DOSSIER - Qualité sanitaire des grains

Fusariose des épis du blé : faire évoluer la lutte fongicide

HÉLÈNE BATINA*, VESSALA ATANASOVA-PENICHON**, ARNAUD FOURREY***, SANDRINE GELISSE*, GUÉNOLÉ GRIGNON***, VALÉRIE LAVAL*, CLAUDE MAUMENÉ***, BENOÎT MÉLÉARD***, ROMAIN VALADE****, ANNE-SOPHIE WALKER* ET EMMANUELLE GOURDAIN*** - Phytoma - n°686 - août 2015 - page 16

Bilan du volet « Utilisation raisonnée des fongicides et apport des biofongicides pour lutter contre la fusariose des épis de blé » du programme EcoFusa.
Parcelles expérimentales de lutte contre la fusariose. Cette photo a été prise le 11 juin 2010, à La Jaillière (Loire-Atlantique).  Photo : R. Légère - Arvalis-Institut du végétal

Parcelles expérimentales de lutte contre la fusariose. Cette photo a été prise le 11 juin 2010, à La Jaillière (Loire-Atlantique). Photo : R. Légère - Arvalis-Institut du végétal

La fusariose des épis du blé peut occasionner de notables pertes de rendement (15 q/ha dans des essais Arvalis-Institut du végétal en région Centre de 2007 à 2009). Surtout, elle représente un enjeu sanitaire de taille car certaines espèces du complexe fusarien peuvent dégrader la qualité sanitaire en produisant des mycotoxines, dont le DON (déoxynivalénol).

Les raisons de mener EcoFusa

DON : les limites réglementaires

Or, depuis le 1er juillet 2006, les filières blés sont soumises au règlement européen 1881/2006 qui fixe des limites maximales en DON de 1 750 et 1 250 <03BC>g/kg pour les lots de blé dur et de blé tendre bruts destinés à l'alimentation humaine.

Ainsi, le respect des limites réglementaires est devenu une nouvelle condition d'accès au marché et les répercussions économiques peuvent être considérables.

Diversité des espèces impliquées

La lutte contre la fusariose du blé tendre et du blé dur est entravée par la diversité des espèces pathogènes responsables et leurs caractères épidémiologiques différents. Deux principaux genres fongiques sont impliqués en Europe : Microdochium avec deux espèces majoritaires récemment distinguées, M. nivale et M. majus (Glynn et al., 2005), et Fusarium.

Au sein du genre Fusarium, les espèces prédominantes en Europe sont F. graminearum, F. culmorum, F. avenaceum et F. poae (Bottalico and Perrone, 2002 ; Ioos et al., 2004).

Si les souches du genre Microdochium sont non toxinogènes, F. graminearum et F. culmorum sont les deux principales espèces susceptibles de produire des trichothécènes B, dont le DON.

Prophylaxie utile mais à affiner, lutte directe fongicide...

La prophylaxie est avérée efficace pour réduire le risque lié à Fusarium graminearum, mais ses effets sur Microdochium spp. et les autres espèces fusariennes sont méconnus. Les facteurs de risque identifiés pour F. graminearum sont le précédent cultural, le travail du sol et la sensibilité variétale (Obst and Bechtel, 2000 ; Schaafsma et al., 2001 ; Barrier-Guillot et al., 2006 ; Lemmens, 2007 ; Gourdain et al., 2009).

Par ailleurs, la lutte chimique garde une place marquée contre les « fusarioses ». Depuis 2006, 2 à 3 millions d'hectares de blés sont protégés chaque année contre la fusariose de l'épi dans des contextes climatiques qui parfois ne le méritaient pas a posteriori. En effet, les critères objectifs de prise de décision restent fragmentaires, surtout vis-à-vis de Microdochium.

Ainsi, le traitement de l'épi participe largement à la « pression fongicide » sur blés. Or, dans le contexte du plan Ecophyto et sa première étape de réduction de 20 à 30 % des produits phytopharmaceutiques dans les systèmes de production actuels mais avec des pratiques phytosanitaires mieux raisonnées (Butault et al., 2010)... ce raisonnement devient un enjeu crucial !

