Un scolyte attaque les tiges de laurier-sauce sur la Côte d'Azur depuis l'été 2015. D'autres végétaux pourraient être touchés.

Depuis l'été 2015, des symptômes de dessèchement de tiges sont observés sur laurier-sauce (Laurus nobilis) dans plusieurs jardins privés du cap d'Antibes, de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes Maritimes) et de Saint-Tropez (Var). L'esthétique des haies et massifs arborés est dépréciée malgré les efforts de lutte. Les jardiniers sont inquiets et démunis devant ces symptômes qui semblent nouveaux et « incontrôlables ».

Identification en 2016

Les prélèvements de juillet et septembre 2016, effectués sur laurier-sauce, chêne vert (Quercus ilex), arbousier (Arbutus unedo), Pittosporum tenuifolium et philaire (Phillyrea sp.) ont révélé la présence de Xylosandrus compactus (Eichhoff). Il s'agit du premier signalement de ce scolyte pour la France métropolitaine. Après X. crassiusculus en 2014, c'est la seconde espèce envahissante du genre Xylosandrus à être détectée dans le département des Alpes-Maritimes. Nous proposons une présentation illustrée de ce « nouveau » ravageur à toutes fins utiles !

Origine et aire de distribution

Signalé en Europe depuis 2011

Le genre Xylosandrus est représenté par 39 espèces trouvées essentiellement dans les zones tropicales d'Asie (Dole & Cognato, 2010). Certaines ont été introduites hors de leur aire d'origine. C'est le cas de Xylosandrus compactus, présent en Asie du Sud-Est mais également sur une large partie de l'Afrique et des îles de l'océan Indien, en Océanie et sur le continent américain depuis les États-Unis jusqu'au Brésil (Pennachio et al., 2012).

Cette aire de distribution comprend deux départements et régions d'outre-mer : La Réunion et la Guyane française.

En 2011, ce scolyte a été signalé pour la première fois en Europe, en Italie dans les provinces de Campanie, du Lazio et de Toscane (Garonna et al., 2012).

Éléments de diagnostic et de reconnaissance

Dessèchement de la tige

Les symptômes s'apparentent à un dessèchement de tiges qui prennent des teintes différentes selon la plante-hôte et leur degré d'évolution. Par exemple, sur laurier-sauce, la tige prend rapidement une coloration noirâtre alors que sur arbousier, la partie desséchée tire vers une teinte rouille.

Une observation fine permet de déceler un trou d'environ 1 mm de diamètre situé en général à la face inférieure de la tige (photo 2). Le dessèchement interviendrait rapidement après la pénétration de l'adulte dans la tige mais il est possible d'observer des phases intermédiaires type flétrissement.

À partir du trou, l'examen de l'intérieur de la tige permet d'observer une galerie dans la moelle des tiges où sont logées - ou pas - des larves, nymphes ou adultes de scolyte.

Critères morphologiques des adultes

L'examen des adultes à la loupe binoculaire reste indispensable pour identifier l'espèce. Dans la tribu des Xyleborini, les espèces du genre Xylosandrus se distinguent par leurs hanches antérieures largement écartées alors qu'elles sont contiguës chez les espèces des autres genres (Dole & Cognato, 2010). L'identification spécifique est basée sur l'observation de critères morphologiques des femelles, notamment l'aspect et la disposition des soies sur la déclivité élytrale (voir Figure 1).

Xylosandrus compactus présente des ressemblances avec X. germanus. Il peut en être distingué par sa petite taille (les femelles mesurent entre 1,4 et 1,9 mm contre 2-2,3 mm pour X. germanus) et par la présence de soies sur les stries et les interstries de la déclivité élytrale (ces soies sont absentes sur les stries de X. germanus) (Nagelesein et al., 2015 ; Rabaglia et al., 2006). Les mâles sont aptères et près de deux fois plus petits que les femelles (voir Figure 1). Ils sont plus rarement observés car le sex ratio est fortement biaisé en faveur des femelles.

Plantes-hôtes

Une large gamme

Xylosandrus compactus est une espèce très polyphage, avec plus de 220 espèces hôtes recensées. Pennacchio et al. (2012) signalent que dans les zones tropicales et les autres régions d'introduction récente, X. compactus engendre des dégâts sur plusieurs plantes-hôtes d'intérêt agronomique, notamment l'avocatier, le cacaoyer, le caféier, le théier et le manguier, mais aussi sur d'autres ligneux : acacia, érable, eucalyptus, hibiscus, liquidambar, magnolia, pommier, ostrya, platane, etc. Il est aussi signalé, en zone tropicale, sur orchidées et arécacées...

En Italie et en France, le laurier-sauce semble être la plante-hôte privilégiée, mais le ravageur a également été signalé sur de nombreuses autres espèces ligneuses comme l'arbousier, l'azalée, le chêne, le phylaire, le magnolia, le pommier, le pittosporum, le laurier-cerise, le chêne-vert, le rhododendron, le gardénia, des agrumes, l'olivier, etc.

Éléments de biologie

Ponte et stades de développement

Les femelles pénètrent dans le bois, creusent des galeries de 1 à 3 cm de long et une cavité où elles déposent leurs oeufs. Les femelles non fécondées ou ayant épuisé la spermathèque engendrent des mâles par parthénogenèse arrhénotoque. Les autres (fécondées) donnent naissance à des femelles.

Les larves se nourrissent des hyphes mycéliens qui se sont développés à partir des spores déposées par les femelles pendant le forage de la galerie maternelle. Le cycle complet est bouclé en 28 à 40 jours selon les conditions climatiques et les plantes-hôtes. Après la ponte, la femelle reste avec sa progéniture. La maturation sexuelle est atteinte entre 4 et 14 jours après l'émergence de l'adulte, qui s'accouple dans la galerie maternelle.

