1. Colonie de R. invadens sous feuille d'Heliconia : une dépréciation esthétique pour cette plante ornementale. Sur manguier, la nuisibilité est sur le plan économique. Photo : Daaf/Salim-Guyane
2. Rastrococcus invadens femelles. Ci-dessus, vivante et sur feuille de manguier. Photo : Daaf/Salim-Guyane
3. Rastrococcus invadens femelles. Ci-dessus, après montage entre lame et lamelle. Photo : Anses/LSV
À la fin du mois d'août 2014, un habitant de Cayenne (Guyane), intrigué par l'importante présence de fumagine sur les branches d'un manguier de son jardin, a contacté les services de la protection des végétaux.
Les agents du service de l'alimentation de la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) ont alors trouvé un grand nombre de cochenilles farineuses sous les feuilles. D'autres végétaux se sont révélés infestés, par exemple l'Heliconia (photo 1).
Histoire d'une identification
Premier signalement américain
Ces cochenilles ont été envoyées à Montpellier, au Laboratoire de la santé des végétaux de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation et du travail).
Ce dernier a identifié l'espèce Rastrococcus invadens Williams (Pseudococcidae). Ceci a constitué le premier signalement de cette espèce sur le continent américain (Germain et al., 2015).
Depuis sa première identification à Cayenne, la cochenille a été retrouvée dans de nombreux jardins de la ville, mais aussi dans les communes voisines de Matoury, de Rémire-Montjoly et de Macouria, et semble s'étendre vers l'ouest.
Une introduction probablement assez ancienne
La découverte de ces multiples sites infestés suggère que l'introduction du ravageur doit, en réalité, être bien antérieure à la date de sa première découverte « officielle » à Cayenne.
En revanche, les prospections menées jusqu'à présent par la DAAF montrent que le ravageur ne s'est pas étendu aux frontières communes avec le Brésil et le Suriname.
Pour situer cette cochenille
Origine et distribution
L'espèce a été décrite par Williams en 1986 à partir d'individus collectés au Pakistan, à Karachi, sur manguier (Mangifera indica). Elle est originaire du sud-est asiatique et présente du sous-continent indien à la péninsule indo-malaisienne.
La cochenille a été accidentellement introduite en Afrique subsaharienne. Elle a d'abord été observée au début des années 1980, au Ghana puis au Togo (Agounké et al., 1988).
Elle s'est ensuite disséminée vers le sud jusqu'en République démocratique du Congo (Neuenschwander et al., 1994) et, vers l'ouest, jusqu'au Sénégal (Han et al., 2007).
Plantes-hôtes : au moins six nouvelles espèces en plus de celles connues
En Afrique de l'Ouest, le manguier, les citrus, l'arbre à pain, le bananier, le frangipanier, le laurier-rose et certains ficus ont été les espèces d'intérêt économique, agronomique ou ornemental les plus attaquées lors de son introduction. Le nombre de ses plantes-hôtes est très important, avec 41 espèces botaniques répertoriées comme susceptibles de permettre le développement de l'insecte (Anses, 2015).
Depuis son arrivée en Guyane, sa gamme d'hôtes s'est étendue. En effet, cette cochenille a été trouvée sur plusieurs espèces botaniques citées pour la première fois, comme Tapiria guianensis, Spondias mombin (Anacardiaceae), Adenium obesum (Apocynaceae), Mammea americana (Clusiaceae), Morinda citrifolia (Rubiaceae) et Melicoccus bijugatus (Sapindaceae) (Germain et al., 2015).
Cette gamme d'hôtes sera certainement élargie par les nouveaux recensements régulièrement effectués en Guyane.
Deux catégories de plantes-hôtes
En Guyane comme dans les autres DROM (départements et régions d'outre-mer, notamment les îles de la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et La Réunion), il existe de très nombreuses espèces de végétaux répertoriées comme plantes-hôtes de R. invadens en Afrique.
En pratique, l'historique de la situation africaine a permis de classer ces espèces végétales en deux catégories :
- les espèces infestées au début de l'invasion en Afrique de l'Ouest avec une forte pression démographique de la cochenille, telles que des représentants du genre Citrus, mais aussi l'anacardier, le goyavier, le corossol, l'avocatier, de nombreux ficus et plantes ornementales (Acalypha hispida, Diffenbachia sp., le laurier-rose Nerium oleander...) ; ces plantes ont ensuite vu régresser la pression démographique de la cochenille et elles sont aujourd'hui faiblement attaquées, voire pas du tout ;
- les espèces qui, attaquées dès le début de l'invasion, sont restées fortement infestées malgré la diminution de la pression démographique de la cochenille à la suite des lâchers des espèces d'hyménoptères parasitoïdes introduites dans un schéma de lutte biologique classique (voir p. 46 les paragraphes dommages et protection).
