Interview

Entretien avec Eugénia Pommaret, directrice de l'UIPP à propos de produits phytos

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIANNE DECOIN* - Phytoma - n°672 - mars 2014 - page 10

Future loi française, règlement européen, Ecophyto et bonnes pratiques, lutte contre les contrefaçons... Des enjeux prioritaires.
« Il faut un cadre réglementaire français stable, lisible et cohérent avec le cadre européen. » Eugénia Pommaret. Photo : UIPP

« Il faut un cadre réglementaire français stable, lisible et cohérent avec le cadre européen. » Eugénia Pommaret. Photo : UIPP

Depuis novembre 2013, Eugénia Pommaret dirige l'UIPP, Union des industries de la protection des plantes. Comment oriente-t-elle le travail de cette union de 21 entreprises représentant l'essentiel du marché français des produits phytopharmaceutiques ? Réponses.

Projet de loi d'avenir

Phytoma - Vous êtes devenue directrice de l'UIPP en pleine discussion sur le projet de loi d'avenir agricole. Quelles positions défendez-vous ?

Eugénia Pommaret – À la suite de mon prédécesseur, Jean-Charles Bocquet, je travaille à ce que les articles sur la protection des plantes favorisent une agriculture productive respectueuse de l'environnement.

Ainsi, nous voulons pouvoir continuer à informer largement nos clients. Or l'article 21 interdisant la publicité sauf dans les points de distribution et, dernière version en date, les « publications des médias professionnels agricoles » est trop restrictif.

Mais il ne vise que la publicité commerciale ?

Le texte actuel est ambigu. Les notices techniques des produits sont-elles de la publicité ? Et les FDS, fiches de données de sécurité des produits ? Voire e-phy, le site du ministère ? Nos sites internet, professionnels mais libres d'accès, sont-ils des « publications de médias professionnels agricoles » ?

L'interdiction épargne les produits de biocontrôle

C'est dommage de favoriser des produits contre d'autres, de les opposer. Les produits phytos de biocontrôle sont des produits phytos comme les autres. Par ailleurs, ils ne résolvent pas tous les problèmes de santé végétale. Les produits phytos conventionnels sont utiles !

Les produits conventionnels et de biocontrôle sont complémentaires entre eux et avec d'autres outils de protection des plantes. Pourquoi créer l'opposition ? 43 % des produits Nodu vert biocontrôle et 40 % des produits pour l'agriculture biologique vendus en France le sont par des sociétés adhérentes à l'UIPP.

Que dire du transfert des décisions d'AMM à l'Anses ?

L'article 22 ? L'UIPP, comme beaucoup d'organismes, y compris des associations environnementalistes, n'en voit pas l'intérêt. On avait créé l'Anses pour séparer l'expertise de la décision car c'était souhaitable ; et on regroupe tout ? C'est le retour au mélange des genres et une atteinte à la crédibilité de l'expertise.

Europe et perturbateurs endocriniens

À propos de réglementation en discussion, il y a celle des perturbateurs endocriniens au niveau européen

Le règlement 1107/2009 prévoit de les exclure. Mais on bute sur leur définition. Si l'Europe classe comme perturbateur à interdire les substances ayant des interactions bénignes, on interdira 40 % des produits actuels dont 80 % des fongicides et les rendements moyens risquent de baisser de 10 à 20 %.

Mais quid des questions de santé ?

Il faut les prendre en compte, et c'est pour cela que les perturbateurs endocriniens avérés doivent être remplacés s'il y a exposition des personnes. Du reste, beaucoup ont déjà été retirés du marché.

A contrario, il n'est pas acceptable de bannir toutes les substances potentiellement suspectées : ce serait une application excessive du principe de précaution.

Il y a aussi la cohérence entre réglementations : phyto, biocide, cosmétique, Reach.

Ceci dit, le règlement européen a une qualité : il s'applique tel quel partout en Europe. C'est plus compliqué avec la directive « Utilisation durable » transposée chez nous par le plan Ecophyto. Nous souhaitons plus de cohérence avec les autres pays. Toute la directive, rien que la directive. Toutes les règles européennes mais rien qu'elles.

Ecophyto et bonnes pratiques

Est-ce à dire que vous critiquez Ecophyto ?

Pas en bloc, il y a de bonnes choses dans ce plan.

Alors, qu'y a t-il de bien dans Ecophyto ?

L'aspect formation, information, aide aux bonnes pratiques. Voyez le succès des formations certiphyto : les agriculteurs les ont suivies et en redemandent. Leur équipement en locaux phytos, aire de remplissage, etc., se développait déjà, mais Ecophyto est un formidable accélérateur. Idem pour les EPI.

Les EPI, équipements de protection individuelle ?

Oui, l'UIPP a insisté, au sein des groupes de travail avec les autorités sur les exigences de port des EPI, pour que ces exigences soient différentes selon les circonstances : préparation de la bouillie ou traitement lui-même, type de matériel, etc.

Pourquoi pas une protection maximale tout le temps ?

Exiger une protection maximaliste mais pas réaliste, que les agriculteurs ne porteraient pas ? Esquiver nos responsabilités en attribuant tous les problèmes à des pratiques agricoles rendues hors-la-loi ? Non.