Interactions plante/pathogène/fongicides

Les fongicides ont un fort pouvoir structurant sur les populations de Fusarium et Microdochium du grain. Ils peuvent déplacer les équilibres de flore dans un sens favorable ou défavorable à la qualité sanitaire. Un choix approprié des matières actives actuelles accompagné d'un positionnement judicieux des applications permettraient de limiter les applications inutiles et d'éviter de favoriser les espèces toxinogènes.

Il faut aussi tenir compte de l'émergence de populations résistantes aux différentes familles de fongicides (Walker et al., 2009).

Chercher des biofongicides

Avec des débouchés 100 % alimentation humaine et des variétés sensibles à très sensibles à la fusariose, l'enjeu sur blé dur est très fort : le traitement antifusariose est aujourd'hui quasi systématique pour assurer la qualité sanitaire de ces blés.

Dans ce cas, le développement de biofongicides pourrait s'avérer une solution alternative incontournable.

Projet Arvalis-Inra

Afin de mieux comprendre les interactions plante/pathogènes/toxines à travers leurs modulations par les pratiques agronomiques et le climat, Arvalis-Institut du végétal et les unités Inra Bioger et MycSA ont mené le projet de recherche EcoFusa, « Lutte contre les fusarioses des épis de blés : de l'utilisation raisonnée des fongicides aux méthodes de luttes alternatives », soutenu par le Casdar.

Voici les principaux résultats obtenus sur le raisonnement de la lutte directe, à savoir :

- avec quoi traiter ; optimiser les traitements classiques et évaluer des molécules « vertes » ;

- à quel moment traiter ; coupler une quantification moléculaire à un dispositif de piégeage d'ascospores à des fins d'évaluation du risque « fusariose ».

Un article de Gourdain et al., 2015 (voir Phytoma n° 682, mars 2015) cite nos résultats sur la prophylaxie, autre axe du projet.

Optimiser la lutte chimique : spectre des matières actives et statut de la résistance

Nos premiers objectifs ont été :

- d'étudier la pression de sélection exercée sur les espèces de Fusarium et Microdochium par les principales familles de fongicides utilisées, triazoles, strobilurines et benzimidazoles ;

- d'évaluer l'impact de la résistance aux strobilurines sur l'efficacité de la lutte et sur la qualité sanitaire finale.

Trois fois deux essais à Boigneville

Deux essais de lutte fongicide ont été menés chaque année, durant trois ans, sur la station expérimentale Arvalis de Boigneville (91) :

- essais « EcoFusa » (cannes de maïs posées au sol et brumisation durant la floraison du blé pour favoriser F. graminearum) ;

- essais « Fumani » (Microdochium inoculé avec une souche résistante aux strobilurines et benzimidazoles).

Les modalités étaient : témoin non traité, triazole, triazole + strobilurine et triazole + méthyl thiophanate.

En plus des notations d'efficacité, des échantillons de grains ont été envoyés à un laboratoire sous-traitant pour suivi de microbiologie et isolement des souches de Microdochium afin de quantifier le genre. En parallèle, nous avons quantifié les deux espèces de Microdochium et leurs résistances aux fongicides par trois méthodes :

- test biologique (champignon exposé à des doses discriminantes de fongicides) ;

- test moléculaire (test CAPS) qui détecte la substitution G143A de la protéine du cytochrome b, liée à la résistance aux strobilurines ; un autre test CAPS détermine les espèces de Microdochium (M. nivale/M. majus) car elles sont non différenciables par test biologique ;

- test moléculaire quantifiant les allèles résistants (strobilurines et benzimidazoles) au sein des deux espèces de Microdochium.

Une analyse de DON par un laboratoire sous-traitant complète les résultats.

Microdochium sp. domine même en contamination naturelle

En contamination naturelle cherchant à favoriser Fusarium sp. (résidus de maïs et brumisation, essai EcoFusa), la flore reste largement dominée par Microdochium spp. sur les trois années.

