Les jardins de Villandry sont ouverts au public tous les jours : on ne peut pas modifier leur agencement ni y mener des essais avec témoins non protégés car l'esthétique risquerait d'en pâtir. Par exemple les choux du « potager », plus ornementaux que culinaires, doivent garder belle allure... Cela n'a pas empêché les responsables de tester la PBI au potager en 2009, et des universitaires de participer à l'étude. ph. C. Vadrot
Dans le potager (ici au second plan), l'essai de PBI a montré les effets de certains lâchers d'auxiliaires. Par ailleurs, la diminution des traitements insecticides et le choix d'insecticides biologiques et bien ciblés, ainsi que des aménagements d'autres parties des jardins, pourraient favoriser les auxiliaires introduits et ceux naturellement présents. Le travail continue en 2010. ph. C. Vadrot
Tous les amoureux du Val-de-Loire le savent : le château de Villandry se visite au moins autant pour ses jardins que pour le château lui-même. En particulier le « potager » charme l'œil avec son tracé géométrique à neuf carrés où avoisinent légumes, fleurs et arbres fruitiers. Depuis 2000, les tilleuls des jardins sont gérés en protection biologique intégrée (PBI). En 2009, l'expérience a été tentée au potager notamment sur la gestion des ravageurs sur les choux, les poiriers et les rosiers, et une équipe universitaire l'a évaluée. Il a fallu adapter l'expérimentation au site. Impossible en effet de mener des essais avec répétitions, témoins, etc., sans affecter l'esthétique du lieu... qui ne doit pas pâtir car Villandry vit de ses visiteurs ! Malgré ces contraintes, le bilan est déjà intéressant.
Le château de Villandry s'est engagé avec Innophyt depuis plusieurs années dans une gestion biologique de son patrimoine arboré. De fait, et Phytoma l'avait évoqué dès 2002(1), la lutte biologique contre l'acarien jaune du tilleul connaît un réel succès depuis sa mise en place progressive en 2000. Cette technique consiste à introduire des acariens prédateurs indigènes régulant les populations d'acariens jaunes et à cesser les traitements phytosanitaires néfastes pour ces auxiliaires introduits.
Une expertise écologique à Villandry, pourquoi ?
Ce processus de mise en œuvre de protection biologique et l'efficacité observée ont incité en 2009 les différents acteurs (chef jardinier, propriétaire et scientifiques) à élargir les pratiques biologiques au célèbre « Potager » (photo).
Au fil des saisons de nombreux ravageurs sont observés à Villandry, notamment des aleurodes des serres, des pucerons (noirs, verts, cendrés, lanigères), des thrips, des chenilles, des psylles ou encore des cochenilles. Au fil des années, le choix des insecticides est de plus en plus limité d'où des risques de résistance inéluctables. Raison de plus pour se tourner vers des techniques de lutte alternatives.
Le travail d'expertise principal a donc été d'observer une certaine entomofaune du site et de mettre au point une méthode en échantillonnant des ravageurs et auxiliaires ciblés sur trois cultures, de proposer des solutions et discuter de l'intérêt des méthodes utilisées.
Cadre expérimental : les contraintes du lieu
Le jardin potager de Villandry s'organise annuellement autour de deux cultures. La première s'étend généralement de mars à juin et la seconde de juillet à octobre.
Mener des études expérimentales dans un lieu hautement touristique induit de nombreuses contraintes liées à l'enjeu esthétique du site.
Compromis nécessaires
Des compromis ont donc été effectués entre l'efficacité et la pertinence des protocoles d'étude d'une part et l'impact visuel négatif induit par ces derniers d'autre part. Il a donc été impossible de mettre en place des zones témoins et de modifier l'aménagement du potager, comme par exemple d'installer des haies composites et bandes fleuries, véritables refuges de la faune auxiliaire (Debras et al., 2007 ; Déguine et al., 2008 ; Liagre, 2006 ; Reboulet, 1999).
Types de pièges
Afin d'évaluer la présence d'insectes, des pièges collants jaunes et bleus, couramment utilisés en PBI, ont été installés dans le potager. Ils permettent seulement de faire une très rapide estimation des forces en présence et sont infiniment moins efficaces qu'en conditions intérieures (serres).
À l'opposé, l'installation de pièges passifs (type Barber) a permis d'observer plusieurs familles d'arthropodes auxiliaires (Carabidae, Staphylinidae, Cantharidae, etc.).
Mise en œuvre de l'étude : échantillonnages
Hormis des observations empiriques réalisées régulièrement dans le parc de Villandry, nous avons ciblé 3 couples ravageurs/auxiliaires : pucerons sur rosiers, psylles sur poiriers et nuisibles sur choux (altises et mouches).
