DOSSIER - Cultures ornementales

Fusariose du cyclamen : vers un outil de détection précoce

CHARLINE LECOMTE*, CLAUDE ALABOUVETTE**, MARC-ANTOINE CANNESAN***, AGNÈS LANGLOIS***, FABIEN ROBERT*, CHRISTIAN STEINBERG**** ET VÉRONIQUE EDEL-HERMANN**** - Phytoma - n°691 - février 2016 - page 14

Dès que les symptômes sont visibles, il est trop tard pour agir. Si l'agent responsable de la fusariose du cyclamen est difficile à identifier rapidement, les outils moléculaires permettent une telle détection. À condition de bien les étalonner...
Les cyclamens doivent être sains pour être proposés à la vente, donc sans symptôme de fusariose due à « Focy ».  Photo : Astredhor - C. Lecomte

Les cyclamens doivent être sains pour être proposés à la vente, donc sans symptôme de fusariose due à « Focy ». Photo : Astredhor - C. Lecomte

Test du pouvoir pathogène de souches de Fusarium oxysporum sur cyclamen. Après avoir constitué une grande collection de souches de F. oxysporum, un test en serre a été conduit afin de révéler ou non leur virulence sur cyclamen. Ce test a permis d'identifier des souches de F. oxysporum f. sp. cyclaminis. Photo : Astredhor - C. Lecomte

Test du pouvoir pathogène de souches de Fusarium oxysporum sur cyclamen. Après avoir constitué une grande collection de souches de F. oxysporum, un test en serre a été conduit afin de révéler ou non leur virulence sur cyclamen. Ce test a permis d'identifier des souches de F. oxysporum f. sp. cyclaminis. Photo : Astredhor - C. Lecomte

Amplification par PCR d'ADN de F. oxysporum avec les amorces spécifiques de Focy. Ces amorces ont été mises au point dans un fragment d'ADN de Focy et permettent de révéler spécifiquement sa présence. Photo : Astredhor - C. Lecomte

Amplification par PCR d'ADN de F. oxysporum avec les amorces spécifiques de Focy. Ces amorces ont été mises au point dans un fragment d'ADN de Focy et permettent de révéler spécifiquement sa présence. Photo : Astredhor - C. Lecomte

Le genre Cyclamen regroupe une vingtaine d'espèces originaires des zones montagneuses du Bassin méditerranéen. Une large gamme de cultivars de Cyclamen persicum est commercialisée comme plante d'intérieur, d'extérieur et fleurs coupées, tirant parti de sa floraison hivernale, de la diversité de formes et motifs de ses feuilles et des coloris de ses fleurs. La fusariose vasculaire induite par Fusarium oxysporum f. sp. cyclaminis (Focy) est une des maladies les plus préjudiciables de cette plante.

Pourquoi si nuisible ?

Des racines aux feuilles

Cette maladie, aujourd'hui observée dans tous les pays producteurs (Figure 1), a été décrite pour la première fois aux environs de Berlin en 1930.

Lorsque le champignon pathogène a pénétré dans les racines de la plante, il colonise les tissus de la racine jusqu'à atteindre les vaisseaux du xylème. Il continue ensuite sa progression dans les vaisseaux, les obstrue et limite la conduction de la sève ascendante. Survient alors un jaunissement progressif du feuillage, d'abord unilatéral puis généralisé. Il en résulte un flétrissement global puis la mort de la plante.

Incurable dès les symptômes visibles

Bien que le champignon puisse être présent dès le stade jeune plant, la maladie se déclare le plus souvent en fin de cycle de culture et/ou après plusieurs jours consécutifs de fortes amplitudes thermiques. Lorsque les premiers symptômes sont visibles, la plante est condamnée et doit être rapidement extraite des cultures.

La fusariose du cyclamen peut engendrer jusqu'à plus de 50 % de pertes en production.

