dossier - Bonnes pratiques phytosanitaires en ZNA

Coup de chaud sur l'ambroisie

Yves Crosaz *, Muriel Botton**, Eric Rogemond*** et Bruno Chauvel**** - Phytoma - n°648 - novembre 2011 - page 24

Effet antigerminatif d'un traitement infrarouge, premiers tests en conditions contrôlées
 ph. Y. Crosaz

ph. Y. Crosaz

Le four prototype à infrarouge (IR) utilisé dans le cadre de l'essai rapporté ici. Il s'agit d'évaluer si la stérilisation par IR peut être efficace sur les semences d'ambroisie. ph. Y. Crosaz

Le four prototype à infrarouge (IR) utilisé dans le cadre de l'essai rapporté ici. Il s'agit d'évaluer si la stérilisation par IR peut être efficace sur les semences d'ambroisie. ph. Y. Crosaz

L'ambroisie à feuilles d'armoise semble progresser sur tout le territoire français. Dans les départements les plus touchés, on observe peu de progrès dans la maîtrise des populations malgré les efforts entrepris. Les restrictions d'usage des herbicides vont vraisemblablement encore compliquer la tâche des gestionnaires. Expérimenter de nouvelles méthodes devient impératif. Le traitement thermique IR (infrarouge) semble montrer de bons résultats sur la stérilisation des semences. Pourra-t-il demain être utilisé comme traitement anti-germinatif ? Avant de l'affirmer, il faudra démontrer sa validité à plus grande échelle. Mais déjà, il ressort des premiers résultats qu'une des pratiques d'utilisation, à savoir la date choisie (en fait la maturité des semences visées) sera très importante.

L'ambroisie à feuilles d'armoise (Ambrosia artemisiifolia L.) est considérée aujourd'hui comme un problème majeur de santé publique dans les zones géographiques où la densité de plantes est devenue trop importante (Thibaudon et Olivier, 2010). Des départements comme l'Isère, la Drôme ou l'Ardèche sont concernés avec une forte présence de l'espèce dans les milieux agricoles où la plante est aisément repérable, mais aussi sur les bords de routes, les talus, les bords de rivières et l'ensemble des milieux perturbés par l'homme (chantiers, friches urbaines, etc.)

Si l'éradication de l'espèce est illusoire dans toutes les zones où la plante est présente depuis des décennies du fait d'un stock semencier difficile à éliminer, une bonne gestion de la lutte contre l'espèce passe obligatoirement par des interventions visant à empêcher toute production de nouvelles semences (Fumanal et Chauvel, 2007).

Pourquoi de nouvelles méthodes ?

Limites des herbicides sur zones imperméables et près de l'eau

L'utilisation des herbicides est d'une très grande efficacité sur l'ambroisie à feuilles d'armoise mais doit être réalisée dans le respect des règles environnementales.

En particulier, en zones non agricoles, l'ambroisie est susceptible de s'implanter sur des sols faiblement perméables (revêtements imperméables fissurés, etc.) Or, sur ce type de sols, l'utilisation d'herbicides induit des risques de ruissellement rapide dans les eaux de surface donc un risque de dégradation de la qualité de ces eaux.

Par ailleurs, en zones agricoles comme non agricoles, la gestion chimique en bord des cours d'eau est exclue, alors même que l'ambroisie à feuille d'armoise affectionne ces milieux. En effet, les herbicides utilisables contre cette espèce doivent tous respecter une zone non traitée (ZNT) d'au moins 5 mètres de large le long des cours et points d'eau.

Alternance contre résistance

Enfin, dans une vision à moyen et long terme, le désherbage chimique doit être réalisé de façon à éviter toute sélection de populations d'ambroisies à feuilles d'armoise résistantes à une molécule donnée (Chauvel et Gard, 2010) ce qui ne ferait que renforcer le problème déjà bien présent.

Aussi est-il important de pouvoir expérimenter d'autres méthodes afin de participer à la lutte contre cette espèce, sachant que la régulation de la plante pourra être possible si les choix des méthodes sont bien adaptés aux densités rencontrées et aux milieux concernés.

