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Charançon rouge du palmier : un bio-insecticide a été testé

SAMANTHA BESSE* ET KARINE PANCHAUD** - Phytoma - n°678 - novembre 2014 - page 16

Retour sur trois années d'expérimentation de Beauveria bassiana sur palmiers en place en milieu urbain.
Vues prises lors de l'expérimentation des souches de Beauveria bassiana sur des palmiers en place dans le midi de la France. L'application sous forme de microgranulés est réalisée avec un pistolet à paillettes couplé à un compresseur à air comprimé. Photos : Vegetech - Photo vignette haut de page : S. Besse

Vues prises lors de l'expérimentation des souches de Beauveria bassiana sur des palmiers en place dans le midi de la France. L'application sous forme de microgranulés est réalisée avec un pistolet à paillettes couplé à un compresseur à air comprimé. Photos : Vegetech - Photo vignette haut de page : S. Besse

Insectes trouvés dans des palmiers traités puis assainis (taille des parties infestées) : leur développement a été perturbé, même les adultes (à droite) sont mycosés et non viables. Photos : Vegetech

Insectes trouvés dans des palmiers traités puis assainis (taille des parties infestées) : leur développement a été perturbé, même les adultes (à droite) sont mycosés et non viables. Photos : Vegetech

Le charançon rouge du palmier, Rhynchophorus ferrugineus, continue son inexorable progression... Les moyens de contrôle autorisés sont restreints et incorporent tous une composante phytosanitaire chimique. Or de nombreuses collectivités et particuliers cherchent à disposer de méthodes de biocontrôle efficaces.

Pourquoi tester du biocontrôle

Des échéances légales

La récente loi dite « Labbé », parue en février 2014, interdit l'utilisation des produits phytopharmaceutiques chimiques dans les jardins et promenades appartenant au domaine public et ouverts ou accessibles au public à partir du 1er janvier 2020. Puis elle étend l'interdiction au jardinage amateur à partir de janvier 2022. De plus, pour les espaces publics, l'échéance pourrait être avancée au 31 décembre 2016 par la loi de transition énergétique (en discussion à l'heure où Phytoma met sous presse).

Les mairies et autres collectivités, les professionnels du paysage et les particuliers cherchent à anticiper ces interdictions et à travailler dès aujourd'hui avec des méthodes alternatives qui resteront autorisées de par la loi Labbé. Parmi celles-ci, on trouve notamment les produits phytopharmaceutiques UAB (utilisables en agriculture biologique), en particulier les bio-insecticides à base de champignons entomopathogènes (= qui rendent malades les insectes).

Des résultats en conditions semi-naturelles

De très bons résultats ont été obtenus en France et en Espagne dans des essais en conditions semi-naturelles avec deux souches d'un tel champignon, Beauveria bassiana. Il s'agit de la souche 147, disponible en France dans le produit Ostrinil, autorisé sur maïs contre la pyrale mais aussi sur palmier contre le papillon palmivore, et de la souche NPP111B005, pas encore autorisée en France.

Ces essais consistaient en infestations par R. ferrugineus de palmiers en semi-plein air car confinés en « cages insect-proof » (filet insect-proof sur structure rigide). Ce confinement était obligatoire en cas d'infestations artificielles, le charançon rouge étant un ravageur de quarantaine. D'après les comptages de larves de charançons touchées par le champignon, la souche NPP111B005 (isolée d'un charançon, donc d'une espèce de coléoptère proche du charançon du palmier) s'était montrée supérieure à la souche 147 (isolée d'un lépidoptère, c'est-à-dire d'un insecte d'un autre ordre). Cette dernière montrait une efficacité équivalente à celle de la référence chimique de l'époque.

Pour confirmer ou infirmer ces résultats, il fallait passer en conditions d'infestation naturelle sur de plus grands sujets, en véritable milieu de plein air/plein vent.

Trois ans d'expérimentation sur quatre secteurs

Deux souches de B. bassiana comparées à l'aide de 58 palmiers

Un tel essai a donc été mis en place en 2011, sous convention, sur le territoire d'une commune de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

L'essai compte 60 palmiers (52 Phoenix canariensis et 8 Phoenix dactylifera), d'une hauteur de stipe moyenne de 6 à 15 mètres et répartis sur quatre secteurs du territoire communal. Trente palmiers ont été traités à l'aide de la souche 147, et 28 palmiers avec la souche NPP111B005, toutes deux sous formulation microgranulée.

