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Alimentation et santé l'exposition précisée

Marianne Decoin* - Phytoma - n°646 - août 2011 - page 13

Les résultats de l'« EAT 2 » sur les contaminants dans l'alimentation placent les pesticides et les mycotoxines dans un cadre général
 ph. M. Decoin

ph. M. Decoin

Cet été, le dossier sur les liens entre l'alimentation et la santé s'est enrichi de deux pavés de plus de 300 pages sur l'exposition aux « contaminants chimiques ». L'Anses(1) a publié fin juin les deux tomes du rapport de son EAT 2, deuxième étude de l'alimentation totale en France. Il vaut d'être évoqué ici car il présente, entre autres, les substances liées à la protection des plantes : les mycotoxines et les résidus de pesticides. Il permet de les situer dans l'ensemble, les « placer dans le cadre ».

La deuxième étude de l'alimentation totale en France, dite EAT 2, a été lancée par l'Afssa(2) en 2006 et achevée par l'Anses en 2011. Basée sur des échantillons d'aliments prélevés de 2007 à 2009, elle fait suite à l'EAT 1, réalisée par l'Afssa et l'Inra de 2000 à 2004. Ces études, citons l'Anses, « s'appuient sur une méthodologie standardisée et recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ».

EAT 2 : 445 substances dans 20 000 aliments

Des « substances chimiques », pas des organismes vivants

Leur but ? Évaluer l'exposition chronique des consommateurs à des substances potentiellement dangereuses pour la santé et susceptibles de se trouver dans les aliments, les « contaminants chimiques ».

Attention, l'Anses emploie le terme dans un sens précis ! Pas celui de « issu de la chimie de synthèse » mais celui de « substances inertes chimiquement caractérisées ».

Ainsi, l'EAT 2 n'a pas porté sur les contaminations par des organismes vivants type bactéries, virus et autres microbes. On ne lit rien sur les listeria ni les souches pathogènes d'E. coli dans le rapport(3) de l'Anses : hors sujet.

20 000 échantillons représentatifs

Mais le sujet est vaste. Il a porté sur « environ 20 000 aliments (solides ou liquides) appartenant à 212 familles de produits différents ».

Avant d'être analysés, ils ont été préparés tels qu'ils auraient dû être consommés donc cuits pour certains. En parallèle, une étude a « décrit les habitudes alimentaires des adultes et des enfants de plus de 3 ans en France, aliments consommés et quantité ».

Dite INCA2, elle a permis de déterminer comment et combien, en moyenne, chaque type d'aliment était consommé.

445 substances « chimiques » recherchées dont 64 naturelles

Restait à analyser ces 20 000 échantillons. Pas moins de 445 substances ont été recherchées, soit « près de 250 000 résultats d'analyse ». Pour mémoire, l'EAT 1 n'avait recherché « que » 30 substances différentes.

Quelles sont-elles ? D'abord, 64 de ces 445 « substances chimiques » sont d'origine naturelle (Tableau 1 p. 13). Ce sont :

– des minéraux nécessaires à l'organisme mais dont, souvent, il ne faut pas dépasser une certaine dose, et dits sobrement « minéraux »,

– des « contaminants inorganiques », toxiques a priori et d'origine minérale : métaux toxiques type plomb, mercure, cadmium, arsenic,

– des substances d'origine biologique : mycotoxines et phyto-oestrogènes.

283 « phytos » sur les 381 autres

Les 381 autres viennent d'activités humaines. 21 résultent du processus de transformation d'aliments (cuisson...) : substances « néoformées » type HAP(4) et acrylamide.

65 sont issues de « contaminations d'origine environnementale ». Soit elles ont été fabriquées pour d'autres usages, ce sont les PCB, les composés perfluorés anti-taches et imperméabilisants et les retardateurs de flamme bromés ou RFB. Soit elles résultent de combustions, volontaires ou non (feux de forêts), ce sont les dioxines et furanes. Les dioxines, furanes et PCB appartiennent à la même catégorie des « polluants organiques persistants » ou POP.

À noter : le bisphénol A et les phtalates n'ont pas été recherchés « en raison d'une absence d'outils analytiques adaptés » en 2006. L'Anses travaille dessus en 2011.

Les autres substances recherchées sont ou ont été volontairement fabriquées pour l'agriculture ou l'alimentation. Ce sont des additifs alimentaires et des pesticides, lesquels représentent, à eux seuls, 283 substances. Soit 63,6 % de l'effectif total de l'étude, signe de l'importance qui leur a été attribuée a priori. Parmi eux, la totalité des substances prioritaires pour l'Union européenne, en particulier toutes celles qui sont des POP même si elles ont été interdites bien avant 2006 en protection des plantes.

