Les rongeurs commensaux sont difficiles à observer, donc à identifier, sauf lorsqu'ils sont capturés, comme c'est le cas de ces trois individus (de haut en bas, rat brun, rat noir et souris grise). L'espèce présente peut désormais être identifiée par l'analyse de ses excréments. Photos : R. Lasseur
Fig. 1 : Exemple de résultat d'un diagnostic Face à ce résultat, le PCO proposera une réponse adaptée à l'espèce, à la résistance de la population présente à certains anticoagulants et au risque bactériologique.
Fig. 2 : Provenance des échantillons Les industries agroalimentaires et les exploitations agricoles ont le plus grand nombre d'échantillons sur les 63 reçus.
Fig. 3 : Espèces identifiées Les trois principaux rongeurs commensaux représentent 77 % des espèces identifiées (statistiques sur les 63 échantillons).
Peu d'endroit sur terre échappent à la présence des rongeurs. Parmi ces derniers, certaines espèces sont inféodées à un environnement spécifique mais d'autres, opportunistes, s'adaptent aisément à des modifications profondes de leur milieu de vie. Ces espèces dites commensales prospèrent à nos dépens en se nourrissant comme nous et en vivant dans ou près de nos habitations.
Identifier les rongeurs
Trois - voire quatre - espèces
Les trois principales espèces de rongeurs commensaux sont le rat brun (Rattus norvegicus) le rat noir (Rattus rattus) et la souris grise (Mus musculus domesticus). Une quatrième espèce/sous-espèce pointe son nez actuellement : Mus musculus spretus, souris deux fois plus petite que la souris grise mais lui ressemblant fort anatomiquement.
La lutte contre les rongeurs commensaux se fonde sur la protection des denrées alimentaires, la protection des habitations et la prévention sanitaire. En effet, ces animaux sont capables de transmettre à l'homme et à l'animal domestique des maladies pouvant être très graves. À ce titre, la lutte contre les rongeurs est organisée à la fois par les particuliers souhaitant dératiser leur habitation et par les professionnels (PCO pour pest control operator). L'innovation étant nécessaire pour s'adapter en temps réel à l'évolution biologique et comportementale de ces ravageurs, les méthodes de lutte évoluent sans cesse. Mais il est parfois compliqué de savoir à quelle espèce de rongeur on a affaire tant ces animaux discrets sont parfois invisibles.
Adapter la lutte pour l'améliorer
Identifier l'espèce présente est pourtant essentiel au professionnel pour choisir le bon traitement à mettre en oeuvre et/ou donner les conseils adéquats au client afin de maintenir des conditions sanitaires acceptables et éviter que la situation de pullulation ne se reproduise. C'est l'objectif que nous avons visé en proposant une méthode de diagnostic rongeur qui n'exige pas de voir ni de capturer des animaux.
Afin de s'affranchir de la nécessité de capture des animaux, nous avons mené un développement sur une ressource biologique remplissant deux conditions nécessaires :
- contenant de l'information génétique ;
- d'accès facile sur le terrain pour le PCO.
Diagnostic : le principe
Dès les premiers indices de présence
Ce diagnostic très innovant se pratique sur les excréments collectés sur le terrain. En effet, il s'agit dans la plupart des cas des premiers indices de présence décelables dès le début de l'installation de la population de rongeurs. En théorie, ils permettent d'identifier visuellement l'espèce en cause, voire de différencier les déjections de rongeurs de celles d'autres espèces (insectivores, etc.)... En pratique, c'est difficile à moins d'être très bien formé pour cela.
Or, les excréments contiennent des sources d'ADN multiples. Il est possible d'y retrouver celui de l'animal lui-même (cellules épithéliales du tube digestif), de l'ADN de son bol alimentaire et enfin de l'ADN de son microbiote intestinal (bactéries symbiotiques et bactéries exogènes pathogènes). Le concept consiste donc à analyser spécifiquement l'ADN total extrait des excréments.
L'ADN du rongeur lui-même permet de connaître son espèce, mais aussi de savoir si des mutations sont présentes dans le gène VKORC1 (exon 3) lié à certaines résistances à des rodenticides. Enfin, en étudiant l'ADN « autre », il est possible de voir spécifiquement si des bactéries pathogènes (dont on connaît la signature ADN spécifique) sont présentes dans l'intestin du rongeur.
Ainsi, il est possible, à partir d'une seule et même analyse, de savoir à quelle espèce appartient le rongeur présent, s'il est résistant aux anticoagulants et s'il héberge des bactéries pathogènes. Ce dernier point est important car, dans ce cas, le rongeur risque d'en disséminer sur le terrain, d'où une situation sanitaire préoccupante pour le client et le PCO.
