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Filière apicole européenne : une démographie mieux connue

MARIE-PIERRE CHAUZAT*, *** LAURA CAUQUIL*, LISE ROY**, STÉPHANIE FRANCO*, PASCAL HENDRIKX*** ET MAGALI RIBIÈRE-CHABERT*. EXTRAITS DE LA TRADUCTION/ADAPTATION PAR CATHERINE DELORME*** D'UN ARTICLE PARU DANS PLOS'ONE - Phytoma - n°683 - avril 2015 - page 51

Une enquête européenne sur les filières apicoles des différents pays permet de les comparer et de disposer d'une base pour les études, notamment épidémiologiques.
Vingt-sept pays, dont vingt-cinq membres de l'Union européenne, ont répondu à l'enquête sur l'apiculture européenne. Les résultats montrent la diversité de l'apiculture sur notre continent, mais aussi des tendances comme le poids des « amateurs ». Photo : M.-P. Chauzat - Anses

Vingt-sept pays, dont vingt-cinq membres de l'Union européenne, ont répondu à l'enquête sur l'apiculture européenne. Les résultats montrent la diversité de l'apiculture sur notre continent, mais aussi des tendances comme le poids des « amateurs ». Photo : M.-P. Chauzat - Anses

Tableau 1 : Cheptel (colonies d'abeilles), nombre d'apiculteurs, distribution et densité de colonies d'abeilles dans l'UE en 2010 Le minimum et le maximum sont en gras dans chaque colonne.

Tableau 1 : Cheptel (colonies d'abeilles), nombre d'apiculteurs, distribution et densité de colonies d'abeilles dans l'UE en 2010 Le minimum et le maximum sont en gras dans chaque colonne.

Tableau 2 : Répartition (%) des différents types d'activité apicole et des tailles d'exploitations en Europe en 2010

Tableau 2 : Répartition (%) des différents types d'activité apicole et des tailles d'exploitations en Europe en 2010

Tableau 3 : Définition des apiculteurs professionnels selon les différents pays en Europe en 2010

Tableau 3 : Définition des apiculteurs professionnels selon les différents pays en Europe en 2010

Tableau 4 : Mortalité des abeilles dans 19 pays en 2010

Tableau 4 : Mortalité des abeilles dans 19 pays en 2010

L'état réel de la filière apicole en Europe peut-il être évalué ? Une enquête a été réalisée en 2011 et 2012 dans vingt-neuf pays européens. En voici les principaux résultats.

Ils sont extraits de la traduction d'un article publié en anglais en novembre 2013 dans la revue PlosOne. L'intégralité est accessible, avec la bibliographie (références « appelées » par des chiffres [entre crochets]), en suivant le « lien utile », p. 56.

Une enquête s'imposait

Une filière ancienne qui a évolué et s'est diversifiée

L'homme a d'abord recueilli le miel produit par des colonies d'abeilles sauvages. Avec le développement de l'agriculture, les abeilles mellifères ont été élevées pour faciliter la production de miel. L'introduction de ruches à cadres mobiles a permis une gestion des colonie plus sophistiquée.

Actuellement, la filière apicole développe la production et la commercialisation de divers produits de la ruche : miel, mais aussi gelée royale, essaims, reines, cire, propolis et produits dérivés. L'apiculture devient de plus en plus professionnalisée [4].

Le service de pollinisation

Les abeilles font partie du groupe des pollinisateurs [8, 9] qui, en transférant le pollen d'une plante à l'autre, participent à la diversification du patrimoine génétique des plantes. Cette diversification est essentielle au maintien de la biodiversité dans les écosystèmes sauvages et agricoles [10].

Des études ont estimé la valeur économique de la pollinisation et le rôle spécifique des abeilles domestiques [11]. La production de 80 % des 264 espèces végétales cultivées au sein de l'Union européenne dépend directement d'insectes pollinisateurs. La valeur de la pollinisation pour l'agriculture mondiale a été estimée à 153 milliards d'euros par an [7]. Sans compter les écosystèmes sauvages, très difficiles à étudier.

Globalement, la pollinisation par les abeilles a une importance économique bien plus importante que la vente des produits issus de l'apiculture. Le fait que les abeilles soient essentielles à la pollinisation de nombreuses cultures agricoles [7] rend le public sensible à leur état de santé.

