Yeux rouges, ailes translucides, cette femelle de trichogramme arpente une plaque d'oeufs de pyrale du buis. Elle cherche à y pondre ses propres oeufs car cette « microguêpe » est ce que les scientifiques nomment un « parasitoïde oophage ». Photo : Inra Antibes - UEFM
Les partenaires du projet SaveBuxus ont étudié la biologie de la pyrale du buis Cydalima perspectalis et mis au point son élevage (voir article précédent) dans le but de tester des outils de protection biologique.
Cet article évoque l'un de ces tests. Son objectif : sélectionner des souches de trichogramme en fonction de leur capacité à pondre dans les oeufs de la pyrale du buis puis de les tuer.
Pourquoi les trichogrammes ?
Les trichogrammes sont des microguêpes parasitoïdes ayant pour hôtes des insectes appartenant à plusieurs ordres d'insectes, et majoritairement les lépidoptères (Smith, 1996). Or, la pyrale du buis est justement un lépidoptère...
Les trichogrammes sont des parasitoïdes oophages : en tuant les oeufs, ils stoppent le développement de l'insecte, permettant le contrôle de la population de ravageurs avant le stade chenille, le stade causant les dégâts aux végétaux (Leuthardt et al., 2013). C'est pour cela que ces espèces sont régulièrement utilisées en lutte biologique (Li et al., 1994 ; Smith, 1996 ; Pratissoli et al., 2005 ; Suckling et al., 2010 ; Chailleux et al., 2012).
Aujourd'hui, les trichogrammes sont largement utilisés comme moyen de traitement à grande échelle : plus de 30 millions d'hectares sont traités tous les ans en Amérique latine avec des trichogrammes (Van Lenteren et al., 2003). En France, plus de 100 000 hectares de maïs sont protégés par des trichogrammes contre la pyrale du maïs.
Le travail réalisé
Élevage des insectes
Les trichogrammes ont été élevés au sein de notre laboratoire dans des conditions se rapprochant des conditions du terrain : T 25 °C ± 1, HR 75 % ± 5, 16L:8D, sur des oeufs d'Ephestia kuehniella préalablement irradiés. L'élevage s'est fait en tubes miellés, pour l'alimentation des adultes.
L'émergence des trichogrammes a été suivie quotidiennement afin que les individus soient âgés de 12 à 24 heures pour nos expérimentations.
Quant à l'élevage des pyrales, il a été décrit dans l'article précédent.
Tests de parasitisme pour trier les souches
Ce travail s'est fait selon un protocole par étapes et des critères bien définis. Chaque matin, un maximum d'oeufs de pyrale utilisables a été récolté dans les cages d'élevage et d'optimisation de l'élevage. L'expérience s'est déroulée dans une enceinte climatique à : T 25 °C ± 1, HR 80 % ± 5, 16L:8D.
Pour les screenings (tris), des branches de buis de 20 cm environ ont été placées quotidiennement dans les cages de ponte de pyrale. Le lendemain, les branches, contenant environ 50 oeufs, ont été sélectionnées et placées dans des tubes de screening (tubes en plexiglas de 14 cm de long).
Deux femelles trichogrammes de la même souche ont été placées dans chaque tube, fermé avec un maillage très fin (150 µm) à une extrémité et du coton à l'autre. Les tubes ont été laissés à incuber dans une enceinte climatique (T 25 °C ± 1, HR 80 % ± 5, 16L:8D). Après 72 heures, les femelles ont été retirées des tubes. Les observations ont été réalisées trois jours plus tard.
Lors des relevés, les chenilles non écloses, les oeufs avortés et les oeufs parasités ont été comptabilisés. Le nombre de chenilles émergentes a été déduit de ces trois variables. Les observations ont été faites à la loupe binoculaire, grossissement ×12.
Témoins et tests annexes
Parallèlement, deux témoins ont été mis en place. Pour évaluer le taux d'avortement naturel, des oeufs de pyrale pondus sur brins de buis ont été placés dans un tube de screening sans parasitoïde.