La nature de l'espèce dominante, M. majus ou M. nivale, et surtout la fréquence de la résistance au sein de chacune des espèces, affectent les résultats d'efficacité, de rendement et de teneur en DON.

Effet des triazoles seuls

Concernant les triazoles, le tébuconazole a une efficacité moyenne contre la maladie et sur le rendement, lié à sa faible efficacité sur Microdochium ; en revanche, les teneurs en DON associées sont parmi les plus faibles, vu sa bonne activité sur F. graminearum, principal producteur de DON.

L'association du prothioconazole (efficace à la fois sur Microdochium spp et F. graminearum) au tébuconazole (produit Prosaro) donne les meilleurs résultats d'efficacité et de rendement avec des teneurs en DON parmi les plus faibles.

Strobilurines associées aux triazoles

L'adjonction de strobilurines est le plus souvent sans effet sur l'efficacité et le rendement vu la résistance aux QoI très implantée chez les deux espèces de Microdochium. Face à des souches sensibles en proportion suffisante, les strobilurines peuvent améliorer l'efficacité des triazoles associées et le rendement final.

Les teneurs en DON sont plus élevées dans les grains traités avec l'association tébuconazole + azoxystrobine que dans ceux traités aux triazoles seuls. Dans l'association prothioconazole + fluoxastrobine, la fluoxastrobine semble sans effet et n'influence pas négativement l'activité intrinsèquement élevée du prothioconazole. Le produit (Fandango) est donc performant à la fois sur le rendement et le taux de DON.

Benzimidazoles associées

L'association du méthyl thiophanate (benzimidazole) au tébuconazole (triazole) n'est bénéfique sur le rendement et l'efficacité qu'en présence de souches de Microdochium spp. sensibles au thiophanate.

Les teneurs en DON sont en majorité plus élevées que pour les triazoles seules.

Résultats en contamination artificielle de Microdochium

Concernant les essais Fumani, une analyse en composantes principales a été réalisée pour étudier les relations entre variables. Elle montre que :

- les champignons sont tous plus ou moins corrélés et aucun ne s'oppose franchement ;

- la teneur en DON est très bien corrélée à F. graminearum (Figure 1);

- le rendement est opposé aux symptômes d'épis fusariés (mais ces variables sont moyennement bien représentées).

Plus surprenant, la somme des précipitations autour de la floraison est opposée à la quantité de F. graminearum et à la teneur en DON (Figure 1).

Pression de sélection mesurée par différentes méthodes

L'analyse par tests microbiologiques et CAPS des essais EcoFusa, les trois années du projet, a montré que la flore naturelle de Boigneville était dominée par M. nivale. L'efficacité de l'inoculation des essais Fumani avec une souche de M. majus résistante à deux fongicides a été variable (fréquences de l'espèce dans les témoins de 5 à 70 %).

Dans un contexte national où l'espèce M. majus porte souvent la double résistance, à la fois aux strobilurines et aux benzimidazoles, ces essais ont permis d'identifier les pressions sélectives décrites ci-dessous :

- les triazoles seuls, le plus souvent, modifient peu la structure de la population ;

- les associations de strobilurines aux triazoles voient augmenter la proportion de souches résistantes aux strobilurines au sein de M. majus et/ou M. nivale ;

- les associations de benzimidazole (thiophanate-méthyl) aux triazoles voient augmenter la proportion des souches résistantes aux benzimidazoles.

Pour étudier l'impact des traitements sur la sélection de flore résistante, une analyse factorielle des correspondances est réalisée (voir Figure 2).

Les souches de M. nivale résistantes (MnR) aux strobilurines sont associées aux traitements contenant des strobilurines (azoxystrobine, fluoxastrobine).

L'association tébuconazole + thiophanate méthyl tend à sélectionner des souches de M. majus et M. nivale résistantes aux benzimidazoles (MmR, MnR). Mais elle est associée également à des populations importantes de M. majus résistantes aux strobilurines (MnR), par effet « ascenseur »(1). Les souches résistantes aux benzimidazoles le sont aussi aux strobilurines.