Le manque de données démographiques chiffrées entrave l'épidémiologie

De fait, au cours des dernières décennies, la mauvaise santé des abeilles a suscité une attention considérable de la part des médias et du public [5, 6].

Il est couramment admis que de nombreux facteurs contribuent aux pertes de colonies d'abeilles rapportées en Europe et aux États-Unis [3, 12]. Mais il est difficile d'estimer avec précision dans quelle mesure chacun de ces facteurs contribue à cette mortalité, soit directement, soit indirectement.

Les outils épidémiologiques utilisés pour quantifier les facteurs de risque de maladie dans d'autres filières animales pourraient grandement aider à améliorer notre compréhension de la santé de la population des abeilles.

Cependant, la mise en oeuvre de telles études épidémiologiques nécessite la connaissance de la population ciblée - par exemple le nombre d'apiculteurs et de colonies d'abeilles. Or les données démographiques sur la filière apicole en Europe étaient très mal connues.

Les seuls chiffres disponibles étaient ceux fournis par la Faostat. Afin de remédier à cela, le Laboratoire de référence pour la santé des abeilles de l'Union européenne (LRUE) a lancé une étude pour dresser un état des lieux de la filière apicole en Europe basé, d'une part, sur la démographie des apiculteurs et, d'autre part, sur les statistiques disponibles sur la santé de l'abeille domestique.

Le travail effectué

Rassembler, au niveau européen, des données existant dans chacun des pays

En 2011, le LRUE Abeilles a envoyé deux questionnaires en anglais aux LNR (laboratoires nationaux de référence) des États membres de l'Union ainsi qu'au Kosovo et à la Norvège, en leur demandant de répondre au premier en octobre 2011 et au second en janvier 2012. Des rappels périodiques ont été faits pour améliorer le taux de réponse.

Le but était de recueillir les données disponibles sans exiger des LNR des travaux supplémentaires. Toutes les données recueillies par le LRUE étaient déjà collectées et accessibles dans chacun des pays, qu'elles viennent des LNR ou des apiculteurs. Les dernières réponses sont parvenues fin janvier 2012. Cet article synthétise les données de l'année 2010.

Démographie des apiculteurs et des exploitations apicoles

Population, répartition et densité des colonies

Vingt-cinq États membres sur vingt-sept, ainsi que le Kosovo et la Norvège, ont répondu à l'enquête. En 2010, le nombre de colonies déclarées s'élevait à 13 845 070 (Tableau 1). Ce chiffre ne représente pas la totalité des colonies car seuls vingt et un pays ont fourni le nombre de colonies par apiculteur.

La répartition des colonies était hétérogène. Cinq pays (France, Grèce, Italie, Pologne et Espagne) avaient chacun plus d'un million de colonies, le plus « peuplé » étant l'Espagne : 2 498 000 colonies, soit 18 % de la totalité des colonies européennes.

Les données ont été traduites en nombre de colonies/km² afin de comparer les densité entre pays (Tableau 1). Cette densité était, elle aussi, hétérogène (moyenne 4,2 ± 3 colonies/km²). La Grèce et la Hongrie avaient la plus forte densité (environ 10 colonies/km²). Les plus faibles densités (1 colonie/km² ou moins) ont été observées dans six pays nordiques : Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Norvège et Suède.

Nombre d'apiculteurs et taille des ruchers

En 2010, le nombre d'apiculteurs en Europe a été estimé à 620 000 (Tableau 1), chacun possédant en moyenne 22,4 ± 23,7 colonies. L'écart-type élevé (23,7) illustre la forte hétérogénéité du nombre de colonies par apiculteur constaté entre les différents pays européens (Tableau 1).

L' Espagne affichait le plus grand nombre moyen de colonies par apiculteur (103,0), suivie par la Grèce, Chypre et la Hongrie. Le plus petit nombre moyen de colonies par apiculteur (5,0) était détenu par le Royaume-Uni. La tendance générale en Europe était aux petits ruchers, 78 ± 25,2 % des apiculteurs avaient moins de 50 colonies (Tableau 2).