Ces échantillonnages doivent être non invasifs pour les cultures. Le jardin potager étant « découpé » en 9 parcelles abritant chacune différents végétaux, 4 de ces parcelles ont été choisies car comportant à la fois des choux, des poiriers et des rosiers (Figure 1).
Un traitement « biologique » ou un type d'auxiliaire était défini par plante échantillonnée : du Btt (Bacillus thuringiensis var. tenebrionis) pour les choux, Anthocoris nemoralis Fabricius pour les poiriers et Adalia bipunctata L. pour les rosiers (produits vendus par la société Biobest).
Les choux
La méthode d'échantillonnage des choux s'inspire des travaux de thèse de A. Ferry (2007). Elle se base sur un barème d'infestation d'un chou observé excluant l'arrachage des plants.
Deux variétés de choux – Costello et Primero rouge (photo) – ont été échantillonnées pendant dix semaines (première culture du potager). Chaque semaine, 28 Costello et 22 Primero étaient choisis de manière aléatoire dans chacune des quatre parcelles de base. Une note était donnée pour chaque chou en fonction du barème établi (Tableau 1).
La méthode pour l'échantillonnage est la suivante et illustrée par un exemple : un jeune chou de 4 semaines (temps t1) ayant subi une attaque moyenne est noté à un niveau 2 par rapport au barème. En continuant sa croissance il développe de nouvelles feuilles et prend du volume. En observant de nouveau ce chou quelques semaines plus tard (temps t1+n), deux cas de figure sont envisageables :
1) l'état d'attaque est évalué à 1, soit légèrement attaqué (tableau 1) ;
2) l'état d'attaque est évalué à 2 ou plus.
De ce fait nous pouvons conclure que entre t1 et t1+n : dans le cas (1), ce chou a subi une attaque moindre ou nulle et dans le cas (2), il a subi une attaque constante ou plus forte.
Une estimation des attaques de ravageurs dans le temps a donc été possible. De même, le fait que les observations hebdomadaires des choux étaient aléatoires a permis d'appréhender cette estimation d'attaque de manière générale sur les carrés échantillonnés.
Les poiriers
Les méthodes d'échantillonnage des poiriers et des rosiers, très similaires, sont proches de celles utilisées par Delaide (2005), Höhn et al. (2007) et Marchal et al. (2004).
Chaque semaine, sur 4 poiriers choisis aléatoirement dans chacun des 4 carrés du potager (soit 16 poiriers par semaine), 15 à 20 inflorescences ou tiges terminales par arbre étaient observées au hasard pour compter le nombre de psylles présents.
Par la suite, une estimation générale de l'état d'infestation a permis de classer le poirier dans le barème que nous avions défini (Tableau 2). Enfin, le nombre d'Anthocoris nemoralis observés de manière générale et rapide sur le poirier était noté.
Les rosiers
Comme pour les poiriers, sur 4 rosiers choisis aléatoirement, 20 tiges terminales ou boutons floraux ont été observés au hasard pour compter le nombre de pucerons présents. Par la suite, une estimation générale de l'état d'infestation a permis de classer le rosier dans le barème que nous avions défini (Tableau 2). Enfin, le nombre de coccinelles observées sur le rosier était noté de manière générale et rapide.
L'expérimentation conduite en extérieur implique d'intégrer un ensemble de paramètres environnementaux complexes : variations de climat, interactions naturelles entre les différents organismes et végétaux, type d'implantation, etc.
Résultats
Des choux peu attaqués
Pour chacune des deux variétés de choux, le niveau d'infestation moyen a augmenté progressivement dans le temps pour atteindre une sorte de palier (Figure 2).
Ce palier est apparu dès la semaine 20 pour les Costello et plus tardivement, en semaine 23, pour les Primero rouges. Les niveaux moyens d'infestation maximale par chou calculés ont été de 1,3 pour la variété Costello et de 1,7 pour la variété Primero rouge, n'atteignant donc jamais la valeur 2 quelle que soit la variété de chou. L'impact des infestations sur l'esthétique est resté très correct cette année. En début de culture il y a eu trois applications expérimentales de Btt (tenebrionis), insecticide biologique actif contre les coléoptères (altises, etc.).
Les attaques sur les choux ont pour beaucoup été dues aux altises (nous avons observé certaines semaines d'importantes populations de ces chrysomélidés) et dans une moindre mesure aux chenilles, escargots et limaces, ces dernières ayant été limitées par la dispersion de granules anti-limaces.
