Rétrospective

Désherbage en grandes cultures : à quoi servent les herbicides ?

JACQUES GASQUEZ* ET MARC DÉLOS**, D'APRÈS LA DEUXIÈME PARTIE DE LEUR COMMUNICATION À LA 23E CONFÉRENCE DU COLUMA DE L'AFPP, À DIJON, DU 6 AU 8 DÉCEMBRE 2016. - Phytoma - n°702 - mars 2017 - page 55

Analyse de la situation actuelle du désherbage chimique des cultures en France et de ses perspectives d'évolution.
Chrysanthèmes des moissons en Tunisie. Cette adventice est devenue très rare en France. Photo : M. Délos

Chrysanthèmes des moissons en Tunisie. Cette adventice est devenue très rare en France. Photo : M. Délos

Le circe des champs Cirsium arvense fait partie des « chardons » (en réalité, les « vrais » chardons sont du genre Carduus). Ces espèces vivaces reviennent dans certains champs. Photo : Inra Dijon

Le circe des champs Cirsium arvense fait partie des « chardons » (en réalité, les « vrais » chardons sont du genre Carduus). Ces espèces vivaces reviennent dans certains champs. Photo : Inra Dijon

Principales étapes de l'historique des herbicides depuis 1950

Principales étapes de l'historique des herbicides depuis 1950

Après avoir fait l'historique du désherbage jusqu'en 1950 dans notre précédent numéro, quel bilan peut-on faire aujourd'hui du désherbage à l'aide d'herbicides pratiqué depuis lors ? Quelles sont ses perspectives demain ? Réponses.

Les herbicides face aux adventices

Rappel de l'épisode précédent

Dans les années 1930, le désherbage chimique contrôlait les crucifères et les plantules d'autres dicotylédones. L'acide sulfurique affaiblissait le chardon, les vesces et gesses et détruisait la renoncule des champs, les crucifères, coquelicot, bleuet, chrysanthème des moissons, matricaire et gaillet. Un homme avec un cheval traitait un hectare en quatre heures : à l'époque, c'était un progrès. Cette rapidité et cette économie de main-d'oeuvre firent le succès de la méthode malgré la dangerosité de l'acide sulfurique pour l'homme et le cheval (Rabaté 1927).

Évolution : la gestion des vivaces

Ce n'est qu'après les années 1950 que l'efficacité et la spécificité des herbicides se sont améliorées avec une sélectivité vraie pour la quasi-totalité des cultures (principales étapes résumées dans le tableau page suivante). Avec les nouveaux modes d'action, il a été possible de gérer les dicotylédones annuelles, puis les graminées annuelles et même les vivaces.

Soixante ans après, les herbicides ont rempli leur premier objectif de gestion des adventices dans toutes les cultures, avec une économie considérable en main-d'oeuvre, temps de travail et coût. Cela a libéré des bras pour d'autres activités et contribué à réduire le prix des denrées agricoles même en monnaie courante, donc la part du budget alloué par les ménages à l'alimentation.

Après plusieurs décennies d'usage répété des herbicides, nombre de vivaces sont rejetées dans les bordures des champs. C'est le cas du chiendent, de l'avoine à chapelet et de l'agrostis rampant. Si les traitements sont bien conduits, les chardons et rumex sont très limités.

Effets sur les stocks de semences du sol, donc sur les cultures suivantes

D'autre part, les stocks de semences des annuelles ont régressé. D'après Schribaux (selon Rabaté, 1927), les terres à betterave de Seine-et-Oise avaient entre 14 500 et 45 600 graines/m² à la fin du XIXe siècle. Barralis rapporte en 1973 des comptages réalisés depuis le début du siècle en Europe.

Comptages de germinations (qui tendent à sous-estimer la valeur réelle) :

- en Allemagne, 22 800/m² en 1912 ;

- en France, 40 400 en 1924 ;

- en Norvège, 33 500 en 1930 ;

- au Royaume-Uni, 85 900 en 1966.