Par ailleurs, afin de vérifier la qualité des souches testées, une femelle trichogramme, de chaque souche étudiée, a été mise en contact avec 200 oeufs de la teigne de la farine Ephestia kuehniella, et le taux de parasitisme a été calculé.
À ce jour, 54 souches de trichogramme appartenant à 17 espèces différentes ont été testées, avec plus de dix répétitions pour chaque souche de trichogramme. Cela représente plus de 700 répétitions pour l'ensemble des souches.
Lors de ces expérimentations, le comportement des femelles a également été observé.
Tests statistiques
Les tests statistiques ont été réalisés avec le logiciel R (R Core Team, 2013).
Les différences entre les souches de trichogramme pour le parasitisme, et l'efficacité globale (nombre d'oeufs de pyrale tués par une femelle parasitoïde, c'est-à-dire parasitisme plus avortement) ont été analysées avec des modèles linéaires généralisés (GLM) suivant une loi de distribution de type quasi-poisson (adaptée à des données issues de comptages).
Dans chaque cas, la correspondance au modèle a été vérifiée grâce à un test F (model : quasipoisson, l ink : log).
Des résultats encourageants
Comportement des trichogrammes
Les premières observations faites sur les femelles après leur insertion dans les tubes montrent qu'elles ont un comportement actif de recherche et de ponte. Elles auscultent la surface du chorion des oeufs avec leurs antennes puis restent longtemps immobilisées sur l'oeuf pour pondre ou réaliser une piqûre nutritionnelle (host-feeding).
Trente-six souches parasitent la pyrale, dont six mieux que les autres
Au total 36 des 54 souches de trichogramme testées ont parasité les oeufs de la pyrale. Leurs taux de parasitisme sont représentés Figure 1. Pour des raisons de confidentialité, les souches de trichogramme sont représentées codées.
Le GLM a mis à jour deux groupes statistiques, a et b. Au sein d'un même groupe, les souches ne sont pas différentes entre elles, et diffèrent statistiquement de l'autre groupe. Les six souches Qa, Y, Nb, Sa, Qc et Wd, appartenant à cinq espèces différentes, parasitent statistiquement plus d'oeufs que les autres souches (GLM quasipoisson, p. value = 0,034).
Efficacité globale : cinq des six souches à retenir
Pour l'efficacité globale (Figure 2), le GLM montre trois groupes statistiques : a, b et c. Les cinq souches Qa, Y, Sa, Qc et Nb (appartenant à quatre espèces différentes) montrent une efficacité significativement supérieure aux autres souches (GLM quasipoisson, p. value = 0,024).
On peut observer que les cinq souches donnant les meilleurs résultats d'efficacité globale font partie du groupe « a » pour le parasitisme.
Les résultats obtenus montrent des groupes statistiquement différents, ce qui souligne le caractère discriminant du screening et valide donc notre protocole d'étude.
Ces résultats sont positifs : plusieurs souches de trichogramme sont capables de parasiter puis de se développer dans des oeufs de pyrale du buis. Selon les répétitions, certaines souches ont été en mesure de parasiter tous les oeufs de la pyrale (souche Y) et/ou de provoquer un taux d'efficacité globale allant jusqu'à 100 % (souches Nb, Qa, Qc, Sa et de nouveau Y).
C'est la mortalité globale des oeufs qui est importante pour le contrôle biologique de la pyrale. C'est pourquoi nous pouvons dès à présent nous concentrer sur les cinq souches du groupe « a » ayant donné les meilleurs résultats d'efficacité globale en affinant nos recherches par des expérimentations complémentaires. L'objectif final est de déterminer la souche de parasitoïde la plus efficace pour contrôler la pyrale.
Les trichogrammes qui émergent : vers une adaptation aux buis ?
Les oeufs parasités ont été isolés et observés. Des masses sombres sont visibles à la loupe binoculaire (photo) ; elles correspondent à des nymphes de trichogramme. On a observé jusqu'à quatre nymphes de trichogramme dans un même oeuf de pyrale.