Fusarium oxysporum, fascinant champignon

Diversité de l'espèce et spécificité de chaque souche

S'il est des champignons dont la diversité et l'omniprésence fascinent, Fusarium oxysporum est de ceux-là. Le sol abrite ainsi des souches de F. oxysporum qui peuvent être de simples saprophytes ou des souches pathogènes de plantes, mais aussi des antagonistes d'agents pathogènes.

Les F. oxysporum pathogènes sont capables d'induire des nécroses ou des trachéomycoses chez de très nombreuses espèces de plantes, à l'exception des Poacées. En revanche, chaque souche de F. oxysporum phytopathogène montre une spécificité d'hôte très étroite.

Les souches pathogènes sont donc classées en formes spéciales (en abrégé « f. sp. ») selon l'espèce végétale qu'elles infectent et même, dans certains cas, en races en fonction du cultivar ou de la variété sensible.

Comment identifier chaque souche ?

Cependant, aujourd'hui, à quelques exceptions près, le seul moyen de distinguer les différentes souches, pathogènes ou non, est de les inoculer sur plante.

La mise au point d'un outil moléculaire de détection et de quantification spécifique de l'agent pathogène dans la plante, l'eau et les substrats de culture, sans avoir recours à l'inoculation sur plante, permettrait de mieux décrire la biologie de l'agent pathogène ainsi que l'épidémiologie de la maladie. La recherche et la mise au point d'un tel outil spécifique font l'objet de cet article.

Recherche d'un moyen de détection précoce de Focy

Une démarche en plusieurs étapes

Les travaux présentés ici s'inscrivent dans le projet Fucy (fusariose du cyclamen : détection préventive et contrôle biologique) porté par Astredhor, l'Institut technique de l'horticulture, et mené en collaboration entre l'Inra de Dijon et la société Agrene, sur financements ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) et CasDar (Compte d'affectation spécial développement agricole et rural).

Le développement d'un outil de détection spécifique de Focy a d'abord nécessité la constitution d'une collection de souches de Focy représentative de la diversité de cette forme spéciale. Le pouvoir pathogène des souches ou isolats collectés a été vérifié par test d'inoculation sur plantes, et leurs identités vérifiées au niveau moléculaire.

La diversité génétique de Focy a été caractérisée pour permettre l'identification de zones d'ADN spécifiquement présentes chez cette forme spéciale.

La recherche d'un outil de détection et de quantification a été effectuée en suivant l'approche dite RAPD-SCAR (Random Amplification of Polymorphic DNA-Sequenced Characterized Amplified Region).

Constitution de collections de souches

Comme le champignon pathogène est présent dans plusieurs pays, les travaux ont commencé par la constitution d'une collection de souches identifiées comme Focy ou isolées de cyclamens (sains ou présentant des symptômes). Au total, 74 souches ont été collectées, provenant de 9 pays différents (Allemagne, Angleterre, Argentine, Australie, États-Unis, France, Japon, Italie, Pays-Bas).

De plus, 98 souches microbiennes autres que Focy ont été collectées. Cette seconde collection comprend 42 souches de F. oxysporum, 18 Fusarium sp., 33 autres genres fongiques, et 5 souches fongiques et bactériennes pathogènes du cyclamen.

Caractérisation phénotypique de la collection

Pour caractériser la virulence des souches de la collection, un test de pouvoir pathogène a été mis en place. Des cyclamens (dix plantes par modalité) ont été semés puis inoculés avec les souches à tester à 5 × 106 propagules/ml de substrat (Pindstrup n° 4). Des plantes traitées à l'eau ont servi de témoin.

À l'apparition de la maladie, des notations ont été faites deux fois par semaine suivant une échelle allant de 0 à 3 selon l'évolution des symptômes. Ces notations permettent d'évaluer la composante quantitative du pouvoir pathogène des souches, c'est-à-dire l'agressivité.

Des isolements à partir de plantes symptomatiques, asymptomatiques et de plantes témoins ont également été effectués.

Caractérisation moléculaire

Des outils moléculaires ont été utilisés pour identifier les souches et caractériser leur diversité génétique. Les souches ont été purifiées et leurs ADN ont été extraits.