Comptages de semences récupérées (tendant à surestimer celles aptes à germer) :

- en Russie, 47 800/m² en 1912 ; 34 200 en 1943 ; 346 600 en 1953 ;

- en Roumanie, 39 000 en 1955 ;

- en Hongrie, 213 600 en 1960.

Il apparaît que les sols à cette époque étaient envahis de semences d'adventices dans toutes les régions et les systèmes de culture. Les levées étant en moyenne de 10 % du stock (Barralis et al., 1988), les champs étaient potentiellement couverts de milliers, voire dizaines de milliers de plantules par mètre carré.

À la suite de l'usage des herbicides durant plusieurs décennies, et pour la première fois dans l'histoire de l'agriculture, ces stocks ont descendu vers des valeurs que Barralis et al. estiment être des sortes de planchers, entre 1 000 et 5 000 graines/m² (Albrecht 2005).

Influence sur les récoltes

Effets sur les rendements et comparaison avec le désherbage mécanique

Les herbicides ont permis de simplifier les rotations en augmentant la fréquence du blé, et contribué à la hausse de rendement, donc à la baisse de son prix.

Outre leur facilité de mise en oeuvre, ils restent moins coûteux en temps et en énergie fossile que les façons mécaniques. Leur utilisation ne perturbe pas physiquement la surface du sol et ne soulève pas de nuages de poussière. Les sols non perturbés maintiennent leur macroporosité et résistent mieux à la sécheresse ainsi qu'à l'érosion éolienne ou hydrique.

Ces propriétés expliquent l'adoption d'une agriculture sans travail du sol grâce aux herbicides là où la lutte contre l'érosion est une priorité absolue (continent américain), et là où la pluviométrie irrégulière impose de préserver l'eau stockée dans le sol (Australie, États semi-désertiques producteurs de blé du sud des États-Unis, Corn Belt aux États-Unis).

La participation des herbicides à l'augmentation des rendements est significative. De 1920 au début des années 1970, les herbicides ont été les seuls produits phytopharmaceutiques utilisés sur blés en végétation (aucun ne recevait de fongicide, et les premiers traitements insecticides ont été réalisés en 1975 par hélicoptère contre les pucerons de l'épi).

Leur emploi a été parallèle à l'essor de l'usage de l'azote minéral au début des années 1960 à la suite du plan Marshall. La hausse de rendement moyen (passant d'un peu plus de 10 à plus de 30 quintaux par hectare) est à partager entre l'azote, l'amélioration variétale, le traitement fongicide et insecticide de la semence et le désherbage avec les substances issues de la chimie de synthèse.

Avant cette révolution agricole, seconde des temps modernes, les historiens comptent en moyenne une douzaine de famines ou disettes par siècle du XIIIe jusqu'à la fin du XIXe (il y en eut quinze au XVIIIe), plus les calamités locales. Il fallait importer du blé.

Dans les années 1930, l'équilibre a été plus ou moins atteint selon les années. C'est à partir de la fin des années 1950 que la France est devenue autosuffisante en blé, puis exportatrice.

Évolution des rendements

En effet, la production a longtemps stagné avec des rendements très bas. En 1156, selon l'abbaye de Cluny, le rendement en Bresse est de quatre grains récoltés pour un semé.

Au XIIIe, on atteint environ cinq pour un, au XVIIIe environ six pour un. Au milieu du XIXe, on atteint en moyenne 10 q/ha, au début du XXe, on récolte entre 12 et 13 q/ha et vers 1950 en moyenne vers 15 q/ha (Doré et Varoquaux, 2006). À partir de cette date, enfin, les rendements décollent pour atteindre les valeurs actuelles (Doré et Varoquaux, 2006).

De même, pour le maïs grain, les rendements, d'environ 8,5 q/ha vers 1850, étaient de 14 q/ha en 1948. Ce n'est qu'en 1960 qu'on relève 28 q/ha, quelques années après l'introduction des hybrides et dès le début de l'utilisation de la simazine puis de l'atrazine. Ils ont atteint 105 q/ha en 2011.

