dossier - Qualité sanitaire des grains

Combattre les toxines d'ergot en empêchant d'épier les vulpins et ray-grass

MARIANNE DECOIN*, D'APRÈS LES COMMUNICATIONS D'ALAIN FROMENT ET AL., LUDOVIC BONIN ET AL. ET CAMILLE ROMER ET AL. À LA 22E CONFÉRENCE DU COLUMA (DIJON, DÉCEMBRE 2013) - Phytoma - n°676 - août 2014 - page 26

Paradoxe : contre la maladie qu'est l'ergot des céréales et sa production de mycotoxines, le désherbage des parcelles est une des mesures les plus efficaces.
Symptômes d'ergot sur blé en parcelle expérimentale. Un niveau d'infestation exceptionnel, donc. Photo : Syngenta - Vignette haut de page : Eurofins

Symptômes d'ergot sur blé en parcelle expérimentale. Un niveau d'infestation exceptionnel, donc. Photo : Syngenta - Vignette haut de page : Eurofins

 Prise en 2012 sur la parcelle de Seine-et-Marne suivie par Arvalis, cette photo montre :      – les symptômes d'ergot sur blé (sclérotes sur l'épi à droite) ;      – les symptômes sur vulpin (sclérotes sur les épis au centre) ;      – à gauche, deux syrphes attirés sur vulpin par les gouttelettes de miellat (dont une est visible à la base de l'épi) contenant des spores de C. purpurea. Photo : C. Maumené

Prise en 2012 sur la parcelle de Seine-et-Marne suivie par Arvalis, cette photo montre : – les symptômes d'ergot sur blé (sclérotes sur l'épi à droite) ; – les symptômes sur vulpin (sclérotes sur les épis au centre) ; – à gauche, deux syrphes attirés sur vulpin par les gouttelettes de miellat (dont une est visible à la base de l'épi) contenant des spores de C. purpurea. Photo : C. Maumené

L'ergot sur seigle, historiquement la plus sensible des céréales cultivées. Mais Claviceps purpurea hante bien d'autres graminées... Photo : Adama France SAS - Agrotest

L'ergot sur seigle, historiquement la plus sensible des céréales cultivées. Mais Claviceps purpurea hante bien d'autres graminées... Photo : Adama France SAS - Agrotest

Ami lecteur intéressé par l'ergot des céréales, maladie grave pour la qualité sanitaire des grains (voir Encadré 1), vous avez peut-être manqué la conférence Columa fin 2013. Vous pensiez : ça traite de mauvaises herbes, et non de maladies...

Pourtant, trois exposés vous auraient passionné ! Ils évoquaient les relations de la gestion des adventices avec l'ergot et les toxines qu'il produit, des alcaloïdes dits ergotoxines. Voici une « session de rattrapage » sur le sujet.

Incidence des graminées adventices, selon Syngenta et l'Inra

Essai Inra 2009-2010 : orge, seigle et triticale face au vulpin et au ray-grass

Présentée par Alain Froment, de la société Syngenta, la communication « I ncidence des graminées adventices sur l'ergot des céréales » a d'abord raconté un essai mené en Côte-d'Or par Dominique Jacquin (Inra). Dans cet essai, des céréales d'hiver (orge, seigle et triticale) ont été semées en microparcelles de 10,5 m². Certaines étaient infestées par des graminées adventices annuelles, soit du ray-grass soit du vulpin, et/ou infectées d'ergot par placement au sol de plaquettes portant des sclérotes de son agent Claviceps purpurea. Les céréales ont été implantées le 5 octobre 2009, les adventices ayant été semées une semaine avant. En 2010, le nombre et la masse de sclérotes par pied ont été notés sur les cinq espèces de graminées : les trois cultivées et les deux adventices.

Bilan : lors des comptages, le ray-grass apparaît comme la graminée la plus touchée par l'ergot, avec presque deux sclérotes par pied ! Le vulpin en a dix fois moins. Est-ce à dire qu'il est moins sensible ? C'est plus compliqué que cela, on en reparlera.

