Les palmiers méditerranéens sont fort menacés. Après le vorace papillon palmivore, un nouvel insecte dévastateur est apparu en 2006 en France métropolitaine. Il s'agit du charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus, véritable fléau pour les professionnels de la filière ainsi que pour les collectivités et particuliers et leurs palmiers d'ornement en place. Face à une demande de solutions de type bio-contrôle, des essais au laboratoire prometteurs ont amené à tester fin 2010 deux souches du champignon entomopathogène Beauveria bassiana en conditions semi-naturelles. Les tests ont été réalisés sur des palmiers enfermés dans des cages « insect proof » placées en plein air. Ce travail a été présenté à la CIRA de Montpellier d'octobre dernier. Échos des cages à palmier.
En 2006, on commençait à peine à s'habituer à la présence du papillon Paysandisia archon (Burmeister) en France qu'un nouveau ravageur du palmier tout aussi redoutable, Rhynchophorus ferrugineus (Olivier), était signalé dans le Var. C'était à Sanary, dans une propriété privée (Martin, 2006).
Rhynchophorus ferrugineus, ravageur très destructeur
Rhynchophorus ferrugineus, le charançon rouge du palmier, est un coléoptère dont les larves et adultes forent les stipes de nombreuses espèces de palmiers.
Originaire de Malaisie et d'Inde, il est probablement arrivé suite à l'importation de palmiers atteints (Ferry et Gomez, 2002).
Présence et dégâts
Son expansion très rapide fait qu'il est désormais retrouvé dans de nombreuses communes du sud de la France. Des foyers sont déclarés dans les trois régions du pourtour méditerranéen français : Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Corse et Languedoc-Roussillon (Haddad, 2009). Ses ravages ont fait disparaître bon nombre de palmiers en Espagne et en Italie entre autres. Il est, depuis mai 2007, un organisme de quarantaine au niveau européen.
R. ferrugineus a été signalé sur une vingtaine d'espèces de palmiers à travers le monde parmi les plus importantes d'un point de vue économique et ornemental, tels que le cocotier (Cocos nucifera L.), le palmier à huile (Elaeis guineensis Jacq), le palmier dattier (Phoenix dactilyfera L). Il est aujourd'hui présent sur 15 % des surfaces mondiales cultivées de cocotiers et environ 50 % des surfaces cultivées de dattiers (Faleiro, 2006). Sous nos latitudes, il attaque surtout les espèces du genre Phoenix, mais les Washingtonia, Butia, Chamaerops, Brahea… peuvent aussi être affectés (Haddad, 2009).
Ce qui a été fait jusqu'ici
Des réseaux de piégeage ont été mis en place afin de détecter précocement les palmiers infestés et d'endiguer la propagation de ce fléau (André et al., 2008).
En juillet 2010, un arrêté national paru au Journal Officiel de la République Française a défini les mesures obligatoires de surveillance et de lutte à prendre contre le charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus (Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 2010).
Les moyens de lutte contre ce charançon sont aujourd'hui encore très peu nombreux et s'orientent généralement vers des mesures de prophylaxie ou de destruction d'arbres atteints. Mais c'est insuffisant. La mise au point d'une méthode de lutte efficace est la seule voie pour sauver les palmiers de nos côtes.
Les traitements chimiques se sont révélés partiellement efficaces, mais partiellement seulement ; de plus, les gestionnaires d'espaces publics et les jardiniers amateurs sont demandeurs de solutions biologiques contre ce ravageur. Comme pour P. archon, une telle méthode biologique est souhaitable pour traiter les palmiers en jardins et espaces verts.
Deux partenaires déjà associés pour le palmier
Les sociétés NPP et Vegetech ont débuté leur collaboration en 2005 sur la problématique de la lutte contre le papillon palmivore P. archon. Cela les a conduites à mettre au point et à commercialiser un produit biologique sous forme micro-granulée, à base de spores du champignon Beauveria bassiana (Bals.-Criv.) Vuill. souche 147, permettant le contrôle de ce ravageur (Millet et al., 2007).
Ce produit est autorisé (Ostrinil®, AMM n° 9300093) et recommandé par les autorités françaises pour la lutte contre le papillon palmivore (Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 2009).
Forts de ce succès dans la lutte contre P. archon, les deux partenaires ont recherché des solutions biologiques contre le charançon rouge du palmier.
Screening au laboratoire
Deux champignons et un nématode testés
Plusieurs candidats potentiels pour la lutte biologique contre R. ferrugineus ont été testés sur des larves, adultes et cocons du ravageur :
• Spores de B. bassiana souche 147 (matière active de l'Ostrinil, déposée à la CNCM(1) par NPP) ;
• Spores de B. bassiana souche NPP111B005 (issue de collection interne de NPP et déposée elle aussi à la CNCM) ;
• Nématode Steinernema carpocapsae (Weiser).
