Le dispositif 2014 a été élargi. Ainsi, il a suivi les mortalités toute l'année et pris en compte les substances biocides et vétérinaires en plus des phytopharmaceutiques. Photo : Pixabay
Le dispositif officiel français de suivi des troubles des abeilles a été rénové en 2014 pour prendre en compte le retour d'expérience des acteurs de terrain, aussi bien les services déconcentrés de l'État que les apiculteurs via leurs organisations professionnelles.
Fonctionnement du dispositif 2014
Période et objet des recherches élargis
Ces évolutions se sont concrétisées par la publication de la note de service DGAL 2014-899 du 14 novembre 2014 intitulée : « Surveillance des mortalités massives aiguës et des maladies classées dangers sanitaires de première catégorie ». Des éléments nouveaux ont été intégrés dans le dispositif. Les premiers concernent l'objet des recherches. Ce sont :
- la prise en compte des mortalités massives aiguës survenant pendant l'hiver et les pertes de colonies sans tapis d'abeilles (en plus des mortalités printemps/été/automne, seules surveillées en 2013) ;
- la prise en compte au cours des enquêtes de l'hypothèse d'une intoxication des abeilles aux substances biocides et médicaments antiparasitaires utilisés en élevage (en plus des substances phytosanitaires).
Une organisation améliorée
D'autres éléments nouveaux concernent l'organisation de la surveillance. Ce sont :
- l'élargissement du réseau de surveillance aux organisations apicoles et autres acteurs, notamment la possibilité pour ces derniers de signaler des événements de santé touchant les colonies d'abeilles ;
- la possibilité de faire appel, pour conduire les enquêtes sur les ruchers, à des vétérinaires mandatés ou des techniciens sanitaires apicoles ;
- un pilotage et une coordination centralisés des enquêtes par la DGAL en cas de mortalités « groupées » ;
- l'information des apiculteurs et leurs partenaires, autant que possible, sur les résultats des enquêtes.
Les apiculteurs, acteurs majeurs de la déclaration officielle
Pour rappel, le fonctionnement de ce dispositif repose sur le signalement par les apiculteurs de tout trouble brutal important auprès des DD(CS)PP(1). Ces dernières recensent l'ensemble des cas qui leur sont signalés et font le tri des déclarations. Leur action se concentre sur la détection des quatre maladies classées dangers sanitaires de première catégorie. En cas de suspicion de syndrome de mortalités importantes et quelle que soit la saison, les services régionaux de l'alimentation et les services départementaux DD(CS)PP mènent les enquêtes conjointement.
Cette méthode offre la meilleure possibilité d'enquêter de façon concluante sur les éventuelles pratiques agricoles d'utilisation de produits phytopharmaceutiques aboutissant à des intoxications aiguës.
Bilan 2014 de la surveillance des mortalités aiguës
Légère augmentation : 115 cas signalés
En 2014, le réseau de surveillance événementielle a recensé 115 alertes provenant de 42 départements. Pour mémoire, 105 déclarations de mortalité avaient été enregistrées dans 36 départements en 2012 et 98 de 35 départements en 2013.
On remarque une légère augmentation par rapport à 2013 et 2012 (Figure 1), probablement due à la mobilisation des organisations professionnelles apicoles pour sensibiliser leurs adhérents à l'intérêt de signaler systématiquement des incidents majeurs qui surviennent dans leurs ruchers.
Les investigations menées en 2014 sur les 115 alertes ont, comme prévu, permis de faire un tri entre :
- d'une part les mortalités nécessitant la mobilisation de l'ensemble des acteurs du réseau (SRAL, DD(CS)PP) pour rechercher efficacement leur(s) cause(s) ;
- d'autre part celles relevant d'un traitement local par les DD(CS)PP car aucun lien avec d'éventuelles intoxications n'était suspecté (autres causes relativement évidentes).
Les mortalités explicables par d'autres causes que des intoxications étaient au nombre de 72.
Les services régionaux de l'alimentation et les services des directions départementales interministérielles sont donc intervenus dans 43 dossiers pour lesquels des intoxications pouvaient être suspectées.
Enquêtes phytosanitaires pour 40 cas, dont 32 avec présence de substances chimiques
Quarante d'entre eux ont été à l'origine du déclenchement d'enquêtes phytosanitaires. En 2013, seulement 25 enquêtes phytosanitaires avaient été conduites sur les 98 alertes enregistrées (Figure 1).
Les conclusions de l'ensemble des enquêtes menées ont mis en évidence des résultats positifs en recherche toxicologique dans 32 cas. Cela représente 28 % des déclarations mais 80 % des enquêtes menées par les services régionaux de l'alimentation. Ceci démontre que le travail préalable de tri des déclarations et du ciblage des recherches est essentiel.
Ce sont 32 molécules chimiques différentes qui ont été trouvées, dont onze en quantités significatives.