Quant aux céréales cultivées, elles sont moins touchées. Parmi elles, on trouve la hiérarchie classique entre le seigle, la plus sensible à cet ergot dit « du seigle », le triticale (hybride blé/seigle) et l'orge, quasi indemne (Figure 1).

Certes, la masse moyenne des sclérotes n'est pas la même selon la plante sur laquelle ils se sont développés. La communication cite une autre étude, réalisée notamment sur triticale, blé, ray-grass et vulpin, et montrant que les sclérotes issus de triticale pèsent chacun 60 mg en moyenne ; moins que ceux issus de blé (100 mg), mais plus que ceux issus de ray-grass (20 mg) ou de vulpin (une dizaine de mg).

Cela dit, comme le signale Alain Froment, un sclérote issu de triticale est, certes, en moyenne trois fois plus lourd qu'un sclérote issu de ray-grass, mais, à nombre de pieds égal, les sclérotes de ray-grass sont cent fois plus nombreux que ceux de triticale.

Par ailleurs, les céréales récoltées dans les parcelles avec vulpin semblent davantage contaminées par l'ergot que celles des parcelles sans vulpin. On trouve en moyenne 3,06 épis de seigle touchés par mètre carré dans les premières et 2,19 dans les autres. La différence n'est pas statistiquement significative selon l'analyse réalisée, mais c'est une tendance à signaler.

Essai Syngenta 2012-2013 sur blé tendre face au vulpin

L'autre essai présenté dans cette communication a été mené par la société Syngenta en 2012-2013.

Au départ, il ne visait pas l'ergot ! Il était destiné à tester le désherbage du blé tendre contre le vulpin en comparant des traitements herbicides réalisés en janvier 2013 sur des placettes de 16 m². Mais, sur ce site de l'Indre (36), de l'ergot s'est manifesté spontanément en ce printemps 2013 favorable à la maladie. L'expérimentateur de la société (B. Mazoire) a alors eu la réactivité de faire des comptages.

Ces comptages ont montré une relation entre l'efficacité du désherbage sur vulpin et le nombre d'épis de blé affectés par l'ergot. On a 350 épis/placette portant des sclérotes dans le témoin non traité et moins de 10 là où le désherbage a montré 90 à 100 % d'efficacité. Et ceci avec un fort coefficient de corrélation (Figure 2).

Impact des pratiques de désherbage, selon Arvalis

La communication « I mpact des pratiques de désherbage dans la gestion du risque Claviceps purpurea » de Ludovic Bonin et al. a été présentée par Béatrice Orlando, sa cosignataire. Elle se base sur deux travaux d'Arvalis-Institut du végétal : une expérimentation en station et un suivi de parcelle.

Essai 2011-2012 sur blé tendre face au ray-grass

L'expérimentation a été menée sur la station Arvalis de Boigneville, dans l'Essonne, sur une parcelle isolée et indemne d'ergot et d'adventices. En octobre 2011, on a semé en même temps du ray-grass et du blé tendre d'une lignée parente de blés hybrides.

Les modalités comparées sont des parcelles élémentaires de 36 m², espacées de 12 m pour limiter les contaminations croisées. Dans huit d'entre elles, des contaminations artificielles d'ergot ont été réalisées par épandage des sclérotes issus de tris en stations de semences en 2011, à raison de 50 ergots/m².

En 2012, cinq parcelles ont reçu un traitement avec un agent chimique d'hybridation dit « gamétocide ». Utilisé en général pour produire les semences de blés hybrides (blocage de la formation des grains de pollen), ce produit oblige les épillets à ouvrir leurs glumelles à la floraison, davantage et plus longtemps que naturellement ; cela facilite indirectement leur contamination par C. purpurea.

Quatre itinéraires de gestion des espèces adventices sont comparés : soit une application d'herbicide en novembre, soit une en mars, soit les deux, soit pas de désherbage (témoin non désherbé).

Les modalités sont précisées Tableau 1. L'efficacité du désherbage a été mesurée au stade épiaison des ray-grass.

Les parcelles sont récoltées à la moissonneuse expérimentale, les échantillons pesés puis nettoyés.

