Le dernier cas en date de résistance d'une espèce adventice à des herbicides a été identifié en culture d'endive : il s'agit du laiteron épineux, une espèce qui se propage facilement et qui a évolué vers une résistance aux inhibiteurs de l'ALS.

Jusqu'à présent, les cas de résistance aux herbicides signalés en France concernaient les grandes cultures et/ou la vigne. Mais les herbicides sont aussi utilisés sur des cultures dites « mineures ». Sur celles-ci, la faible diversité des modes d'action disponibles accentue le risque de sélection de résistances.

Une première sur l'endive

Ainsi, le dernier cas de résistance en date a été identifié en culture d'endive. Il s'agit du laiteron épineux, pour une résistance aux herbicides du groupe HRAC B, les inhibiteurs de l'ALS (acétolactate-synthase).

Le laiteron est la seizième espèce d'adventice en France (et la septième dicotylédone) pour laquelle une résistance à ce mode d'action a été publiée. Mauvaise nouvelle : c'est une espèce très mobile chez laquelle la résistance peut se propager facilement.

Cultures mineures, les défavorisées du désherbage chimique

Un problème majeur pour le désherbage chimique des cultures dites « mineures » (semences fourragères, cultures légumières...) est l'absence de développement par les firmes agrochimiques d'herbicides qui leur soient dédiés. Ceci est dû au coût colossal du développement d'un herbicide, qui se chiffre en dizaines de millions d'euros (Rüegg et al., 2007). De ce fait, pour des raisons de rentabilité, les herbicides sont développés pour les « gros » marchés, c'est-à-dire des grandes cultures. Éventuellement, une demande est ensuite faite pour l'autorisation de certains de ces herbicides sur cultures « mineures », si des essais permettent de montrer une bonne efficacité sur une ou des adventices importantes pour ces cultures, et la sélectivité sur la culture. La conséquence est simple : une faible diversité de substances et de mode d'action utilisables sur cultures « mineures ». Or, parmi les facteurs majeurs déterminant le risque de résistance à un herbicide, il y a (Délye 2013) :

- les surfaces traitées ; plus elles sont élevées, plus le nombre d'adventices traitées est important, et donc plus le risque de résistance est important ;

- l'intensité d'emploi d'un herbicide ou d'un mode d'action ; plus celui-ci est appliqué souvent sur une parcelle, plus le risque de résistance est important ;

En grandes cultures, la gamme de modes d'action disponibles est souvent large, et ce sont les surfaces traitées qui constituent un facteur de risque de résistance important. En cultures « mineures », c'est l'inverse : les surfaces traitées sont relativement faibles, mais la gamme de modes d'action disponibles est restreinte.

Désherber les astéracées dans les endives : mission impossible ?

L'endive est une culture « mineure » essentiellement implantée dans la région des Hauts-de-France et le département du Finistère. Elle couvre 8 000 à 9 000 ha en France, et 13 000 à 14 000 ha en Europe. Le désherbage chimique des endives repose sur une gamme très restreinte de substances et de modes d'action (voir tableau).

Parmi les adventices des cultures d'endives, le séneçon commun, les matricaires et le laiteron épineux sont les plus délicats à détruire par la chimie. En effet, ces adventices appartiennent à la même famille botanique que l'endive (astéracées). Il est donc difficile de trouver des herbicides efficaces pour les contrôler mais qui soient également sélectifs de l'endive. Les inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) sont les substances autorisées sur endive de loin les plus efficaces contre les adventices astéracées... en l'absence de résistance. Deux herbicides de ce groupe sont utilisables sur endive : le triflusulfuron (sulfonylurée) et le rimsulfuron (sulfonylurée, uniquement sur variétés tolérantes). Une troisième substance du groupe B, le penoxsulame (triazolopyrimidine), fait l'objet d'une demande d'AMM et a obtenu une dérogation en 2016 (voir tableau).

Le laiteron : une adventice qui ne manque pas de piquant

Le laiteron épineux ou laiteron rude (Sonchus asper L. Hill.) (photos 1 et 2) est une espèce mésophile et indifférente à la nature du sol. Il peut donc prospérer quasiment toute l'année partout en France. Il faut ajouter à cela une capacité de dissémination importante via des akènes facilement transportés par le vent, les animaux ou les engins agricoles. Le laiteron épineux est donc une espèce très commune en France, présente en toute saison, dans toutes les cultures et jardins.

Légèrement nitrophile, il peut proliférer au point de devenir nuisible dans diverses cultures dont le maïs et le colza, ou encore en cultures légumières. En France, le laiteron épineux a par le passé développé des résistances à des herbicides de la famille des triazines (Heap 2016), qui ne sont plus autorisés aujourd'hui.