Treize espèces de vertébrés, six mutations, huit bactéries
Nous pouvons, grâce à ce diagnostic, identifier avec certitude l'espèce parmi environ treize différentes : des rongeurs (rats, souris, campagnols, mulots, musaraignes) et d'autres pouvant fréquenter le même lieu (fouine, martre, chauve-souris).
Cela nous permet également de détecter la présence des six mutations connues dans le gène VKORC1 en position 120, 128 et 139. La littérature scientifique décrit ces mutations comme principales responsables de la résistance des rongeurs aux anticoagulants de première génération (coumafène, chlorophacinone et coumatétralyl) et de seconde génération (bromadiolone et/ou difénacoum en fonction de la mutation) (Pelz and Prescott, 2015).
Enfin, nous pouvons identifier huit bactéries connues pour leur fort impact sanitaire. La détection (ou non) de leur présence offre une information de premier ordre au professionnel en fonction du site sur lequel évoluent les rongeurs. La présence d'un de ces pathogènes (voir Figure 1) dans les excréments analysés signifie qu'il est hébergé par les rongeurs présents. Sur le site d'un commerce ou d'une industrie agroalimentaire (IAA), cela déclenchera rapidement un plan de gestion des rongeurs.
Éclairer le professionnel dans un délai court (cinq jours, sept maximum s'il faut une interprétation des résultats), avant l'intervention, lui permet d'adapter celle-ci avec précision, avec la bonne molécule pour s'inscrire dans le « precision pest management ».
Bilan sur une année
Accueil par les professionnels
Il y a un an, nous avions annoncé dans Phytoma le lancement d'un service à destination des professionnels de la dératisation. À ce jour, nous proposons ce diagnostic rongeur essentiellement aux PCO. Ce service lancé en France est en cours d'extension dans plusieurs pays européens. La société Bayer est à pied d'oeuvre pour l'objectif de son développement à l'international.
Cet outil innovant a été très bien accueilli par les professionnels, qui perçoivent tout à fait l'intérêt de l'utiliser. Il leur apporte un éclairage sur la situation des rongeurs du site à gérer et, d'autre part, la qualité des résultats rendus et le faible délai sont un gage de crédibilité du professionnel aux yeux de son client.
Il semble que les clients les plus à l'écoute soient issus de l'industrie agroalimentaire, notamment pour le versant « sanitaire » de l'outil. En effet, savoir que des rongeurs porteurs de pathogènes évoluent sur un site IAA exige la mise en oeuvre très rapide d'un plan de gestion des rongeurs au contact du processus de production de denrées alimentaires.
Aperçu des résultats
À ce jour, 63 échantillons ont été reçus dont 75 % de France, 21 % des Pays-Bas, 2 % de Belgique et 2 % du Royaume-Uni. Ils proviennent majoritairement de sites IAA et d'exploitations agricoles (Figure 2).
On retrouve en premier lieu le rat brun, très présent en milieu agricole et en périphérie (IAA) (Figure 3). Il est suivi du rat noir, de la souris et d'autres espèces. Cette rubrique comprend notamment la musaraigne et la chauve-souris, espèces pouvant vivre dans le même milieu que les rongeurs commensaux, donc y laisser leurs excréments.
Concernant les mutations identifiées dans le gène VKORC1, permettant la résistance aux anticoagulants de première génération (coumafène, coumatetralyl, chlorophacinone) et de début de seconde génération (bromadiolone et difenacoum), seuls 10 % des échantillons présentent une des six mutations recherchées.
Les quatre mutations identifiées (Figure 4) sont les principales trouvées habituellement en Europe : nos résultats sont convergents avec la bibliographie. Dans 10 % des cas, l'utilisation d'un appât contenant un anticoagulant de première génération ou de début de seconde génération n'aurait probablement pas donné de bons résultats chez le rat brun, le rat noir ou la souris.
Enfin, pas moins de 33 % des échantillons contiennent des pathogènes de la liste recherchée (Figure 5). Il s'agit de bactéries des excréments provenant du système digestif du rongeur. L'espèce majoritairement identifiée est Clostridium perfringens. Les quatre bactéries ont un intérêt fort pour l'IAA car elles se disséminent dans la nourriture et peuvent causer des troubles de santé chez l'animal domestique et l'homme.
Aucun pathogène majeur, comme la lesptospire et la listeria, n'a été identifié malgré la présence non négligeable de ces organismes chez les rongeurs et en milieu industriel. Voyons si l'augmentation du nombre d'échantillons dans un futur proche fera émerger ces pathogènes parmi les résultats.
Le délai de réponse, en moyenne de cinq à six jours après réception des échantillons d'excréments au laboratoire, permet au professionnel d'attendre les résultats de son prélèvement pour mettre en oeuvre son plan de gestion.