Dans quelques situations, on notait une augmentation simultanée de la fréquence de souches résistantes aux deux modes d'action dans les mêmes modalités, les mutations responsables des deux résistances étant régulièrement associées au sein du même isolat (effet « auto-stop »).

Le jeu des pressions de sélection est grosso modo conforme à ce qui était attendu. Globalement, ces résultats confirment que les essais ont été bien menés.

Il reste à mesurer si les augmentations en fréquence des diverses résistances réduisent le gain d'efficacité attendu par l'association du tébuconazole (référence contre les maladies de l'épi) aux deux autres modes d'action actifs sur Microdochium, et quel est l'effet sur la production de toxines.

Les dosages d'ADN effectués en Q-PCR pour la résistance aux strobilurines montrent souvent une plus grande proportion de souches M. nivale que de souches M. majus. Ceci n'a pas été observé avec les analyses CAPS. En fait, la Q-PCR permet de détecter l'ADN mais pas de savoir si la souche est vivante. Les outils CAPS basés sur un échantillonnage de souches et les outils Q-PCR basés sur une analyse globale d'échantillon ne comparent pas exactement les mêmes choses.

Évaluation de l'efficacité de biomolécules de substitution

Peuvent-elles limiter l'accumulation de DON sur le blé tendre ?

Les objectifs ont consisté à :

- identifier des molécules naturelles à efficacité antifongique et « antimycotoxines » suffisante pour pouvoir remplacer des fongicides synthétiques, et dont l'approvisionnement permet une application in vivo ;

- valider l'intérêt de ces biomolécules par analyse de leur efficacité en plein champ.

Étape laboratoire sur sept substances

Nous avons étudié in vitro l'efficacité de molécules-cibles sur différentes souches : dix souches de F. graminearum, dix de F. culmorum et de deux de Microdochium. Après une première série d'analyses, six souches supplémentaires de Microdochium ont été ajoutées au protocole. Les souches de F. graminearum et F. culmorum ont été choisies pour représenter trois chémotypes (DON/15-ADON, DON/3-ADON et NIV/FX(2)) aux potentiels toxinogènes différents.

L'efficacité sur la croissance du champignon et sa capacité à produire des toxines (DON et ses dérivés, nivalénol et fusarénone) a été étudiée pour chaque molécule d'intérêt.

Les biomolécules testées sont l'acide caféique, l'acide quinique, l'acide férulique, la curcumine, l'acide chlorogénique et le DiCQ (acide dicaffeoylquinique).

Le chitosane a été également testé vu son effet perturbateur de l'intégrité des membranes fongiques mais aussi stimulateur des défenses naturelles des plantes. Son intégration dans des formulations de biofongicides en association avec les composés précédemment cités a été étudiée.

Pour les molécules s'avérant les plus actives contre la toxinogénèse, une approche moléculaire Q-RT-PCR a été entreprise. L'impact du dérivé naturel sur l'expression de certains des gènes Tri, gènes de la voie de biosynthèse des trichothécènes, a été caractérisé.

Acides férulique et caféique prometteurs au laboratoire

Les résultats in vitro ont montré que parmi les acides phénoliques testés, l'acide férulique était le plus efficace pour inhiber la croissance fongique, les souches de Microdochium et de F. graminearum étant plus sensibles que celles de F. culmorum.

L'acide caféique s'est montré la meilleure des six molécules testées pour inhiber la biosynthèse des mycotoxines.

Les études sur l'impact des acides caféique et férulique, seuls et en mélange, sur l'expression du gène Tri5 ont montré une inhibition significative dans les cultures supplémentées en acide caféique que dans le témoin.

Pour élucider les mécanismes d'action, des études ont été réalisées afin de voir si l'effet de ces acides était lié à leurs propriétés antioxydantes. Les résultats ont montré que l'expression des gènes codant pour des enzymes fongiques antioxydantes (catalase, superoxydase) était affectée par les traitements avec les acides caféique et férulique. Ceci confirme l'existence d'un effet sur le potentiel redox induit par ces acides.