Sur maïs, les faibles surfaces recevant des insecticides en végétation et l'absence de traitements fongicides (sauf sur la semence) font toujours porter aux herbicides une très forte part du rendement, même si le progrès génétique a eu aussi un rôle important avec le développement des variétés hybrides.

Évolution des systèmes

La question des seuils

Habituellement, les agriculteurs ayant réussi à avoir des parcelles propres craignent de se faire dépasser par les adventices s'ils allègent leur programme et gardent le même niveau de contrôle. Mais certains, surtout lorsque les cours du blé sont bas, économisent sur ce volet de la protection.

Ces économies sont envisagées par des agriculteurs conventionnels comme certains adeptes des TCS (techniques culturales simplifiées), du semis direct avec ou sans mulch et de l'agriculture biologique.

Avec des densités d'adventices de plus en plus faibles et des marges réduites, la notion de seuil d'intervention, comme pour les maladies et insectes, peut paraître un moyen de réduire le recours à la chimie. Mais après des tentatives infructueuses, il semble difficile de fixer de telles valeurs, pour deux raisons :

- une marge d'erreur importante liée au fait que des variables de grande amplitude, notamment la disponibilité en eau ou l'interaction avec d'autres bioagresseurs, risquent de modifier l'intensité de la concurrence d'une espèce ;

- en présence d'adventices même à faible nuisibilité directe, l'alternance des cultures perd de son efficacité sanitaire contre les autres bioagresseurs ; les adventices perturbent le « vide sanitaire » si elles portent des maladies ou hébergent des ravageurs qui n'auraient pas de support en leur absence ; le cas du colza, précédent favorable à l'ergot à cause de ses graminées adventices qui hébergent le champignon, est très actuel et emblématique.

Aussi, plutôt que de retenir une valeur numérique de seuil, il vaudrait mieux, en fonction de la culture et des conditions de milieu, hiérarchiser les espèces depuis celles à contrôler à tout prix jusqu'à celles qu'on peut ignorer, en passant par celles à surveiller selon leur nombre, leurs stades et densités, avec une approche plus large que la simple nuisibilité directe.

Inconvénients des herbicides

Amélioration de la sécurité

Depuis l'invention des herbicides sélectifs, la sécurité des produits a bien progressé : fini l'acide sulfurique et les produits arsenicaux... Les molécules actuelles sont moins toxiques que bien des produits « naturels » courants (toutes sont moins toxiques que la caféine, les deux tiers moins que le sel de cuisine). Leur biodégradabilité s'est améliorée car la réglementation a banni les produits les plus persistants risquant de stagner dans les nappes phréatiques, et ceux acidifiant ou augmentant la salinisation des sols.

Les principaux défauts actuels des herbicides sont liés à des mésusages : sous ou surutilisation, ou usage sans moyen de protection suffisant vis-à-vis du transfert vers les cours d'eau(1).

Contrôler les résistances

Utiliser systématiquement des doses réduites d'un seul herbicide entraîne la sélection de populations résistantes impossibles à contrôler sans modifier le système de culture, conduisant à l'obsolescence du produit. Il en est de même si un mode d'action ou des structures chimiques reviennent trop souvent sur la culture ou dans la rotation.

Doses, autorisations, interdictions...

Les herbicides sélectifs ne sont plus ce qu'ils étaient (voir tableau). De 1896 à 1944, date de l'application en France de la première réglementation sur l'homologation, il a été testé de nombreux produits minéraux toxiques ou simplement corrosifs ou caustiques nécrosant les plantes ainsi que des colorants nitrés, premiers produits organiques utilisés.

Le 2,4D est le premier produit de « synthèse » à activité physiologique non nécrotique utilisable à dose réduite par rapport aux produits minéraux. Avec les produits de synthèse actifs sur le métabolisme des plantes, les doses de substance active et les toxicités n'ont cessé de diminuer jusqu'à l'apparition des sulfonylurées actifs à quelques grammes par hectare car ils bloquent une enzyme indispensable présente en très faible quantité dans les méristèmes des plantes adventices.

