DOSSIER - Qualité sanitaire des grains

Face aux espèces invasives, passer de la lutte à la gestion

DR ROMAIN LASSEUR* - Phytoma - n°696 - août 2016 - page 18

Le métier de professionnel des « 3D » (dératisation, désinfection, désinsectisation) va fortement évoluer. Cela concerne, entre autres, la protection des grains stockés contre les rongeurs et les oiseaux.
1. Depuis l'interdiction des rodenticides à la bromadiolone contre les ragondins, cette espèce invasive a vu augmenter ses effectifs en France.  Photo : FDGDON 44

1. Depuis l'interdiction des rodenticides à la bromadiolone contre les ragondins, cette espèce invasive a vu augmenter ses effectifs en France. Photo : FDGDON 44

2. Prolifération de pigeons dans un terminal portuaire céréalier. Photo : FDGDON 44

2. Prolifération de pigeons dans un terminal portuaire céréalier. Photo : FDGDON 44

La protection des grains stockés contre les vertébrés - rongeurs et oiseaux - fait appel à des professionnels des « 3D » qui protègent l'homme en même temps que le grain. En effet, il s'agit là de maîtriser des espèces nuisibles à la santé humaine, certes par le biais de la qualité sanitaire des grains, mais aussi de façon plus directe.

Une lutte nécessaire mais de plus en plus difficile

Une activité historique

De tout temps, la gestion des espèces invasives a permis à l'homme une maîtrise importante de son environnement, notamment en termes de protection de l'espace agricole, de protection des matières premières et de gestion des maladies vectorielles. C'est le cas, actuellement, de la gestion des foyers de moustiques tigres dans le cas de la prévention du développement de la dengue, du chikungunya et du virus Zika.

L'actualité nous montre les conséquences néfastes de la présence d'un risque sanitaire, avec l'exemple du virus Zika lié à la présence de moustiques tigres dans la proximité des Jeux olympiques de Rio (Brésil).

La maîtrise des espèces invasives à un seuil de population techniquement et socialement acceptable a été largement possible grâce au développement des solutions chimiques de contrôle. Cette maîtrise est également la conséquence, notamment en France, de la volonté d'une politique sanitaire ambitieuse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On mesure le lien important qui existe entre une volonté de politique sanitaire forte et la gestion opérationnelle des espèces invasives sur le terrain par les professionnels de l'hygiène.

Les professionnels de l'hygiène (3D) occupent donc une place prépondérante dans l'atteinte des objectifs de cette politique sanitaire globale.

Deux phénomènes vont peser

Ces professionnels de l'hygiène vont connaître une évolution rapide de leur métier car ils vont devoir s'adapter à deux phénomènes s'accélérant ces dernières années :

- le réchauffement climatique aidant, les conditions environnementales, notamment de chaleur et d'humidité, sont de plus en plus favorables à l'installation de nombreuses espèces invasives ;

- les contraintes réglementaires imposées aux produits de lutte, notamment chimiques, réduisent les moyens à disposition du professionnel de l'hygiène.

Les espèces invasives nécessitent d'être gérées, indépendamment des dégâts « agricoles » et « phytosanitaires » qu'elles occasionnent, pour deux types de raisons :

- environnementales, parce qu'elles prolifèrent dans un écosystème au détriment d'autres espèces et sont ainsi synonymes de baisse de biodiversité (c'est le cas de la renouée du Japon en milieu humide ou encore de la jussie dans les marais) ;

- sanitaires, car leur présence est synonyme de risque direct pour les populations humaines (comme les moustiques déjà cités, et les rongeurs potentiels porteurs de maladies transmissibles à l'homme).

Deux exemples : les ragondins et les pigeons

Le cas du ragondin montre que cette espèce a un impact à la fois sur le milieu en modifiant le cortège d'espèces végétales mais aussi un impact sanitaire car ce rongeur participe largement au transport et à la diffusion de la leptospirose, bactérie pouvant affecter gravement la santé humaine.

Depuis l'arrêt de la lutte chimique (à la bromadiolone) contre les ragondins, le niveau des populations a clairement augmenté. C'est le cas dans certains milieux urbains, au sein de marais très denses et dans des zones sans piégeurs (photo 1).