Découverte de la résistance

Des laiterons épineux suspects prélevés dans les cultures d'endive

À la suite de problèmes récurrents de contrôle du laiteron épineux par des inhibiteurs de l'ALS en cultures d'endive, des akènes ont été prélevées sur une dizaine de plantes survivantes dans chacune de trois parcelles des départements du Nord et du Pas-de-Calais (photo 3).

Ces populations sont codées L10, L14, L19. Des akènes de chacune de ces populations ont été semés en serre en même temps que ceux d'une population de référence (100 % de plantes sensibles au rimsulfuron) et d'une variété d'endive non tolérante (sensible au rimsulfuron).

Ensuite, les plantules au stade cotylédons à une vraie feuille ont été soumises à une application unique de rimsulfuron (Cursus, 25 % de rimsulfuron) à l'une des doses suivantes : 5, 10 ou 20 g/ha de rimsulfuron + 0,2 l/ha de Trend90. Pour rappel, la dose maximale autorisée sur endive tolérante est de 15 g/ha de rimsulfuron, généralement en trois applications de 5 g/ha. L'expérimentation a été répétée.

Les résultats (Figure 1) sont sans ambiguïté : alors que la population de référence et le cultivar d'endive non tolérant au rimsulfuron sont complètement détruits dès la dose de 5 g/ha, des plantes survivantes sont présentes dans les trois populations étudiées, et ceci jusqu'à la dose la plus haute testée (20 g/ha de rimsulfuron).

L'ADN confirme la résistance

Le gène codant pour l'ALS de plantes ayant survécu à 10 et 20 g/ha de rimsulfuron a été séquencé. Comparé à celui de plantes de référence (sensibles), le gène de l'ALS de toutes les plantes résistantes portait une mutation au codon 197.

Ce sont deux mutations différentes qui ont été identifiées à ce codon : l'une chez les plantes des populations L10 et L14, l'autre chez les plantes de la population L19 (voir Figure 2).

Les mutations au codon 197 de l'ALS sont connues pour donner une résistance aux inhibiteurs de l'ALS (Tranel et al., 2016). Les résultats du séquençage confirment donc les tests biologiques : une résistance aux inhibiteurs de l'ALS est bien présente chez le laiteron épineux dans les parcelles d'endives étudiées.

Si cette mise en évidence est une première en France, elle ne l'est pas au niveau mondial. En effet, des cas de résistance du laiteron épineux aux inhibiteurs de l'ALS ont déjà été signalés au Canada, aux États-Unis et en Norvège (Heap 2016).

La résistance fait tache

Pour avoir une estimation de l'étendue du désastre, une dizaine de plantes ont été collectées aléatoirement sur chacune de sept parcelles supplémentaires réparties selon un axe nord-sud à travers la zone de production d'endives. Toutes ces plantes se sont avérées contenir une mutation au codon 197 de l'ALS.

Au total, trois mutations différentes ont été identifiées sur la zone étudiée (Figure 2), qui s'étend sur plus de 90 km du nord au sud. Ceci signifie deux choses :

- la résistance est apparue dans au moins trois foyers (un par mutation), puis elle s'est propagée ;

- il est à craindre que la résistance du laiteron épineux aux inhibiteurs de l'ALS ne concerne des milliers d'hectares, voire l'ensemble de la zone de production d'endives des Hauts-de-France (région de Béthune-Lille-Douai-Arras-Bapaume-Péronne).

Ceci reste à confirmer par un échantillonnage plus vaste. L'autre zone de production d'endives en France (le Finistère) reste également à étudier. Dans tous les cas, une dernière conclusion est que cette situation de résistance ne date pas d'hier, vu l'ampleur géographique du problème.

Le laiteron, un « super-séneçon » ?

La situation de la résistance chez le laiteron épineux ressemble fortement à celle observée chez une espèce proche et ayant des caractéristiques très similaires : le séneçon commun. Comme observé chez le séneçon (Délye et al., 2015), la résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez le laiteron épineux est associée à la présence de différentes mutations, toutes localisées au codon 197 de l'ALS. Ces mutations sont connues pour conférer une résistance à un grand nombre d'inhibiteurs de l'ALS, et particulièrement aux sulfonylurées (Tranel et al., 2016). Ceci a d'ailleurs été confirmé chez le séneçon commun (Délye et al., 2015).

On peut donc s'attendre à ce que le laiteron épineux portant des mutations de l'ALS soit résistant à bon nombre des inhibiteurs de l'ALS présents sur le marché, toutes cultures confondues...