Entrée en scène des VTR, valeurs toxicologiques de références

Les résultats ont été comparés à ceux de l'EAT 1 pour les 30 substances déjà incluses dans cette première étude. Surtout, on a comparé chaque fois que possible l'exposition à une substance avec ses VTR, valeurs toxicologiques de références. Ce sont la DJA (dose journalière admissible) ou DJT (dose journalière tolérable) que l'on peut ingérer tous les jours sans risque, et aussi des doses hebdomadaires ou mensuelles tolérables provisoires...

Sans entrer dans les détails, notons que si une des VTR calculées est dépassée pour un contaminant, le risque lié à l'exposition chronique à ce dernier « ne peut être écarté », et « il convient de poursuivre les efforts pour réduire (l'exposition alimentaire à ce contaminant) », selon les termes du rapport de l'Anses.

Résultats généraux

327 sans problème

Globalement, 327 substances apparaissent comme sans risque alimentaire chronique pour les consommateurs. Pour l'Anses, ce sont celles auxquelles « l'exposition alimentaire ne semble pas causer de risque pour la santé publique » en France (Tableau 2).

Par ordre décroissant d'effectif, ce sont :

– 244 pesticides sur 283 ;

– 20 substances néoformées sur 21, soit tous les HAP analysés (avec une réserve pour les rares personnes consommant beaucoup d'aliments cuits au barbecue) ;

– 16 mycotoxines sur 25 ;

– 11 RFB sur 14 ;

– tous les 11 phyto-oestrogènes recherchés, (avec une réserve pour les rares personnes consommant beaucoup de soja et dérivés) ;

– 10 minéraux sur 12 ; pour le calcium, le fer, le magnésium et le cuivre, l'EAT 2 a pointé des expositions trop faibles pour certains consommateurs avec risques de carences ;

– 9 additifs alimentaires sur 12 ;

– 4 contaminants inorganiques sur 16 ;

– 2 composés perfluorés sur 16 ;

– et aucun POP type dioxine, furane ou PCB.

49 à risque reconnus

Quant aux substances à risque lié à une exposition trop forte, donc à réduire, ce sont :

– tous les 35 POP, polluants organiques persistants, de type dioxines, furanes et PCB ; leur exposition a baissé par rapport à celle notée antérieurement mais reste encore trop importante ; est-ce un hasard ? La Commission européenne a émis le 23 août des recommandations « sur la réduction de la présence de dioxines, de furannes (sic) et de PCB dans les aliments pour animaux et les denrées alimentaires » ; publiées au JOUE(5) du 24 août, elles proposent des « niveaux d'intervention » pour les dioxines et furanes d'une part, et les PCB de type dioxines d'autre part, au delà desquels elle conseille aux états membres d'adopter des mesures de réduction.

– 5 contaminants inorganiques ; les trois plus problématiques sont l'arsenic, le cadmium et le plomb ; les deux autres sont l'aluminium et le méthylmercure (forme apportée surtout par les poissons carnivores comme le thon) ;

– 3 mycotoxines, on y reviendra ;

– 3 additifs alimentaires sur 12 ; il s'agit de trois sulfites utilisés notamment pour la vinification et auxquels les forts consommateurs de vin risquent d'être trop exposés ;

– 1 minéral, le sodium ; cela confirme le fait déjà médiatisé que « notre alimentation est trop riche en sel » (chlorure de sodium) ;

– 1 substance néoformée, l'acrylamide ;

– 1 pesticide phytopharmaceutique (= à usage phytosanitaire), le diméthoate.

La place des pesticides

Trop de diméthoate

Cet insecticide est le seul pesticide parmi les 283 recherchés pour lequel est établi un risque de surexposition avec dépassement de DJA, même dans l'« hypothèse basse » (si on suppose que tout échantillon où on n'a pas détecté une substance n'en contient pas). Autorisé en France, entre autres sur cerisier et endive, il a été trouvé dans des cerises et endives (Tableau 3). Le risque de surexposition menace surtout les forts consommateurs de cerises. L'Anses le relativise du fait que (et tant que) la consommation reste saisonnière.