La même problématique se pose avec des populations abondantes de pigeons dont la forte prolifération occasionne des problématiques sanitaires (surtout bactériennes) par l'intermédiaire de la concentration des fientes. À ce jour, ces populations de pigeons ne sont contrôlables que par piégeage, ce qui limite clairement l'efficacité de la lutte. Elles concernent les milieux urbains et les sites où sont stockés des grains : silos et installations portuaires (photo 2).

Place du professionnel « 3D »

Paradoxale demande sociétale

Le travail du professionnel de l'hygiène devient de plus en plus complexe, car il doit assurer une gestion de ces espèces toujours aussi efficace dans un contexte réglementaire de plus en plus strict (retrait de produits chimiques, zones à lutte complexe comme le milieu urbain) et un contexte sociétal en forte évolution. En effet, dans nos sociétés, la place de l'animal a fort évolué ces dernières années. L'idée même de supprimer des animaux invasifs est parfois remise en cause en occultant complètement l'impact sanitaire que ce type d'approche peut comporter.

La demande sociétale actuelle souhaite simplement empêcher le désagrément occasionné par une espèce animale sans forcément éliminer l'animal en question, à moins qu'un risque sanitaire avéré soit fortement perçu. Cette observation s'inscrit complètement dans la tendance « environnementale » de fond que nous connaissons actuellement, laquelle correspond d'ailleurs davantage à une volonté politique qu'à une réalité technique sur le terrain.

L'ignorance du « coût », y compris sanitaire, des espèces invasives

En parallèle de cette volonté environnementale, aucun chiffrage n'est réalisé sur le coût direct et indirect des espèces invasives, que ce soit sur les plans économique (dégâts aux denrées stockées), social (la présence de rongeurs dégrade l'image d'une ville, par exemple) mais aussi sanitaire (allergies et coût au système de santé).

Cependant, l'ampleur de ces coûts justifierait une action de régulation massive de ces espèces commensales (WHO, 2008). Ainsi, l'épidémie de chikungunya de 2006 à La Réunion aurait coûté près de 65 millions d'euros en intégrant les frais directs (hospitalisations), indirects (médicaments) et les arrêts de travail (CHU La Réunion).

Un cruel dilemme... dont il est possible de tirer parti

C'est le professionnel de l'hygiène lui-même, maillon crucial de la mise en oeuvre de la politique sanitaire, qui se retrouve dans le dilemme de devoir gérer une espèce invasive avec un arsenal de moyens (dont les solutions chimiques) qui, comme il s'est fortement réduit ces dernières années, ne permet pas une efficacité importante. C'est donc sur ce point que cette profession doit s'adapter pour continuer à être efficace car l'exigence du client dans la résolution de son problème reste très élevée.

Mais c'est également une opportunité pour l'industrie d'apporter au professionnel les moyens de travailler différemment, d'anticiper davantage et de prévenir le développement des espèces invasives plus que d'en gérer l'excès de manière curative.

Passer du PCO au PMO, c'est-à-dire ?

En effet, plus qu'un « pest control operator » (PCO), le professionnel de l'hygiène va devoir élargir son socle d'intervention pour aller vers un statut de « pest management operator » (PMO), statut qui intègre l'intervention du professionnel très en amont de l'utilisation du produit de lutte contre l'espèce invasive.

Cela revient à mettre en oeuvre un programme de gestion intégrée (« IPM », integrated pest management) qui consiste à élargir le rôle du PCO à des phases très en amont de l'apparition du problème causé par l'animal invasif (voir Figure 1).

Programme de gestion intégrée

La surveillance devient une activité clé

Ce programme de gestion intégrée (IPM) est déjà développé dans l'industrie agroalimentaire. En effet, les référentiels qualité de ce secteur (HACCP, AIB, BRC) obligent à ce que le PCO ou l'exploitant lui-même mettent en oeuvre une surveillance des potentielles espèces invasives afin d'en détecter l'apparition, d'agir immédiatement sur un petit nombre d'animaux et donc d'être dans des conditions d'efficacité optimale.

Ainsi, pour le PCO, la valeur de son travail ne va pas résider seulement dans l'application classique du produit de lutte une fois que l'espèce est installée, mais bien entendu aussi, voire davantage, dans tous les dispositifs qu'il va déployer pour surveiller le site et informer son client de la situation en temps réel (technicien/pest management operator).

Cette démarche (voir Figure 1), renforcée par la récente mise en oeuvre de la certification « CEPA » (CEPA Certified), doit absolument être étendue à tous les secteurs d'intervention du PCO. L'objectif de ce programme est d'impliquer le PCO dans un métier bien plus large (la gestion globale d'une espèce invasive) que l'application du produit de lutte une fois l'espèce installée (contrôle).