Les sclérotes d'ergot sont extraits de chaque fraction issue du nettoyage : déchets lourds, légers, autres déchets (grains cassés, etc.) et grains nettoyés. On sépare les sclérotes issus d'épis de blé de ceux issus de ray-grass. On les pèse séparément, puis on regroupe tous les sclérotes de chaque modalité pour évaluer son taux de toxines : la somme des douze principaux alcaloïdes d'ergot est la « teneur en alcaloïdes totaux » de la modalité.

Bilan ? D'abord, le nombre de sclérotes et surtout la teneur en alcaloïdes dans les blés sont vingt fois plus bas sans gamétocide qu'avec. Ceci confirme la nécessité de surveiller particulièrement la production de semences de blés hybrides.

Ensuite, il y a une très forte corrélation entre la teneur en ergots (poids de sclérotes/m3 de grains) et celle en alcaloïdes (Figure 3). Enfin, on note un effet du désherbage sur la contamination en sclérotes et celle en alcaloïdes. La figure qui le montre a été publiée dans Phytoma n° 665 de juin-juillet 2013, p. 15. On y voit l'intérêt du désherbage d'automne. Celui de printemps, seul, n'agit ni sur le taux de sclérotes ni sur celui de toxines alors qu'il détruit le ray-grass.

En revanche, après un désherbage d'automne, le passage de printemps est utile : il fait baisser le taux d'alcaloïdes par rapport à celui obtenu suite au désherbage d'automne seul.

Suivi d'une parcelle de blé tendre face au vulpin

Autre travail présenté, le suivi d'une parcelle de Seine-et-Marne infestée « naturellement » de vulpins résistants à des herbicides. En sept ans, ce champ avait porté quatre blés d'hiver, deux colzas et une orge de printemps (en 2010). En 2009, de l'ergot y a été signalé ainsi que de très fortes infestations de vulpin et de brome. La parcelle, habituellement gérée en travail du sol superficiel (« non-labour ») a alors été labourée ; elle est revenue au non-labour après la moisson de l'orge de 2010. Et les vulpins sont revenus...

En mai 2012, l'équipe d'Arvalis a identifié dans la parcelle six zones, allant de la plus infestée en vulpin à la moins infestée. Dans chacune de ces zones, ils ont délimité des microparcelles dans lesquelles ils ont dénombré les vulpins puis récolté les grains de blé. Ils y ont compté les sclérotes sur le vulpin d'une part et sur le blé d'autre part. Premier résultat : au naturel le vulpin est « ergoté ». Plus il y a de vulpins, plus il y a de sclérotes issus de vulpin dans le lot de blé récolté (Figure 4).

Certes, la quantité d'ergots issus des épis de blé n'est pas plus importante là où la densité de vulpin est plus forte (Figure 4). On suppose qu'il n'y a pas eu concordance entre la période où le vulpin aurait pu contaminer le blé et celle de sensibilité du blé.

Par ailleurs, c'est important : il s'agit de lots de grains nettoyés. On voit que le nettoyage laisse passer » des sclérotes, issus de blé mais aussi (peut-être surtout) de vulpins ! Ainsi, soit les sclérotes issus de vulpin tombent au sol et risquent d'infester la céréale suivante, soit ils passent dans la récolte.

Les auteurs expliquent que, citons le texte exact de la communication, même si « le passage de l'ergot du vulpin au blé n'est pas systématique mais dépend essentiellement de la concordance des stades de sensibilité à la maladie des plantes-hôtes », les sclérotes issus de vulpin « participent de façon massive » à la contamination de la récolte et à la constitution d'un réservoir de sclérotes dans la parcelle.

« La présence de graminées à la floraison, et a fortiori leur densité, est un facteur de contamination des lots et des parcelles par l'ergot. » Dans cette parcelle, tous types de sclérotes confondus, on passe alors de 0,2 g/kg de grains pour une densité de vulpins de 100 plantes/m² à plus de 1 g/kg pour des densités de 300 à 500 plantes/m² (Figure 4). Or, si 0,2 g de sclérotes/kg de grains est un taux admis en alimentation humaine (le seuil est de 0,5 g/kg, voir Encadré 1 p. 30), dépasser 1 g de sclérote/kg de grains rend le blé inutilisable même en alimentation animale, (voir à nouveau l'Encadré 1).