Les spores de B. bassiana ont été produites sur support micro-granulé et mises en suspension dans un surfactant (tween 80 à 0,05 %) afin de disposer d'une solution liquide à environ 1.109 spores/ml. Cette quantité de spores équivaut à l'utilisation de 2 g de granulé à un titre de 5.108 spores/g de matière sèche.
Les nématodes ont été appliqués après mise en suspension dans l'eau à raison de 1,25.106 juvéniles dans 200 ml d'eau.
L'application des trois candidats s'est faite par trempage des individus dans la solution liquide. Un témoin non traité a été réalisé en parallèle. Les larves et les adultes ont été élevés sur milieu nutritif artificiel. Des observations ont été effectuées tous les 3 à 5 jours et les pourcentages de mortalité brute et de mortalité corrigée (formule d'Abbott) ont été déterminés.
Une souche élue pour sa meilleure efficacité
La souche de B. bassiana NPP111B005 s'est montrée la plus efficace sur larves et sur adultes (respectivement 90 % et 100 % de mortalité) juste devant la souche de B. bassiana 147 qui, elle, a une activité sur cocon. Dans cet essai, le nématode S. carpocapsae s'est révélé inefficace sur adultes et cocons (Tableau 1).
Qu'en conclure ?
Ces résultats montrent le potentiel intéressant des souches de B. bassiana contre les différents stades de R. ferrugineus, et notamment de la souche 147 déjà autorisée sur palmiers contre P. archon. Toutefois, le pourcentage de mortalité obtenu sur cocons avec cette souche est à nuancer du fait d'un effectif inoculé réduit.
Par ailleurs, des baisses d'efficacité du nématode S. carpocapsae sur le charançon rouge ont été mises en évidence du fait de la présence de l'acarien phorétique(2) Centrouropoda almerodai, étroitement associé aux adultes de ce charançon et ayant une activité parasitique sur S. carpocapsae (Morton et al., 2011).
Essai BPE (3) sur Phoenix
Des palmiers « enfermés dehors »
Suite à ces résultats prometteurs en laboratoire, un essai en conditions semi-naturelles a été mis en place. Les tests ont été réalisés sur palmiers entiers et en plein air (conditions les plus proches possibles de celles « naturelles » en ville) mais, afin d'empêcher toute propagation de l'organisme de quarantaine qu'est le charançon rouge suite aux infestations, ces palmiers ont été disposés sous des cages « insect proof », au sein d'une structure bénéficiant d'un agrément pour l'accueil d'organismes de quarantaine.
Une sonde de température a permis d'enregistrer la température au cours de l'essai, à la fois au sein des cages « insect proof » et à l'intérieur même du stipe des palmiers.
À l'heure actuelle, il n'existe pas de méthode CEB concernant les essais de méthodes pour lutter contre les ravageurs des palmiers. Le protocole expérimental a donc été préparé en collaboration avec le SCRADH (Syndicat du Centre régional d'application et de démonstration horticole) et la société Vegetech, tous deux experts dans ce domaine.
Trois fois huit palmiers, 16 larves par palmier
Des Phoenix canariensis Hort. Ex Chabaud en cage « insect proof » et infestés artificiellement par des larves de R. ferrugineus ont été traités tous les 21 jours.
Deux souches de B. bassiana en formulations micro-granulées ont été comparées dans cet essai : la souche 147 (matière active de l'Ostrinil) et la souche NPP111B005. Des palmiers traités à l'aide de micro-granulés sans spores ont été utilisés dans la modalité témoin.
Huit palmiers ont été utilisés par modalité (témoin, souches 147 et NPP111B005). Les infestations ont été réalisées avec les larves durant toute la durée de l'essai. Au total, 16 larves par palmier ont été déposées selon un schéma permettant de mimer la courbe de vol des charançons.
Trois applications des produits testés ont été faites durant l'essai : la première de façon préventive (7 jours avant la première infestation), puis tous les 21 jours, à une dose de 8 g de formulation micro-granulée/palme.
Palmiers « démontés » couronne par couronne
Enfin d'essai (27 jours après la dernière application soit 69 jours après la première), un démontage complet des palmiers, couronne par couronne, a permis de collecter les larves de R. ferrugineus. Elles ont été réparties en 3 classes : vivantes, mortes et mortes mycosées.
Les larves ont ensuite été conservées pendant 11 jours à température ambiante afin de noter l'évolution de l'efficacité des deux souches de champignons entomopathogènes.
Le nombre de larves perdues (disparues) a été lui aussi enregistré.