Cette approche est totalement en phase de la tendance actuelle qui exige de justifier de plus en plus l'utilisation d'une méthode de lutte chimique, à un endroit donné, un moment donné, à une dose précise et sur une espèce clairement identifiée. Ainsi, le passage du « pest control » au « pest management » met en avant le technicien et sa capacité à anticiper les problématiques 3D sur un site.

Par ailleurs, le technicien doit être capable d'apporter des conseils à l'exploitant du site pour limiter les possibilités d'entrée d'animaux dans l'installation. Il doit aussi être capable de détecter de manière précoce toute intrusion d'animaux sur le site.

Formation des hommes et outils de surveillance sont à développer

Ce programme de gestion intégrée nécessite le développement de deux axes importants :

- la mise en oeuvre d'une formation initiale au métier de technicien en hygiène 3D pour que l'essentiel du métier ne s'apprenne pas seulement sur le terrain et ne soit pas centré essentiellement sur l'application de produits de lutte ; le technicien a besoin d'une solide formation en biologie des espèces invasives comme socle de compétences initiales ;

- le développement de méthodes fiables de surveillance/monitoring/diagnostic sur les sites servant d'outil d'aide à la décision pour déclencher une action de lutte.

Si nous nous intéressons aux rongeurs invasifs (rats et souris essentiellement) sur le lieu de stockage du grain et en IAA, il va devenir important pour le technicien de détecter l'intrusion du premier rongeur sur le site pour intensifier la surveillance et définir le moment venu les modalités d'une intervention avec appâts ou piégeage.

Quelle innovation au service du PCO/PMO ?

De l'utilité des objets connectés

Que l'on soit un particulier ou une entreprise, faire intervenir un professionnel de l'hygiène est gage de sécurité : le professionnel connaît mieux que nous l'animal à contrôler et maîtrise la spécificité du moyen de lutte surtout si celui-ci est chimique. C'est aussi un gage de sérénité s'il est prévu que le professionnel visite régulièrement le site ou utilise des outils de surveillance.

À l'heure où notre société est ultra-connectée (3,7 milliards d'objets connectés en 2015 à travers le monde), le professionnel doit profiter de cette tendance. Il est utile que soit mis à sa disposition des objets connectés lui permettant de surveiller les sites à distance (exemple Figure 2). Ainsi, le professionnel ne se déplacera qu'en cas de besoin (intéressant à l'heure du développement durable) et prouvera à son client l'absence ou présence d'animaux invasifs sur son site. Son intervention avec des solutions de lutte chimiques sera, d'une part totalement justifiée par la situation du site et, d'autre part, la dernière étape d'une large implication du professionnel.

Rongeurs des denrées stockées

Pour les rongeurs, il est important que le professionnel mette en oeuvre les outils pour les détecter très rapidement à distance et les identifier, puis dialoguer avec son client sur la situation et décider de se déplacer pour agir par lutte chimique ou par piégeage.

Piégeage : pour des matériels connectés et à captures multiples

En effet, avec la limitation des produits de lutte d'origine chimique, le piégeage constitue une solution complémentaire. Mais le mode de piégeage doit permettre les captures multiples pour éviter au professionnel de se déplacer à chaque capture.

Des pièges développés récemment transmettent l'information de capture à distance par MMS et e-mail (Figure 3). Le professionnel peut ainsi détecter le premier rongeur du site, en connaître l'espèce, le capturer et le savoir en temps réel pour, le cas échéant, en informer son client.

Lutte chimique : en attendant une future évolution des produits

Il ne faut pas oublier que l'étape du contrôle du rongeur invasif par une méthode de lutte chimique est essentielle. Tous les services de surveillance développés par le PCO dans le programme de gestion sont des outils d'aide à la décision d'intervenir pour contrôler la population de rongeurs installée. Ces services permettent par ailleurs d'augmenter les contacts entre le PCO et son client et d'être présent toute l'année et ainsi de facturer cette surveillance.

Concernant les méthodes de lutte chimique contre les rongeurs (appâts à base d'anticoagulants principalement), elles subissent d'importantes pressions réglementaires. Certes, les matières actives actuelles sont d'un très bon rapport efficacité/sécurité à partir du moment où elles sont dans les mains d'un professionnel. Néanmoins, un classement toxicologique et écotoxicologique de plus en plus strict, des anticoagulants notamment, montre que l'industrie doit mettre à disposition des professionnels des molécules à impact environnemental moins important et en particulier une non-accumulation dans les cadavres de rongeurs.