Apports du diagnostic
Ce diagnostic apporte de nombreux avantages dans le contexte actuel de la gestion des rongeurs. D'abord, la pression réglementaire sur les produits antirongeurs est importante, notamment vis-à-vis des anticoagulants à l'origine d'un certain nombre d'intoxications primaires et secondaires. Le diagnostic permet d'adapter le traitement au rongeur présent, donc de mener un traitement spécifique avec une molécule adaptée en évitant les contaminations environnementales.
Il est à ce jour demandé aux firmes détentrices d'AMM (autorisations de mise sur le marché) de suivre le phénomène de résistance aux anticoagulants chez les rongeurs. Cet outil est à même d'apporter cet éclairage aux autorités. Basé sur les excréments, il est bien plus facile à mettre en oeuvre que les méthodes classiques de suivi de la résistance nécessitant la capture du rongeur.
Il permet de mettre en évidence les situations sanitaires critiques nécessitant d'agir vite (si un pathogène est en cours de dissémination sur le site). Ainsi le professionnel sait rapidement s'il doit, ou non, agir.
Les autres méthodes apportent des résultats tardifs car elles exigent la capture du rongeur : des délais souvent incompatibles pour le professionnel. Ce dernier peut accepter d'attendre une semaine maximum pour obtenir les résultats de son prélèvement avant de passer à l'action. Cet outil lui apporte au bout de cinq à six jours toute l'information dont il a besoin pour agir et expliquer à son client la situation du site.
De fait, il permet le « precision pest management » car il autorise à ne pas avoir recours à la molécule la plus toxique si la situation ne le justifie pas, notamment si les résultats du diagnostic montrent que le rongeur est sensible aux anticoagulants.
Enfin, le diagnostic permet de déceler la présence d'une espèce non-cible pour laquelle le traitement ne doit pas être lancé, ou doit être interrompu, car cette espèce ne pose pas de problèmes sanitaires ou invasifs et/ou elle est protégée (ex. : chauves-souris).
Cet outil de diagnostic s'inscrit parfaitement dans la démarche de l'IPM (integrated pest management) qui est la voie de professionnalisation des PCO.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - En cas de soupçon de présence de rongeurs dans des locaux, le diagnostic exigeant de voir ou capturer des individus est tardif, et celui basé sur leurs traces pas toujours fiable jusqu'au lancement en 2017 d'un test basé sur l'ADN total des excréments.
PRINCIPE - Ce diagnostic rongeur permet d'identifier l'espèce (rongeur ou autre) parmi une douzaine, de préciser le statut de résistance de la population présente aux anticoagulants (éventuelles mutations du gène VKORC1) et de détecter huit bactéries pouvant infecter les rongeurs et poser des problèmes de santé humaine.
BILAN D'UTILISATION - Les premiers échantillons montrent la prééminence du rat brun suivi du rat noir et de la souris, mais aussi la présence d'espèces non-cible (chauve-souris, etc.). La résistance aux anticoagulants touche 10 % des échantillons, et la présence de bactéries pathogènes (genre Clostridium et Campylobacter) 33 %.
MOTS-CLÉS - Qualité sanitaire des grains, rongeurs commensaux, rats, souris, diagnostic, ADN, espèce, statut de résistance aux anticoagulants, bactéries.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACTS : romain.lasseur@izinovation.com (à propos de l'article)
thibaut.karoubi@bayer.com (sur le nouveau service)
formation@izinovation.com (concernant les formations)
BIBLIOGRAPHIE : - Pelz H.-J. and Prescott C. V. (2015), Resistance to anticoagulant rodenticides, Chapter 9 in Rodent Pests and their Control (Buckle A. P. and Smith R. H. eds), 2nd Edition, CAB International, Wallingford, UK., p. 187-208.
FORMATIONS
IZInovation SAS propose des formations réglementaires et techniques sur rongeurs, insectes, volatiles et faune sauvage. Cette société a été créée en 2013 par le Dr Romain Lasseur pour proposer une expertise scientifique et technique sur les espèces invasives à l'échelle internationale (rats, souris, moustiques, punaises des lits, blattes, pigeons, ténébrions, poux rouges, fourmis) et ayant un impact sur l'environnement sanitaire de l'homme. L'activité s'est développée auprès des industriels souhaitant homologuer des biocides (produits combattant ces espèces).
Soucieux d'apporter cette expertise à toute la filière, IZInovation propose de la formation réglementaire et technique aux PCO (pest control operators) et agriculteurs applicateurs de produits biocides : formation pour la délivrance du certiphyto et du certibiocide, formations techniques sur diverses cibles (rongeurs, insectes, volatiles, faune sauvage). Les formateurs (Nicolas Didych, Pascal Gacel et Romain Lasseur) ont une activité quotidienne au contact des espèces invasives et de leur régulation (application de produits biocide), gage de lien logique avec le terrain. Les séances en salle sont enrichies de cas concrets et animées par la passion des formateurs loin de se cantonner à la théorie.