Les tests avec le chitosane ont montré qu'il inhibe la germination des spores mais pas la croissance fongique. Il n'augmente pas l'effet inhibiteur des acides phénoliques. Il n'a donc pas été testé au champ.

Déception au champ

Ayant montré l'efficacité la plus importante in vitro, les acides caféique et férulique ont été testés seuls et en mélange au champ en 2012, associés à un fongicide pour bénéficier de l'effet formulation. En 2013, un essai a été réalisé avec la curcumine.

Dans nos conditions, les biomolécules n'ont pas eu d'effet sur le développement de F. graminearum et le taux de DON des grains.

Évaluer le risque fusariose

Quantification moléculaire et dispositif de piégeage d'ascospore

Nous avons par ailleurs voulu :

- étudier la faisabilité d'une quantification par voie moléculaire des spores à partir de sorties de pièges disposés dans des contextes agronomiques connus comme pouvant générer des différences qualitatives et quantitatives au niveau des captures ; ceci en vue d'améliorer, à terme, l'estimation précise du risque et du besoin de protection phytosanitaire ;

- rapprocher ces résultats avec les données climatiques et les teneurs en ADN dans le grain afin de mieux déterminer les séquences climatiques conduisant à l'éjection et l'infection.

En préalable, nous avons mis au point des méthodes d'extraction de l'ADN des pièges à spores et validé l'usage des méthodes de quantification de F. graminearum. Cela a été mis à disposition de tous les partenaires.

Piégeage des ascospores

L'étude des vols d'ascospores de F. graminearum exige de travailler sur des pièges à spores disposés au coeur des parcelles de blé avec des buses de captage placées au même niveau que les épis de blé.

Deux pièges ont été disposés dans des parcelles de blé à précédent maïs, avec et sans labour, durant les campagnes 2011, 2012 et 2013 sur la station expérimentale de Boigneville (91). Un piège surmonté de cannes de maïs préalablement inoculées a également été positionné en 2012 et 2013 à proximité des parcelles comme témoin positif.

Les captures ont été réalisées entre mai et juin chaque année. Tous les sept jours, les bandes étaient remplacées et stockées pour analyse. Les données climatiques des périodes de piégeage ont été enregistrées.

Effet du labour vérifié

L'analyse des bandes du témoin positif a révélé la présence de pics d'ADN de F. graminearum permettant de valider que les conditions climatiques ont été favorables à l'éjection des spores.

La comparaison entre modalités labour et non-labour a pu être réalisée en 2014, année des plus forts pics de quantification d'ADN. Les quantifications ont été quatre fois moins fortes dans le piège de la parcelle labourée que dans la parcelle en non-labour. Ceci valide l'effet du travail du sol sur la pression de l'inoculum. Le faible coefficient de corrélation (0,14) montre que les pics mesurés n'occurrent pas les mêmes jours : le travail du sol modifie l'intensité de l'inoculum mais aussi sa distribution temporelle.

Autres résultats à affiner

La suite de l'analyse a porté sur le piège « non-labour ». Une analyse statistique pluriannuelle a recherché les relations entre le climat et les événements de piégeages.

L'étude par cross-corrélation (spécifique aux analyses de séries temporelles) n'a pas permis de déceler de corrélation forte entre pluie, température ou humidité relative et quantité d'ADN de F. graminearum.

Ce résultat peut s'expliquer par la forte variabilité entre les trois années étudiées, mais aussi par le fait que la cross-corrélation ne permet pas d'étudier les facteurs climatiques en interactions. Pour cela, une analyse par random forest(3) a été effectuée mais les résultats n'ont pas été plus concluants. L'analyse sur Microdochium reste à réaliser.

Conclusions

Des acquis

Pour F. graminearum, notre travail a confirmé son étroite corrélation avec la teneur en DON. Il devrait permettre de futures avancées sur la compréhension de l'épidémiologie par l'analyse plus fine des vols de spores en lien avec les épisodes climatiques et le développement de modèles de prévision pour piloter le traitement en cours de saison.