Le suivi de la parcelle a continué ensuite. Le 22 juillet 2014, B. Orlando signalait : « Le travail poursuivi n'apporte pas d'élément nouveau justifiant une nouvelle publication. » De fait, la parcelle a porté en 2013 une culture d'orge, céréale peu sensible à l'ergot. En 2014, ce fut le tour d'un colza, culture non concernée par l'ergot et dans lequel la maîtrise du vulpin a été plus facile.

Intérêt du désherbage, selon Adama et l'Inra

Quatorze essais sur blé, seigle et triticale contre vulpin et ray-grass

La troisième communication, « Les traitements herbicides d'automne, une lutte chimique efficace contre l'ergot des graminées », a été présentée par Camille Romer, de la société Makhteshim Agan France, devenue depuis lors Adama France. Une grande part de ce travail réalisé en collaboration avec l'Inra a été publiée dans Phytoma en juin 2013. Rappelons-en l'essentiel.

Comme dans l'essai d'Arvalis, le désherbage antigraminées contribue à diminuer le taux d'ergot dans les lots récoltés. Ces résultats ont été obtenus sur trois ans mais surtout en 2011-2012.

Cette campagne-là, les essais ont été conduits en parcelles de 100 m² sur 14 sites dont 8 infestés en semences de vulpin et 6 en semences de ray-grass.

Des analyses d'alcaloïdes ont été menées systématiquement à raison de quatre échantillons par modalité. L'auteur estime que c'était la première fois que ce type d'analyse était fait à aussi grande échelle en France et probablement en Europe.

Le sacre du programme

Là aussi, la meilleure efficacité contre les graminées adventices, conduisant à une réduction de l'ergot et du taux d'alcaloïdes, est obtenue par le programme associant traitement d'automne et traitement de printemps, dans les parcelles infestées de vulpins comme celles infestées de ray-grass.

Le premier traitement est à base d'urées substituées (ex. : Protugan à base d'isoproturon) et le second de sulfonylurées (les vulpins et ray-grass semés venant de populations sensibles à cette famille d'herbicides).

Quand l'ergot se cache

À noter : les plus fortes contaminations en ergot comme en alcaloïdes ont été observées avec le vulpin, aussi bien dans les adventices que dans la culture. Serait-ce une contradiction avec l'essai Inra de 2010 déjà cité ? Pas forcément : selon C. R omer, les vulpins auraient tendance à laisser échapper leurs sclérotes avant ceux de ray-grass ; une récolte et un comptage tardifs minimiseraient le taux de sclérotes de vulpin dans la récolte... Ces sclérotes contaminent alors non pas la récolte de l'année mais le sol de la parcelle pour l'avenir.

Par ailleurs, dans certains essais ray-grass sans sclérotes visibles lors des observations au champ et du tri manuel à la récolte, on a mis en évidence la présence d'alcaloïdes : l'ergot peut être un danger invisible.

Ergot et alcaloïdes : attention...

Enfin, insistons sur deux points signalés par l'article de juin 2013, mais importants :

– il reste des sclérotes dans les lots nettoyés, notamment ceux des témoins non désherbés... Il se confirme que les adventices graminées sont des vecteurs directs de contamination de la culture et donc des lots de grains. On voit pourquoi le désherbage limite directement ces contaminations, alors que, pour sa part, la récolte traditionnelle en moissonneuse-batteuse n'a pas d'effet ;

– contrairement au résultat de l'essai d'Arvalis (revoir la Figure 3), le taux d'alcaloïdes n'est pas toujours strictement corrélé au taux de sclérotes visibles. Un échantillon issu d'une parcelle ni désherbée ni contaminée artificiellement titrait un pic de 14 mg d'alcaloïdes/kg de grains pour 0,12 g de sclérotes/kg de grains. Trois autres échantillons prélevés dans cette même parcelle ne titraient que 0,4 à 0,65 mg d'alcaloïdes/kg de grains pour 0,10 à 0,17 g de sclérotes/kg de grains... Ainsi le taux de sclérotes ne préjuge pas toujours de celui d'alcaloïdes.