Alors que conseiller ? Aux gourmands, de ne pas manger de cerises à Noël... Plus sérieusement, aux producteurs, de raisonner au maximum la lutte contre la mouche de la cerise. Diversifier les substances actives (4 autres sont autorisées sur cet usage) et mettre en place des mesures alternatives comme la stratégie « filets insect proof + pièges de surveillance » pratiquée dans le verger en photo p. 13.

Incertitudes sur le carbofuran et le diazinon, désormais interdits...

Pour neuf autres substances, l'Anses ne peut pas conclure et conseille de « réaliser de nouvelles analyses plus sensibles ». Leur non-détection ne garantit pas que leurs VTR ne soient pas dépassées si on se place dans l'« hypothèse haute » de contamination. C'est celle où l'on suppose que tout échantillon où on n'a pas détecté une substance peut être contaminé en deçà de la limite de détection.

Seules deux d'entre elles ont été détectées : le carbofuran dans des radis et le diazinon dans des merguez (Tableau 3).

L'Anses estime le problème en voie de résolution pour le carbofuran car, autorisé jusqu'en 2008, cet insecticide est désormais interdit. Le diazinon, interdit lui aussi depuis 2008 en protection des plantes, reste utilisé comme insecticide biocide et vétérinaire, ce qui peut conduire à le trouver dans des aliments d'origine animale.

... sur les dithiocarbamates non détectés...

Les sept autres substances n'ont pas été trouvées mais, selon l'Anses, les limites analytiques ne sont pas assez basses pour détecter des doses pouvant poser problème. Les méthodes de détection et de dosage actuelles, pas assez performantes, doivent progresser.

Une des sept est utilisée en agriculture. C'est le résidu commun des dithiocarbamates.

Cette famille regroupe plusieurs substances autorisées comme fongicides phytopharmaceutiques en France (et d'autres utilisées en médecine humaine et dans l'industrie). Son résidu avait été trouvé dans des produits frais lors de plans de surveillance correspondants, aussi l'Anses n'en croit pas ses non-détections. L'agence fait l'hypothèse de dilution et/ou dégradation lors de la préparation des aliments et suggère d'améliorer les méthodes d'analyse et de chercher un métabolite supplémentaire.

... sur trois non détectées et récemment ou bientôt interdites...

Pour trois autres substances, le risque de problème devrait être écarté grâce à leur retrait du marché phytopharmaceutique.

Il s'agit de trois insecticides : le disulfoton retiré fin 2003, le méthamidophos interdit depuis juillet 2008, et l'étoprophos en cours d'interdiction : son AMM (autorisation de mise sur le marché) est retirée, sa vente interdite et son usage encore possible jusqu'au 30 de ce mois de septembre 2011.

... et sur trois non détectées et anciennement interdites...

Restent la dieldrine, l'endrine et l'heptachlore, tous retirés du marché français depuis... 1992 ! Voire 1972 pour divers usages phytosanitaires... Pourquoi les avoir recherchés, alors ?

D'abord parce que notre marché phyto n'est pas l'unique source d'exposition à des pesticides. Ainsi, ces insecticides :

– ont pu être appliqués dans d'autres pays d'où nous importons des aliments ;

– ont été utilisés, notamment comme biocides pour traiter le bois (contre les termites, etc.), jusqu'à leur interdiction totale fin 1992 ; divers logements d'animaux et autres bâtiments agricoles dont les bois ont été traités sont toujours debout et utilisés.

De plus, ces trois organochlorés font partie des POP. Pour eux comme pour les dioxines, furanes et PCB, l'exposition peut durer longtemps après l'application.

Et les 29 sans DJA ? Ni « phyto » ni détectées, sauf l'anthraquinone

Un petit mot sur 29 substances pour lesquelles l'Anses déclare ne pas pouvoir conclure.

Six sont en fait des métabolites non pertinents et n'ont pas été détectées. Les 23 autres n'ont pas de VTR (pas de DJA établie), et une seule d'entre elles a été détectée (Tableau 4).

Il s'agit de l'anthraquinone, trouvée dans l'eau du robinet. Ce corvifuge (répulsif anti-corbeaux) utilisé en traitement des semences jusqu'en juin 2010, est interdit maintenant en France et en Europe ce qui devrait régler la question. Les 22 autres « pesticides sans VTR » n'ont pas été détectés. Et ce ne sont pas des produits phytos utilisés en France !

Il y a un désinfectant du bois (2,4,6 tribromophénol) et 21 substances retirées depuis 2002 (voire avant) du marché phyto européen. Certaines sont restées comme biocides (allé-thrine, bio-alléthrine, etc.)

