DOSSIER - Vertébrés nuisibles

Dégâts de gros ravageurs : le cas d'une zone légumière

VIANNEY ESTORGUES* ET JEAN-PHILIPPE STIEN** - Phytoma - n°704 - mai 2017 - page 14

Dans le cadre d'une enquête agronomique, la chambre d'agriculture du Finistère a évalué les impacts des « gros ravageurs » sur les exploitations légumières.
Champ protégé par un filet contre les lapins.  Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Champ protégé par un filet contre les lapins. Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

 Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Arrachage de plants d'échalotes par des corvidés.  Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Arrachage de plants d'échalotes par des corvidés. Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

 Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Dégâts de pigeon sur brocoli. Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Dégâts de pigeon sur brocoli. Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

 Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Photo : V. Estorgues - CA Bretagne

Dégâts de gros ravageurs en zone légumière finistérienne selon l'enquête agronomique

Dégâts de gros ravageurs en zone légumière finistérienne selon l'enquête agronomique

Une enquête agronomique réalisée en 2014 auprès de 95 producteurs de chou-fleur du Finistère a permis d'évaluer l'impact des gros ravageurs, à savoir les vertébrés nuisibles, sur les cultures de ces exploitations. Quatre-vingt-dix pour cent des exploitants ont déclaré avoir subi des dégâts.

Dégâts constatés

Pigeons et corvidés

Les ravageurs les plus souvent cités sont les pigeons, avec 71 % des exploitations atteintes. Leurs dégâts principaux touchent la culture du chou-fleur (jeunes plants du printemps à juillet, secondairement chou-fleur d'hiver de mars à mai). Les salades, les moissons et les pois sont légèrement atteints (voir tableau).

Les corvidés, eux, affectent presque la moitié des exploitations (49 %). Outre les corneilles et freux, les choucas occasionnent 37 % des dégâts de corvidés, touchant 15,7 % des exploitations. Les cultures concernées par des arrachages sont le chou et la salade, suivis du maïs et de l'échalote. Il existe des dégâts sur semis de céréales et, plus rares, sur artichaut, cucurbitacées, crosne, pomme de terre, chou pommé...

Lapins et lièvres

Les lapins sont cités par 51 % des agriculteurs enquêtés. Ces mammifères semblent amateurs de chou (les dégâts se révèlent surtout en début d'été, et sur drageons en fin de printemps secondairement, voir tableau). Les dégâts sur semis de céréales sont moins fréquents. Ils sont encore plus rares sur salades, fenouil et enfin pâtures.

Quant aux lièvres, 35 % des agriculteurs les signalent. Il s'agit là encore, en grande majorité, de dégâts sur chou. Les dommages principaux ont lieu sur les jeunes plantations, mais il en existe secondairement sur salade et rarement sur maïs et drageons de chou.

Étourneaux et autres vertébrés

Revenons aux oiseaux, avec les étourneaux, signalés par 15 % des répondants. Ils touchent essentiellement la production céréalière en hiver, soit sur les silos de maïs ensilage, soit sur les semis pour la moisson future (voir tableau). Les campagnols, si redoutés dans d'autres régions, le sont moins dans cette zone du Finistère : seulement 4 % des répondants les citent, pour des dégâts sur collets et pomme de chou-fleur et de chou romanesco en hiver.

Quant aux autres gros ravageurs (goéland, blaireau, bernache cravant, pie et chevreuil), chacun a été cité par un exploitant (1 % des 95 producteurs) pour des dégâts sur chou, maïs, orge... (voir détails dans le tableau).

Méthodes de lutte employées

Canons, épouvantails, bâches...

Cinquante-neuf pour cent des exploitations possèdent au moins un canon horizontal, 27 % en possèdent plusieurs (Figure 1). Et 10 % des canons étaient équipés de programmateurs (horloges) en 2013/2014.

Neuf pour cent des exploitants n'utilisent plus de canons car ces derniers leur ont causé des problèmes de voisinage.

Les effraies (canons avec mât vertical) n'étaient présents que dans 7 % des exploitations (un à trois par exploitation), probablement en raison de leur prix (> 1 500 €).

Onze pour cent des exploitations utilisent des cerfs-volants en forme de rapaces (un à cinq par exploitation). Cette faible proportion est due a priori à l'efficacité limitée de ces épouvantails.