La première interdiction, en 1912, est celle des arsénites qui causèrent des mortalités dans des jardins d'enfants. De 1950 à 1960, tous les produits minéraux ont été retirés, sauf l'acide sulfurique qui ne l'a été qu'en 1980. Le plus toxique des colorants nitrés (dinitrophénol) a été interdit en 1966.

Mais depuis 2012, avec l'homologation de l'acide acétique, on assiste au retour des produits corrosifs utilisés à doses élevées. Le nombre de substances actives diminue régulièrement depuis 2003 (Chauvel et al., 2012) et la dernière homologation d'un nouveau mode d'action date de 1994.

Quid d'une suppression partielle des herbicides ?

Utilisation de seuils et des baisses de doses

La mise en oeuvre des seuils en leur soumettant la décision du traitement peut entraîner des échecs liés à des espèces mal contrôlées. Surtout, elle impacte la conduite des cultures suivantes. Un exemple est donné dans l'encadré ci-dessus.

L'impasse sur les traitements herbicides certaines années exige de très bien connaître sa parcelle. La perte de rendement l'année où elle est pratiquée peut être évitée si la parcelle était très propre. Mais le risque de pertes de rendement est augmenté pour les années suivantes. En particulier, il y a risque de forte augmentation des populations d'une ou plusieurs espèces qui, si on ne réagit pas rapidement, pourront se maintenir longtemps à forte densité.

La réduction systématique des doses, quant à elle, est le meilleur moyen pour disqualifier les produits en sélectionnant plus facilement certains types de résistances. En ne cherchant pas à contrôler le maximum d'individus, l'agriculteur sélectionne plus ou moins rapidement ceux qui supportent progressivement des doses de plus en plus élevées.

Impasse sur les molécules supprimées

La suppression de molécules est un facteur d'accélération des phénomènes de résistance. Cette réduction des modes d'action, voire des structures chimiques au sein du même mode d'action, participe à la progression rapide de l'évolution rapide des populations d'adventices résistantes.

Avec la réduction de la diversité des molécules, l'agriculteur ne disposant plus que d'un ou deux produits efficaces sur certaines espèces par culture sera amené à un « monodésherbage ». Cela ne pourra que favoriser la sélection de résistances, ce qui rendra impossible la gestion de ces adventices en l'absence de nouveaux produits.

Quand la jachère a multiplié le vulpin

Ainsi, dans l'est de la France, les premières parcelles en jachère obligatoire (en 1992) ont en grande partie été laissées non désherbées. Cela a été l'un des éléments de l'explosion du vulpin, et par extension l'apparition des populations résistantes aux inhibiteurs de l'ACCase puis à ceux de l'ALS.

Sous nos climats, la parcelle agricole est ce qu'on appelle en science écologique un « stade secondaire ». Laissée à elle-même, elle évolue naturellement vers une fermeture par des adventices, puis des arbustes et des arbres en quelques années. La forêt est le stade le plus stable, ou « climax », des régions actuellement cultivées en France. Aucun équilibre favorable à une culture annuelle ne peut s'établir spontanément. La culture ne fait pas partie du milieu.

Dans tous les cas, l'agriculteur doit lutter en permanence contre l'envahissement du milieu par les adventices. Cette lutte sera d'autant plus difficile que le sol de la parcelle contient beaucoup de semences d'annuelles et des vivaces.

Il est illusoire de penser qu'une parcelle non travaillée ou très peu travaillée ne verra jamais se développer des espèces vivaces, soit déjà présentes, soit issues de semences anémochores (apportées par le vent), voire des espèces annuelles. Ainsi, le semis direct peut difficilement se passer d'un désherbage chimique en interculture pour écarter les vivaces qui passent à travers les mulchs.