Différents types d'exploitation apicole

En Europe, l'activité apicole peut être exercée par des apiculteurs amateurs (ne percevant aucun revenu de l'apiculture), à temps partiel ou professionnels (Tableau 2). Le Royaume-Uni, la Belgique, la Bulgarie et Chypre n'ont spécifié que deux catégories : professionnels et non-professionnels, les apiculteurs amateurs et à temps partiel étant tous classés non professionnels.

La distinction entre apiculteurs à temps partiel et apiculteurs professionnels dépend des pays. Partout, les apiculteurs à temps partiel disposent d'une autre source de revenus que l'apiculture. Dans onze pays, la notion d'apiculteur professionnel tient au nombre de colonies (plus de cent cinquante par apiculteur dans sept pays, voir Tableau 3). Dans six autres pays, l'activité apicole devait représenter la principale source des revenus de l'apiculteur pour qu'il soit « professionnel », quel que soit le nombre de colonies. La variable définissant l'apiculteur professionnel était donc, soit la taille du rucher, soit la source de revenus. La suite de cet article conserve les définitions fournies par chaque pays européen, la dénomination « apiculteur professionnel » ne s'appuyant sur aucune définition standard.

Répartition des différents types d'apiculture et formation des acteurs de la filière

En Europe en 2010, la plupart des apiculteurs étaient des amateurs (76,4 ± 25,2 %), alors que 9,3 ± 19,1 % étaient des professionnels (Tableau 2).

Certes, le Kosovo et la Hongrie ont déclaré 20 % voire moins d'apiculteurs amateurs... Mais le Kosovo n'a pas donné ses critères de définition (voir Tableau 3) et la Hongrie déclare 73 % de pluriactifs et seulement 7 % de professionnels. Sauf au Kosovo, en Grèce, en Roumanie et en Espagne, les apiculteurs professionnels représentaient moins de 10 % de la population totale des apiculteurs en 2010 (Figure 1, Tableau 2).

Aucun pays n'exige de formation pour démarrer l'activité apicole. Toutefois, une formation est obligatoire en cours d'activité au Portugal et en Roumanie. Par ailleurs, dans cinq pays (Portugal et Roumanie, mais aussi Hongrie, Slovaquie et Espagne), les apiculteurs doivent obtenir l'approbation de l'autorité compétente avant de commencer leur activité.

Du côté de l'enregistrement

Un système d'inscription individuelle des apiculteurs existait partout sauf en Autriche, mais l'identification n'était obligatoire que dans vingt pays. Elle était volontaire au Danemark, au Kosovo, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. En Roumanie, seuls les apiculteurs membres d'un programme national devaient s'inscrire. En Irlande, l'inscription était obligatoire pour les apiculteurs projetant de vendre du miel. Cependant, en Irlande et dans la plupart des pays, les apiculteurs produisant de petites quantités de miel étaient exemptés de cette obligation.

Dans les pays où il existait, l'enregistrement était géré par différentes autorités : services vétérinaires, autorités de sécurité sanitaire des aliments, registres agricoles, centres de recherche de la production animale et associations d'apiculteurs. Seuls quatorze pays (Bulgarie, Chypre, République tchèque, Estonie, France, Allemagne, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Espagne) disposaient d'une base de données nationale centralisée. Vingt et un pays enregistraient la localisation géographique des ruches, cet enregistrement étant obligatoire pour seize d'entre eux.

Résultats sur les productions

Des statistiques uniquement sur le miel

Le miel est le principal produit de la filière apicole. Il a été impossible d'obtenir des données exploitables sur la production de pollen, de gelée royale, de reines et d'essaims.

En 2010, la production totale de miel en Europe a été estimée à plus de 220 000 tonnes, avec une production moyenne de 4,8 ± 4,5 tonnes/km² et 1,6 ± 0,8 tonne/100 colonies (Tableau publié dans PlosOne). L'Espagne avait la production de miel la plus importante avec 33 000 tonnes (Figure 2).

Les différents pays ont importé environ 200 000 tonnes de miel et en ont exporté environ 90 000 tonnes (tableau publié dans PlosOne). L'Allemagne a importé et exporté les plus grandes quantités (respectivement autour de 90 000 tonnes et 20 000 tonnes). La vente au détail était le principal réseau de distribution du miel. Son prix de gros variait de 2 à 14 euros/kg et son prix au détail variait de 3 à 40 euros/kg.

