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Une première en Avignon : Les JÉR, Journées d'échanges sur les résistances

RÉSEAU R4P* - Phytoma - n°670 - janvier 2014 - page 7

Autour des résistances aux produits de protection des plantes, un dialogue entre recherche et « terrain ».
Avignon 2013... Une assistance attentive et réactive. Deux tiers de professionnels de terrain, et des scientifiques. Photo : R4P

Avignon 2013... Une assistance attentive et réactive. Deux tiers de professionnels de terrain, et des scientifiques. Photo : R4P

Pour le professionnel du conseil à l'utilisation de produits de protection des plantes, il n'est pas toujours évident d'accéder aux connaissances scientifiques sur les résistances à ces produits (cas de résistance, mécanismes d'évolution, stratégies de gestion de résistances...). Pour le scientifique, il n'est pas toujours facile d'avoir une vue actualisée de la situation au champ (problèmes émergents, questions que se posent les professionnels...).

La solution ? Les JÉR, dont le but est de permettre un dialogue direct entre recherche et « terrain » !

Les JÉR : pour quoi faire ?

Le contexte pousse à s'occuper des résistances

La baisse de la diversité des produits de protection des plantes (PPP) disponibles est liée à la réglementation européenne et à la volonté de réduire l'emploi des PPP (plan Ecophyto) contre les bioagresseurs (pathogènes, ravageurs, adventices). Conjuguée à la montée des cas de résistance sur le terrain, elle crée un contexte difficile pour la protection des cultures.

Dans l'attente de nouvelles méthodes de lutte alternatives et/ou complémentaires aux PPP, les professionnels sont demandeurs d'informations pouvant les aider à définir des stratégies de contrôle. De son côté, la recherche génère ce type d'informations mais a peu d'occasions d'échanges directs avec le « terrain ». Il semble donc logique de faire interagir directement les chercheurs travaillant sur les résistances (Inra) et les acteurs de l'épidémiovigilance (DGAL, Anses) avec les professionnels.

Ceci a conduit R4P, le Réseau de réflexions et de recherches sur les résistances aux PPP, à tenter l'expérience des Journées d'échanges sur les résistances (JÉR), destinées aux professionnels impliqués dans le conseil à l'utilisation des PPP.

La 1re édition des JÉR a rassemblé une centaine de personnes à l'université d'Avignon les 21 et 22 octobre 2013 (photo). Conseillers agricoles, techniciens/responsables de plateformes d'expérimentations, animateurs de réseau et agriculteurs représentaient plus des deux tiers des participants. Le restant se composait de scientifiques de la DGAL, de l'Anses et de l'Inra.

L'origine géographique variée des participants (venus de 26 départements) montre que le sujet est d'intérêt national. Voire international : certains venaient de Belgique ou du Québec !

Un programme fourni, du temps pour discuter

Les JÉR ont balayé les différentes facettes des résistances aux PPP sur la base d'exposés d'une vingtaine de minutes effectués par les scientifiques de R4P (Encadré 1) et trois experts invités. Chaque exposé était suivi d'une bonne dizaine de minutes de discussion avec l'assistance.

Les deux journées se sont clôturées par un débat- conclusion qui a repris les interrogations exprimées par le public de professionnels et tenté d'y apporter des éléments de réponse.

Trois sessions bien remplies

Généralités sur les résistances

La première session a permis de remettre en mémoire quelques concepts de base sur les résistances (comment ça marche ?). Il a été notamment rappelé qu'un PPP ne fabrique pas de résistance : il révèle les individus résistants qui sont déjà présents en très faibles fréquences dans les parcelles.

Le danger des résistances non liées à la cible, qui peuvent conférer des résistances imprévisibles à des substances ayant des modes d'action différents, a aussi été souligné.

La session a ensuite traité des outils de diagnostic des résistances (tests biologiques, tests ADN...) pour se terminer par un point sur la réglementation en matière de risque de résistance avant et après l'autorisation de mise sur le marché (AMM) et sur l'organisation du suivi réglementaire des résistances dans le cadre du plan Ecophyto. Les discussions ont particulièrement concerné les critères d'autorisation des PPP, l'organisation de la surveillance des résistances sur le territoire national et la diffusion des résultats.

Le manque de moyens dédiés par l'État aux thématiques concernant les résistances aux PPP a été souligné : l'Inra et l'Anses peuvent intervenir sur un petit nombre de situations, mais ne sont actuellement pas en mesure de réaliser une surveillance à grande échelle.

Résistance en France : point de situation

Une seconde session a rappelé les modes d'action des principaux fongicides, insecticides et herbicides. Un état des lieux des cas de résistance démontrés et publiés a été établi.

