Le ravageur et sa distribution. Photo 1 - Femelle adulte de Prophantis smaragdina observée à la loupe binoculaire. Carte - En orange, pays explicitement cités comme abritant le ravageur ; en jaune, pays appartenant à une zone citée. ph. M. Chartier
Vie et dégâts du ravageur. 2 : Œufs de la pyrale du café sur fruit vert de café ‘Bourbon pointu'. Photos : M. Chartier
Vie et dégâts du ravageur. 3 : Chenille de la pyrale du café en élevage sur un fruit de café ‘Bourbon pointu'.
Premier parasitoïde... 8 : Chrysalide de pyrale du café (à gauche) dont une larve de tachinaire est sortie pour s'empuper, et pupe de Tachinaire (à droite).
Deuxième parasitoïde. 9 : Pristomerus rivier (Hymenoptera : Ichneumonidae) parasitoïde des larves de la pyrale du café. ph. Rousse et Villemant, 2012
La pyrale du café est le principal ravageur du café à La Réunion. Les dégâts qu'elle occasionne dans les caféières réunionnaises et l'inefficacité des méthodes de lutte en saison pluvieuse ont conduit le Cirad à commencer, en 2012, un projet de recherche visant à mettre au point de nouvelles méthodes de maîtrise des populations, dans une optique de protection intégrée.
Partons à la découverte, d'une part de la situation dans l'île et, d'autre part, du travail entamé.
L'ennemi du Bourbon pointu
Plusieurs noms, un même ravageur
Prophantis smaragdina Butler (1875) (Crambidae : Spilomelinae) est un petit papillon de nuit brun et doré de 9 mm de long et 2 cm d'envergure (ph. 1), dont la partie antérieure des ailes présente des taches nacrées caractéristiques du genre (Guillermet, 2009). Son nom vernaculaire est « pyrale du café », mais on l'appelle aussi « botyde du caféier » ou encore « pyrale des baies du caféier » (« coffee berry moth » en anglais). Cette espèce a été signalée sur caféier à l'est, à l'ouest et au sud du continent africain, ainsi qu'au Yémen, sur les îles de Sao Tomé-et-Principe, de Madagascar, de la Réunion et Maurice (Carte).
À la Réunion depuis 1896
À la Réunion, elle est mentionnée pour la première fois en 1896 par Bordage sous le nom scientifique de Botys coffealis Bordage, puis sous le nom de Thliptoceras octoguttalis Felder par Frappa (1933) et, à l'île Maurice, sous le nom de T. octoguttale Felder par Vinson (1938). Elle est ensuite confondue pendant longtemps avec une espèce proche asiatique, Prophantis octoguttalis Felder & Rogenhofer.
C'est en 2002 puis 2004 que le Cirad de la Réunion fait déterminer des spécimens par M. M. Shaffer puis par le Dr S. G. Robinson, du Natural History Museum de Londres, qui établissent la correspondance entre l'espèce présente à la Réunion et la description faite par Butler de l'espèce P. smaragdina.
Cycle biologique et dégâts sur le café
Les résultats de notre enquête écologique et des travaux antérieurs (Anonyme 1992) montrent que les femelles de la pyrale du café pondent sur les fruits verts, en général 2-3 œufs par fruit disposés de manière isolée, plus rarement par groupes de 2 à 6. Ils sont blanchâtres, circulaires et aplatis, et mesurent environ 1 mm de diamètre (ph. 2).
Les œufs éclosent au bout d'environ 6 jours pour donner des chenilles dont la face ventrale est couleur crème. La face dorsale, rose foncé et gris, est ponctuée de taches noires sur toute la longueur (ph. 3).
Le développement larvaire dure environ 14 jours à l'intérieur du fruit de café. Les chenilles passent par cinq stades larvaires et consomment l'albumen (le grain de café) de plusieurs fruits. Lorsqu'elles passent d'un fruit à l'autre, elles les relient par un réseau de fils de soie.
Les fruits, vidés de leurs grains, jaunissent, noircissent et sèchent sur la branche (ph. 4). Parfois, lorsque le fruit commence à mûrir, les chenilles se nourrissent du mésocarpe (la pulpe du fruit).
Sur les jeunes caféiers ne portant pas encore de fruit, les femelles déposent les œufs à l'extrémité de la tige principale (ph. 5). Les chenilles se développent alors dans le cylindre central de la tige ce qui entraîne un arrêt de la croissance en hauteur et une diminution du nombre de branches fructifères de la plante. Un stade de pré-nymphose d'environ 4 jours précède la nymphose proprement dite. La larve file alors un cocon de soie entre deux feuilles au sol, et se transforme en une chrysalide de 6-7 mm de long (ph. 6). Le papillon adulte en émergera après environ 12 jours.
Le cycle de reproduction est donc de 36 jours environ dans les conditions de la Réunion. La longévité de l'adulte peut pour sa part atteindre 30 jours.