Ces dernières plantes-hôtes sont à considérer comme majeures. Certaines d'entre elles ont une importance économique. C'est le cas notamment du manguier (culture de rente et exportation vers l'Europe), mais aussi du frangipanier, de l'arbre à pain et également d'une plante ornementale (Acalypha hispida, dit acalyphe ou queue-de-chat).
Présentation de l'espèce
Description de la femelle
La femelle adulte de Rastrococcus invadens mesure de 3,5 à 4 mm de long sur 2 à 2,5 mm de large. Le corps en ovale aplati est, sous les sécrétions cireuses blanches (photo 2), foncièrement vert pâle. Une bande médiane sur toute la longueur du corps semble dépourvue de cire. La marge du corps est dotée de filaments cireux.
Les filaments latéraux mesurent de 1,5 à 2,5 mm alors que les antérieurs font de 3,5 à 6 mm et les postérieurs jusqu'à 8 mm (photo 2). Les systèmes glandulaires les sécrétant sont visibles photo 3.
Ce que l'on sait aujourd'hui sur la biologie de R. invadens
Rastrococcus invadens, cochenille bisexuée et ovovivipare, peut tout aussi se reproduire sans présence de mâle de façon parthénogénétique. Elle vit en colonie sous les feuilles de ses plantes-hôtes, normalement le long des nervures. Sur le manguier, on peut la trouver aussi sur la face supérieure, sur le pétiole des feuilles et sur fruits et pédoncules.
Le développement de l'insecte femelle comprend trois stades larvaires et le stade adulte. La femelle adulte conserve la forme générale des larves. Elle s'en distingue par sa taille, l'aspect du revêtement cireux et les filaments sur le pourtour du corps.
Le développement des mâles présente deux stades larvaires, un stade prépupe, un stade pupe et le stade adulte. Aux stades prépupe, pupe et adulte, ils ne se nourrissent pas et se développent à l'intérieur d'un cocon (puparium) soyeux, blanc et de forme cylindrique. Les mâles sont aptes à féconder les femelles dès leur émergence, contrairement à celles-ci qui passent par une période préreproductive avant de donner naissance à des larves.
Les larves néonates sont jaunes et dépourvues de cire. Elles restent quelques heures sous le corps de la femelle, avant de chercher à se fixer et commencer à se nourrir.
En conditions naturelles au sud du Bénin, la durée de développement sur manguier est de 25 jours pour les femelles et de 28 jours pour les mâles pour des températures journalières moyennes de 26 à 29 °C. Des températures plus basses ralentissent le développement. Le seuil de température minimal est de 18 °C et le maximal de 35 °C.
Le nombre de générations annuelles dépend des conditions climatiques et trophiques. De 5 au Congo, il monte à 8 en Inde (Anses, 2015).
Conséquences pratiques
Dommages sur de nombreux végétaux
Les cochenilles se nourrissent en aspirant de la sève au niveau du phloème au moyen des stylets, éléments des pièces buccales. La sève étant riche en sucres mais pauvre en aminoacides et autres composés vitaux azotés, les cochenilles sont obligées d'en ingérer de grands volumes afin de concentrer dans leur tube digestif les quantités nécessaires pour leur croissance et leur développement.
Ceci provoque l'excrétion d'un très abondant miellat sucré sur lequel se développent des champignons saprophytes qui peuvent alors former une couche épaisse de fumagine noire (photo 4).
La salive de R. invadens ne serait pas toxique car elle ne provoque pas de déformation des organes végétaux. Par ailleurs, elle ne transmettrait pas de maladies (Agounké et al., 1988).
Dégâts très importants sur manguier
Malgré son large éventail de plantes-hôtes, les dégâts les plus importants dus à cette cochenille en Afrique de l'Ouest ont été observés sur manguier. Aux pertes économiques estimées de 50 à 80 % de la production (Vögele et al., 1991), s'ajoutait un fort impact auprès des villageois. En effet, habitués à se réunir à l'ombre des manguiers, ils en sont désormais empêchés par la chute de feuilles, les débris de fumagine, les coulées de miellat et même la présence de fourmis attirées par ce miellat.
