Expérimentation

Un nouveau moyen de protection pour plaies de taille, résultats sur vigne

VALÉRIE MAYET* ET PASCAL LECOMTE* - Phytoma - n°671 - février 2014 - page 12

Lancé sur ligneux d'ornement et vigne, il a été testé sur celle-ci pour son effet contre deux principaux champignons liés aux maladies du bois, Eutypa lata et Phaeomoniella chlamydospora.
Plaie de taille de vigne protégée avec Phytopast® V, aspect en novembre 2013, soit 9 mois après le badigeonnage du produit en février 2013. Photo : P. Lecomte - Inra

Plaie de taille de vigne protégée avec Phytopast® V, aspect en novembre 2013, soit 9 mois après le badigeonnage du produit en février 2013. Photo : P. Lecomte - Inra

Une nouvelle résine pour protéger les plaies de taille vient d'être autorisée sur vigne contre l'eutypiose en même temps que sur arbres et arbustes d'ornement contre « maladies diverses ». L'Inra avait réalisé des essais avant l'autorisation sur vigne. En voici les résultats.

Ce qu'est ce nouveau produit

Un mastic supplémenté

Il s'agit d'un nouveau mastic protecteur formulé par la société Protecta, récemment autorisé sur le marché (AMM n° 2130178(1)). Nommé Phytopast® V, il est l'évolution du Phytopast ® G, lequel est un mastic souple qui se solidifie en séchant sans craqueler et qui agit par un effet de barrière.

Comme son aîné, le nouveau produit est essentiellement constitué de résines et d'huile végétale, mais supplémentées par deux substances fongicides, le cyproconazole (0,2 %) et le thiophanate-méthyl (0,19 %), pour renforcer son effet de protection.

Recommandations d'emploi

Ce mastic doit être appliqué soigneusement au pinceau (photo) et en quantité suffisante pour bien recouvrir les plaies et éviter des petites cavités. Il est préférable de l'appliquer par beau temps, au moins le temps du séchage.

Il est conseillé d'éviter les tailles rases et, au contraire, de laisser un chicot suffisamment long (taille adaptée à celle de la plaie). Ce chicot se dessèchera et ne grossira pas ou peu avec le temps, limitant le craquellement du produit. Les tissus sous-jacents cicatriseront mieux, ce qui évite un trop rapide développement naturel de nécroses (Lecomte et al., 2008).

À noter : ce nouveau mastic n'est pas phytotoxique. Il est l'égal de nombreux autres produits équivalents diffusés de par le monde comme le Garrison. Son potentiel de protection a été évalué par l'UMR SAVE 1065 (Inra-Bordeaux sciences agro) sur le Centre Inra de Bordeaux, d'abord au laboratoire puis en enceinte climatisée et au vignoble.

L'étape du laboratoire

Effets sur la croissance testés sur six champignons, germination des spores sur deux d'entre eux

L'effet de l'association des deux matières actives fongicides a été évalué sur la croissance de six champignons lignicoles, soit :

Eutypa lata, principal agent responsable de l'eutypiose, également parfois présent dans des nécroses d'esca ;

Phaeomoniella chlamydospora (Pch), Phaeoacremonium aleophilum, Fomitiporia punctata, trois champignons les plus souvent associés au syndrome de l'esca ;

Diplodia seriata et Neofusiccocum parvum, associés aux dépérissements à Botryosphaeria et aussi très fréquents dans les nécroses d'esca.

Les isolats utilisés sont des champignons de référence dans notre collection.

L'effet sur la germination des spores n'a été testé qu'avec Eutypa lata et P. chlamydospora. Il s'agit des deux principaux pathogènes détectables en hiver dans les tissus des plaies de taille récentes.

Une méthodologie classique

Le principe de l'étude est classique. Les produits sont dilués extemporanément dans de l'eau stérile, le mélange est incorporé dans un milieu de culture malt-agar en surfusion en boîtes de Petri. Puis, après la prise en masse, c'est l'inoculation : les champignons sont inoculés sur les boîtes de culture sous forme de pastilles de mycélium ou de spores en suspension. Enfin, c'est l'observation, après incubation, du développement des mycéliums ou de la germination.

Résultats obtenus : un potentiel prometteur

Les résultats obtenus sont simples : avec de telles concentrations en matières actives, l'association a inhibé complètement le développement mycélien ainsi que la germination des champignons étudiés.

Cette association a donc manifesté un excellent potentiel de contrôle. Ceci confirme des travaux antérieurs réalisés au sein du laboratoire dirigé alors par B. Dubos.