Les deux derniers palmiers, situés chacun sur un secteur différent du dispositif, ont été traités à l'aide du support microgranulé de la formulation mais sans spores du champignon. Ils ont été considérés comme des témoins.

Enfin, sur les quatre secteurs, les palmiers environnants non traités et situés dans la même zone que celle concernée par le dispositif expérimental sont suivis et considérés eux aussi comme des palmiers témoins.

Pour ces essais, réalisés en milieu urbain sur des palmiers d'alignement, aucune mise en place de répétitions de type parcelle d'essai (bloc de Fisher, etc.) n'était possible, et aucune analyse statistique n'a pu être réalisée.

Quatre traitements par an

En fonction des captures réalisées au sein des pièges et des contraintes d'accès et de circulation dans la ville, quatre traitements par an ont été réalisés : deux au printemps (avril/mai ou mai/juin) et deux à l'automne (septembre/octobre ou octobre/novembre). En 2011 et 2012, le produit a été appliqué au niveau du cœur du palmier avec un atomiseur dorsal équipé pour l'application spécifique de microgranulé.

À partir de l'année 2013, il a été appliqué à l'aide d'un pistolet à paillettes couplé à un pulvérisateur à air comprimé. L'application était réalisée à raison de 200 à 300 g par palmier.

Notations effectuées

L'état sanitaire initial des palmiers a été noté avant le début de l'essai et toutes les traces d'attaque du charançon rouge ou d'un autre ravageur ont été enregistrées. Avant chaque nouveau traitement, les palmiers ont été inspectés visuellement afin de constater la présence ou non de dégâts du charançon rouge du palmier ou encore l'évolution de l'infestation pour les palmiers déjà infestés lors du début de l'essai.

Durant tout l'essai, les palmiers constatés infestés (qu'il s'agisse de palmiers traités avec B. Bassiana, de témoins recevant du granulé à blanc ou de témoins non traités environnants) ont été :

– assainis selon la méthode classiquement employée au sein de la commune (taille d'assainissement) si leur état sanitaire le permettait (infestation encore modérée) ;

– abattus pour respecter les obligations réglementaires si leur état sanitaire était trop dégradé.

Le tout a été effectué dans les règles sanitaires (élimination des débris, etc.).

Observation initiale : des secteurs attaqués de manière inégale

En 2011, l'observation initiale des palmiers du dispositif expérimental a montré une situation très différente dans les quatre secteurs :

– secteur 1 : aucun symptôme n'était visuellement décelable sur les palmiers. Les traitements appliqués par la suite ont donc eu une visée préventive afin d'éviter une attaque

– secteur 2 : 38 % des palmiers étaient infestés par le charançon rouge et présentaient des symptômes d'attaque (trous et encoches à la base des palmes) ;

– secteur 3 : secteur le plus touché, avec 60 % des palmiers attaqués ;

– secteur 4 : 17 % des palmiers présentaient des symptômes d'attaques.

Sur ces trois derniers secteurs, les traitements ont donc eu une visée à la fois curative – afin de tuer les insectes présents en 2011 dans les palmiers attaqués – et préventive, pour empêcher la survenue de nouvelles infestations.

Les résultats confirment ceux obtenus en conditions contrôlées

Trois ans après, les résultats globaux

En 2014, en moyenne, 42 % des palmiers du dispositif expérimental traités avec la souche de Beauveria bassiana 147 (Tableau 1) restent non attaqués. Il en est de même pour 73 % des palmiers traités avec la souche NPP111B005 (Tableau 2).

Dans le secteur « en préventif »

Dans le secteur 1, la totalité des palmiers présente toujours, comme en 2011, un bon état sanitaire sans symptômes apparents d'attaque, et ce, quelle que soit la souche utilisée pour le traitement (Tableaux 1 et 2). En revanche, le palmier témoin de cette zone – un Phoenix dactylifera – a été abattu dès la première année d'essai suite à une attaque, alors que cette espèce est habituellement moins sensible au charançon rouge.

Ainsi, l'absence d'infestation des palmiers traités ne peut pas être attribuée à l'absence du charançon dans le secteur.

Ces résultats démontrent l'excellente efficacité préventive des deux souches de Beauveria bassiana 147 et NPP111B005 afin d'éviter l'infestation de palmiers par les adultes du charançon rouge.