Les régions d'ADN de l'ITS (Internal Transcribed Spacer) et du facteur d'élongation 1α(EF-1α) ont été amplifiées par PCR, séquencées puis comparées aux séquences présentes sur NCBI (National Center for Biotechnology Information) pour connaître l'identité de chaque souche au niveau de l'espèce.

Les séquences d'ADN du gène EF-1α et de l'IGS (InterGenic Spacer) ont été amplifiées puis séquencées. Elles ont servi à caractériser la diversité génétique de Focy.

Recherche d'amorces spécifiques par RAPD-SCAR

Pour identifier un fragment d'ADN spécifique du pathogène, la technique de RAPD-SCAR a été utilisée. Une souche représentative de chacun des groupes génétiques identifiés précédemment a été utilisée. Au total, 60 amorces aspécifiques de RAPD ont été testées.

Un fragment d'ADN uniquement présent chez Focy a été identifié. Ce fragment a été amplifié pour chacune des souches représentant un groupe génétique. Leurs séquences ont été comparées entre elles et par rapport aux génomes de F. oxysporum disponibles dans des bases de données. L'identification de paires de bases spécifiques de Focy a permis de dessiner trois couples d'amorces.

Spécificité des couples d'amorces vérifiée

Les spécificités des trois couples d'amorces ont été testées sur les collections de micro-organismes présentées ci-dessus. Le couple le plus spécifique a été sélectionné pour la suite des tests.

Vérification de la sensibilité du couple d'amorces

Afin de connaître la limite de détection du couple d'amorces sélectionné, l'ADN de trois souches de Focy a été dosé précisément et des dilutions en série ont été faites de manière à apporter : 10 ng, 5 ng, 1 ng, 500 pg, 100 pg, 50 pg, 10 pg, 5 pg et 1 pg par réaction PCR. De l'ADN de cyclamen sain, de cyclamen contaminé par une souche de Focy ou colonisé par une souche non pathogène de F. oxysporum a été extrait. Le couple d'amorces a été testé sur ces ADN afin de déterminer si la détection du pathogène sur matériel végétal est possible.

Résultats déjà acquis

Tests de pathogénicité

Le test de pouvoir pathogène a permis d'identifier 45 souches de Focy et 14 souches de F. oxysporum non pathogènes. Les tests de ré-isolement ont permis de ré-isoler F. oxysporum. Parmi les souches de Focy, une grande gamme d'agressivité a été constatée.

Diversité génétique

L'utilisation combinée des séquences d'EF-1α et d'IGS a permis de révéler des groupes de Focy génétiquement distincts. Six groupes de souches pathogènes ont été identifiés. Cette diversité génétique s'avère plus importante que ce qui était décrit jusqu'à présent dans la littérature.

D'autre part, le même travail a été réalisé avec les souches de F. oxysporum non pathogènes. Leur diversité génétique est encore plus importante.

Recherche d'un outil de détection

En utilisant les résultats précédents, un marqueur moléculaire spécifique a été recherché en utilisant la technique de RAPD. Une région non codante d'ADN de 1650 pb a ainsi pu être identifiée.

L'étude comparée des séquences d'ADN de cette zone pour différentes souches de F. oxysporum a permis de détecter des nucléotides spécifiques à Focy. Ces bases ont été utilisées pour définir trois couples d'amorces.

Spécificité et sensibilité des couples d'amorces en PCR

La spécificité des couples d'amorces a été testée sur les collections de souches citées ci-dessus. Un des couples s'est montré spécifique de Focy à 100 % (photo ci-dessous). Il a été gardé pour la suite des tests.

Il permet une détection de Focy dans des tubercules de cyclamen contaminés, tandis qu'aucun signal n'est obtenu si le tissu est colonisé par une souche de F. oxysporum non pathogène. Le test de sensibilité a permis de déterminer que le seuil de détection de l'outil est de 50 pg d'ADN de Focy.

Vers l'identification précoce

Les travaux présentés ci-dessus ont mis en évidence la diversité phénotypique et génétique, jusqu'à présent sous-estimée, au sein de F. oxysporum f.sp cyclaminis.