Principal ravageur, du moins à la Réunion
La pyrale du café n'est pas le principal ravageur des caféiers d'Afrique, bien que certaines études fassent état de taux d'infestation atteignant jusqu'à 80% des parcelles et infligeant des pertes importantes de rendement au Kenya, en Ethiopie ou en Côte d'Ivoire (Ndugo & Ndoiru, 1999 ; Mendesil & Tesfaye, 2009 ; Decazy et al., 1985). Elle est par contre la principale cause de baisse de rendement sur le Bourbon pointu à la Réunion et ce, malgré un suivi précis des attaques et un plan phytosanitaire bien établi.
Méthodes de lutte disponibles
Bio-insecticide efficace mais pas utilisable en toute saison
À la Réunion, le traitement conseillé aux agriculteurs de la Coopérative Bourbon pointu consiste en la pulvérisation d'une solution contenant la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt), un pesticide biologique (bio-insecticide) très largement utilisé dans la lutte contre de nombreuses espèces de lépidoptères (Bernhard et al., 1997).
Cette bactérie produit une toxine mortelle pour les chenilles après ingestion. La pulvérisation doit être suivie de quatre jours sans pluie, temps pendant lequel la plupart des larves passent d'un fruit à un autre, et entrent ainsi en contact avec la solution de Bt. Une deuxième application est effectuée un mois après la première.
Ce traitement est efficace si l'attaque est détectée au bon moment et lorsque les conditions météorologiques sont favorables.
L'utilisation du Bt n'est donc pas suffisante à la Réunion de décembre à avril, période où les pluies sont fréquentes et la pyrale est la plus active.
Les pyréthrinoïdes et leurs limites
En cas d'échec du traitement au Bt, un insecticide conventionnel de la famille des pyréthrinoïdes est appliqué sur les cultures. À noter qu'en Afrique, l'utilisation de tels pesticides est souvent recommandée (Waller et al., 2007, site internet de la Fondation kenyane pour la recherche sur le café). Il est ainsi préconisé de traiter une première fois au début de l'infection, puis après 5-6 semaines.
Outre leurs inconvénients bien connus, ces insecticides conventionnels n'affectent pas les chenilles qui sont à l'intérieur des fruits et n'ont qu'une durée d'action limitée sur les adultes.
Collecte des fruits touchés, coûteuse et difficile
Enfin, il est également possible de collecter puis enfouir ou brûler les fruits attaqués. Cette méthode « physique » et même manuelle est cependant coûteuse en main-d'œuvre et difficile à pratiquer.
À la recherche de nouveaux outils
La quête de parasitoïdes
Des parasitoïdes naturels de la pyrale du café ont été recensés au Kénya (Ndungi, 1994). Il s'agit de petits hyménoptères pondant dans les chenilles et dont les cocons sont retrouvés à côté des cadavres : Apanteles coffea, Cractonema sp., Macrocentrus sp. (Braconidae) et Pristomerus sp. (Ichneumonidae).
Une autre espèce, Phanerotoma sp. (Braconidae), pond dans les œufs et les adultes émergent des larves de la pyrale.
En 2012, des larves de la pyrale ont été prélevées dans des fruits infectés ; elles ont été élevées jusqu'au stade adulte au Cirad, selon un protocole inspiré de celui décrit par Ndugo et Ndoiru (1999).
Résultat : plusieurs espèces à la Réunion
Des parasites naturels de la pyrale du café ont ainsi été recensés. D'une part, Cadurcia borbonensis Villeneuve, 1926, ainsi que deux autres taxons non identifiés à ce jour, sont des diptères de la famille des Tachinidae (ph. 7). Leurs larves se développent dans la chenille de la pyrale, puis dans la chrysalide dont elles sortent en perçant la cuticule (ph. 8). Des pupes cylindriques de 5 mm de long se forment alors en quelques heures (ph. 8). Les adultes émergent après environ 13 jours. Le taux de parasitisme évalué sur 400 chenilles est 4,2 %.
D'autre part, Pristomerus rivier Rousse & Villemant, 2012 est un hyménoptère de la famille des Ichneumonidae (ph. 9 p. 46) dont la larve sort de la chenille de pyrale au stade de pré-nymphe avant de former un cocon de 6 mm de long (ph. 10, p. 46). Elle effectue la nymphose pendant 9 à 14 jours, à la place qui était réservée à la chrysalide de la pyrale. Le taux de parasitisme observé lors de notre échantillonnage s'est avéré très faible (0,7 %).