Mais, souligne la communication, « les traitements herbicides ont permis de contrôler les pics de toxicité ».

Et entre alcaloïdes ?

Un résultat est nouveau par rapport à juin 2013 : la répartition des douze alcaloïdes recherchés. On a trouvé surtout l'ergotamine, l'ergocristine et l'ergosine.

C'est cohérent avec les résultats d'une étude de l'Efsa sur « 803 échantillons transformés à base de blé et de seigle » prélevés dans toute l'Europe en 2010 et 2011 : l'ergotamine et l'ergocristine étaient « prédominants ». Dans l'étude d'Adama, des proportions différentes entre alcaloïdes selon les échantillons indiquent « la présence probable de plusieurs chémotypes ». Par ailleurs, l'auteur a souligné que les traitements herbicides avaient fait baisser les taux de tous les alcaloïdes.

Et on ne sait pas tout

Ainsi, le désherbage des céréales apparaît bien comme un moyen de lutte contre les espèces de graminées adventices porteuses de la maladie de l'ergot, donc contre cette maladie et la production de ses dangereux alcaloïdes. Mais ceci à condition que ce désherbage soit assez précoce pour empêcher toute épiaison des adventices : si la première intervention a lieu en mars, c'est tard...

Restent trois questions à étudier :

– la comparaison des méthodes de désherbage : outre l'importance de la date, quels rôles peuvent jouer le labour, les faux semis et/ou le désherbage mécanique, aux côtés du désherbage chimique ou à sa place (agriculture biologique, etc.) ?

– l'impact de la résistance des graminées aux herbicides, notamment aux inhibiteurs de l'ALS et de l'ACCase ;

– le rôle des graminées entourant les parcelles. Dans des prés, bandes enherbées ou bords de route, elles peuvent aussi porter de l'ergot ! Certes, elles ne sont pas récoltées avec la moisson, donc on n'y trouvera pas leurs sclérotes. Le risque est donc moindre que celui causé par les mêmes adventices poussant dans le champ. Mais elles entretiennent un réservoir de maladie dans le sol proche des parcelles et peuvent propager les contaminations aux cultures voisines si on les laisse épier au mauvais moment. Quel est le risque de contamination des céréales via les rangs de bordure ?

Le très ancestral ergot n'a pas encore fini de livrer ses secrets !

Fig. 1 : Graminées adventices, plus touchées que les céréales

Taux de contamination de cinq espèces (cultivées ou adventices) par l'ergot. Essai Inra Dijon 2010.

Fig. 2 : Meilleur est le désherbage, moins le blé porte d'ergot

Corrélation entre le nombre d'épis de blé affectés par l'ergot et l'efficacité du désherbage sur vulpin. Essai désherbage Syngenta 2013, ergot survenu spontanément.

Fig. 3 : Relation entre taux de sclérotes (blé/ray-grass) et d'alcaloïdes

Relation entre la teneur en ergot (g de sclérotes/kg de grain récolté, en additionnant les sclérotes issus d'épis de blé tendre et ceux issus de ray-grass) et la teneur en alcaloïdes totaux. Essai Arvalis sur blé tendre avec semis de ray-grass et contamination artificielle en ergot (apport de sclérotes). Récolte 2012.

Fig. 4 : Teneur en sclérotes, en fonction de la densité de vulpin et de l'origine du sclérote (vulpin ou blé)

Sur cette parcelle de Seine-et-Marne suivie par Arvalis en 2012, il n'y a pas plus de sclérotes issus d'épis de blé dans les portions de parcelle les plus infestées de vulpin... Mais il y a bien plus de sclérotes issus de vulpin. Donc d'infection globale.

1 – Pourquoi parler d'ergot ? Les raisons permanentes...