Cette étude a permis d'identifier un fragment d'ADN spécifique de Focy à partir duquel un couple d'amorces a été défini. Cet outil, actuellement testé pour une utilisation en PCR quantitative, devrait donner la possibilité de quantifier l'agent pathogène à partir d'échantillons de tourbe, d'eau et de tubercule contaminés artificiellement ou prélevés dans des exploitations. Les seuils de détection de Focy seront prochainement définis.

De façon générale, ces travaux, menés en étroite collaboration entre l'Inra de Dijon, Astredhor et la société Agrene, apporteront une meilleure compréhension de la biologie de l'agent pathogène et de l'épidémiologie de la maladie.

Ainsi, le risque de fusariose sur cyclamen pourra être identifié précocement, avant l'apparition de tout symptôme. Une prophylaxie adaptée pourra être mise en place rapidement, afin d'accéder à une meilleure maîtrise de la fusariose en production de cyclamen. L'outil sera d'autant plus utile s'il est combiné avec une méthode de lutte préventive telle que la lutte biologique (voir article suivant).

Fig. 1 : Pays où la fusariose vasculaire du cyclamen a été décrite

 Photo : Astredhor - C. Lecomte

Photo : Astredhor - C. Lecomte

La fusariose du cyclamen a été décrite dans tous les pays de production depuis son apparition en Europe en 1930).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Fusarium oxysporum est un champignon tellurique omniprésent. Certaines souches de l'espèce sont phytopathogènes. Chaque souche montre une très grande spécificité d'hôte. Les souches sont organisées en formes spéciales selon la plante-hôte. Il n'est possible de distinguer les souches pathogènes des non pathogènes qu'en les inoculant sur plante. Sur cyclamen, les souches responsables de fusariose vasculaire sont nommées f. sp. cyclaminis (Focy). Les moyens de prévenir et/ou lutter contre la maladie sont limités.

TRAVAUX - En utilisant une technique de biologie moléculaire, la RAPD-SCAR (Random Amplification of Polymorphic DNA-Sequenced Characterized Amplified Region), un fragment d'ADN spécifique de Focy a été détecté et des amorces spécifiques ont été définies. Des tests ont été menés pour définir la spécificité et la sensibilité des amorces sur différents supports.

Ces amorces seront mises au point en qPCR pour permettre une détection et une quantification de l'agent pathogène sur différents supports.

RÉSULTATS - La forme spéciale cyclaminis présente une grande diversité génétique. Cependant, un fragment d'ADN spécifique de Focy a été mis en évidence. Il a permis de définir trois couples d'amorces, dont un a montré une sensibilité de 100 % pour Focy et un seuil de détection de 50 pg d'ADN en PCR. Il permet une détection du pathogène sur tubercule contaminé.

CONCLUSION - Ces travaux ont abouti à la définition d'un outil moléculaire de détection spécifique de Focy. Des travaux sont en cours pour mieux définir les seuils de détection sur divers supports et y quantifier le pathogène. L'outil améliorera la compréhension de la maladie et sa maîtrise en détectant précocement le risque.

MOTS-CLÉS - Cyclamen, Fusarium oxysporum f. sp. cyclaminis, détection précoce, biologie moléculaire, quantification, protection intégrée.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *C. LECOMTE, *F. ROBERT, Astredhor, 44, rue d'Alésia, 75682 Paris.

**C. ALABOUVETTE, Agrene, 47, rue C. Pierrot, 21000 Dijon.

***M.-A. CANNESAN, ***A. LANGLOIS, Arexhor Seine-Manche, 22, rue de Normandie, 76640 Fauville-en-Caux.

****V. EDEL-HERMANN, ****C. STEINBERGN, Inra, UMR 1347 Agroécologie, 17, rue Sully, 21065 Dijon.

CONTACTS : charline.lecomte41@gmail.com c.ala@agrene.fr, veronique.edel@dijon.inra.fr

LIENS UTILES : www.agrene.fr, www.astredhor.fr www.dijon.inra.fr/umragroecologie

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