Les grandes tendances actuelles de la résistance sont :

– en fongicides, l'émergence de résistances spécifiques aux SDHIs et de résistances de type multidrogues (dites « MDR ») ;

– en herbicides, la multiplication des nouveaux cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS, notamment chez les dicotylédones ;

– en insecticides, la multiplication des cas de résistance aux pyréthrinoïdes et l'émergence de résistance aux néonicotinoïdes ainsi qu'à certains nouveaux modes d'action tels que le virus de la granulose.

La discussion a souligné la nécessité pour le préconisateur de disposer d'une information claire et uniformisée sur les modes d'action des substances (sur les étiquettes, par exemple).

La résistance : inéluctable, mais...

La dernière session a concerné la réduction des risques de sélection de résistances : si la résistance est quasi inéluctable, il est possible de ralentir son évolution. C'est un point crucial, car peu de nouvelles substances ayant de nouveaux modes d'action seront commercialisées dans la décennie à venir, tandis que des substances anciennes sont régulièrement retirées du marché : le portefeuille de modes d'action se réduit.

Plusieurs stratégies d'emploi des PPP ont été décrites pour réduire les risques de sélection de résistance (mélange, alternance, mosaïque : Tableau 1). On peut les résumer en deux mots : diversité et efficacité (Encadré 2).

La discussion a montré que les praticiens sont bien conscients du risque de résistance. Pourtant, malgré l'ampleur des pertes et des difficultés que peut générer la présence de résistances, les pratiques préventives sont encore trop rarement mises en œuvre car, soit jugées trop contraignantes, soit potentiellement conflictuelles avec Ecophyto (recherche d'efficacité maximale, emploi de PPP à dose pleine et non réduite...).

Enfin, il n'existe pas de solution « passe-partout » ou de stratégie générique pour limiter le risque de résistance : il faut développer des stratégies au cas par cas, en fonction du bioagresseur et des techniques de lutte disponibles (PPP et complémentaires). Cette session s'est conclue par :

– un bilan de la gestion des résistances aux fongicides chez Botrytis en Champagne (nombre de traitements limité globalement et par mode d'action, bon positionnement, méthodes de lutte complémentaires, par ML Panon, CIVC)... ça marche !

– les promesses d'une méthode physique contre le carpocapse (Alt'Carpo, par G. Sévérac de la CA PACA)... ça marche aussi !

– un descriptif des techniques non chimiques de désherbage pour prévenir ou gérer les résistances (J.-P. Guillemin, Agro-Sup Dijon)... ça marche !

Et maintenant ?

Des pistes pour la recherche

Les JÉR 2013 se sont déroulées sous le signe de la communication. Émaillées de discussions très riches, elles ont permis d'identifier des questions d'importance pour les professionnels :

– la prédiction de l'évolution des résistances,

– le lien entre efficacité d'application et risque de résistance (notamment la question des réductions de doses et leur effet sur l'efficacité des applications donc le risque de sélection de résistances),

– le ciblage des applications (comment appliquer la bonne dose au bon moment ?),

– la possibilité de définir des « seuils de résistance » acceptables sur le modèle des seuils de nuisibilité agronomique,

– les apports à attendre de la modélisation pour améliorer la gestion des PPP.

Une partie de ces questions est déjà abordée par les scientifiques de R4P : les orientations de la recherche se voient donc validées par le « terrain ».

Expérience inédite, appréciée, à renouveler

L'objectif des JÉR 2013, qui était d'instaurer un dialogue entre communauté scientifique et techniciens, a été atteint. Pour les membres de R4P, les JÉR 2013 ont été l'occasion de confronter leurs connaissances aux attentes du « terrain », et de valider leurs orientations de recherche.

Pour les professionnels, qui ont rarement l'occasion de rencontrer des scientifiques, ces échanges ont été source de satisfaction (un taux global de satisfaction de 92 % a été enregistré dans les questionnaires distribués à l'issue de ces JÉR). Nombre de ces professionnels ont réalisé que, malgré des moyens limités sur cette thématique, R4P est un interlocuteur vers lequel ils peuvent se tourner en cas de problème de résistance aux PPP. Le succès rencontré par ces JÉR et la demande de l'assistance ont motivé R4P pour rééditer l'expérience.

Tableau 1 : Stratégies « chimiques » permettant de réduire le risque de sélection de résistances, ou « Mieux vaut prévenir... »

Pour être pleinement efficaces, ces stratégies doivent être mises en œuvre en prévention de la résistance (et non pour gérer une résistance). Ces stratégies sont d'autant plus efficaces qu'elles sont couplées à des techniques de contrôle complémentaires des bioagresseurs (prophylaxie, utilisation de résistance variétale, méthodes de lutte non chimiques...) dans le cadre d'une lutte intégrée.