Grande hétérogénéité de la productivité

Les chiffres de productivité par unité de surface (100 km²) et par unité de production (cent colonies) montrent une production européenne de miel très hétérogène en 2010.

Si l'on considère la quantité de miel produite par 100 km², la Finlande, l'Irlande et la Norvège avaient la plus faible production (0,4 tonne/100 km²) et la Hongrie était le plus grand producteur au km² (19,8 tonnes/100 km²).

Par ailleurs, les Pays-Bas possédaient les colonies les moins productives (0,5 tonne/100 colonies) et les colonies finlandaises avaient la plus forte production (4,0 tonnes/100 colonies).

Résultats sur l'état sanitaire

Maladies à déclaration obligatoire, ravageurs et agents pathogènes

La réglementation européenne stipule que toute maladie à déclaration obligatoire doit être signalée aux autorités gouvernementales compétentes.

Dans cet article, le terme de « maladie à déclaration obligatoire » désigne la loque américaine due à Paenibacillus larvae, ainsi que la présence dans les ruches du petit coléoptère des ruches (Aethina tumida) et de l'acarien Tropilaelaps spp.

Les trois maladies à notification obligatoire au niveau européen ont été considérées comme telles dans vingt-trois pays. En revanche, les maladies provoquées par le petit coléoptère de la ruche et le Tropilaelaps spp. ne faisaient pas l'objet d'une déclaration obligatoire au Kosovo.

En 2010, 5 000 analyses ont été effectuées dans l'Union européenne pour détecter A. tumida, et plus de 8 500 analyses ont été effectuées pour la détection du Tropilaelaps spp.

Vingt pays ont ajouté d'autres maladies, ravageurs et agents pathogènes aux noms cités ci-dessus, du fait de leur législation nationale (tableau publié dans PlosOne) : la varroase, maladie causée par l'acarien Varroa destructor (dix-huit pays), la loque européenne (quinze pays), l'acariose (onze pays), la nosémose (neuf pays) et la mycose (quatre pays, sans préciser s'il s'agissait de la maladie courante du couvain causée par l'Ascosphaera Apis ou de l'aspergillose, plus rare et causée par l'Aspergillus spp.). La Roumanie a considéré les viroses comme maladie à déclaration obligatoire, sans mentionner le nom du ou des virus ciblés.

Causes déclarées de mortalité

Les personnes ayant reçu le questionnaire devaient indiquer les principales maladies observées sur le terrain et les causes de mortalité des colonies observées par les apiculteurs et par les laboratoires. Les données ont été fournies par les LNR, qu'elles viennent de leurs propres enquêtes ou d'études réalisées par des apiculteurs. Elles concernaient l'année 2010.

Pour les LNR, la varroase était la maladie la plus souvent observée sur le terrain (vingt-quatre questionnaires, Figure 3).

La varroase était considérée comme l'une des principales causes de mortalité dans vingt pays selon les apiculteurs (Figure 4) et dans quinze pays selon les LNR (Figure 5).

En dehors de la varroase, les principales maladies observées sur le terrain étaient la loque américaine (seize pays), la nosémose (douze pays), la mycose (sept pays), les viroses (six pays) et la loque européenne (cinq pays) (Figure 3). Deux pays ont considéré les intoxications par les pesticides comme le principal problème observé sur le terrain.

Selon les apiculteurs, les causes de mortalité étaient multiples (Figure 4). Dans vingt-deux pays, les principales causes étaient des maladies (varroase, loque américaine, nosémose et loque européenne en fréquence décroissante). Dans treize pays, différentes causes étaient à l'origine de la mortalité : problèmes de reine, manque de nourriture, colonies faibles, mauvaise gestion des ruchers. Dans huit pays, l'intoxication des colonies constituait la principale cause de mortalité, particulièrement du fait des pesticides.

Selon les laboratoires, plusieurs facteurs étaient à l'origine de la mortalité des colonies. Pour vingt et un LNR, les principales causes étaient les maladies : varroase (quinze LNR), loque américaine (onze LNR), nosémose (neuf LNR) et viroses (quatre LNR). Pour quatre LNR, les intoxications étaient la cause de mortalité. Un laboratoire a signalé l'exposition chronique aux pesticides pour expliquer la mortalité des abeilles (Figure 5).