Nous avons une position responsable : un vêtement de protection portable pour toutes les tâches d'utilisation des produits phytos et, c'est important, dédié à ces tâches... Et des EPI plus contraignants dans les cas où c'est nécessaire.

Une cotte « spécial phyto » pour toutes les opérations, plus un tablier pour préparer la bouillie ?

Par exemple. Les exigences de ports d'EPI qui accompagnent les autorisations de produits sont modulées selon les tâches.

Comment les faire adopter ?

Il faut une sensibilisation. L'UIPP contribue activement aux campagnes de l'interprofession pour les bonnes pratiques. Après le port des gants, la protection des yeux et le lavage des mains, l'édition 2014 sera sur la protection corporelle.

Revenons à Ecophyto : qu'est-ce qui ne va pas ?

Outre le volet biocontrôle, il y a l'objectif de baisse des IFT. La France est le seul pays à l'avoir, avec le Danemark qui en revient. D'autres ont des indices plus pertinents. Il y a des objectifs d'intérêt général : baisse des risques et impacts environnement/santé. La baisse des IFT n'est pas un outil au service de ces objectifs. C'est un objectif en soi ! Alors que les tonnages de substances actives ont baissé de 20 % en France de 2008 à 2013. Et on dit que nous ne jouons pas le jeu...

Vos adhérents jouent le jeu, donc ils peuvent s'adapter

Ils s'y efforcent, mais ils ont besoin que les contraintes soient les mêmes pour tous et ne changent pas tout le temps. Il faut un cadre français stable, lisible, cohérent avec le cadre européen. Là aussi, toutes les règles européennes mais rien qu'elles.

Sus aux contrefaçons

Vous avez d'autres priorités ?

Il y a la lutte contre les contrefaçons, en accord avec les autorités. Car le phénomène augmente.

C'est prioritaire car cela vous coûte cher ?

Pas seulement. Comme toute contrefaçon, cela impacte les fabricants et leurs emplois. Mais nos produits ne sont pas des sacs à main. Ils sont encadrés, évalués, classés, étiquetés, vendus avec modes d'emploi précis pour les sécuriser ; et ils ont, je l'ai déjà dit, une utilité.

Un produit phyto contrefait, c'est au mieux une copie – rarement bonne – et souvent une mixture différente de ce qu'annonce l'étiquette. Soit le produit sera inefficace donc inutile avec une perte de récolte qui coûtera cher à l'agriculteur, soit il présentera des dangers que l'étiquette n'indiquera pas, d'où un risque pour l'utilisateur ! Combattre cela, c'est faire œuvre de salubrité publique.

De salubrité publique... Et d'image de vos produits ?

Que les fabricants qui se plient aux règles, exigences de sécurité et restrictions diverses, se voient accusés d'échecs techniques et d'atteinte à la santé ou à l'environnement dus à des gougnafiers... Oui, c'est une raison de les combattre.

À propos de contrefaçon, il y a des effets pervers d'une réglementation française trop sévère, avec interdictions de produits autorisés ailleurs en Europe. Les gens de terrain parlent d'impasses techniques, de concurrence déloyale de pays où sont autorisés ces produits interdits en France, de tentation croissante d'importer illégalement ces produits...

L'importation illégale n'est pas de la contrefaçon

C'est la porte grande ouverte... Comment vérifier la qualité d'un produit illégal ? Contre qui se retourner en cas de problème ? Peut-on tabler sur l'honnêteté du vendeur avec qui l'on a tourné la loi ? Le durcissement de la réglementation française, plus restrictive que celle de nos voisins, coïncide avec la montée en puissance de la contrefaçon. Là encore, notre souhait c'est : toutes les règles européennes, et rien qu'elles.

Eugénia Pommaret en quelques mots

Entrée à l'UIPP en novembre 2012 en tant que responsable suivi des produits et agriculture durable, Eugénia Pommaret était auparavant chef de service Environnement à la FNSEA, où elle a travaillé pendant 20 ans. Âgée de 47 ans, elle a ainsi fait toute sa carrière dans le monde agricole.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Depuis novembre 2013, l'UIPP a une nouvelle directrice générale : Eugénia Pommaret. L'occasion d'en savoir plus sur les priorités de cette union.

PRIORITÉS - Eugénia Pommaret met l'accent sur :

– les discussions françaises sur les articles protection des plantes du projet de Loi d'avenir agricole ;

– les débats européens sur les perturbateurs endocriniens en application du règlement 1107/2009 ;

– le plan Ecophyto avec la contribution de l'UIPP pour les bonnes pratiques, notamment concernant les EPI dont la protection corporelle ;

– la lutte contre les contrefaçons.

MOTS-CLÉS - UIPP (Union des industries de la protection des plantes), Eugénia Pommaret, produits phytopharmaceutiques, Loi d'avenir agricole, règlement 1107/2009, perturbateurs endocriniens, Ecophyto, bonnes pratiques, EPI (équipements de protection individuelle), contrefaçons.

POUR EN SAVOIR PLUS

*M. DECOIN, Phytoma.

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIEN UTILE : www.uipp.org

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