 Photo : Adama France SAS - Eurofins agrosciences service

Photo : Adama France SAS - Eurofins agrosciences service

L'ergot des céréales est une maladie due au champignon Claviceps purpurea. Son nom vient de la forme de ses sclérotes : ces organes de conservation du champignon se substituent aux grains et dépassent des épis en ressemblant à des ergots de coq ou de chien. La maladie touche diverses graminées mais on parle d'« ergot du seigle » : cette céréale, historiquement, était la plus attaquée. Hélas pour la céréaliculture, on trouve l'ergot aussi sur blé, triticale (hybride blé-seigle), orge et avoine. Sans compter les graminées adventices...

La maladie cause peu de pertes de rendement aujourd'hui. Mais ses sclérotes (« ergots ») contiennent des mycotoxines. Ces ergotoxines sont des alcaloïdes, parfois utilisés à des fins médicales (antimigraineux) ou comme drogue... mais, surtout, montrant une forte toxicité. La consommation de farines « ergotées » a été à l'origine de cas d'ergotisme : « feu de Saint-Antoine » ou encore « mal des ardents ».

La réglementation européenne limite donc la présence d'ergot. Il faut :

– pour les céréales destinées à l'alimentation animale, ne pas dépasser 1 g de sclérotes/kg de grains (directive 2002/32, règlement 574/2011).

– pour les blés (tendre et dur) destinés à l'intervention, ne pas dépasser 0,5 g de sclérotes/kg de grains (règlement 1272/2009).

L'Afssa (recommandation de 2008) et le Codex alimentarius conseillent, pour les céréales destinées à l'alimentation humaine, de ne pas dépasser 0,5 g d'ergots/kg de grains. L'Europe envisage de limiter le taux d'alcaloïdes.

Par ailleurs :

– au Canada, le seuil est de 3 mg d'alcaloïdes totaux/kg pour les bovins, ovins et chevaux, 6 mg/kg pour les truies et 9 mg/kg pour les poulets ;

– en Uruguay, il est de 450 microgrammes (0,45 mg)/kg pour l'alimentation animale et totalement absent pour les porcins et lapins.

2 – ...les raisons nouvelles

Jusqu'en 2000, l'ergot était considéré comme une curiosité historique quasi éradiquée en France.

Mais on assiste à une recrudescence : signalements en 2000, 2003, 2006 et encore plus en 2009 (voir Jacquin et al., 2010) puis 2012 et 2013.

Certes, les outils de tri (table densimétrique, nettoyeur séparateur et trieuse optique) permettent de limiter dans les lots de grain la quantité de sclérotes visibles issus des épis de la céréale récoltée.

Mais ils peuvent laisser passer des portions de sclérotes brisés lors de la récolte, voire des sclérotes entiers, en particulier ceux formés dans des graminées adventices sensibles à la maladie car ces sclérotes sont plus petits et difficiles à repérer (ex. : vulpin et ray-grass).

De plus, les efficacités des outils de tri sont variables. Le plus efficace (trieuse optique) est aussi le plus onéreux.

Pourquoi cette recrudescence ? Parmi les raisons possibles, Jacquin et al. notaient en 2010 des « facteurs favorisants potentiels :

la présence de graminées adventices mal contrôlées dans les parcelles (liée ou non à des résistances de ces graminées à des herbicides) ;

l'abandon du labour (pouvant favoriser les graminées adventices dans les parcelles*) ;

une plus grande présence de graminées en fleur [...] autour des parcelles du fait de la généralisation des bandes enherbées et zones tampons destinées à éviter le transfert de nitrates et pesticides dans les eaux. »

Les travaux rapportés au Columa et dans ces pages ont été menés pour étudier le rôle des graminées adventices dans les parcelles et voir si on pouvait faire baisser la pression de maladie et le taux d'alcaloïdes en jouant sur ces graminées.

*Le labour peut jouer aussi un rôle direct en enfouissant les sclérotes car, selon l'article de Jacquin et al. de 2010, « lorsqu'il est enterré par un labour au-delà de 7 cm, le sclérote meurt ».

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La 22e conférence du Columa, consacrée aux mauvaises herbes, a évoqué la lutte contre une maladie : l'ergot du seigle dû à Claviceps purpurea, en recrudescence.