Sur les poiriers, peu de psylles
Il n'y a pas eu, en 2009, de réels problèmes d'attaques de psylles sur les poiriers (Figure 3).
Seul un pic important a été noté aux semaines 23 et 24, mais les populations ont très vite été contenues. Plusieurs tests statistiques ont été effectués sur les données recueillies.
En semaine 17, l'apport de Bioshower (savon potassique biodégradable) destiné à « laver » le feuillage du miellat d'insectes n'a pas eu d'effet significatif sur les populations de psylles. Il en est de même du lâcher d'Anthocoris nemoralis réalisé en semaine 18 ; en revanche, le lâcher de la semaine 21 a eu un effet significatif.
De même, la baisse significative du nombre de psylles en semaine 25 peut être corrélée au lâcher d'A. nemoralis en semaine 24. Elle peut être aussi liée à la pulvérisation du fongicide Dithane (mancozèbe) considéré comme néfaste aux populations de psylles.
Globalement, la protection biologique intégrée a donc permis de réduire les dégâts dus aux psylles.
Sur les rosiers : deux pics de pucerons
Les rosiers ont subi plus de dégâts que les poiriers à cause d'attaques de pucerons. Deux pics importants ont été notés en semaines 20 et 27 (Figure 4 p. 34). Comme pour les poiriers, l'application de Bioshower (semaine 17) contre le miellat des pucerons n'a pas eu d'effet sur leurs populations.
Le lâcher d'Adalia bipunctata (semaine 18) a été significatif sur le nombre de coccinelles observées. Un traitement au Plénum® (pymétrozine) en semaine 22 a très significativement fait chuter le nombre de pucerons. Une taille des rosiers effectuée en semaine 24 a réduit l'effectif des ravageurs. Mais le tout n'a pas empêché leur remontée en semaine 27 (Figure 4).
En revanche, le nombre élevé de coccinelles observées les quatre dernières semaines est écologiquement corrélable à la diminution progressive du nombre de pucerons durant ce même laps de temps.
Fréquences des traitements phytosanitaires
Une comparaison des traitements phytosanitaires effectués de février à juillet en 2008 puis 2009 permet de constater une réduction de l'emploi d'insecticides de synthèse organique pour cette première année de PBI : on est passé de 13 applications en 2008 à seulement 5 en 2009.
Ces insecticides ont été remplacés préférentiellement du Bt et des prédateurs naturels avec des effets encourageants. En revanche le savon potassique n'a pas eu d'effet dans nos conditions.
À l'inverse, et vu le fait que les innovations en termes de protection biologique contre les champignons pathogènes sont très peu développées, le nombre d'applications fongicides en 2009 (23) a été plus important qu'en 2008 (16), strictement à cause du climat.
Conclusion : pérenniser les auxiliaires
Cette première année de mise en place d'une PBI à Villandry a été très encourageante.
Certes le nombre total de traitements n'a que peu diminué par rapport à l'année précédente à cause d'une plus forte pression de maladies, mais les fongicides auraient dû de toute façon être appliqués même en l'absence de PBI contre les ravageurs. Contre ces derniers, le rôle des auxiliaires a été particulièrement notable et l'utilisation d'insecticides de synthèse a été réduite très significativement.
Une des clés du bon déroulement de cette PBI semble, justement, de conserver les auxiliaires dans le parc.
La présence à Villandry du récent « Jardin du Soleil » composé de plantes annuelles, bisannuelles et vivaces ainsi que d'arbustes poussant volontairement sans structure esthétique définie et ne subissant aucun traitement phytosanitaire pourrait être une des clés de la pérennisation d'insectes auxiliaires dans le parc.
Une étude à ce sujet, par Innophyt, est d'ailleurs en cours pour la saison 2010.
<p>* Université François-Rabelais, CETU Innophyt, UFR Sciences et Techniques, avenue Monge, 37200 Tours.</p> <p>** Université François-Rabelais, IRBI, UMR CNRS 6035, UFR sciences et techniques, avenue Monge, 37200 Tours.</p> <p>*** SCI Château de Villandry, 37350 Villandry.</p> <p>(1) Massé A. et Kreiter S., 2002 - Protection intégrée en jardins et espaces verts - Essai de lutte biologique avec des phytoséiides contre l'acarien jaune du tilleul. <i>Phytoma</i> n° 550, juin 2002, pp. 34 à 37.</p>
Figure 2 - Niveau d'infestation moyen par chou et par semaine pour chacune des deux variétés utilisées dans les essais.
Figure 3 - Évolution temporelle du nombre de psylles et d'A. nemoralis, et aperçu des différentes actions entreprises sur les poiriers.