Dans les secteurs 2 et 3 « en curatif »

Sur les secteurs 2, 3 et 4, où de nombreux palmiers étaient déjà attaqués en 2011, il reste en moyenne 23 % des palmiers traités avec la souche 147 et 64 % de ceux traités avec la souche NPP111B005 (voir Tableaux 1 et 2). Le secteur 3 a connu la plus forte mortalité de palmiers mais 60 % des palmiers traités dans ce secteur étaient déjà infestés en 2011 sur cette zone.

Or, il était impossible de connaître le niveau initial d'infestation (quantité d'insectes présents initialement dans le palmier).

Cinq des huit palmiers traités abattus sur ce secteur l'ont été durant la première année de l'essai. Puis une stabilisation de leur état sanitaire a été noté.

Parmi les trois palmiers de ce secteur traités avec la souche NPP111B005, les deux qui ont été abattus présentaient des signes de reprise. Ils auraient peut-être pu être sauvés s'ils étaient restés en place.

Les palmiers témoins ont, quant à eux, été abattus dès la première année de l'essai.

Par ailleurs, il faut noter que, dans ce secteur, 84 % des palmiers environnants non traités ont dû être abattus sur la durée de l'essai.

Dans le secteur 4, attention aux écailles !

Sur le secteur 4, quatre des sept palmiers de la modalité Beauveria souche 147 ayant été abattus sont des palmiers dits « à écailles » avec des restes de rachis importants le long du stipe. Les attaques des adultes se sont faites par le pied du palmier au niveau du sol et non par le cœur comme habituellement. Or c'est seulement ce dernier qui avait été traité.

Ce résultat suggère l'intérêt d'un nettoyage minutieux des palmiers afin de « lisser » le stipe des Phoenix et de ne pas laisser de grosses portions de rachis dépasser. Ces dernières peuvent en effet devenir des portes d'entrée privilégiées pour les adultes du charançon rouge.

La souche NPP111B005 démontre tout son potentiel

Les deux palmiers témoins ont été abattus sur les deux premières années d'essai suite à de fortes attaques du charançon rouge. Les pertes de palmiers infestés par le charançon rouge (Tableau 3) ont été constantes au cours des trois années dans la modalité Beauveria bassiana 147 avec, en moyenne, 28 % de palmiers abattus par an.

Avec la souche NPP111B005, les pertes se sont principalement concentrées sur la première année d'essai (18 % de mortalité) puis sont devenues quasi nulles les deux années suivantes (respectivement 0 et 4 %). Ainsi, c'est cette souche qui manifeste le meilleur potentiel d'activité. Rappelons que les palmiers traités au granulé à blanc et considérés au cours de l'essai, et ceci très rapidement. De plus, sur les portions hors essai, certains secteurs ont connu une véritable hécatombe : 84 % des palmiers hors essai du secteur 3 ont disparu en trois ans.

Conclusion

Deux souches actives, l'une davantage que l'autre

Les résultats obtenus au cours de cet essai en conditions d'infestation naturelle sur grands palmiers confirment ceux obtenus au cours des essais menés en cage insect-proof sur des palmiers de taille moyenne (Besse et al., 2012 ; Besse et al., 2013) avec :

– une efficacité annuelle de la souche de Beauveria bassiana 147 de l'ordre de 50 à 60 % ;

– une efficacité annuelle de la souche de Beauveria bassiana NPP111B005 sur les différents stades du charançon rouge comprise entre 80 à 90 %. Dans cette modalité, 79 % des palmiers initiaux sont toujours indemnes de symptômes d'attaques.

Cet essai confirme l'intérêt des souches de Beauveria bassiana et de sa formulation microgranulée dans la mise en œuvre d'une lutte intégrée contre le charançon rouge du palmier.

La souche NPP111B005, qui fait l'objet d'une demande d'AMM, présente une forte efficacité sur ce ravageur.

Elle est un candidat de choix dans les futurs programmes de lutte biologique en zones non agricoles afin de mener une gestion raisonnée des palmiers des espaces verts urbains.

La souche de Beauveria bassiana 147, déjà autorisée et largement utilisée dans la lutte contre le papillon palmivore, listée UAB et Nodu vert, présente une efficacité intermédiaire.

Penser aussi « stratégie mixte »

On peut aussi envisager une stratégie mixte 100 % biologique Beauveria bassiana/nématodes Steinernema carpocapsae.

