DOSSIER - Bonnes pratiques phyto

Des effaceurs de traces de roues pour limiter les transferts

PATRICE COTINET*, DJILALI HEDDADJ*, SYLVAIN COUDREUSE** ET ISABELLE DE PAEPE** - Phytoma - n°693 - avril 2016 - page 28

Une pratique culturale simple et efficace permet de limiter le ruissellement et le transfert d'herbicides hors de la parcelle agricole.
 1. Ruissellement observé sur maïs à deux feuilles (mai 2014) en présence de traces de roues. Photo : P. Cotinet

1. Ruissellement observé sur maïs à deux feuilles (mai 2014) en présence de traces de roues. Photo : P. Cotinet

Le dispositif destiné à effacer ces traces : 2. Herse-peigne à l'arrière du semoir.  Photo : P. Cotinet

Le dispositif destiné à effacer ces traces : 2. Herse-peigne à l'arrière du semoir. Photo : P. Cotinet

Le dispositif destiné à effacer ces traces : 3. Dents effaces-traces.

Le dispositif destiné à effacer ces traces : 3. Dents effaces-traces.

 Photo : P. Cotinet

Photo : P. Cotinet

Dispositif de simulation de pluie. 5. La tente, une structure pyramidale de 3,50 m de haut. Photo : P. Cotinet

Dispositif de simulation de pluie. 5. La tente, une structure pyramidale de 3,50 m de haut. Photo : P. Cotinet

Dispositif de simulation de pluie. 6. Le gicleur, qui produit un filet d'eau plat. Photo : P. Cotinet

Dispositif de simulation de pluie. 6. Le gicleur, qui produit un filet d'eau plat. Photo : P. Cotinet

Dispositif de simulation de pluie. 7. La placette, qui permet la collecte du ruissellement de l'eau. Photo : P. Cotinet

Dispositif de simulation de pluie. 7. La placette, qui permet la collecte du ruissellement de l'eau. Photo : P. Cotinet

Dans le contexte armoricain, le ruissellement peut avoir un impact important sur la qualité des eaux de surface. En particulier, il peut entraîner dans ces eaux des substances phytopharmaceutiques, principalement des herbicides. Toute pratique culturale modérant le ruissellement peut diminuer ces transferts. Nous avons testé l'effet de l'une d'entre elles, l'utilisation des « effaceurs de traces ».

Haro sur le ruissellement

Pourquoi le maïs et pourquoi en Bretagne ?

En Bretagne, la sole maïs occupe près de 460 000 ha, soit 28 % de la SAU (Agreste 2015) pour répondre aux besoins en alimentation animale. Or, le maïs, comme toute culture à interrang large, est sensible vis-à-vis du ruissellement et de l'érosion. Des orages peuvent intervenir au printemps, alors que la culture est encore peu couvrante et la croûte de battance évoluée.

Le risque de pollution diffuse des cours d'eaux par les herbicides est donc présent. Il est d'autant plus important que les eaux de surface représentent 80 % de la ressource en eau potable de la région.

Cependant, des pratiques culturales adéquates, en modifiant l'état de surface et la structure du sol, peuvent permettre de limiter le ruissellement.

Après le semis, les traces de roues

Au printemps, les chantiers de semis de maïs ont la particularité de laisser des interrangs marqués par des traces de roues (un sur deux dans le cas d'un semoir quatre rangs utilisé en solo). Selon les cas, les traces de roues sur le sol représentent de 15 à 30 % de la surface en fonction de la largeur du semoir, des pneumatiques utilisés et de la géométrie de la parcelle (photo 1).

Le semoir imprime également à la surface du sol un certain nombre de motifs susceptibles de générer des chemins préférentiels pour la circulation de l'eau.

Tous ces tassements induits vont être à l'origine d'une diminution des capacités d'infiltration. Ils auront donc pour effet d'accélérer l'apparition du ruissellement et d'en augmenter l'intensité.

Pluies et herbicides de prélevée

La période de semis de maïs, qui s'étend d'avril à mai, est propice aux orages et aux pluies de fortes intensités. Elle coïncide également avec l'application des herbicides qui se font soit sur sol nu avant la levée, soit à un stade précoce de la culture.