En cas de suppression totale des herbicides

L'agriculture biologique, héritière des méthodes conventionnelles

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d'agriculteurs en polyculture-élevage pratiquaient l'agriculture biologique sans le savoir. Mais ils aspiraient à trouver des moyens efficaces pour débarrasser leurs cultures des chiendents, chardons, rumex, liserons, vesces et annuelles envahissantes.

Les adventices des parcelles gérées en agriculture biologique aujourd'hui n'ont rien à voir avec celles de cette époque. Ces parcelles bénéficient de la réduction du nombre et de la densité des espèces après des décennies de désherbage chimique. Ce type d'agriculture peut être envisagé et réussira d'autant mieux si les parcelles sont débarrassées des annuelles et des principales vivaces. La question est de savoir combien de temps, après la suppression des herbicides, l'agriculteur va conserver le capital d'éradication des vivaces de la parcelle et d'affaiblissement des stocks de semences acquis par leur emploi, mais qui peut évoluer rapidement (Albrecht 2005).

Sur blé, ce type de gestion, entraînant un affaiblissement du contrôle des graminées adventices et leur progression dans les bordures, peut expliquer une part de la recrudescence de l'ergot des céréales à qui les adventices offrent un « hôte-relais ».

Sur maïs, un mauvais contrôle des adventices est un des facteurs expliquant une plus grande présence de fusariotoxines et aflatoxines. Ce n'est pas, comme pour l'ergot, en raison d'un rôle d'hôte pour le champignon mais parce qu'il accentue les stress abiotiques favorisant l'infection.

Rotation, élevage, prix et surcroît de travail lié au désherbage mécanique

La gestion des adventices en agriculture biologique est très variable selon les régions. Dans le nord de la France où les fenêtres pour les interventions de désherbages mécaniques sont rares, les rotations sont le principal moyen de gestion. Elles doivent être longues avec plusieurs années de trèfle ou luzerne ainsi que du triticale seul ou en association (Leroy, 2011). Cela sous-entend que ces productions soient valorisées dans des élevages.

En conséquence, le blé n'apparaît qu'au maximum trois fois en dix ans. Son désherbage exige plusieurs passages d'outils avant et pendant la culture et, après plusieurs années, des espèces profitent de ces pratiques. Ce sont surtout des vivaces.

Certaines déjà en place ont progressé (rumex, chardons, laiteron), d'autres sont spécifiques de ce type de conduite (grande berce, pissenlit, épilobes...). Par ailleurs, des annuelles, nouvelles ou non (folle avoine, laiterons annuels...) peuvent devenir envahissantes (Leroy, 2011).

Au rebours de l'agriculture conventionnelle (prix du blé aligné sur le cours mondial et volatil, imposant de gros volumes de production), en agriculture biologique, vu la quantité de travail exigée, les rendements réduits(2) et la moindre production liée à une fréquence limitée dans la rotation, le prix du blé doit être plus élevé qu'en agriculture conventionnelle. Le consommateur le paye, directement ou par le biais des aides dont l'agriculture biologique bénéficie car elle répond à une demande pas encore satisfaite par la production française.

L'agriculture biologique peut supporter l'absence de fongicides grâce à des variétés plus tolérantes aux stress biotiques, des semis tardifs et des objectifs de rendement réduits par rapport à l'agriculture conventionnelle. En revanche, la gestion des adventices en général et des vivaces en particulier devient, après une dizaine d'années et la fin de l'héritage de l'agriculture conventionnelle quant à un stock semencier réduit, plus problématique.

Il faut maintenir la parcelle la plus propre possible (environ 5 000 graines/m²) avec peu ou pas de vivaces, sous peine de voir le rendement diminuer davantage par rapport à l'agriculture conventionnelle. Pour cela, l'agriculteur doit consacrer un temps de travail élevé.

Conclusion

De multiples bénéfices

En débarrassant la parcelle des adventices - pour la première fois depuis les débuts de l'agriculture - sur la période de la culture mais aussi sur le long terme, les herbicides ont contribué à valoriser la fertilisation et à limiter l'apport d'azote et d'eau nécessaires pour obtenir le rendement maximum.