Deux à trois générations par an

Une fois fécondées, les femelles sortent par le trou d'entrée creusé par la mère et s'envolent pour pondre préférentiellement à proximité du lieu de naissance, sauf celles qui pourraient être emportées par les turbulences et les vents. A priori, en Italie, deux à trois générations par an sont possibles entre avril et fin novembre. X. compactus passe l'hiver sous la forme adulte dans les tiges. Tous les stades de développement sont présents durant les périodes d'activité.

Les dégâts

Y a-t-il un rôle du forage et des champignons ensemencés ?

Dans la situation française, le premier effet des attaques est une forte dépréciation de l'esthétique des haies et massifs arborés. Les attaques successives réduisent le volume de la frondaison et finissent par aboutir à des plantes déséquilibrées et affaiblies. Ce ravageur s'attaque à des branches et des tiges d'un diamètre inférieur à 2 cm.

La plupart des publications attribuent les dégâts au forage des femelles dans les tissus vivants des tiges. À ce jour, le rôle des champignons ensemencés pour l'alimentation des larves par la femelle est en discussion : des auteurs considèrent que certains champignons secondaires pourraient jouer un rôle dans le dépérissement, d'autres non. Pennacchio et al. (2012) ont pu isoler plusieurs champignons à partir de tiges colonisées par X. compactus, dont deux genres contenant des espèces pathogènes pour les plantes : Verticillium et Pestalotiopsis.

Moyens de lutte

Incertitudes

À ce jour, nous n'avons aucun recul sur les stratégies de lutte adaptées à la situation du jardin et des espaces verts. Les quelques données disponibles dans la bibliographie sont contradictoires.

L'élimination (par taille sanitaire et incinération des déchets) de toutes les tiges portant des symptômes permet de réduire les sources de dissémination. Cependant, l'expérience à Saint-Jean-Cap-Ferrat montre que cette mesure n'est pas suffisante - à elle seule - pour contrôler les foyers.

Applications préventives

À cause de leur mode de vie dans les tissus de la plante et de l'état physiologique des tissus infestés, la lutte contre les scolytes à base d'insecticides de contact ou systémiques est connue pour être peu efficace, voire inefficace si les applications sont mal positionnées. L'une des pistes serait de réaliser des applications préventives d'insecticides en période d'activité (d'avril à novembre, dans l'état actuel de nos connaissances) des adultes en dirigeant les pulvérisations sur les troncs et la frondaison afin de tuer les femelles cherchant des tiges pour pondre.

Dans ce cadre, il faudra utiliser des spécialités autorisées sur arbres et arbustes d'ornement (dans l'usage ravageurs divers, prendre les préparations homologuées contre les xylophages). Le suivi des populations pour raisonner le positionnement des traitements peut s'effectuer à l'aide de piège à base d'éthanol. Cependant, cette technique demande du temps et un savoir-faire qui ne sont pas toujours inclus et/ou adaptés à l'organisation et aux contraintes économiques des entreprises chargées de l'entretien des jardins et espaces verts.

Notons qu'une telle mesure consistant à traiter l'ensemble des arbres et arbustes d'un jardin est contraire à la préservation de la biodiversité (pilier de la lutte biologique par conservation) et par conséquent ne peut être envisagée que sur une courte période ou dans une situation sanitaire grave.

La piste la plus durable

Les ennemis naturels resteraient les seuls à pouvoir gérer durablement ce bioagresseur. Plusieurs parasitoïdes sont signalés en zones tropicales avec des capacités de régulation très variables selon l'espèce et la zone climatique. Pennacchio et al. (2012) signalent avoir trouvé, sur une larve de X. compactus, un braconide ectoparasite (Heterospilus leptostoma) en Toscane.

En résumé, à ce jour, nous en savons peu sur les ennemis naturels en Europe et leur capacité de régulation de la population de ce ravageur. À suivre...

Conclusion

Surveiller les végétaux

Les échanges commerciaux sont probablement à l'origine de cette introduction. Ceci laisse craindre que X. compactus se soit établi dans plusieurs lieux en France et en Europe. À ce jour, le laurier-sauce, très utilisé en jardins méditerranéens, est l'hôte principal, mais de nombreux autres végétaux autochtones, forestiers et ornementaux sont sensibles à cette espèce. Elle semble constituer d'ores et déjà une problématique phytosanitaire pour les gestionnaires et les propriétaires des jardins concernés qui rencontrent des difficultés à contrôler les foyers.

L'élimination des tiges infestées complétée par des traitements insecticides semble à ce jour la seule piste qui puisse être proposée en jardins infestés.

Pour les autres jardins, le contrôle de la qualité sanitaire des plants et une surveillance soignée des nouvelles plantations restent le meilleur moyen pour empêcher l'introduction et l'établissement de ce « nouveau » ravageur.

Fiche d'alerte

À ce jour, il semble difficile de conclure sur les risques environnementaux, paysagers et économiques qui seront induits (d'ici plusieurs années) par ce scolyte dans les situations écologiques et géoclimatiques de la France métropolitaine.

Toutefois, les premières données collectées à partir de la bibliographie et de la situation sanitaire des foyers de Saint-Jean-Cap-Ferrat ont été jugées suffisamment préoccupantes pour que l'Anses émette une fiche d'alerte visant à informer le ministère en charge de l'Agriculture et, qu'en retour, ce dernier saisisse l'Anses pour réaliser l'analyse de risque. Les résultats de cette étude permettront d'évaluer la pertinence d'éventuelles mesures de gestion collective et d'en déterminer les modalités de mise en oeuvre.