Les taux de mortalité des abeilles, très hétérogènes (Tableau 4), différaient selon l'origine des données : services vétérinaires, programme de surveillance locale, questionnaire Coloss, associations d'apiculteurs. Ils allaient de moins de 5 % en Roumanie (vétérinaires) à plus de 30 % en Hongrie (vét./apiculteurs).

L'apiculture en Europe est mieux connue

Première approche durant la mise en place du réseau des LNR

Cette étude a constitué une étape clé pour la mise en place du réseau européen des LNR pour la santé des abeilles sur lequel se base le LRUE. Contrairement à d'autres maladies animales, les laboratoires nationaux de référence pour la santé des abeilles n'ont commencé que très récemment à s'organiser. Certains laboratoires n'ont été désignés LNR qu'en 2012.

De ce fait, les données générées par les différents laboratoires nationaux de référence ne pouvaient pas être comparables entre elles. Aucune évaluation fiable de l'état de santé des abeilles n'était disponible au niveau européen en 2010.

Hétérogénéité réelle : quelles causes possibles ?

Selon cette étude, la filière apicole est très hétérogène d'un pays européen à l'autre : nombre d'apiculteurs, densité de colonies d'abeilles, taille des ruchers, production de miel.

Une telle disparité pourrait être due à des traditions historiques et à des conditions climatiques. En effet, le climat des pays du nord est moins adapté à une production apicole intensive que celui du sud. Les références historiques confirment l'influence majeure des conditions climatiques sur le développement de l'apiculture [16, 17]. Les premières traces d'apiculture ont été trouvées en région méditerranéenne. En 2010, 47 % des colonies de l'UE étaient situées au sud de l'Europe : France, Grèce, Italie et Espagne.

Poids des amateurs et besoin d'harmoniser la définition de l'apiculteur professionnel

L'apiculture présente des particularités par rapport aux autres productions alimentaires. Au contraire des éleveurs de bovins ou de porcins, la plupart des apiculteurs en Europe étaient des amateurs en 2010, parfois qualifiés d'apiculteurs « non professionnels ».

La définition officielle d'« apiculteur professionnel » n'étant pas la même dans tous les pays, il est difficile de comparer les chiffres entre les différents pays. Dans certains documents officiels de la Commission européenne, le critère retenu pour considérer un apiculteur comme « professionnel » est le nombre de colonies possédées en propre, et qui doit être supérieur à cent cinquante colonies [18, 19]. L'adoption d'une définition standard au sein de l'Union européenne du terme « professionnel » permettrait de comparer les pays et de dégager des tendances à long terme.

Le critère des revenus, à savoir que l'apiculture représente la principale source de revenus, s'avère le plus pertinent pour identifier les apiculteurs professionnels au niveau européen. En effet, le nombre minimum de colonies nécessaires pour qu'il soit possible d'en vivre varie d'un pays à l'autre.

L'épineuse question de la « sous-déclaration »

Cette enquête a montré la difficulté d'obtenir un jeu complet de données sur l'apiculture européenne et ce, du fait de la grande diversité des exigences concernant la déclaration des colonies au sein de l'Union européenne.

En effet, dans les pays à enregistrement volontaire des colonies, seule une estimation de la population totale des apiculteurs et des colonies a été possible. Et, même là où cet enregistrement était obligatoire, l'enregistrement n'était pas assez précis dans certains pays. Vu la fréquence des pratiques non déclaratives, les chiffres officiels européens du nombre d'apiculteurs et de colonies pourraient être sous-estimés. Cette sous-déclaration rend difficile une surveillance correcte de la santé des abeilles. Un fichier complet et centralisé identifiant toutes les colonies d'un pays permettrait à ses autorités sanitaires de répondre rapidement et efficacement en cas de crise sanitaire majeure [20], comme l'introduction d'un ravageur exotique telle que récemment vécue au sud de l'Italie avec la détection du petit coléoptère des ruches.

En effet, le succès d'une éradication dépend du nombre d'hôtes et de leur disponibilité, en l'occurrence les colonies d'abeilles dont dispose le parasite pour se nourrir et se reproduire [25]. Des chiffres fiables sur le nombre de colonies d'abeilles et leur localisation géographique sont des facteurs clés indispensables pour le contrôle des maladies des abeilles.