Cet outil devrait permettre aux agriculteurs de réduire leur intervention aux situations les plus à risque, sachant qu'une lutte prophylactique avant la saison aura pu réduire le risque associé à F. graminearum. Tout cela pour limiter le recours aux molécules chimiques, même si aucune résistance de F. graminearum aux matières actives autorisées n'a été mise en évidence à ce jour.

Concernant les deux espèces de Microdochium, les études statistiques montrent qu'elles ont un comportement proche. Leur statut de résistance aux benzimidazoles et strobilurines est confirmé mais la lutte chimique reste le moyen actuel le plus efficace pour contrôler la maladie.

Les travaux entrepris sur les biomolécules ont permis de sélectionner des substances candidates pour la lutte contre Fusarium et Microdochium, mais le passage du laboratoire au champ pose question.

Plus général, le projet a mis en évidence que toute méthode de lutte, quelle qu'elle soit, a un impact sur l'équilibre de la flore et peut le déplacer d'une population vers une autre.

Des perspectives

La lutte devra tenir compte de cet équilibre entre espèces présentes avec ses proportions et leur statut de résistance éventuel. Les analyses Q-PCR, rapides et peu coûteuses, seront précieuses pour la caractérisation.

Les résultats du projet feront l'objet d'analyses plus approfondies sur ces proportions afin de proposer in fine des outils de pilotage du risque global « fusariose » à travers notamment des modèles de prévision. Les données acquises doivent permettre de mettre au point des modèles agroclimatiques de prévision des risques F. graminearum et Microdochium spp.

Les essais fongicides nous permettront de définir les seuils optimaux de traitement sur les sorties des modèles afin de proposer un outil de pilotage de la protection fongicide contre le complexe fusarien en cours de campagne. Les modèles pourront alimenter les outils de pilotage d'Arvalis actuellement proposés au monde agricole (Prévi-LIS, Farmstar, plateforme agrométéorologique en développement).

(1) La résistance aux benzimidazoles a été sélectionnée dans les années 1980 puis s'est généralisée dans les populations. La résistance aux strobilurines a été sélectionnée plus tardivement, mais sur un fond génétique déjà majoritairement résistant aux benzimidazoles. Les deux mutations sont donc fréquemment associées (résistance multiple) même si elles sont indépendantes. La sélection d'une résistance à l'un de ces modes d'action peut par conséquent entraîner la sélection à l'autre.(2) Un chémotype distingue, au sein d'une espèce fongique, les souches présentant des variations chimiques de leur métabolite secondaire. Trois chémotypes se distinguent au sein des espèces F. graminearum et F. culmorum, celui producteur de DON et 15-acétyldéoxynivalénol (DON/15-ADON), celui producteur de DON et de 3-acétyldéoxynivalénol (DON/3-ADON), et celui producteur de nivalénol et fusarénone X (NIV/FX).(3) La Random forest ou forêt aléatoire est une méthode qui agglomère l'information provenant de nombreux prédicteurs (ou arbres). Chaque arbre de la forêt est construit par divisions dichotomiques successives d'un sous-jeu de données tirées aléatoirement en deux noyaux fils. À chaque division, la méthode sélectionne, parmi un sous-ensemble de variables sélectionnées aléatoirement, la variable permettant la meilleure division selon un critère donné.

Fig. 1 : Analyse en composante principale des six essais

Les axes 1,2 et 1,3 permettent de décrire la structuration des variables : teneur en DON, nombre d'épillets fusariés (= épi fusariose), rendement (= RDT), somme des températures autour de floraison (= sum temp), somme des pluies autour de floraison (= sum rain), qPCR et analyse microbiologique F. graminearum (= ADN Fg et F gram), Fusarium culmorum (= ADN Fc et F culm), M. nivale (=ADN Mn), M. majus (= ADN Mm), et Microdochium spp. en microbiologie (= Michro spp).