Ces derniers étant des macro-organismes auxiliaires, ils représentent des outils de biocontrôle qui n'ont pas besoin d'AMM et ne seront donc, eux non plus, pas interdits de par la loi Labbé.

Une telle association Beauveria/Steinernema semble une voie prometteuse afin de tirer parti des forces de chacun de ces produits de bioncontrôle.

Le Point de vue de

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier la municipalité de la ville d'Hyères-les-Palmiers ainsi que l'ensemble du service agriculture - espaces verts participant à cet essai pour leur travail, leur implication dans la lutte quotidienne contre les ravageurs des palmiers et leur soutien dans la recherche de méthodes de lutte alternatives innovantes.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Vu la nuisibilité du charançon rouge du palmier sur les palmiers ornementaux en France, ainsi que l'évolution de la réglementation vers une prohibition des insecticides chimiques par et pour les municipalités et les particuliers, on recherche des solutions anticharançon de type produit UAB/de biocontrôle.

ÉTUDE - Deux souches du champignon Beauveria bassiana, qui s'étaient montrées prometteuses en conditions semi-naturelles, ont été testées sur des palmiers d'alignement dans le sud de la France.

L'une d'elle, la souche 147, l'a été dans le produit Ostrinil (formulation microgranulée autorisée aujourd'hui sur palmier, mais pour l'instant seulement contre le papillon palmivore argentin).

L'autre, la souche NPP111B005, l'a été sous forme de produit expérimental (même type de formulation).

Les deux formulations ont été testées durant trois ans à raison de quatre applications par an, et comparées avec des palmiers témoins (traités au granulé à blanc ou non traités), sur quatre sites urbains différents.

RÉSULTATS - Sur le site non contaminé en début d'essai, les deux formulations ont eu un effet préventif sur la durée de l'essai, alors que des entrées de charançon ont eu lieu (palmiers témoins attaqués).

Sur les trois autres sites, contaminés en début d'essai, l'effet est à la fois curatif sur les palmiers attaqués et pas encore assainis, et préventif sur les autres.

Dans ce contexte, la souche NPP111B005 s'est montrée plus efficace que la souche 147. C'était attendu car la première souche est isolée d'une espèce de coléoptère proche du charançon rouge, et non la souche 147 (isolée de lépidoptère).

MOTS-CLÉS - ZNA (zones non agricoles), bonnes pratiques en ZNA, palmier, Phoenix canariensis, Phoenix dactylifera, charançon rouge Rhynchophorus ferrugineus, produit UAB (utilisable en agriculture biologique), biocontrôle, bioinsecticide, micro-organisme, Beauveria bassiana souche 147, Ostrinil, Beauveria bassiana souche NPP111B005, microgranulés, expérimentation grandeur nature, efficacité préventive, efficacité curative.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *S. BESSE, Natural Plant Protection (NPP). Membre d'Arysta LifeScience. Parc d'activités Pau-Pyrénées. 35, avenue Léon Blum 64000 Pau.

**K. PANCHAUD, Vegetech. 33, chemin de la Source 83260 La Crau.

CONTACT : samantha.besse@arysta.com vegetech.panchaud@wanadoo.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Besse, S. Crabos, L., Panchaud, K. 2013. Le champignon Beauveria bassiana : une solution biologique contre le charançon rouge du palmier. Résultats d'efficacité de deux souches en France et en Espagne. Annales du colloque méditerranéen sur les ravageurs des palmiers. Nice, 16 au 18 janvier 2013. 285-292.

- Besse, S., Crabos, L., Bonhomme, A., Panchaud, K., Coutant, J., Ronco, L. 2012. Palmier, deux outils biologiques testés contre le charançon rouge. Phytoma n° 655, juin-juillet, p. 23-27.

- Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 2009 – Arrêté du 5 juin 2009 relatif à l'utilisation de traitements dans le cadre de la lutte contre [...] Paysandisia archon. Journal officiel de la République française, 17 juin 2009, texte 15 sur 106.

- Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, 2010 - Arrêté du 21 juillet 2010 relatif à la lutte contre Rhynchophorus ferrugineus (Olivier). Journal officiel de la République française, 22 juillet 2010, texte 35.

- Millet-Besse S., Bonhomme A., Panchaud K., 2007. Un champignon au secours des palmiers. Phytoma n° 604, p. 38-42.

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