Ils concourent à produire une récolte de qualité sanitaire élevée car débarrassée des adventices toxiques et des contaminants naturels, notamment ceux favorisés par la présence de certaines adventices, ce qui est le cas de l'ergot du seigle.

Ils ont permis de réduire le travail et autorisé la culture de plus grandes surfaces, et ont aussi aidé à produire plus souvent dans la rotation des cultures attendues par le consommateur, contribuant à baisser fortement le coût global de l'alimentation.

Sans herbicides : rotations longues et élevage obligatoire

Mais même si l'utilisation régulière d'une grande diversité d'herbicides a permis d'abaisser fortement le stock semencier du sol, les adventices restent présentes. Tout relâchement de la lutte assurera à plus ou moins brève échéance leur retour invasif.

La spécialisation des zones agricoles françaises visant à l'optimum économique rend difficile l'obligation des cultures étouffantes type trèfle, luzerne et triticale seul ou en association dans des successions très longues sur toutes les parcelles. Si une réintroduction des productions animales en zones céréalières est souhaitable, elle ne pourra être que progressive et partielle. Le levier des cultures étouffantes trouve là une limite hors production de luzerne destinée à la déshydratation qui plafonne à 100 000 hectares dans la région Grand-Est.

Parmi les points clés handicapant l'abandon partiel des herbicides, retenons l'accroissement du travail pour l'agriculteur et la consommation d'énergie en force de traction liée au travail mécanique du sol, la réduction des rendements par unité de surface et les prises de risques quant à la qualité, voire la sécurité alimentaire (recrudescence de l'ergot mais aussi des graines toxiques pour le bétail(3) et l'homme(4)).

L'association du non-travail du sol avec l'usage raisonné d'herbicides est un outil efficace de lutte contre l'érosion ou les coulées de boue, même si le risque est moins fort sous climat atlantique que sous climat continental ou tropical.

L'effet du non-travail du sol permis par les herbicides en situation de risque d'émission de particules dans l'atmosphère (PM10) est documenté(5). Il est conseillé aux agriculteurs d'éviter tout travail du sol ou désherbage mécanique dans ces conditions de plus en plus fréquentes en fin d'hiver afin d'éviter d'enrichir l'atmosphère en microparticules.

Préserver la diversité des herbicides

Une réduction de l'usage des herbicides, via leur optimisation, est souhaitable au-delà du fait qu'elle est réglementairement exigée. L'agriculture de précision est une des principales pistes pour y arriver.

L'intelligence nouvelle apportée par l'agriculture 2.0 et la connectique va s'ajouter et amplifier l'intelligence humaine de l'agriculteur et de l'agronome. Elle peut conduire à une augmentation de la production et à une utilisation réduite des herbicides. Ceci sous réserve que la diversité des herbicides soit préservée, donc leur renouvellement possible.

*AFPP. **Ministère de l'Agriculture. (1) Dans les eaux souterraines, ce sont principalement des triazines, toutes désormais interdites en France et la plupart en Europe, ou leurs métabolites qui sont retrouvés treize ans après leur interdiction. L'atrazine reste largement utilisée en Amérique (du Nord et du Sud) et en Australie. (2) Rendement moyen des blés tendres (bio et conventionnels confondus) en France : - en 2015, 79,3 q/ha ; - en 2016, 53,8 q/ha. (source : Agreste Conjoncture n° 09/10, novembre 2016). Rendements moyens des blés tendres bios en France : - en 2015, 29 q/ha. (source : Variétés et rendements biologiques Récolte 2015, FranceAgriMer, octobre 2016). Chiffres 2016 attendus. (3) Des accidents du bétail sont régulièrement rapportés avec du datura dans l'ensilage de maïs, du Galega officinalis ou du Senecio jacobei dans des foins, les chevaux étant plus exposés dans le dernier cas. (4) Le dernier accident de santé publique rapporté par les services de santé en octobre 2012 était dû à des graines de datura dans du sarrasin biologique ; l'adventice est facile à maîtriser avec des herbicides mais ceux-ci sont interdits en agriculture biologique. (5) Le non-travail du sol et, si possible, une couverture végétale dense sont recommandés par ailleurs pour éviter la contamination des plantes par les dioxines, furanes et PCB dans les sols modérément contaminés par des pollutions industrielles. Ces molécules, qui ne sont pas absorbées par la plupart des plantes, contaminent le végétal via leur projection sur les parties du végétal ingérées par les animaux et rejoignent ainsi la chaîne alimentaire.