69 pesticides avec risque chronique écarté sur les 73 détectés

Outre les 4 pesticides déjà cités, 69 autres ont été détectés mais à des taux ne conduisant pas à une exposition problématique pour la santé publique. Celui trouvé en plus grande quantité, à savoir le soufre (8,7 mg/kg dans des salades), est un fongicide ô combien naturel et même un constituant de certains aliments.

Les mycotoxines

Attention au DON et ses deux dérivés acétylés

Revenons aux autres « contaminants chimiques » liés à la santé végétale mais qui, eux, sont d'origine biologique. Ce sont les 25 mycotoxines recherchées (Tableau 5).

Les trois dont l'exposition peut dépasser les VTR sont le déoxynivalénol (alias DON) et ses deux dérivés acétylés. Il s'agit de trichothécènes. Ce sont des champignons du genre Fusarium qui les produisent au champ notamment sur blés, orges, maïs et riz très utilisés dans notre alimentation. Ces champignons sont difficiles à maîtriser car très dépendant du climat.

Lequel semble leur avoir été favorable pendant la période de l'EAT 2... et peut continuer. L'Anses souligne « la nécessité de poursuivre les efforts pour réduire les apports alimentaires de DON et ses dérivés ».

De nombreuses recherches sont en cours à leur sujet (lire p. 18, voir la rencontre du RMT Quasaprove du 22 septembre évoquée p. 36).

Toxines T2 et HT2, incertitude

Les toxines T2 et HT2, autres trichothécènes, sont détectées mais pas quantifiées et on ne peut pas écarter le risque car leurs VTR sont très basses et les techniques d'analyse actuelles ne descendent pas aussi bas. Selon l'Anses, « il conviendrait d'abaisser les limites analytiques ». En attendant on les étudie, v. p. 22.

Par ailleurs, on a détecté quatre autres toxines sans VTR établie et l'Anses ne peut donner d'avis à leur sujet. Ce sont trois trichothécènes (DAS, MAS et fusarénone X) et l'OTB (ochratoxine B), mycotoxine de stockage.

Enfin les autres mycotoxines recherchées ne posent pas de problème (Tableau 5). Il n'en est pas de même ailleurs dans le monde, en particulier pour les tropicales aflatoxines (voir p. 27). Mais l'EAT 2 ne visait que l'alimentation des Français, à base de produits de notre agriculture ou importés en respectant nos normes réglementaires.

<p><b>Photo en médaillon en haut de cette page : Piège chromatique dans un verger de cerisiers vu en juin 2011 lors du congrès de l'AFJA (Assoc. française des journalistes agricoles) en Allemagne. Il vérifie que les filets « insect proof » cernant le verger ont bien empêché les entrées de mouche de la cerise : l'arboriculteur n'a pas eu à traiter contre cet insecte avec du diméthoate ni un autre insecticide. Intéressante stratégie <i>« prévention + surveillance »</i>, à l'heure où l'EAT 2 met en cause les résidus de diméthoate dans les cerises.</b></p> <p>* Phytoma.</p> <p>(1) Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, créée le 1er juillet 2010 par fusion de l'Afssa et de l'Afsset.</p> <p>(2) Agence française de sécurité sanitaire des aliments.</p> <p>(3) Disponible sur internet : www.anses.fr</p> <p>(4) Hydrocarbures aromatiques polycycliques.</p> <p>(5) Journal Officiel de l'Union européenne.</p>

Résumé

L'EAT 2 menée par l'Anses de 2006 à 2010 a évalué l'exposition alimentaire chronique de la population française à 445 contaminants chimiques.

Elle a décelé des risques liés à des surexpositions pour :

– 9 contaminants chimiques naturels : arsenic, cadmium, plomb, aluminium, mercure, sodium et 3 mycotoxines (DON et 2 dérivés) ;

– 40 autres contaminants : 35 POP type dioxines, furanes et PCB, 3 additifs alimentaires (sulfites), un pesticide (diméthoate) et une substance néoformée (acrylamide).

On ne peut conclure sur 69 autres substances (incertitudes analytiques, absence de VTR). Des précisions sont données dans l'article, en particulier sur les mycotoxines et pesticides liés à la santé végétale.

Mots-clés : alimentation, santé, EAT 2 (étude de l'alimentation totale), Anses, exposition alimentaire, contaminants chimiques, POP (polluants organiques persistants), mycotoxines, DON (déoxynivalénol), toxine T2, toxine HT2, pesticides, diméthoate, VTR (valeurs toxicologiques de référence).

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