On soupçonne un rôle des graminées adventices, donc que le désherbage (ou son échec) influence l'infection des champs par l'ergot et la contamination des grains par les sclérotes d'ergot et leurs alcaloïdes toxiques.

SENSIBILITÉ - La communication d'Alain Froment et al. a montré la forte sensibilité du vulpin et du ray-grass comparés au seigle, au triticale et à l'orge (essai Inra 2010, contamination artificielle).

Le suivi d'un essai désherbage touché spontanément par l'ergot (essai Syngenta Agro 2013) a établi une bonne corrélation entre efficacité du désherbage (pratiqué en janvier) contre le vulpin et baisse du taux de sclérotes d'ergot dans le blé récolté.

IMPACT DES PRATIQUES - La communication de Ludovic Bonin et al. rendait compte de deux travaux d'Arvalis-Institut du végétal en 2012.

Le premier, un essai sur blé tendre, artificiellement infesté de ray-grass et infecté d'ergot, confirme la sensibilité du raygrass. Il montre aussi que, même quand l'ergot ne passe pas du ray-grass au blé (cela dépend des dates de leurs floraisons), les sclérotes d'ergot issus de ray-grass et leurs alcaloïdes peuvent polluer les lots de blé même nettoyés.

Le désherbage anti-ray-grass le plus efficace est également le plus protecteur contre l'ergot, et aussi ses alcaloïdes.

Le second travail est un suivi de parcelle de blé tendre infestée spontanément par le vulpin. Il en ressort que ce dernier est touché par l'ergot, que les sclérotes issus de vulpins se retrouvent dans la récolte de blé même nettoyée, et que les zones de la parcelle les plus infestées de vulpin sont aussi celles contenant le plus d'ergots.

INTÉRÊT DU DÉSHERBAGE - La troisième communication (Camille Romer et al.) rend compte notamment de 14 essais de désherbage de blé, seigle ou triticale infestés artificiellement, soit de vulpin soit de ray-grass, et récoltés en 2012.

Elle montre l'intérêt du désherbage contre la maladie (taux de sclérotes) et la production d'alcaloïdes, si ce désherbage est efficace et effectué à temps pour bloquer l'épiaison des adventices (programme à deux applications automne et printemps). Un désherbage seulement au printemps (mars), même efficace (baisse de densité d'adventices), ne fait pas baisser le taux d'alcaloïdes. La présence de sclérotes d'ergot issus des adventices dans les lots de céréales, même nettoyés, est confirmée.

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, céréales, blé, blé tendre, seigle, triticale, orge, ergot des céréales, ergot du seigle Claviceps purpurea, sclérotes, mycotoxines, ergotoxines, alcaloïdes, adventices graminées, vulpin, ray-grass, Columa (Comité de lutte contre les mauvaises herbes).

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *M. Decoin, Phytoma.

CONTACTS : m.decoin@gfa.fr et afpp@afpp.net (pour commander le CD-Rom Annales du Columa).

LIENS UTILES : www.afpp.net, www.gnis.fr/index/action/page/id/1068

BIBLIOGRAPHIE : - Bonin L., Orlando B. & Gautellier-Vizioz L., 2013 - Impact des pratiques de désherbage dans la gestion du risque Claviceps purpurea. AFPP 22e conférence du Columa. Dijon, 10, 11 et 12 décembre 2013.

- Froment A., Jacquin D., Closset M. & Priez S., 2013 – Incidence des graminées adventices sur l'ergot des céréales. AFPP 22e conférence du Columa.

- Jacquin D., Délos M. & Reboud X., 2010 – L'ergot dépasse le seigle : cet ancien compagnon de l'homme ressort ses griffes. Phytoma n° 633, avril 2010, p. 38 à 42.

- Romer C., Jacquin D., Bertrand A. et Huart G., 2013 – Les traitements herbicides d'automne, une lutte chimique efficace contre les ergots des graminées. AFPP 22e conférence du Columa.

- Romer C., Jacquin D., Bonin L., Bertrand A. & Huart G., 2013 - Le désherbage d'automne contre l'ergot du seigle. Phytoma n° 665, juin-juillet 2013, p. 10 à 16.

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