Par exemple, la régulation par des mammifères herbivores n'est pas à négliger (Faton, 2005). Elle peut être intégrée dans une réflexion pour les milieux pouvant effectivement accueillir des animaux – ce qui n'est pas le cas partout.

L'arrachage manuel est une des pratiques dont l'efficacité peut être totale. Néanmoins, le coût engendré et les difficultés d'ordre logistique et de sécurité pour les personnels font que, malgré les efforts réalisés, l'espèce continue à progresser.

L'ambroisie à feuilles d'armoise se révèle extrêmement tolérante aux pratiques de broyage et de fauche. Sa plasticité phénologique lui permet de repousser après la fauche et, surtout, on peut observer une capacité à produire des semences malgré des coupes très basses (Delabays et al., 2005).

Quel qu'il soit, un seul passage ne suffit pas

De plus, qu'il s'agisse de désherbage chimique ou d'opérations mécaniques, les impératifs et règles de décisions amenant au choix de la date d'intervention sont très complexes ; comment bloquer, en un seul passage, à la fois la production de pollen et celle de semences ? Au final, le contrôle de l'espèce (pollen et semences) par un seul passage (chimique ou mécanique) est un défi impossible à relever.

Le traitement thermique entre en scène

Autre exemple, le désherbage thermique est une pratique actuellement en vogue dans les jardineries en France ; c'est aussi une technique déjà utilisée en zone agricole (Melander, 2006), en agriculture biologique par exemple.

Des tests ont déjà été menés sur l'ambroisie à feuilles d'armoise (Demarchi et al., 2008). Le désherbage par choc thermique utilisant une source de chaleur peut se faire soit par un contact direct de la flamme sur la plante, soit par transmission d'un rayonnement infrarouge qui va provoquer la dénaturation des protéines dans les cellules des tissus de la plante. La chaleur de la vapeur d'eau est aussi utilisée en zone urbaine et a fait l'objet de travaux sur l'ambroisie à feuilles d'armoise (Anfrye, 2000).

Mais tout cela concerne l'effet de destruction des plantes en place. Or, lors des interventions post-floraison, quid des semences que ces plantes portent déjà ?

Les travaux présentés ici portent sur l'effet du traitement thermique infrarouge sur la viabilité de ces semences. Les tests ont été réalisés à différents stades de maturation des semences. La faisabilité de la pratique et son efficacité à une plus grande échelle seront discutées en conclusion.

Un site expérimental dans le Nord-Isère

Le travail réalisé a pour objectif de développer une méthode permettant de stériliser les semences d'ambroisie à feuilles d'armoise.

Pour cela, sur un site de collecte localisé sur la commune de Pont-Evêque (dans l'Isère, 45 °31'E , 04 °55'), des semences ont été prélevées manuellement à trois dates différentes à un mois d'écart les 25 septembre, 20 octobre et 19 novembre 2009.

Un four prototype

Le traitement thermique des semences est réalisé à l'aide d'un four prototype. Le radiant est positionné au-dessus des semences à traiter à une distance de 32,5 cm.

Les semences sont disposées sur une surface réfractaire afin qu'elles ne subissent que l'effet direct du rayonnement infrarouge.

Les brûleurs, en fibres métalliques « MFB » sont des brûleurs à prémélange avec une combustion surfacique (le gaz utilisé est le butane). Le prémélange air/gaz brûle sur la surface d'un tissu métallique perméable Bekinit® constitué de fils métalliques tricotés en Fecralloy® (fer, chrome, aluminium…). Cet acier à base d'yttrium résistant au feu a été sélectionné sur la base de son excellente résistance à la corrosion à des températures supérieures à 1 000 °C.

Dans le cadre d'une utilisation en mode rayonnement Infrarouge (100 à 500 kW/m²), la combustion s'effectue au sein même du support. Celui-ci, porté à incandescence, libère une part de l'énergie sous forme de rayonnement thermique. Le rayonnement infrarouge est une onde électromagnétique de même nature que la lumière. Lorsqu'il atteint une surface, le flux infrarouge est en partie absorbé, réfléchi et transmis en fonction des caractéristiques du produit recevant le rayonnement.

Cette technologie intégrée dans un équipement est déjà utilisée dans un procédé breveté [Brevet FR2945911 (A1), ERATEC, 2009] de traitement contre les plantes d'ambroisie.

