faits marquants peuvent être retenus.

F. oxysporum f.sp. melonis race 1-2 jaunissante est le champignon pathogène le plus largement implanté sur le terrain dans les différents bassins de production français de melon. Il peut être considéré comme le principal responsable des problèmes phytosanitaires telluriques du melon en France. Ce résultat corrobore les études précédemment entreprises (Perchepied et Pitrat, 2004). Cela peut s'expliquer par le fait que la majorité des variétés utilisées par les producteurs est résistante aux autres races de F. oxysporum f.sp. melonis.

• Les souches isolées apparaissent plus agressives que les souches de références pour les tests de screening variétal.

• De plus, certaines souches semblent modifier le classement variétal obtenu avec la souche de référence TST.

• Ces différences observées au stade plantule se confirment sur plantes adultes tant au niveau de l'agressivité que du classement variétal. Les tests plantules sont fiables et validés pour l'étude de la fusariose et la caractérisation des souches de Fom.

Conclusion sur la résistance quantitative

Ces résultats confirment le fait que la résistance intermédiaire de type quantitatif liée à différents gènes de résistance à la race Fom 1-2 jaunissante n'est pas une barrière infranchissable. Lorsque la pression parasitaire est importante et/ou lorsque la souche présente a un niveau élevé d'agressivité, il est possible d'observer des cas de mortalité sur des variétés de melon à niveau de résistance intermédiaire.

Des questions en découlent

Cette situation pose quelques questions :

• Durabilité de la résistance variétale?

Le fait de cultiver des variétés ayant un certain niveau de résistance ne risque-t-il pas de provoquer à plus ou moins longs termes une sélection des souches les plus agressives ? En effet, la source de résistance à la race 1,2 de F. oxysporum f.sp. melonis a été mise en évidence il y a plus de 30 ans et a été introduite dans la lignée résistante Isabelle (Risser et Rode, 1973).

Depuis, les sélectionneurs ont tenté de l'introduire dans des variétés commerciales avec plus ou moins de succès. Au-delà des défauts de qualité ou des difficultés de conduite culturale que posent ces variétés à niveau de résistance intermédiaire, le fait de cultiver des variétés ayant un certain niveau de résistance ne risque-t-il pas de provoquer à terme une sélection des souches les plus agressives ?

• Durabilité du greffage, en particulier sur melon ?

Le fait d'utiliser systématiquement des portegreffes présentant un bon niveau de résistance au F. oxysporum f.sp. melonis sur une même parcelle ne risque-t-il pas de sélectionner des souches de Fom plus agressives dans le cas de porte-greffes issus de Cucumis melo, voire d'autres Fusarium oxysporum pathogènes pour les porte-greffes de courge issus du croisement Cucurbita maxima X Cucurbita moschata, ou encore, dans les deux cas, de nouveaux pathogènes ? Une telle évolution a pu être mise en évidence dans le cas de l'aubergine (Blancard et al., 2007).

• Quelle est l'origine de la présence de ces souches plus agressives ?

Certaines variétés largement utilisées en production, en raison de leurs performances agronomiques et qualitatives, ne présentent pas une résistance suffisante pour être déclarées possédant un niveau de résistance intermédiaire (niveau de résistance intermédiaire inférieur à celui de Lunasol).

Ces variétés ont néanmoins un certain niveau de résistance et l'on peut se demander si l'utilisation de ces variétés présentant un certain niveau de résistance n'a pas permis la sélection de souches plus agressives.

Ne pas compter sur une seule méthode

Ce risque ayant été identifié, il semble important de le prendre en compte et de ne pas se focaliser sur une seule méthode de protection, aussi efficace soit-elle aujourd'hui, afin d'éviter son contournement. Il faut essayer de mettre en œuvre différentes techniques pour éviter des évolutions qui risquent de conduire les producteurs dans des impasses.