Dans les programmes de désherbage du maïs, l'intérêt de la prélevée dans les situations à forte pression de graminées et/ou de véroniques, est reconnu. Outre l'efficacité que peuvent avoir les traitements de prélevée, ils permettent la diversification des modes d'action, ce qui limite la sélection de mauvaises herbes résistantes. Actuellement, en Bretagne, les traitements de prélevée en maïs concernent environ un tiers des surfaces, dont la moitié reçoivent un chloroacétamide (groupe HRAC K3). Le risque de transfert de ces molécules de prélevée est accentué du fait des doses appliquées, qu'il est difficile de diminuer sans compromettre leur efficacité.

L'objectif de notre étude a donc été de tester les effaceurs de traces de roues comme solution permettant de limiter la fréquence et l'intensité des événements de ruissellement.

Adaptation du semoir

Herse et dents ajoutées

La technique de semis avec « effaces-traces » est réalisée avec un semoir classique sur lequel est monté une adaptation supportant une herse-peigne à l'arrière du semoir (photo 2). Sur ce support, deux dents (photo 3) sont montées permettant un travail du sol après le passage des roues du tracteur et de celles du semoir.

Le principe est d'obtenir un état de surface homogène après l'opération de semis sans pouvoir distinguer les lignes de semis et les passages de tracteur. Cette modalité avec « efface-traces » est comparée au semis classique laissant des empreintes au sol (photo 4).

Essai au champ

Du maïs à Kerguéhennec

Les deux modalités comparées ont été implantées avec le matériel de la station de Kerguéhennec sur une parcelle présentant une pente de 12 %. Les parcelles expérimentales ont une largeur de 6 mètres et une longueur de 50 mètres afin de mettre le matériel en situation réelle.

Chacune des techniques fait l'objet de trois répétitions sur différents couloirs. Le labour de la parcelle a été effectué le 14 mai 2014 avec une charrue à versoir et la reprise de celui-ci a été réalisée avec une herse rotative équipée d'un rouleau packer. Le semis du maïs est intervenu le lendemain et le traitement herbicide a été appliqué aussitôt. L'herbicide utilisé est Isard à la dose de 1,2 l/ha, soit un apport de 864 g/ha de substance active DMTA-P, ce qui correspond à un indice de fréquence de traitement (IFT) de 0,86.

Le DMTA-P est une substance active qui peut être caractérisée comme étant modérément mobile dans l'environnement du fait d'un coefficient d'adsorption moyen (KOC ≈ 227 ml/g), d'une solubilité élevée (1 449 mg/l) et d'une demi-vie courte (DT 50 au champ de 7 jours) (Siris-2012).

Pluie simulée pour évaluer les risques

La méthode sous pluie simulée, fréquemment utilisée dans le domaine de la recherche, est pertinente pour évaluer les risques de transferts de contaminants hors des parcelles agricoles.

Le simulateur de pluie utilisé a une structure pyramidale de 3,50 m de hauteur (photo 5). Il est équipé d'une buse positionnée sur un bras oscillant qui produit un filet d'eau plat en forme d'éventail (photo 6). La pluie ainsi produite a des caractéristiques proches de celles des gouttes de pluie naturelle.

Elle arrose une micro-parcelle de 1,5 m de large, correspondant à la largeur d'un demi-passage de semoir représentatif des états de surface produits, et d'une longueur de 1 m pour générer du ruissellement, soit une surface de 1,5 m². La placette est délimitée par un cadre enfoncé dans le sol. En aval de ce dernier, une gouttière permet la collecte des eaux de ruissellement (photo 7, page précédente).

L'intérêt de cette méthode repose sur son caractère « comparatif » : la maîtrise de la pluie et de sa répétabilité permet de confronter facilement les résultats obtenus.

Trois simulations de pluie ont été réalisées sur chacune des deux modalités (six parcelles expérimentales) avec, à chaque simulation, une averse d'intensité de 20 mm/h et d'une durée de 2 heures. Ces simulations de pluie ont été effectuées 15, 20 et 35 jours après le traitement herbicide. Chaque parcelle expérimentale a reçu un cumul de pluie de 40 mm lors de chacune des trois simulations.