1 - R4P, Réseau de Réflexion et de Recherches sur les Résistances aux Produits de protection des plantes

Les membres de R4P, de gauche à droite : Danièle Debieu (Inra Grignon, fongicides), Jacques Grosman (DGAL Lyon, expert Vigne), Myriam Siegwart (Inra Avignon, insecticides), Annie Micoud (Anses- RPP Lyon, fongicides, herbicides, insecticides), Marie-France Corio- Costet (Inra Bordeaux, fongicides), Anne-Sophie Walker (Inra Grignon, fongicides, animatrice de R4P), Sabine Fillinger (Inra Grignon, fongicides) et Christophe Délye (Inra Dijon, herbicides, coanimateur de R4P). Photo : R4P

Les membres de R4P, de gauche à droite : Danièle Debieu (Inra Grignon, fongicides), Jacques Grosman (DGAL Lyon, expert Vigne), Myriam Siegwart (Inra Avignon, insecticides), Annie Micoud (Anses- RPP Lyon, fongicides, herbicides, insecticides), Marie-France Corio- Costet (Inra Bordeaux, fongicides), Anne-Sophie Walker (Inra Grignon, fongicides, animatrice de R4P), Sabine Fillinger (Inra Grignon, fongicides) et Christophe Délye (Inra Dijon, herbicides, coanimateur de R4P). Photo : R4P

R4P est un regroupement de scientifiques des organismes publics travaillant sur les résistances.

Objectifs de R4P :

• Décloisonner la recherche publique sur les résistances aux PPP et orienter son organisation.

• Favoriser une approche intégrative des résistances en vue de leur prédiction et d'une gestion durable des PPP. Développer des projets de recherche dans cet objectif.

• Entretenir l'expertise publique sur les PPP et répondre aux sollicitations de la profession.

• Partager les méthodologies. Favoriser les transferts recherche-profession.

2 - Réduire les risques de sélection de résistances : les grands principes

Diversité

1. Dans la rotation (si possible).

2. Dans les pratiques de contrôle (prophylaxie, méthodes non chimiques).

3. Dans les modes d'action de PPP.

Utiliser les PPP après les méthodes de lutte non chimiques (pour « finir le travail »).

Efficacité

1. Empêcher les bioagresseurs de proliférer (employer tous les moyens).

2. Quand on applique des PPP :

– respecter les doses,

– combiner avec des pratiques non chimiques.

Prévenir vaut mieux que guérir.

Le Point de vue de

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier les partenaires ayant permis la tenue des JÉR 2013 : Ecophyto, la Chambre régionale d'agriculture PACA, la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), l'Inra (méta-programme SMaCH), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), la Direction générale de l'alimentation (DGAL), l'université d'Avignon et des Pays du Vaucluse, et le Pôle risques.

RÉSUMÉ

DÉCOR - Les Journées d'échanges sur les résistances (JÉR) 2013 ont regroupé les chercheurs et experts d'organismes officiels (Inra, Anses, DGAL) et les professionnels impliqués dans le conseil à l'utilisation des produits de protection des plantes.

PROGRAMME - Elles ont été l'occasion d'échanges mutuellement enrichissants autour de la résistance, des aspects fondamentaux (« mécanique » de la résistance) aux plus appliqués (comment prévenir ou gérer les résistances en pratique ? Quels sont les leviers d'action ?) et d'un panorama des cas de résistance en France.

DIALOGUE - Les JÉR ont permis aux scientifiques de confronter la science à la réalité du terrain, et aux professionnels d'actualiser leurs connaissances sur les résistances et les stratégies de prévention de celles-ci, et d'échanger sur leurs problématiques quotidiennes.

MOTS-CLÉS - Résistance, fongicide, herbicide, insecticide, prévention, gestion, dialogue, recherche, profession.

SUMMARY

WORLD PREMIERE - The Journées d'échanges sur les résistances (JÉR – Days to Discuss Resistances) 2013 brought together researchers and experts from the official organisms (Inra, Anses, DGAL) and professionals involved in advising on the use of plant protection products. JÉR were an exciting opportunity for mutually enriching exchanges about the multiple aspects of resistance, ranging from the fundamentals (the « mechanics » of resistance) to the applied aspects (how to prevent or manage resistance in practice ? What are the possible ways of action ?). They also included an overview of resistance issues in France. For the scientists, the JÉR have been an opportunity to confront science to field reality. For the professionals, they allowed an update of their knowledge of resistance and of resistance prevention strategies, and provided the opportunity to discuss the issues they are facing daily.

KEY WORDS - Resistance, fungicide, herbicide, insecticide, proactive management, reactive management, discussion, research, field.

POUR EN SAVOIR PLUS

*AUTEURS : *RÉSEAU R4P, Inra, Anses, DGAL. Voir Encadré 1.

CONTACT : contact-r4p@listes.inra.fr

LIENS UTILES : Voir Tableau 1.

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85