À noter que le nombre de trichogrammes émergés est supérieur au nombre d'oeufs parasités, ce qui donnerait un nombre de descendants (F1) important.
L'émergence de plusieurs trichogrammes à partir d'un oeuf parasité est un résultat notable. Cela permettra de travailler sur les descendants des trichogrammes en laboratoire et de savoir s'ils sont plus efficaces pour parasiter les oeufs de pyrale après « apprentissage ». En pratique, cette perspective est importante économiquement : les descendants seront déjà sur place et constitueront un inoculum potentiellement plus adapté par rapport à des insectes d'élevage. Ils seront habitués à l'écosystème buis, donc potentiellement plus aptes à rechercher et parasiter les oeufs.
Conclusion et perspectives
Étape suivante : tester les « F1 »
Le protocole de screening a montré que les trichogrammes sont capables de tuer les oeufs de la pyrale du buis. Il a aussi permis de discriminer les meilleures souches (groupe « a »). Des études restent à mener sur ces parasitoïdes afin de présenter une souche finale pouvant être utilisée pour lutter efficacement contre C. perspectalis.
Des screenings complémentaires sont prévus sur ces cinq souches. Les individus F1 seront évalués pour tester si leur capacité à parasiter les oeufs de la pyrale sera plus importante que la génération mère.
Étapes « mesocosme », hybridation, sélection...
Par la suite, nous mettrons en place des tests de choix en mésocosmes (buis entiers en pots) afin de déterminer l'efficacité des trichogrammes dans un environnement plus complexe et avec la prise en compte de leur dispersion. Afin de tenter d'augmenter l'efficacité de nos trichogrammes, des essais d'hybridation et de sélection des femelles les plus performantes sont prévus.
Dans le but de comprendre les causes de la variabilité de l'efficacité des différentes femelles d'une même souche, un protocole de screening croisé est envisagé, en quatre modalités. Les oeufs présentés aux parasitoïdes seront :
- de pyrale sur feuilles de buis ;
- de pyrale sur milieu neutre ;
- d'E. kuehniella sur feuilles de buis ;
- d'E. kuehniella sur milieu neutre.
Le comportement des femelles trichogrammes sera étudié plus précisément.
Appel à collecteurs de parasitoïdes naturels
Des études sur les composés chimiques du buis sont prévues afin de comprendre leur impact potentiel sur la relation tritrophique plante/ravageurs/auxiliaires. De surcroît, un appel à collecteurs a été réalisé pour récupérer un maximum d'oeufs de pyrale du buis issus du terrain, afin de vérifier la présence de parasitoïdes naturels et de les collecter.
Autres travaux de SaveBuxus
Enfin, en parallèle à cette étude des parasites d'oeufs de pyrale, d'autres stratégies de lutte type piégeage des papillons ou encore utilisation de Bt sont en cours d'étude dans le cadre du programme SaveBuxus. Ce dernier s'achevant en 2017, deux années de recherche restent aux partenaires du programme pour trouver une panoplie de solutions complémentaires en vue de réguler les populations de pyrale du buis.
Fig. 1 : Parasitisme : 36 souches dont 6 significativement plus actives
Taux de parasitisme des 36 souches (sur 54 testées) qui ont effectivement parasité des oeufs de pyrale. Les six souches de gauche ont un taux de parasitisme statistiquement plus élevé de ceux des 30 autres.
Fig. 2 : Efficacité globale : cinq des six souches significativement plus actives sont vraiment à suivre
ufs de pyrale tués par femelle de trichogramme soit par parasitisme réussi (comme dans la Figure 1) soit par avortement dû aux piqûres.
REMERCIEMENTS
Ce travail a été réalisé grâce au concours financier et technique de Plante & Cité, Astredhor, Val'hor, FranceAgriMer, l'Onema dans le cadre d'Ecophyto, la Fondation de France et Koppert France.