<p>* Ctifl, Centre de Lanxade, BP 21, 24130 Prigonrieux.</p> <p>** Ctifl, Centre de Balandran, BP32, 30127 Bellegarde.</p>

Fusarium ennemi du melon

Parcelle de melon fortement attaquée par Fusarium oxysporum f.sp. melonis. ph. P. Mention, Ctifl

Parcelle de melon fortement attaquée par Fusarium oxysporum f.sp. melonis. ph. P. Mention, Ctifl

Le melon est la cucurbitacée la plus largement cultivée en France. Il couvre approximativement 15 000 ha, soit 80 % des surfaces en cucurbitacées, essentiellement en plein champ (14 200 ha). Cette culture est particulièrement sensible aux pathogènes telluriques, en particulier Verticillium dalhiae et Fusarium oxysporum f.sp. melonis (photo).

Depuis les années 60, ce Fusarium a fait l'objet d'études approfondies en France. Elles ont abouti à une meilleure connaissance de ce bioagresseur : mise en évidence de la résistance au gaz carbonique, du phénomène de sols résistants, mais aussi recherche de moyens de protection au travers du greffage et de la résistance variétale (Messiaen et al., 1991).

Diverses études ont montré la prépondérance du F. oxysporum f.sp. melonis comme principal facteur des mortalités dans diverses zones de production en France mais aussi d'autres pays, par exemple Italie (Belisario et al., 1998) ou Israël (Cohen et al., 1989).

Figure 1 -

Classement variétal obtenu avec les souches TST et Oléon 8 de F. oxysporum f.sp. melonis race 1-2 pour les variétés de référence utilisées dans les tests de screening variétal (sur plantules).

Figure 2 -

Agressivité de différentes souches de F. oxysporum f.sp. melonis race 1-2 jaunissante isolées d'échantillons provenant des différentes régions de production française de melon en comparaison avec les souches de références (sur plantules).

Figure 3 -

Classement variétal obtenu avec les souches de F. oxysporum f.sp. melonis race 1-2 jaunissante C3'S et M18.1 par rapport à la souche de référence TST au cours de 2 tests plantules successifs.

Figure 4 A, B et C -

Pour les 4 variétés de référence (Margot, Lunasol, Manta et Isabelle, plantes adultes), comportement de la souche TST (référence) (A), de la souche M24 (agressive) (B) et de la souche C3'S (moyennement agressive et modifiant le classement variétal) (C). Plantes atteintes = somme des plantes mortes et des plantes présentant des symptômes de gommose.

Matériels des tests sur plantules :

 Photos : Ctifl

Photos : Ctifl

1 - Décoloration jaune d'une jeune plantule de melon atteinte de Fusarium oxysporum f.sp. melonis.

2 - Aspect normal d'une jeune plantule de melon indemne de Fusarium oxysporum f.sp. melonis.

REMERCIEMENTS

Avec la participation de : M. Aramendy (Ctifl-IUT Périgueux), S. Bochu (BGSO), H. Clerc (Airel), G. Gonzalez (Ctifl-Université Paris Sud), C. Eckert (Ctifl), F. Leix-Henri (Cefel), C. Garcin (Chambre d'agriculture de l'Hérault-CEHM), D. Lavigne (Cefel), C. Lempire (Ctifl), J.M. Lhote (Acpel), A. Pangaud (Ctifl-IUT Brest), C. Taussig (Aprel).

Bibliographie

La bibliographie de cet article (14 références) est disponible auprès de ses auteurs. villeneuve@ctifl.fr - mention@ctifl.fr

Résumé

Les producteurs de melon français sont confrontés à une augmentation des problèmes phytosanitaires d'origine tellurique. Une première étude a permis de montrer que, dans les conditions françaises de production, c'est le Fusarium oxysporum f.sp. melonis race 1,2 qui est le plus fréquent, comme par le passé. Une caractérisation de différentes souches originaires des différents bassins de production a permis de montrer que, fait nouveau, ces souches sont globalement plus agressives que la souche de référence utilisée dans les tests d'inscription au CTPS. De plus, le classement variétal varie selon la souche utilisée. Le même comportement des souches est obtenu sur plantules ou sur plantes adultes ce qui valide le test sur jeunes plants.

Ces résultats soulèvent quelques interrogations quant à la durabilité des techniques de protection ne faisant appel qu'à la résistance variétale ou au greffage.

Mots-clés : melon, Fusarium oxysporum f. sp. melonis, agressivité, résistance variétale.

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