Résultats
Les micro-granulés, une formulation adaptée
Lors du démontage des palmiers 27 jours après la dernière application, une bonne pénétration des granulés entre les rachis a été observée. Ainsi, la formulation micro-granulée est parfaitement adaptée à une application sur palmiers et permet une protection optimale, en profondeur, au niveau des caries créées par le charançon rouge.
Le tableau 2 résume les notations d'efficacité des deux formulations de B. bassiana faites à la fin de l'essai et 11 jours après.
Il faut souligner que la mortalité « naturelle » observée dans la modalité témoin, très importante (de l'ordre de 60 %), induit un biais dans l'analyse statistique des résultats et dans leur interprétation.
Elle peut être expliquée par les températures très basses enregistrées lors de l'essai (au plus froid, 4 °C à l'intérieur du palmier). Les larves ont donc été soumises à un stress ayant diminué leurs chances de survie.
Méthode d'infestation validée
La méthode d'infestation des palmiers a été améliorée en cours d'essai, afin de protéger les larves des conditions extérieures et de se rapprocher au maximum des conditions naturelles de vie des larves au sein d'une carie. Le pourcentage de survie des larves a ainsi atteint 90 % dans la modalité témoin sur les deux dernières infestations réalisées.
Il est à remarquer que le nombre de larves de charançons rouges disparues pendant cet essai est faible : entre 0,6 % et 3,8 % des larves déposées. Aucune méthode CEB n'existant à l'heure actuelle, un protocole d'infestation particulièrement délicat a dû être mis au point. Grâce à cet essai, la méthode d'infestation a pu être validée pour les futurs essais à mener.
État des larves au démontage et onze jours après
Lors du démontage des palmiers, le pourcentage de larves mortes pour les modalités traitées avec les souches de B. bassiana 147 et NPP111B005 était légèrement supérieur à celui de la modalité témoin. Le niveau élevé de larves touchées (mycosées) par rapport au témoin confirme les résultats des études au laboratoire. Les deux souches de B. bassiana sont capables de contaminer les larves de R. ferrugineus et s'y développer, et ce même à l'intérieur du palmier.
Onze jours après le démontage, le pourcentage de larves mortes dans les modalités traitées à l'aide des champignons entomopathogènes est encore supérieur à celui observé dans la modalité témoin, avec une différence plus nette en faveur de la souche NPP111B005 (93 % de mortalité contre 79 % dans le témoin).
Le travail continue
De nouveaux essais ont été mis en place en septembre 2011, en conditions climatiques plus favorables au développement des larves de charançon rouge, afin de diminuer la mortalité naturelle dans la modalité témoin avec un protocole d'infestation des palmiers désormais éprouvé, et de confirmer les premières tendances observées en 2010.
Ces essais, devant durer 80 jours au total, sont encore en cours en novembre 2011.
Conclusion
Les premiers essais au laboratoire sur R. ferrugineus mettent en évidence le potentiel de deux souches du champignon B. bassiana sur ce nouveau ravageur. L'essai en conditions semi-naturelles a également confirmé la tendance observée et a permis la validation d'un protocole d'infestation particulièrement délicat.
La souche 147 (nom commercial Ostrinil) déjà commercialisée contre P. archon a montré qu'elle peut également bien se développer sur les larves de R. ferrugineus. Si les résultats de la souche NPP111B005 se confirment dans de nouveaux essais, elle pourrait se montrer un très bon candidat pour lutter efficacement contre ce charançon.
Des essais seront aussi menés en conditions naturelles d'infestation afin de mesurer le potentiel de ces deux souches à engendrer une épidémie au sein des populations de charançon rouge du palmier vivant en communauté dans une carie (infestation naturelle, hélas facile à trouver aujourd'hui).
Ces deux souches de B. bassiana font l'objet d'un dossier de demande d'autorisation au niveau de l'Union européenne (approbation à l'annexe du règlement 1107/2009).
<p>* Natural Plant Protection (N.P.P.), Membre du groupe Arysta LifeScience, Parc d'Activités Pau-Pyrénées, 35, avenue Léon-Blum, 64000 Pau. samantha.besse@arystalifescience.com ludovic.crabos@arystalifescience.com</p> <p>** Vegetech, 33, chemin de la Source, 83260 La Crau. vegetech.panchaud@wanadoo.fr</p> <p>(1) Collection nationale de culture de micro-organismes. Tenue par l'Institut Pasteur, elle est reconnue par les autorités françaises et comme « Autorité de dépôt internationale ».</p> <p>(2) Qui « se fait porter » (comme le rémora par le requin).</p> <p>(3) Bonnes pratiques d'expérimentation. </p>
Tableau 1 - Essai au laboratoire : pourcentages de mortalité corrigée obtenus sur des larves de R. ferrugineus soumises à des traitements avec les trois candidats testés.