Identification de la phéromone sexuelle de la pyrale, première étape vers son utilisation dans le cadre d'une lutte intégrée
Un travail de recherche a été initié en 2012 par le Cirad à la Réunion, en collaboration avec l'INRA de Versailles dans le but d'identifier et d'utiliser la phéromone sexuelle de la pyrale pour, à terme, mieux gérer ses populations (Encadré 2 ci-dessous). La première étape de ce travail a permis de démontrer que les femelles de P. smaragdina produisent une phéromone sexuelle qui induit chez le mâle un déplacement orienté et un comportement de cour sophistiqué (Chartier et al., in prep.).
Les femelles attirent les mâles à l'aide de cette phéromone émise par une petite glande située, comme chez la plupart des lépidoptères nocturnes, à l'extrémité de leur abdomen (ph. 11). L'accouplement intervient ensuite, environ 6 h 30 après la tombée de la nuit (ph. 12).
La connaissance fine de l'heure d'appel des femelles nous permet de prélever la phéromone femelle au moment où elle est biosynthétisée, afin de l'analyser. Une fois la composition du mélange phéromonal identifiée, et s'il n'est pas trop cher à synthétiser, le comportement d'attraction et d'atterrissage des mâles sera étudié en préalable à la conception d'un système de piégeage spécifique de la pyrale.
<p>Remerciements : À Pascal Rousse et Pierfilippo Cerretti pour les identifications de parasitoïdes. À Richard Tibère et aux employés de la coopérative Bourbon pointu pour leurs conseils et leur aide lors de la récolte et l'élevage des pyrales. À Josian Corré pour avoir permis la récolte de chenilles sur sa parcelle. À Antoine Franck pour les retouches photographiques et les montages de tachinaires.</p>
1 - Les variétés de café Bourbon et Bourbon pointu à la Réunion
La culture du café à la Réunion a débuté au début du XVIIIe siècle. À cette époque, l'île est appelée « Ile de Bourbon » et, sous l'impulsion de la Compagnie des Indes, 60 pieds de Coffea arabica L. sont ramenés du Yémen le 25 septembre 1715. Un seul pied survivra, à l'origine de la culture du café Bourbon pendant un siècle. La culture du café décline à la Réunion au début du XIXe siècle, à cause de la concurrence des Antilles et de l'essor de la culture de la canne à sucre. Mais l'histoire du café à la Réunion n'est pas terminée…
Le « Bourbon pointu », variété issue d'une mutation du café Bourbon, a été découvert à la Réunion à la fin du XVIIIe siècle par Monsieur Le Roy (on parle aussi de café Leroy) dans une pépinière de semis. Il est adopté par les agriculteurs au début du XIXe siècle pour sa meilleure adaptation à la fraîcheur de l'altitude, où la culture est repoussée du fait de l'implantation de la canne à sucre.
Un port en sapin de Noël (photo) et des feuilles et entre-nœuds plus petits que ceux du café Bourbon caractérisent cette variété, ainsi qu'un taux de caféine plus faible et, enfin et surtout, ses flaveurs qui lui donnent sa grande valeur.
Des parcelles expérimentales de cultures ont été installées à la Réunion en 2002, et une filière de production de café haut de gamme mise en place. En 2007, ce café a reçu la rare distinction de « Café Premium ». La production est totalement vendue chaque année à un prix pouvant atteindre 50 € le kilo, notamment au Japon, en Europe et en Amérique du Nord.
2- Les phéromones de lépidoptères, un outil pour la protection intégrée
Un moyen de réduire voire remplacer les insecticides, est d'utiliser la phéromone sexuelle de l'espèce cible. Chez de nombreuses espèces de papillons nocturnes, les femelles produisent une odeur pour attirer les mâles à distance. Cette odeur favorise la rencontre des sexes et induit le comportement sexuel chez des individus appartenant à la même espèce : on parle de phéromone sexuelle.
À une heure bien déterminée, les femelles prennent une position caractéristique dite « d'appel », exposant une glande qui produit la phéromone.
Les mâles reçoivent le signal grâce à des récepteurs spécifiques situés sur les antennes. Ils localisent les femelles et effectuent une parade nuptiale plus ou moins sophistiquée suivant les espèces (Frérot, 2005).
Les phéromones de lépidoptères sont en général constituées d'un mélange de quelques composés qui sont des chaînes carbonées simples plus ou moins longues, portant une fonction et une ou deux doubles liaisons (voir les exemples recensés dans la base de données Phérobase.com).
Connaître la composition de la phéromone sexuelle et le comportement de cour d'une espèce permet de créer des pièges pour capturer les mâles.
Avec une faible densité de pièges, ces captures servent à surveiller l'évolution des populations du ravageur dans les cultures pour optimiser les traitements.
Avec une forte densité de pièges (piégeage de masse), on peut réduire l'effectif des populations.
Une troisième utilisation est la diffusion dans les cultures et en grande quantité d'un mélange de synthèse identique ou voisin de la phéromone naturelle dans le but d'empêcher les mâles de localiser les femelles. C'est la confusion sexuelle (Frérot, 2005).