Il faut noter que le manguier se montre particulièrement sensible également en Guyane (photo 5) (Anses, 2015).
Par contre, dans sa zone d'origine, en Inde, R. invadens est considéré comme une espèce rare (Narasimham et Chacko, 1988), supposée être contrôlée par des ennemis naturels efficaces.
Protection : avantage à la lutte biologique
Les moyens de lutte entrepris en Afrique, tels que la destruction des organes attaqués ou les traitements insecticides, se sont révélés inefficaces et impraticables, pour des raisons économiques et toxicologiques, étant donné la grande dispersion des plantes susceptibles dans les villes et villages.
En revanche, la lutte biologique classique, avec deux parasitoïdes spécifiques trouvés en Inde, Gyranusoidea tebygi et Anagyrus mangicola (Hymenoptera : Encyrtidae), introduits respectivement en 1987 et en 1991, a fourni une solution durable pour le contrôle des populations de la cochenille.
Celle-ci continue d'exister sur plusieurs sites mais à des niveaux économiquement acceptables (Neuen-schwander et al., 1994 ; Moore, 2005).
Conclusion
La dissémination est probable, il y a des précédents
La découverte et l'établissement en Guyane de cette cochenille exotique envahissante peuvent laisser craindre son expansion sur les continents américains et dans l'arc antillais à travers les activités humaines liées aux échanges commerciaux et aux transports de fruits ou de boutures.
En effet, la dissémination d'autres cochenilles envahissantes a été rapportée dans le passé.
Ainsi Maconellicoccus hirsutus (Pseudococcidae), espèce polyphage qui comprend un grand nombre de plantes-hôtes en commun avec R. invadens, a été détectée pour la première fois en 1994 sur le continent américain, précisément dans l'île de la Grenade.
Puis sa présence a été signalée en Californie et Floride en 1999 (Meyerdirk et al., 2002) puis en Caroline du Sud (Chong, 2009). La limite de son expansion vers le sud a été rapportée au Brésil en 2012 (Marsaro Junior et al., 2013). Par ailleurs, elle avait été détectée en Guyane dès 2000.
Une autre espèce de cochenille originaire également d'Asie, Aulacaspis yasumatsui (Diaspididae), inféodée aux cycas, s'est disséminée dans l'arc antillais et a atteint le continent sud-américain à partir de la Floride où elle avait été détectée en 1996. Le LSV de Montpellier l'a identifiée de Guyane au début de l'année 2014.
En Guyane, envisager la lutte biologique après évaluation
Des programmes de lutte biologique classique ont été mis en oeuvre avec succès pour réduire les populations de ces cochenilles envahissantes. Cela a été également la principale action menée avec succès contre R. invadens en Afrique (Anses, 2015).
Sa mise en place en Guyane est subordonnée à un programme préalable d'études d'efficacité et d'impacts. Ces études sont obligatoires dans le cadre de la réglementation autorisant la libération d'insectes parasitoïdes à laquelle sont soumis les DROM tout comme la France métropolitaine. Le but est d'éviter de lâcher comme auxiliaires des espèces qui deviendraient, à leur tour, nuisibles et/ou invasives.
Sans attendre cette étape, une fiche informative a été diffusée par les services de l'État (DAAF) à l'attention des acteurs de terrain en Guyane et dans les autres DROM.
Par ailleurs, des mesures de prospections ont été mises en oeuvre par les services officiels de Guyane pour estimer la dissémination naturelle actuelle de la cochenille et poursuivre l'établissement de la liste de ses plantes-hôtes ainsi que de ses ennemis naturels dans ce nouveau contexte environnemental.
Les modalités de sa dissémination naturelle et sa dispersion par l'activité humaine nécessitent d'être bien évaluées afin de mettre en place des mesures de gestion efficaces.
Dans les DROM insulaires, la vigilance est de rigueur
Dans les DROM insulaires où elle est absente, le renforcement et l'application rigoureuse des mesures réglementaires existantes doivent être de rigueur. Dans les îles de l'arc antillais, les importations de végétaux en provenance de Guyane devront faire l'objet d'une attention particulière.
Cette attention devra également être portée sur les agrumes et fruits tropicaux provenant d'Afrique, qui transitent par l'Union européenne et dont l'origine par la suite est insuffisamment établie.