Pièges de l'impasse, l'exemple du vulpin

De façon générale, le seuil de nuisibilité du vulpin est donné à 29 plantes/m². Autrement dit, ne pas désherber, durant une campagne céréalière, une parcelle contenant une densité de plantes inférieure ou égale à 29/m2 n'aura pas de conséquence sur le rendement du blé moissonné à l'issue de cette campagne : le vulpin ne se sera pas montré immédiatement nuisible.

Mais, dans certaines conditions, une trentaine de vulpins/m2 peut produire entre 30 000 à 50 000 graines/m².

Cela peut conduire à une infestation durable les années suivantes... Donc à l'obligation de désherber davantage.

Cet article est dédié à...

Dominique Jacquin, ingénieur agronome qui nous a quitté récemment. Après une partie de sa carrière menée avec brio et consacrée à l'amélioration de modèles d'aide à la décision performants, Dominique s'est investi le premier, déjà affaibli, dans la démonstration de l'effet du vulpin et du ray-grass comme une cause de la ré-emergence de l'ergot du seigle.

Il a obtenu des résultats immédiats d'un remarquable intérêt scientifique et surtout pratique afin de préserver la sécurité sanitaire de l'alimentation.

La maladie l'a rattrapé et ne l'aura pas laissé achever son travail, son courage pour continuer jusqu'au bout de ses forces a suscité l'admiration de tous. Nos pensées vont à sa famille et à ses proches.

RÉSUMÉ

SITUATION - L'usage des herbicides, en particulier ceux aux modes d'action spécifiques du métabolisme végétal, a permis la régression des adventices vivaces les plus nuisibles et des plantes toxiques, une baisse durable des stocks de semences des annuelles et la quasi-disparition d'espèces parasites des végétaux. Cela a largement contribué à l'augmentation des rendements et à la simplification relative des assolements avec une proportion accrue du blé dans la rotation.

PERSPECTIVES - La perte dans la mémoire collective de l'idée de disette a autorisé des représentations où les ennemis des cultures seraient définitivement maîtrisés, voire bénéfiques. Ces représentations suggèrent la possibilité de restreindre le recours aux herbicides pour la protection des cultures.

Il est rappelé les avantages et difficultés des différents choix. En particulier, c'est l'oeuvre préalable (mais pas définitive) de nettoyage des parcelles par les herbicides qui rend imaginables les expériences de diminution de ces mêmes herbicides. Des interactions complexes existent entre les adventices et d'autres composants de la biodiversité, dont une part est obstinément hostile à l'homme. En revanche, l'agriculture de précision offre de réelles perspectives de réduction des quantités d'herbicides.

MOTS-CLÉS - Historique, adventices, toxicité, ergot du seigle, herbicides, grandes cultures, blé.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : jacques.gasquez@laposte.net

marc.delos@agriculture.gouv.fr

LIENS UTILES : http://acces.enslyon.fr/evolution/biodiversite/dossiersthematiques/plantes/poacees/EvolRdmtGrainsBles_France1815-2011.png/view?searchterm=None

Normandie : Étude de l'évolution de l'enherbement des parcelles de 2002 à 2011, Groupement des agriculteurs biologiques de Haute-Normandie.

www.bio-normandie.org/wp-content/uploads/2011/06/GRAB-HN-2007-R%C3%A9seau-Adventices-Etude-enherbement-global-sur-5-ans.pdf consulté le 26/09/2016

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article est disponible auprès de ses auteurs (contacts ci-dessus).

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