Fig. 2 : Analyse factorielle des correspondances

La proximité entre une souche (en rouge) et un traitement (en bleu) signifie que le traitement est associé à un effectif de cette souche important, donc que le traitement, s'il se distingue du témoin, tend à sélectionner ce type de souche.

REMERCIEMENTS

À la DGER pour sa contribution financière à ces travaux. De plus, de nombreux personnels permanents et temporaires (CDD, thésards, stagiaires) des trois structures impliquées ont contribué de manière significative à la réussite du projet. Nous les en remercions.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La fusariose de l'épi est une maladie du blé induite par un complexe d'espèces de champignons des genres Fusarium et Microdochium, aux caractères épidémiologiques différents, productrices ou non de toxines. Ces espèces n'ont pas la même sensibilité intrinsèque aux fongicides et certaines ont sélectionné des résistances.

L'apparition de ces résistances et la réduction programmée de l'usage des produits phytosanitaires ont conduit Arvalis-Institut du végétal associé aux unités Bioger et MycSA, de l'Inra, à proposer le projet de recherche « EcoFusa » dans le cadre de l'appel à projet « Recherche finalisée et innovation des instituts techniques agricoles », soutenu par le Casdar.

TRAVAIL - L'un des trois axes de ce projet concerne la lutte directe : optimiser les traitements classiques (chimiques) et évaluer de nouvelles molécules « vertes ». Cet article fait le point sur cet axe.

RÉSULTATS - Il en ressort que :

- parmi les fongicides autorisés, les plus efficaces sur la fusariose préservent le rendement mais pas toujours la qualité sanitaire évaluée par le taux de DON (déoxynivalénol). Certains fongicides préservent à la fois le rendement et la qualité (substances actives citées).

- la forte corrélation positive entre Fusarium graminearum et le taux de DON est confirmée ;

- les fongicides de familles touchées par des résistances de Microdochium sp. (strobilurines et benzimidazoles) exercent une pression de sélection favorisant ces résistances ;

- parmi les biofongicides potentiels testés au laboratoire, deux (acides férulique et caféique) se sont montrés intéressants in vitro (mécanismes identifiés) ; ils n'ont pas confirmé leur intérêt au champ ;

- une méthode de piégeage d'ascospores avec quantification moléculaire des souches a été mise au point ; elle a confirmé l'intérêt du labour contre F. graminearum ; l'analyse des autres résultats est en cours.

Il est prévu des perspectives pour le raisonnement de la lutte en cours de saison (modèles de prévision).

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, blé, blé tendre, blé dur, fusariose des épis, EcoFusa, biologie moléculaire, Fusarium sp., Microdochium sp., mycotoxines, DON déoxynivalénol, lutte alternative.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *H. BATINA, *S. GELISSE, *V. LAVAL, *A.-S. WALKER, UR 1290 Bioger - CPP Inra-AgroParisTech, avenue Lucien Brétignières BP 01 78850 Thiverval-Grignon.

**V. ATANASOVA-PENICHON, Inra-MycSa Mycologie et sécurité des aliments, unité 1264, BP81, 33883 Villenave-d'Ornon Cedex.

***A. FOURREY, ***G. GRIGNON, ***C. MAUMENÉ, ***B. MÉLÉARD, ***E. GOURDAIN, Arvalis-Institut du végétal, Station expérimentale 91720 Boigneville.

****R. VALADE, Arvalis-Institut du végétal - Laboratoire de pathologie végétale, avenue Lucien Brétignières BP 01 78850 Thiverval-Grignon.

CONTACT : e.gourdain@arvalisinstitutduvegetal.fr

LIEN UTILE : afpp@afpp/net

VERSION INTÉGRALE ET BIBLIOGRAPHIE : - Version intégrale de cet article avec sa bibliographie (15 références) disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus) et dans les annales de la 5e conférence internationale sur les méthodes alternatives de protection des plantes de l'AFPP, à Lille, du 11 au 13 mars 2015 (lien utile ci-dessus).

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