Temps d'exposition calculés pour « mimer » le terrain

Les temps d'exposition sont de 4, 8 ou 12 secondes (tableau 1) déterminés en relation avec la vitesse d'avancée possible d'un engin de traitement in situ.

Des tests de germination sont réalisés en boîtes de Petri sur coton imbibé d'eau distillée. Chaque test est réalisé sur 200 semences réparties en quatre boîtes de 50 semences. Un prétraitement de levée de dormance est préalablement mené par un passage au froid (5 °C ; humide pendant 4 semaines).

Les boîtes sont ensuite placées en conditions contrôlées dans une enceinte réfrigérée : la température diurne (13 heures) est de 23 °C, la température nocturne (11 heures) est de 15 °C. Pendant la durée du test (jusqu'à 80 jours), les semences germées sont régulièrement comptées puis retirées des boîtes.

Les résultats sont donnés sous forme de courbes de germination qui donnent les pourcentages cumulés de semences germées au cours du temps. La vitesse de germination est définie par le temps nécessaire pour obtenir la moitié des semences germées (noté T50).

Forte sensibilité des jeunes semences

Résultats dans le témoin

La figure 1 présente les courbes de germination des lots témoins aux trois dates de collecte.

Les semences collectées le 25/09/09 ont une capacité germinative plus faible (70 %) que celles collectées le 19/11/09 (85 %). La vitesse de germination est aussi moins élevée : le T50 passe en effet de 17 jours (semences du 25/09/09) à 7,5 jours (semences récoltées 8 semaines plus tard, le 19/11/09). Ces résultats indiquent que la capacité germinative des semences d'ambroisie à feuilles d'armoise s'améliore progressivement à mesure que les semences mûrissent. Ils confirment le cycle très tardif de cette espèce.

Ces données confirment également l'inefficacité de fauches trop tardives (semences pouvant survivre après la fauche de la plante) et l'impossibilité d'éviter, en un passage, la production de pollen et celle de semences (Gauvrit et al., 2005).

Semences collectées en septembre : stérilisées en 4 secondes

Les figures 2 à 4 présentent les courbes de germination des trois lots de semences d'ambroisie à feuilles d'armoise différant par leur date de collecte et exposés au rayonnement infrarouge. Pour point de comparaison figurent également les courbes des lots témoins.

Pour les semences collectées le 25 septembre (Figure 2), aucune semence traitée n'a la capacité de germer, quel que soit le temps d'exposition au rayonnement.

Autrement dit, le traitement durant 4 secondes se montre aussi efficace que les traitements à des durées d'exposition plus longues.

Le traitement thermique IR des « jeunes » semences en cours de maturité se montre donc extrêmement efficace en réduisant toute capacité germinative des semences produites.

Semences collectées en octobre ou novembre : elles résistent

Pour les semences collectées le 20 octobre et le 19 novembre (Figures 3 et 4), les courbes de germination des lots traités sont très peu différentes entre elles, quelle que soit la durée d'exposition au rayonnement infrarouge… Et surtout, elles sont similaires aux lots témoins ! Le traitement n'a donc plus aucun effet.

Des premiers résultats prometteurs

Résultats acquis

Une gestion durable des populations d'ambroisies à feuilles d'armoise passe absolument par une limitation la plus stricte possible de la production et de la dissémination des semences de cette espèce. Les tests de traitement thermique réalisés ont montré que, sur des semences d'ambroisie à feuilles d'armoise collectées en 2009 à Pont-Évêque, une exposition de 4 secondes à un rayonnement thermique IR avant le 25 septembre conduit à une efficacité de 100 %. Malgré une taille relativement importante des semences d'ambroisie et le faible temps d'exposition, l'embryon de la semence est détruit.

Mais, dans le mois qui suit, avec l'augmentation progressive de la lignification des téguments (maturation), un tel traitement n'a plus aucun effet même en triplant la durée d'exposition.

D'un point de vue technique, l'efficacité de la pratique se ferait donc sur une durée d'exposition relativement courte et à un moment où les plantes sont faciles à détecter.