Au sujet du petit coléoptère des ruches

En septembre 2004, deux larves immatures du petit coléoptère de la ruche ont été trouvées dans des cages de reines importées du Texas (États-Unis) vers le Portugal. Toutes les ruches du rucher concerné ainsi que le rucher situé à 5 km de ce dernier ont été brûlées et le sol traité par des insecticides pour tuer d'éventuelles nymphes du coléoptère [27].

En Italie, c'est dans des colonies utilisées comme outil de surveillance qu'a été détecté le petit coléoptère des ruches (larves et adultes) en septembre 2014. Ces colonies ont été détruites et le sol traité. Afin de prévenir l'introduction de parasites, chaque État membre est obligé de signaler tout cas suspect [28].

Connaître les productions autres que celle du miel

Lors de l'étude conduite en 2010 et encore de nos jours, il est impossible de connaître la production de pollen, de gelée royale, de reines et d'essaims en Europe.

Ces produits sont souvent estimés secondaires. Mais vu la baisse du nombre de colonies observée dans de nombreux pays, le commerce d'essaims et de reines se développe. Des statistiques sur leur production fourniraient des indications pertinentes quant à la nécessité de renouveler le cheptel des abeilles dans chaque pays, et donc sur la santé du cheptel européen.

Intoxications : penser la complexité

Plus que toute autre filière de la production animale, l'apiculture dépend de facteurs environnementaux complexes. L'intoxication de colonies par les pesticides, qui a souvent dans le passé attiré l'attention des médias, n'a pas été rapportée majoritairement par les apiculteurs comme cause de mortalité des colonies.

Ceci est cohérent avec les résultats de plusieurs études récentes [29]. En effet, l'impact des pesticides sur la santé des abeilles se révèle très complexe à évaluer et, dans la plupart des cas, diffère d'une intoxication aiguë directe [30, 31].

Les interactions entre pesticides et micro-organismes pathogènes entraînent une augmentation de la mortalité des abeilles, ce qu'illustrent des expériences menées en laboratoire [32-34]. Sur le terrain, des effets sublétaux d'un pesticide sur les colonies d'abeilles ont été démontrés avec un protocole expérimental qui requiert un niveau élevé de technicité [35]. Ces difficultés méthodologiques peuvent conduire à sous-estimer l'impact délétère des pesticides sur la santé des abeilles.

Comme on pouvait le prévoir, les taux de mortalité des abeilles variaient au sein d'une large gamme de valeurs (de moins de 10 % à autour de 30 %). Ces variations sont vraisemblablement liées à l'hétérogénéité de la filière apicole décrite ci-dessus et aux protocoles mis en place pour le recueil des informations.

En 2010, il n'existait pas de protocole standard européen destiné à la collecte d'informations fiables sur la mortalité des abeilles. Depuis lors, le programme Epilobee a permis de fournir des données sur cette mortalité, comparables entre dix-sept pays membres de l'Union [44].

Conclusion

De grandes différences entre pays ont été observées dans presque toutes les données déclarées par les LNR : nombre d'apiculteurs, densité des colonies, leur taux de mortalité.

La forte proportion d'apiculteurs non professionnels et le faible nombre moyen de colonies par apiculteur étaient les seules caractéristiques communes au niveau européen. Dans toute l'Europe, l'apiculture reste une activité marquée par de fortes traditions historiques et la filière apicole était - et reste - essentiellement pratiquée par des non-professionnels.

Néanmoins, vu les échanges mondiaux croissants et les nouvelles menaces affectant les abeilles qui en découlent, le LRUE pour la santé des abeilles recommande fortement que les procédures de déclaration des apiculteurs et des colonies d'abeilles soient améliorées au sein de chaque pays.

Il est également nécessaire d'obtenir des données fiables sur la production d'essaims et de reines au niveau européen. Ces statistiques donneront des indications pertinentes sur la santé du cheptel de colonies d'abeilles à ce niveau.

Fig. 1 : Pourcentage d'apiculteurs professionnels dans les pays enquêtés

La Grèce compte 39,5 % de professionnels, la Roumanie 27 % et l'Espagne 23 %.