Dix-sept pour cent des exploitants tentent d'effaroucher visuellement les oiseaux avec des épouvantails classiques, des sacs plastique, ballons, bouteilles...

Quatre pour cent bâchent leur culture. Ce moyen de lutte constitue la méthode ultime quand les autres méthodes ont échoué et/ou sur des cultures à haute valeur ajoutée.

Par ailleurs, aucune exploitation n'a déclaré posséder un pistolet lance-fusées ni de synthétiseur de cris.

Des filets contre lapins et lièvres

Quatre-vingt-six pour cent des exploitations utilisent des filets (ou des grillages) pour protéger certaines parcelles (Figure 2 page suivante). Cette protection permet à 20 % des exploitations de ne pas subir de dégâts de lapin ou de lièvre. Pour les autres exploitations, la protection par filet ne permet que de limiter les dégâts. À noter que seulement 6 % des exploitations non protégées n'ont pas de dégât.

La longueur moyenne de filet utilisée par exploitation (en possession ou en prêt par la société locale de chasse) est de 1 100 mètres (minimum 200 m et maximum 4 250 m) ; 50 % des producteurs en possèdent entre 400 et 1 375 m. En moyenne, 5,5 ha de choux par exploitation sont protégés avec des filets, ce qui représente en moyenne 32 % des surfaces. Il existe cependant de grandes variations selon les exploitations (voir Figure 2).

En moyenne, les temps de travaux pour la pose, les déposes/reposes lors des interventions culturales et la dépose finale sont de 2 h 54 par hectare ; 50 % des producteurs mettent entre 1 h 42 et 4 heures pour la pose/dépose de filet pour protéger 1 ha. Ces chiffres sont assez proches de ceux déterminés lors d'une enquête réalisée en 2009-2010 sur les temps de travaux en chou-fleur AB pour un échantillon de dix-neuf parcelles (issues de sept exploitations), qui avait conclu à 37 % de parcelles protégées pour des temps de travaux de 2 h 13.

Temps de travail très inégal

Au niveau des exploitations, environ 19 heures en moyenne sont passées par an à protéger les cultures (toutes espèces) contre les gros ravageurs. Cependant, il existe de très fortes variations entre producteurs (minimum 0 et maximum 128 heures) ; 50 % des exploitants y consacrent entre 4 et 23 heures par an.

Des pertes méconnues

Une « sous-déclaration » au niveau départemental

Sur les 90 % d'exploitations subissant des dégâts de gros ravageurs, seules 21 % ont rempli une déclaration de dégâts. La raison principale est que, selon les producteurs, « c'est une perte de temps et ces déclarations ne servent à rien ».

Pourtant, depuis la réforme du classement des nuisibles en 2012 (c'est désormais le ministre de l'Environnement qui classe en « nuisibles » la majeure partie des espèces, hormis le sanglier, le lapin et le pigeon ramier qui relèvent des préfets), le classement d'une espèce nuisible doit être soigneusement justifié : l'espèce en question doit être « répandue et causer des dégâts significatifs ». Le Conseil d'État juge qu'« en absence d'étude scientifique, les réponses faites par les maires, les piégeurs, les lieutenants de louveterie, les déclarations de dégâts faites par les agriculteurs... constituent des indicateurs fiables de la présence significative des espèces ».

Ainsi, les déclarations de dégâts permettent aux responsables professionnels de réclamer le maintien des classements nuisibles. Ces classements permettent de conserver le maximum de moyens de lutte. Le renouvellement de l'arrêté triennal, le 30 juin 2015, a ainsi permis au Finistère de classer en nuisibles étourneau, corbeau freux et corneille noire, ce qui autorise à les chasser à tir dans des périodes plus longues que celles de la chasse « classique » et de les piéger toute l'année.

Les pertes déclarées sont importantes

Depuis 2007, la chambre d'agriculture du Finistère coordonne et synthétise l'ensemble des constatations de dégâts remplies par les exploitants du département. Les comités de développement du Finistère mettent à disposition des exploitants des formulaires de déclaration de dégâts aux cultures, élevages, infrastructures (donc toutes filières et territoires confondus contrairement à l'enquête ci-dessus).

Les dernières années (2010 à 2015), les déclarations de dégâts ont été remplies selon les années par seulement 100 à 200 exploitants, qui remplissent entre deux à trois déclarations (couple ravageur/culture). Selon les années, entre 80 et 90 % des déclarations concernent six espèces (les trois corvidés, le pigeon ramier, le lapin et l'étourneau).