Investigations à mener

De nouvelles investigations doivent être menées, notamment à partir d'autres sites de collecte afin de confirmer l'impact du traitement thermique IR sur la germination des semences d'ambroisie et préciser son mode de fonctionnement en relation avec la maturation des semences (lignification des téguments).

Ils devront aussi être réalisés in situ pour valider la faisabilité de la méthode.

Judicieuses à des moments et dans des lieux

Dans une telle hypothèse, une nouvelle technique pourrait peut-être être développée et venir compléter les outils déjà à disposition des gestionnaires : appliquée en fin d'été (période à préciser en fonction d'un indicateur stationnel, par exemple la somme des températures), elle viserait à détruire les semences d'ambroisie à feuilles d'armoise, seul et unique élément de dispersion et de propagation de l'espèce et dont on connaît la forte survivance dans le sol.

Plus globalement, le désherbage thermique proposé présenterait l'avantage d'intervenir à un moment où la pression pollinique est plus faible, ce qui représente un risque moindre pour les personnels. Elle pourrait être utilisée sur des zones où l'usage d'herbicides est proscrit.

La mise au point de cette pratique a pour objectif d'augmenter la panoplie des outils permettant une gestion durable de la lutte contre l'ambroisie à feuilles d'armoise. Une évaluation globale de la pratique (faisabilité technique, impact environnemental, bilan économique…) devra être réalisée pour valider sa durabilité en tant que pratique de gestion.

<p>* Géophyte, 144, rue de la Ganterie, 38530 Pontcharra, yves.crosaz@geophyte.fr</p> <p>** Evinerude, 30, avenue Général-Leclerc, 38200 Vienne, muriel.botton@evinerude.fr</p> <p>*** Eratec, 383, chemin de Planbois, 38290 Satolas-et-Bonce, erogemond@era-tec.fr</p> <p>**** INRA. UMR1210 Biologie et gestion des adventices. 17, rue Sully, BP 85610, 21065 Dijon cedex.</p>

Tableau 1 - Temps d'exposition et vitesse de l'engin.

Figure 1 - Courbes de germination des semences d'ambroisie collectées à Pont-Évêque (PE) en 2009 (écart type à 5 %).

 ph. Y. Crosaz

ph. Y. Crosaz

Figure 2 - Courbes de germination des semences d'ambroisie collectées le 25/09/09 à Pont-Évêque (PE) et traitées thermiquement pendant 4, 8 et 12 secondes (écart type à 5 %).

 ph. Y. Crosaz

ph. Y. Crosaz

Figure 3 - Courbes de germination des semences d'ambroisie collectées le 20/10/09 à Pont-Évêque (PE) et traitées thermiquement pendant 4, 8 et 12 secondes (écart type à 5 %).

Figure 4 - Courbes de germination des semences d'ambroisie collectées le 19/11/2009 à Pont-Évêque (PE) et traitées thermiquement pendant 4, 8 et 12 secondes (écart type à 5 %).

Bibliographie

• La bibliographie de cet article (11 références) est disponible auprès de ses auteurs.

Résumé

Contre l'ambroisie à feuilles d'armoise, le traitement thermique par infrarouge (IR) semble prometteur pour son effet anti-germinatif lors de traitements post germination.

En effet, d'après des tests en conditions contrôlées (expositions aux IR en four expérimental puis germination au laboratoire) sur des semences d'ambroisie prélevées à trois dates différentes en 2009 en Isère, ce traitement thermique semble très efficace contre les semences jeunes (prélevées le 25/09). En revanche il n'a aucun effet sur les plus âgées (prélevées les 20/10 et 19/11).

Il reste à vérifier cette efficacité :

– sur d'autres lots issus d'autres sites de collecte ;

– suite à des traitements in situ.

Si les futurs tests sont concluants, et sous réserve de bonnes pratiques d'application (choix judicieux des dates notamment), la méthode serait utilisable en complément d'autres méthodes appliquées à d'autres périodes de l'année, dans le cadre de plans de lutte adaptés.

Mots-clés : zones non agricoles, bonnes pratiques phytosanitaires, ambroisie à feuilles d'armoise, Ambrosia artemisiifolia, désherbage thermique, IR (infra-rouge), germination.

L'essentiel de l'offre

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