Il serait important de vérifier rapidement la perte d'efficacité des herbicides concernés. En effet, les inhibiteurs de l'ALS sont actuellement le mode d'action herbicide le plus utilisé en France.

Comment en est-on arrivé là ?

Ce n'est pas un cas classique

La plupart des premiers cas de résistance surviennent dans des situations de très faible diversité de cultures et de pratiques de désherbage (Délye 2013). Il s'agit souvent de (quasi) monoculture avec désherbage totalement chimique basé sur un seul mode d'action. Sur une même parcelle, la même population d'adventices est sélectionnée tous les ans par ce mode d'action, ce qui augmente progressivement la fréquence de plantes résistantes dans la population. Dès que la fréquence est suffisante, la résistance entraîne une perte de contrôle et devient donc visible (Délye et al., 2013).

Mais, dans le cas du laiteron épineux, les endives font partie d'une rotation où sont également intégrés des céréales, du colza, des pommes de terre, de la betterave... des cultures pour lesquelles une variété de modes d'action efficaces contre le laiteron épineux est disponible. Les endives ne reviennent sur une parcelle que tous les quatre ou cinq ans. Comment expliquer la sélection de résistances dans ce contexte ?

La faute aux akènes

Pour cela, il faut considérer la grande mobilité des akènes de laiteron épineux. Elle permet aux descendants des plantes sélectionnées par des inhibiteurs de l'ALS sur une parcelle donnée implantée en endives l'année N de se disperser et de gagner une parcelle proche qui sera cultivée en endives l'année N+1. L'année N+1, ces descendants seront donc à leur tour sélectionnés par des inhibiteurs de l'ALS, puis se multiplieront et se propageront.

Autrement dit, une population donnée de laiteron épineux est présente sur plusieurs parcelles voisines. Et donc, en région de production d'endives, on sélectionne tous les ans sur différentes parcelles une même population de laiteron épineux avec des inhibiteurs de l'ALS.

La très faible diversité des modes d'action efficaces sur laiteron épineux disponibles en endive (voir tableau) couplée à la mobilité de cette adventice explique donc la sélection d'une résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez cette espèce.

Quels enseignements en tirer ?

Un problème épineux

La résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez le laiteron épineux a été identifiée en endive, mais cette adventice n'est pas confinée aux endives. De ce fait, la résistance peut poser problème en céréales, maïs, vigne, voire soja ou tournesol tolérant à ces substances. En effet, dans ces cultures, les inhibiteurs de l'ALS sont une composante essentielle du désherbage chimique.

Mais, à la différence des endives, la gamme des herbicides efficaces contre le laiteron épineux et ayant d'autres modes d'action que les inhibiteurs de l'ALS (groupe B) est plus riche dans la plupart de ces cultures : herbicides des groupes HRAC O, F... en grandes cultures, ou du groupe G en cultures pérennes. En revanche, en endive, la situation est nettement plus critique. Il est possible de mettre à profit l'interculture pour réduire le stock semencier par la réalisation de faux semis. Mais vu la mobilité des akènes de laiteron épineux entre parcelles, les efforts doivent surtout être portés sur la prévention de l'établissement et de la mise à fleur de cette adventice. Et pour être efficaces, ces efforts devraient être concertés sur l'ensemble de la zone concernée... Un problème supplémentaire est qu'en présence de résistance au groupe B, il n'y a plus qu'un seul herbicide autorisé en endive à avoir une efficacité intéressante contre le laiteron épineux (le diméthénamide, voir tableau p. 27). Et au-delà du stade trois vraies feuilles de l'adventice, il ne reste plus que le désherbage mécanique, voire thermique ou manuel. Or ce sont des pratiques contraignantes, coûteuses et consommatrices de temps.

Soupçon de résistance ? Il faut réagir, et vite !

À l'issue de cette étude, il faut de nouveau souligner que lorsque la résistance pose un problème pratique de contrôle chimique dans une parcelle, c'est qu'une fraction importante de la population d'adventices est résistante. Il est alors généralement trop tard pour préserver l'efficacité de l'herbicide, voire du mode d'action concerné. Et il est illusoire d'espérer restaurer rapidement cette efficacité (Délye 2013).

Il faut donc réagir très vite en présence d'une « dérive » d'efficacité sur une espèce habituellement bien maîtrisée, afin de mettre en place à temps les mesures appropriées (recherche de résistance pour confirmation, modification et diversification du programme de désherbage).

*Inra - Agroécologie Dijon. **Association des producteurs d'endives de France.