Il est à noter qu'un résultat positif en analyse toxicologique ne suffit pas à lui seul pour qualifier une intoxication aiguë. Cela vaut aussi pour la présence de pathogènes : leur présence ne suffit pas à elle seule pour qualifier la maladie.
Parmi les molécules présentes, les enquêtes ont permis d'identifier sept substances interdites en phytopharmacie en France : carbaryl, chlorfenvinphos, coumaphos, endosulfan, fipronil, perméthrine et tétraméthrine. La présence de ces sept molécules a retenu toute l'attention des SRAL qui devront orienter leurs prochains plans de contrôle intrants et résidus en conséquence.
Le fipronil (autorisé dans des produits biocides et vétérinaires mais pas sur abeilles) et le chlorfenvinphos (interdit comme biocide et vétérinaire) ayant été détectés à l'état de trace, leur implication dans des mortalités aiguës est peu probable. Mais leur présence elle-même pose question.
Les cinq autres substances interdites en phytopharmacie ont été trouvées en quantités significatives. Elles sont donc soupçonnables d'être impliquées dans les intoxications (Tableau 1).
Dix cas peuvent être liés à des intoxications
Dans quatre de ces trente-deux dossiers, sept substances ont été identifiées comme potentiellement à l'origine des intoxications d'abeilles (Tableau 1). Cela représente 3,5 % de l'ensemble des alertes déclarées. Il s'agit des substances suivantes : chlorpyriphos-éthyl, fluazifop, prothioconazole, tebuconazole, ainsi que le carbaryl, la perméthrine et la tétramethrine déjà cités plus haut comme interdits en phytopharmacie en France.
Par ailleurs, six analyses effectuées en 2014 ont mis en évidence des associations de substances chimiques susceptibles d'avoir des effets néfastes ou aggravants : tau-fluvalinate avec coumaphos (Johnson et al., 2013), chlorpyriphos-éthyl avec endosulfan d'une part et spirotetramat d'autre part (Tableau 1).
Onze substances impliquées
Parmi les onze substances impliquées (Tableau 1), cinq ont déjà été citées auparavant comme ne disposant d'aucune autorisation d'usage sur végétaux. Mais trois d'entre elles (carbaryl, perméthrine et tétraméthrine) sont autorisées dans des produits vétérinaires et biocides.
Cela souligne l'intérêt de ne pas limiter les investigations sur les causes des mortalités d'abeilles aux seuls produits phytosanitaires.
Les deux autres substances sont totalement interdites en agriculture comme en apiculture. Il s'agit du coumaphos, substance autorisée dans certains États membres pour le traitement antivarroa, et de l'endosulfan, interdit comme produit phytosanitaire depuis le 30 mai 2007 mais restant très persistant dans l'environnement.
Vingt-deux cas sans lien potentiel direct
Pour les 22 autres dossiers, la présence de substances chimiques a été constatée mais n'a pas permis d'établir de façon formelle un lien potentiel direct avec les mortalités d'abeilles pour trois raisons principales :
- soit les niveaux de résidus des matières actives quantifiées sont trop faibles pour conclure à une intoxication directe des abeilles ; de plus aucune mauvaise pratique agricole n'a pu être démontrée ;
- soit la présence de substances est concomitante avec la confirmation de pathologie, notamment la CBPV (virus de la paralysie chronique de l'abeille) ;
- soit il a été impossible d'établir une relation de cause à effet directe en l'état actuel des connaissances entre les applications de produits dans l'environnement du rucher et la mortalité observée.
À noter que pour 8 % des déclarations, c'est-à-dire neuf dossiers (soit 9/22 = 41 % des dossiers « sans lien potentiel direct »), les déclarations tardives ont été un frein pour une investigation pertinente.
Autres causes de mortalités
Enfin, pour les autres alertes, les investigations menées rapportent un constat identique que celui déjà fait les années passées, relatant notamment :
- dans 10 % des cas, de mauvaises pratiques apicoles (produit de nourrissage de mauvaise qualité et/ou en trop faible quantité, traitements antivarroa non conformes, couvain refroidi, famine et dépopulation en sortie d'hiver...) ;
- dans 20 % des cas, la présence d'agents pathogènes à des niveaux expliquant un taux de mortalité élevé au sein des colonies visitées.
Parmi les maladies confirmées (voir Figure 2), on retrouve la paralysie chronique de l'abeille (maladie due au virus CBPV), la paralysie aiguë (virus ABPV), de fortes infestations par le varroa ainsi que la présence de loque américaine et/ou de nosémose à Nosema ceranae.
(1) Soit DDPP, Direction départementale de la protection des populations, soit DDCSPP, Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations.
Fig. 1 : Évolution des signalements et des enquêtes phytosanitaires depuis 2010
Quand une intoxication par un pesticide peut être suspectée, il y a enquête phytosanitaire.