Mesures de ruissellement effectuées

Les eaux de ruissellement sont collectées manuellement et à différents pas de temps durant toute la durée de la simulation.

La totalité du ruissellement induit est ainsi récupéré dans des flacons en PEHD à usage unique et fait l'objet d'une quantification par pesée.

Ces prélèvements permettent de mesurer l'intensité du ruissellement, les concentrations en herbicides et charges solides de l'eau ruisselée. La concentration en DMTA-P est analysée par HPLC/MS/MS et GC/MS/MS avec une limite de quantification de 0,05 µg/l.

Des résultats prometteurs

Ruissellement retardé et diminué

Chaque simulation de pluie est caractérisée par un graphique représentant le cumul de ruissellement en fonction du cumul de pluie apporté.

La Figure 1, représentant la moyenne des ruissellements pour les deux techniques de semis, montre la modification de la dynamique de l'eau au sein de la parcelle.

En effet, pour un cumul de pluie donné, le volume ruisselé est toujours inférieur pour la technique avec effaceur. En moyenne, l'abattement du ruissellement est de 64 % pour un cumul de pluie de 30 mm. Cette baisse, déjà observée dans des expérimentations précédentes, s'explique par un retard du déclenchement du ruissellement ainsi que par une meilleure infiltration de l'eau dans le sol.

L'utilisation d'effaceurs permet de retarder l'apparition d'un éventuel ruissellement. Ainsi, le cumul de pluie pour avoir un début de ruissellement passe de 8 à 15 mm avec l'usage des effaceurs de traces de roues (Figure 1). Ces derniers permettent à la fois d'augmenter la porosité par ameublissement des zones tassées et d'augmenter la rugosité en surface, limitant ainsi les voies de circulation préférentielle de l'eau. Plus le ruissellement intervient tard après le semis et plus l'effet couverture du sol par la culture joue un rôle d'interception et de protection.

De plus, une fois le ruissellement démarré, la porosité créée par les dents de l'efface-traces permet d'améliorer l'infiltration de l'eau. Dans notre étude, l'augmentation de la porosité a été de 4 % mais, dans nos études précédentes, elle a pu monter à 8 %.

Flux d'érosion diminué

La caractérisation de l'état de surface après l'opération de semis n'a pas mis en évidence d'augmentation de terre fine avec l'utilisation des effaces-traces. Cela se traduit par l'absence de différence de concentration de charges solides dans les eaux ruisselées.

Les flux d'érosion sont ainsi directement liés aux volumes ruisselés. Pour une pluie de 30 mm, ils sont pour la modalité avec effaceurs et celle sans effaceurs (modalité classique), respectivement de 5,3 et de 29 g/m² de sol.

Pertes d'herbicides diminuées

Globalement, plus on s'éloigne de la date de traitement, plus les niveaux de concentrations en herbicides baissent dans les eaux de ruissellement.

L'augmentation des délais entre le traitement et le premier événement ruisselant, rendu possible par l'utilisation des effaceurs de traces de roues, permet ainsi de diminuer le risque de transfert car les molécules sont moins mobilisables du fait de leur dissipation et de l'augmentation de la couverture du sol par la culture.

Les pertes de DMTA-P peuvent être exprimées en pourcentage de la dose d'apport en fonction du cumul de pluie (Figure 2). Quelle que soit la période où intervient l'événement ruisselant, les pertes sont inférieures sur la modalité utilisant les effaceurs de traces de roues à celle de l'autre modalité. En moyenne, l'abattement du flux est de 42 % pour un cumul de pluie de 30 mm.

Dans le cadre de notre expérimentation, si l'on considère une pluie ruisselante de 22 mm, la perte de DMTA-P est diminuée de 50 %.

Pratique à diffuser

Une efficacité vérifiée avec de nombreux avantages

Cette expérimentation, réalisée en conditions contrôlées sous simulation de pluie, montre que l'on peut limiter le risque de transferts engendré par le ruissellement avec l'utilisation d'effaceurs de traces de roues sur le semoir.

Les avantages de ces derniers sont nombreux. Outre leur facilité de mise en oeuvre, ils présentent un investissement limité. Généralement disponibles en option chez les concessionnaires, ils peuvent également faire l'objet d'une adaptation au niveau de l'exploitation.