Fig. 2 : Production européenne de miel en 2010

C'est l'Espagne qui a la production de miel la plus importante (33 000 tonnes). La France fait partie des autres pays « à plus de 20 000 tonnes » avec l'Allemagne, l'Italie et la Roumanie.

Fig. 3, 4 et 5

Fig. 3 : Prévalence des principales maladies des abeilles observées en Europe en 2010

D'après les enquêtes des LNR (laboratoires nationaux de référence sur la santé des abeilles). En tête : maladies non identifiées et varroa, puis loque américaine et nosémose.

Fig. 4 : Causes de mortalité selon les apiculteurs

Principales causes de mortalité des colonies en Europe en 2010 selon les apiculteurs. En tête : maladies non identifiées, varroa, problèmes généraux puis les intoxications.

Fig. 5 : Causes de mortalité selon les laboratoires

Principales causes de mortalité des colonies en Europe en 2010 selon les LNR. Les maladies non identifiées et le varroa restent en tête, puis viennent la loque américaine et la nosémose, plus souvent citées que les problèmes généraux et les intoxications.

Pour ces trois figures : Maladies = maladies non identifiées. AFB = loque américaine. SBV = virus du couvain sacciforme. CPBV = virus de la paralysie chronique. DWV = virus des ailes déformées. EFB = loque européenne.

REMERCIEMENTS

Le LRUE pour la santé des abeilles remercie tous les LNR pour avoir fourni les données présentées dans cette étude, Marie-Pierre Rivière pour son aide avec les références bibliographiques, Morgane Dominguez pour les cartes et Jean-Christophe Arnold pour la relecture du manuscrit.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Ces dernières années, de nombreux pays européens ont fait part d'un taux élevé de troubles affectant les colonies d'abeilles mellifères (mortalité, diminution et disparition).

Mais il était difficile de comparer les pays. En effet, bien que l'apiculture se soit significativement professionnalisée ces dernières années, cette filière reste encore peu connue en Europe. Pour remédier à cet état de fait, une enquête a été réalisée.

ENQUÊTE - Le Laboratoire de référence de l'Union européenne (LRUE) pour la santé des abeilles a adressé un questionnaire détaillé à chaque État membre, ainsi qu'au Kosovo et à la Norvège, portant sur la filière apicole.

Chacun des laboratoires nationaux de référence (LNR) a fourni des informations sur le nombre et les types d'apiculteurs, la taille des colonies, les productions (miel, essaims, reines) et la situation sanitaire (maladies à déclaration obligatoire, mortalité).

RÉSULTATS - Le nombre total d'apiculteurs en Europe a été estimé à 620 000 pour environ 220 000 tonnes de miel produit en 2010 ; le prix du miel variait de 1,5 à 40 euros/kg selon le pays et le réseau de distribution.

À noter la forte hétérogénéité de la filière apicole dans l'Union européenne.

La grande proportion d'apiculteurs non professionnels et le faible nombre moyen de colonies par apiculteur étaient les seules caractéristiques communes à tous les pays.

La mortalité hivernale touchant les colonies variait de moins de 10 % à plus de 30 % selon les pays et l'origine des données (émanant de surveillances institutionnelles ou de structures associatives).

MOTS-CLÉS - Abeilles Apis mellifera, santé des abeilles, apiculture, miel, Aethina tumida, surveillance.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *M.-P. CHAUZAT, *L. CAUQUIL, *S. FRANCO, *M. RIBIÈRE-CHABERT, Unité de pathologie de l'abeille, Anses, Laboratoire de référence européen (LRUE) et national pour la santé des abeilles, Sophia-Antipolis.

**L. ROY, unité d'épidémiologie, Anses, Lyon.

***P. HENDRIKX, ***C. DELORME, unité de coordination et d'appui à la surveillance (ex-Survepi), Anses, direction des laboratoires, Maisons-Alfort.

CONTACT : marie-pierre.chauzat@anses.fr

LIENS UTILES : http://faostat.fao.org

Eurostat : http://epp.eurostat.ec.europa.eu

www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0079018

BIBLIOGRAPHIE : disponible dans la version anglaise de cet article parue dans PlosOne le 13/11/2013, en accès libre sur le net (lien ci-dessus).

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