Gestionnaire global plutôt que simple opérateur

En conclusion, le professionnel de l'hygiène doit être un spécialiste de la gestion globale des espèces invasives (pest management operator) et non plus un applicateur de solution de lutte (pest control operator). Cela nécessite de se rendre indispensable aux endroits où l'activité humaine, par naïveté, favorise la prolifération des espèces invasives (gestion des déchets en ville par exemple, mais aussi stockage de denrées attirantes pour les rongeurs comme les grains pour les rats, surtout les rats noirs).

Il doit également mettre en oeuvre une surveillance en temps réel, connectée, et être équipé d'outils (caméra, pièges connectés) de détection, identification et discussion avec son client : les images de rongeurs sont indiscutables... Ainsi il décide d'agir (avec une méthode de lutte chimique qui doit rester puissante pour être efficace car l'emploi en est justifié) pour gérer une problématique 3D qu'il a complètement caractérisé a priori.

Cette approche du « programme de gestion intégrée » des espèces invasives repose sur une formation initiale solide du professionnel en matière de biologie des espèces invasives ainsi que sur l'efficacité et sécurité des méthodes de lutte.

Fig. 1 : Programme de gestion intégrée (IPM) d'une espèce invasive

Noter les différentes phases - formation, inspection, surveillance, diagnostic, intervention, évaluation de l'efficacité, et la place centrale de la surveillance.

Fig. 2 : Les outils connectés facilitent la surveillance

La caméra à détection de mouvement avec transmission des images par MMS ou e-mail est un très bon outil de monitoring de site et de diagnostic d'espèce.

Fig. 3 : Piège multicapture connecté

La transmission de l'information d'une capture est instantanée.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La lutte contre les espèces invasives, notamment les rongeurs et oiseaux qui hantent, entre autres, les sites de stockage des grains, est assurée par les professionnels du secteur « 3D » (dératisation, désinfection, désinsectisation) en raison de la dangerosité potentielle pour la santé humaine de ces organismes nuisibles.

ÉVOLUTION - Cette lutte est de plus en plus compliquée aujourd'hui, du fait de :

- l'augmentation de la pression de certaines espèces liée au réchauffement climatique ;

- la diminution des outils de lutte avec en particulier l'interdiction de certains produits chimiques ;

- la demande sociétale exigeant parfois de ne pas tuer des animaux vertébrés dont les nuisances sont parfois sous-estimées.

Par conséquent, le professionnel de la lutte contre ces organismes ou PCO (pest control operator, soit opérateur de la lutte contre les nuisibles) doit se transformer en PMO (pest management operator) en pratiquant la lutte intégrée. En particulier, l'activité de surveillance des populations se développe pour intervenir seulement en cas de besoin, et assez précocement pour maximiser son efficacité. Les outils automatiques connectés, tels que les caméras à détection de mouvement et les pièges multicaptures placés préventivement, sont très utiles dans ce cadre et permettent en plus de justifier les interventions.

MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, espèces invasives, rongeurs, ragondins, rat, souris, oiseaux, pigeons, 3D (dératisation, désinfection, désinsectisation), PCO (pest control operator), PMP (pest management operator), IMP (integrated pest management), protection intégrée, surveillance, monitoring, objets connectés, lutte chimique, piégeage.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *DR R. LASSEUR, Izipest, toxicologue, expert faune invasive.

CONTACT : romain.lasseur@izipest.com

LIEN UTILE : www.izipest.com

BIBLIOGRAPHIE : - WHO (World Health Organization), July 2008. Public health, significance of urban pest. www.euro.who.int

- CEPA : Confédération Européenne des Associations PCO : www.cepa-europe.org/

- CHU La Réunion : le coût de l'épidémie de Chikungunya à la Réunion en 2005-2006 : www.chr-reunion.fr/spip.php?article181

- CS3D : chambre syndicale des professionnels de l'hygiène en France : www.cs3d.info/

- Pièges multi-captures : www.wisecon-france.fr/; www.edialux.fr/contention/1408-ekomille-deratiseur-ecologique.html

- Caméras /monitoring à distance : http://izipest.com/ ; www.rivolier.com/electroniques/surveillance-numerique.html

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85