L'essentiel est de pouvoir décompacter la trace de roue sur une dizaine de centimètres de profondeur. L'homogénéité de l'état de surface après le semis réalisé avec un semoir équipé peut aussi laisser espérer une meilleure efficacité des produits.

Perte du « repère » que sont les traces : ce frein peut être levé

Les freins identifiés pour leur développement résident essentiellement dans la suppression des traces servant de repère pour les traitements, mais également aux habitudes de visualiser les semis réalisés avec les traces laissées sur le sol.

Néanmoins, pour les passages de traitement, le frein peut facilement être levé avec l'utilisation de traceurs ou par l'utilisation d'un autoguidage.

Un outil utilisable dès maintenant

D'ores et déjà, il faut considérer que leur utilisation gagnerait à être diffusée plus largement.

Dans les secteurs où la qualité de l'eau est un enjeu majeur, leur utilisation peut facilement être combinée avec d'autres stratégies agronomiques telles que le désherbage avec herbicide localisé sur le rang (et mécanique dans l'interrang), la diminution de l'IFT puis avec des aménagements tels que les bandes enherbées.

Fig. 1 : Ruissellement retardé et diminué

Lame d'eau ruisselée en fonction du cumul de pluie, sans effaceur de traces (semoir classique) ou avec.

Fig. 2 : Transfert d'herbicide retardé et diminué

Exportation de DMTA-P exprimée en pourcentage de la dose d'apport en fonction du cumul de pluie.

Kerguéhennec, une station dédiée à la durabilité

Situé au nord de Vannes, dans le département du Morbihan, le site expérimental de Kerguéhennec est une des stations de recherche appliquée des chambres d'agriculture de Bretagne.

La station bénéficie d'un climat de type océanique, doux et humide avec une pluviométrie annuelle proche de 1 000 mm.

Les sols de l'exploitation, globalement sains, sont de texture limono-sableuse sur micaschistes avec une profondeur moyenne de 80 cm. Les taux de carbone organique sont proches de 2 %.

Sur les 54 hectares de surface agricole utile, qui sont dédiés à l'acquisition de références en agronomie et production végétale, se trouvent les principales cultures de la région : céréales, maïs, colza, protéagineux et légumes d'industries.

Les principaux domaines de recherches concernent la durabilité des systèmes de cultures et l'évaluation des impacts des pratiques culturales sur la production, mais aussi sur le fonctionnement du sol et sur les milieux. De nombreux travaux ont été consacrés à la recherche de solutions permettant de limiter les pollutions diffuses d'origine agricole.

L'usage des effaceurs de traces de roues fait partie des solutions préconisées lors des diagnostics parcellaires portant sur la gestion des risques de transferts.

Ces façons culturales limitant les transferts enrichissent les leviers agronomiques existants et complètent efficacement les aménagements pour lutter contre les pollutions diffuses.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les risques de transfert des herbicides vers les cours d'eau sont une préoccupation de la profession agricole, à la recherche de pratiques pouvant diminuer ces risques.

ÉTUDE - Une expérimentation a été menée en 2014 par les chambres d'agriculture de Bretagne en collaboration avec BASF pour évaluer l'effet des effaceurs de traces de roues montés sur semoir à maïs afin de limiter ces risques de transferts.

RÉSULTAT - Cette étude a montré l'intérêt des effaceurs constitués de deux dents positionnées derrière les roues du tracteur, complétés par un peigne situé à l'arrière du semoir. L'utilisation de ce matériel supprime les chemins préférentiels de l'eau au sein de la parcelle. La modification de l'état structural du sol en surface permet de retarder le déclenchement du ruissellement, d'améliorer l'infiltration de l'eau et ainsi de limiter les transferts d'herbicides hors de la parcelle agricole.

MOTS-CLÉS - Bonnes pratiques phytosanitaires, environnement, ruissellement, transfert, herbicide, efface-traces, maïs.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *P. COTINET, *D. HEDDADJ, chambres d'agriculture de Bretagne.

**S. COUDREUSE, **I. DE PAEPE, BASF France division Agro.

CONTACTS :

patrice.cotinet@morbihan.chambagri.fr

isabelle.de-paepe@basf.com

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