Mais établir qu'un produit est actif in vitro, dans le verre des boîtes de culture, ne garantit pas qu'il sera efficace in planta, c'est-à-dire sur les plantes ! Cela indique simplement qu'il vaut la peine de le tester sur ces plantes...

Sur vigne, en enceinte climatisée puis au vignoble

Principes communs aux tests in planta

Aussi, après incorporation des matières actives au produit de base, l'aptitude à la protection du Phytopast V a été testée en conditions artificielles d'infection sur jeunes sarments de vigne, toujours sur les deux principaux parasites hivernaux des plaies de taille : Eutypa lata et P. chlamydospora (Pch). Le produit a été testé en préventif avant inoculation, et en curatif après.

L'efficacité a été jugée en fonction du nombre de plaies de taille permettant l'isolement d'au moins une colonie des champignons inoculés et par comparaison à un témoin non protégé. Le produit de référence est le Phytopast G (référence des essais menés par l'Inra à Bordeaux depuis le retrait de l'Escudo).

Enceinte climatisée pour deux pathogènes, vignoble ensuite pour un seul

L'expérimentation a été effectuée sur cépage sensible, le cabernet-sauvignon, à l'aide de suspensions de spores préparées au laboratoire et déposées sur des plaies récentes de taille (25 à 26 sarments par modalité en répétitions de 8 à 9 sarments, 150 à 200 spores déposées par blessure pour E. lata, 2 500 pour P. chlamydospora). Elle comprend trois essais :

– deux en chambre (enceinte) climatisée sur les effets préventif et curatif (4 heures avant et après contamination) contre les deux champignons, avec une procédure rapide d'évaluation (deux mois), pour vérifier si le potentiel in vitro se confirme in planta.

– puis un essai au vignoble (préventif et curatif 24 heures avant et après contamination, évaluation après d'un an d'incubation) selon une méthode standard internationale, sur E. lata seulement.

Les procédures, détaillées dans la méthode CEB 155 (révisée en 2006), ont été également décrites par Lecomte et al. en 2004. Les ascospores d'E. lata proviennent de périthèces (identité vérifiée par PCR) et les conidies de Pch d'un isolat de référence cultivé sur milieu. Les résultats sont analysés avec StaboxPro 5.0.

Contre E. lata, efficace en préventif et prometteur en curatif

Contre E. lata, tous les tests effectués en préventif montrent que ce produit peut assurer une protection préventive maximale (Figure 1).

En revanche l'effet curatif est inférieur, les substances actives ne pouvant probablement pas beaucoup migrer en profondeur. Mais l'effet curatif affiché jusqu'à 24 heures après inoculation au vignoble (Figure 1) est éloquent. Il tend à montrer que ce produit pourrait contrôler le développement de spores n'ayant pas encore pénétré profondément dans les vaisseaux et/ou inhiber le développement de mycéliums issus de poussières ou débris de bois porteurs de champignons et déposés par les outils de taille (ex. : scies de type égoïne).

Certes ce résultat ne permet pas encore de revendiquer un effet curatif sur eutypiose. Il faudra le vérifier dans d'autres conditions expérimentales et sur un délai plus long entre infection et traitement.

Résultats sur P. chlamydospora

Avec P. chlamydospora, aucun effet curatif n'a été observé dans le seul test réalisé, celui en enceinte climatisée. Le nombre plus important de spores déposées ou la taille plus petite de ces spores pourraient expliquer ce résultat.

Conclusions

Préventif eutypiose acquis, des espoirs par ailleurs

Le mastic, utilisé seul dans Phytopast G, assurait déjà un très haut niveau de protection (barrière physique). En effet, il est utilisé, depuis 2009, comme produit de référence pour les essais menés au vignoble avec une efficacité préventive moyenne de 96 % pour E. lata (9 essais : 93 à 100 % d'efficacité) et de 81 % pour Pch (9 essais aussi : 63 à 100 % d'efficacité). L'ajout de substances actives au Phytopast G dans le Phytopast V peut représenter l'assurance de contribuer à un effet curatif non négligeable... Attention, seulement vis-à-vis d'E. lata selon cette étude, et seulement quelques heures après la contamination et en l'absence de migration profonde !

Un réel potentiel à mettre à l'épreuve dans des essais de longue durée

Le travail réalisé tant au vignoble qu'en enceinte climatisée a largement confirmé le potentiel exprimé in vitro dans l'étude précédente par Phytopast V. Ce produit a un intérêt manifeste pour réduire les possibilités d'installation hivernale d'E. lata et P. chlamydospora. Il est recommandé par ailleurs pour les opérations de recépage et regreffage (ou surgreffage).