Seuls deux tiers des producteurs ayant subi des dégâts ont été capables de chiffrer les pertes. Les autres, soit ne savent pas, soit affirment qu'il s'agit juste de retards de récolte ou, enfin, que c'est du temps en plus sans perte de récolte. Cinquante pour cent des exploitants évaluent leurs pertes dues aux gros ravageurs à entre 350 € et 3 000 €, le montant maximum déclaré étant de 16 000 €. Les déprédations déclarées pour ces six espèces atteignent 290 000 € par an en moyenne pour tout le département.

1, 5 M€ de pertes réelles

Mais si l'on tient compte du taux de non-déclaration estimé dans l'enquête ci-dessus, il faut multiplier ce chiffre par cinq pour avoir une idée des pertes réelles. Cela mène à une estimation d'environ 1,5 M€ de pertes dues aux « gros ravageurs » chaque année dans le Finistère. Il faut ajouter à cela le surcoût de travail, estimé à 19 heures par exploitation légumière et par an.

Les gros ravageurs sont certainement les bioagresseurs qui provoquent, au fil des ans, les pertes de revenus les plus régulières. Leur présence est permanente et, contrairement aux insectes, maladies et adventices, les moyens de lutte sont souvent très limités ou tributaires de réglementations complexes (espèces protégées, chasse...).

*Chambres d'agriculture de Bretagne. **Terres de Saint-Malo (ex-chambre d'agriculture du Finistère).

Fig. 1 : Parcs de canons horizontaux dans les exploitations

Contre les oiseaux, il s'agit d'une technique d'effarouchement.

Fig. 2 : Surfaces en choux protégées avec des filets

Contre les lapins et les lièvres, plus de la moitié des surfaces sont protégées avec des filets.

Fig. 3 : Montant des dégâts

Chiffres déclarés annuellement par les producteurs finistériens (moyenne 2008-2015). À souligner : selon l'enquête, seuls 21 % des agriculteurs victimes de dégâts les déclarent.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Une enquête agronomique auprès de producteurs de chou-fleur en zone légumière du Finistère Nord a collecté des informations sur les dégâts dus aux gros ravageurs (= vertébrés nuisibles).

DÉGÂTS - Les principaux dégâts signalés sont occasionnés, par ordre décroissant de fréquence de déclaration, par les pigeons (signalés par 71 % des répondants), lapins (51 %), corvidés (49 %), lièvres (36 %) et étourneaux (15 %).

Les campagnols, goélands, blaireaux, bernaches cravant, pies et chevreuils sont moins souvent signalés.

CONSÉQUENCES - Les agriculteurs utilisent des moyens de protection (effarouchement, barrières physiques) mais seuls 21 % de ceux ayant subi des dégâts les avaient déclarés officiellement. Vu le montant des dégâts déclarés dans ces zones, les auteurs ont calculé que les dommages réels occasionnés par ces ravageurs représenteraient en moyenne 1,5 million d'euros par an.

MOTS-CLÉS - Vertébrés nuisibles, cultures légumières, Finistère, choux, chou-fleur, salade, échalote, artichaut, céréales, pois, pigeon, corvidés, lapin, lièvre, étourneau.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT :

vianney.estorgues@bretagne.chambagri.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Estorgues V., Stien J.-P, 2015, Chou-fleur : enquête agronomique 29. Volet 1 : caractéristiques de l'enquête et mise en place de la culture, Aujourd'hui & Demain 123, 12-17.

- Estorgues V., Stien J.-P, 2015, Chou-fleur : enquête agronomique 29. Volet 2 : gestion de l'azote et de la matière organique, Aujourd'hui & Demain 124, 3-6.

- Estorgues V., Stien J.-P, 2015, Chou-fleur : enquête agronomique 29. Volet 3 : la protection sanitaire, Aujourd'hui & Demain 125, 3-7.

- Estorgues V., Stien J.-P, 2016, Chou-fleur : enquête agronomique 29. Volet 4 : l'impact des gros ravageurs sur les exploitations légumières, Aujourd'hui & Demain 126, 23-27.

Estorgues V., Stien J.-P, 2016, Chou-fleur : enquête agronomique 29. Volet 5 : les chantiers de récolte, Aujourd'hui & Demain 127, 6-8.

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85