Bien entendu, il conviendra de compléter cette étude par des tests pour évaluer la durée de protection avec divers champignons associés aux maladies du bois. Il serait très utile de mettre en place une expérimentation de longue durée comme celle réalisée il y a quelques années dans les Charentes (Boureau, 2007 ; Dumot et al., 2012), d'une part pour confirmer l'intérêt pratique de cette méthode de lutte, d'autre part pour mieux préciser les limites, déjà citées ailleurs (Lecomte, 2009), de la protection des plaies de taille de façon générale.

<p>(1) Autorisations : « Vigne*Trait. Parties aériennes*Eutypiose » et « Arbres et arbustes d'ornement*Trait. Parties aériennes*Maladies diverses ».</p>

Fig. 1 : Efficacité sur vigne, synthèse de trois essais

Au vignoble sur E. lata, les deux traitements Phytopast V (préventif et curatif 24 h) sont statistiquement équivalents entre eux et avec la référence Phytopast G en préventif.

En enceinte, Phytopast V est équivalent à la référence sur E. lata en préventif, pas en curatif ; sur Pch, Phytopast V n'a agi qu'en préventif.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La taille des végétaux ligneux entraîne des risques de contamination par des champignons agents de maladies du bois et infectant les plantes via les plaies de taille.

C'est le cas pour la vigne avec Eutypa lata et Phaeomoniella chlamydospora, principaux agents de maladies du bois (eutypiose et esca) détectables en hiver dans les plaies de taille récentes. Un mastic à appliquer sur les plaies de taille existe déjà (Phytopast G), mais son action de barrière physique n'est pas efficace vis-à-vis de champignons ayant infesté la plaie de taille en surface avant l'application du mastic.

ÉTUDE IN VITRO - Deux substances fongicides testées au laboratoire (in vitro) se sont montrées efficaces contre la croissance de six champignons liés aux maladies du bois et contre la germination des spores d'E. lata et P. chlamydospora (les deux seuls sur lesquels on a testé ces substances). Il s'agit du cyproconazole et du thiophanate-méthyl.

ÉTUDE IN VIVO - Ces deux substances ont été incorporées au mastic et testées en enceinte climatique sur E. lata et P. chlamydospora, puis au vignoble sur E. lata.

Ce nouveau mastic, nommé Phytopast V, a montré une excellente efficacité préventive vis-à-vis de ces deux pathogènes du bois. Il a également montré une activité curative dans les 24 heures suivant la contamination, mais sur E. lata seulement. Concernant P. chlamydospora, les résultats suggèrent de réaliser de nouvelles études.

MOTS-CLÉS - Vigne, maladies du bois, eutypiose Eutypa lata, esca Phaeomoniella chlamydospora, plaies de taille, mastic, Phytopast G, résines, huiles végétales, cyproconazole, thiophanate-méthyl, Phytopast V.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *V. MAYET ET *P. LECOMTE, Inra, UMR 1065 SAVE (Santé & agroécologie du vignoble) - Centre de recherches Bordeaux-Aquitaine - Institut des Sciences de la vigne et du vin, 71, avenue Édouard Bourleaux - CS 20032 - 33882 Villenave-d'Ornon Cedex.

CONTACT : lecomte@bordeaux.inra.fr

LIEN UTILE : http://www6.bordeaux-aquitaine.inra.fr/sante-agroecologie-vignoble/

BIBLIOGRAPHIE : - Boureau, 2007. Incidence des pratiques viticoles sur les maladies du bois. BNIC, Journée technique de la station viticole, 6 septembre 2007, 109-115.

- Dumot & al., 2012. Protection of pruning wounds against the trunk diseases : results of a long-term experimentation. Phytopathol. medit. 51, 451-452.

- Lecomte P. et al., 2004. Protection fongicide des plaies de taille : intérêt et limites pour le contrôle des maladies du bois. Résultats d'essais de pulvérisation. Progrès agricole et viticole 121 (4) : 79-85.

- Lecomte P. et al., 2008a. (I) Eutypiose et Esca - Éléments de réflexion pour mieux appréhender ces phénomènes de dépérissement.

- Lecomte P. et al., 2008b. (II) Esca de la vigne - Vers une gestion raisonnée des maladies de dépérissement. Phytoma - LDV 615 : 43-48 et 616 : 37-41.

- Lecomte P., 2009. Lutte contre l'esca. Actualités et solutions pour le futur. Union girondine des vins de bordeaux 1057 : 48-53.

L'essentiel de l'offre

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