DOSSIER - Vertébrés nuisibles

Les fourragères porte-graines face au campagnol des champs

FRANÇOIS DENEUFBOURG ET YSEULT PATEAU, Fnams Loire-Authion. - Phytoma - n°704 - mai 2017 - page 17

Les cultures de semences fourragères sont très sensibles au campagnol des champs. Voyons ce que font les agriculteurs multiplicateurs de ces semences.
1. Campagnol des champs (Microtus arvalis) : un ennemi important en production de semences fourragères. En région sud, le campagnol provençal (Microtus duodecimcostatus) est également bien présent.  Photo : F. Deneufbourg - Fnams

1. Campagnol des champs (Microtus arvalis) : un ennemi important en production de semences fourragères. En région sud, le campagnol provençal (Microtus duodecimcostatus) est également bien présent. Photo : F. Deneufbourg - Fnams

2. Indice de présence active caractéristique en parcelle : une entrée de terrier bien formée avec des végétaux fraîchement coupés et parfois des fèces !  Photo : F. Deneufbourg - Fnams

2. Indice de présence active caractéristique en parcelle : une entrée de terrier bien formée avec des végétaux fraîchement coupés et parfois des fèces ! Photo : F. Deneufbourg - Fnams

3. Les comptages d'intensité de présence dans une parcelle de fourragère porte-graine (ici du dactyle) requièrent une méthodologie précise d'observation car les indices sont souvent difficiles à repérer. Le présence du rongeur est insidieuse dans les premières phases de développement !  Photo : F. Deneufbourg - Fnams

3. Les comptages d'intensité de présence dans une parcelle de fourragère porte-graine (ici du dactyle) requièrent une méthodologie précise d'observation car les indices sont souvent difficiles à repérer. Le présence du rongeur est insidieuse dans les premières phases de développement ! Photo : F. Deneufbourg - Fnams

4. Perchoirs à rapaces installés dans les parcelles de Philippe Rivat, en Isère (département 38). Cette installation a eu lieu dans le cadre d'une étude régionale collaborative associant la Fredon-RA/FDGDON-38, la Fnams, la LPO et différents autres partenaires locaux. Photo : F. Deneufbourg - Fnams

4. Perchoirs à rapaces installés dans les parcelles de Philippe Rivat, en Isère (département 38). Cette installation a eu lieu dans le cadre d'une étude régionale collaborative associant la Fredon-RA/FDGDON-38, la Fnams, la LPO et différents autres partenaires locaux. Photo : F. Deneufbourg - Fnams

Philippe Rivat (au centre) multiplicateur de semences fourragères, explique au groupe « Vertébrés nuisibles » de l'AFPP, animé par Jean-Jacques Heller (à gauche), la problématique campagnols de son exploitation en Isère. Photo : F. Deneufbourg - Fnams

Philippe Rivat (au centre) multiplicateur de semences fourragères, explique au groupe « Vertébrés nuisibles » de l'AFPP, animé par Jean-Jacques Heller (à gauche), la problématique campagnols de son exploitation en Isère. Photo : F. Deneufbourg - Fnams

Les cultures de production de semences fourragères sont particulièrement sujettes aux attaques du campagnol des champs Microtus arvalis. Celui-ci y trouve d'excellentes conditions d'installation et de nourriture : cultures pérennes, sol couvert, plantes appétentes. La Fnams traque ce rongeur depuis longtemps.

La problématique

Un ravageur et des lois

La Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences) a toujours considéré le campagnol des champs (photo 1) comme un ravageur très nuisible pouvant détruire totalement les cultures fortement infestées et insuffisamment protégées. Les productions de semences fourragères (environ 40 000 ha en France) sont les plus vulnérables, d'autres productions (ex. : semences potagères) étant elles aussi régulièrement touchées.

Deux dates ont marqué l'évolution dans la lutte contre ce ravageur :

- en 2010, le retrait de la chlorophacinone en usage agricole a rendu cet usage orphelin pour la protection des cultures ;

- en 2014, un arrêté interministériel a décrit la nouvelle stratégie de lutte collective à mettre en oeuvre sous l'égide des OVS (organismes à vocation sanitaire).

Depuis 2005

La Fnams avait développé dès 2005 des actions de concertation avec la protection des végétaux et le réseau des FDGDON/Fredon (désormais reconnus OVS) pour inciter à la bonne mise en oeuvre chez les producteurs de semences des stratégies de lutte préconisées. Cela repose en premier lieu sur la surveillance des populations et sur la mise en oeuvre d'une panoplie d'actions associant prévention et lutte curative.

Actions de surveillance

Réseau dédié aux porte-graine

Depuis 2007, la Fnams a développé un réseau de biosurveillance, d'abord dans l'ouest de la France puis dans les principaux bassins de production de semences fourragères du pays.

Les observations reposent sur la méthode indiciaire de présence : comptage d'indices d'activité tels que terriers (photo 2), passages, végétaux coupés, fèces... Cette méthode est celle décrite dans l'arrêté interministériel avec une adaptation possible aux cultures porte-graines. En effet, si le développement végétatif des cultures est important, il faut fouiller dans la végétation pour trouver d'éventuelles traces d'activité sur une série de spots discontinus à intervalles réguliers, alors que la méthode officielle de comptage pour activer un traitement se fait de manière continue tout au long d'une diagonale (Deneufbourg, Broucqsault, 2014).

Chaque année, de cinquante à cent observations sont réalisées en parcelles dans les différents bassins de production de façon plus ou moins aléatoire dans les zones signalées « sensibles » (présences déjà observées).

Présences tout au long de l'année

La synthèse des observations que nous avons réalisées en parcelles de production de semences fourragère depuis une dizaine d'années montre une activité des campagnols aux quatre périodes clés d'observation : fin d'été/début d'automne, hiver, fin d'hiver, printemps (Figures 1 et 2 page suivante).

Tout au long de l'année, environ deux tiers à trois quarts des parcelles portent des indices de présence active (> 1 %, avec un maximum pouvant atteindre près de 100 % d'activité dans certaines parcelles).

Un comptage se fait ainsi : sur chaque tronçon d'observation (ou intervalle ; environ 10 m²), la présence ou non d'indices d'activité est repérée visuellement (photo 3). Dès qu'un indice de présence est repéré (terrier frais, passage récent, fèces...), il est noté et le tronçon est classé positif. La densité d'indices de présence est exprimée en pourcentage (nombre de tronçons positifs/nombre total observé). Par exemple, si la parcelle comprend dix tronçons positifs sur cinquante-huit observés, la densité de population est estimée à 17 %.

Dans l'Ouest (départements : Maine-et-Loire, Vienne, Deux-Sèvres et Vendée) (Figure 1), sur les 250 parcelles observées de 2007 à 2016, on note que l'hiver est souvent bénéfique aux cultures (conditions climatiques défavorables aux campagnols) car les populations de campagnol sont fortement réduites au début du printemps par rapport à l'automne (plus de deux tiers des parcelles sont saines, sans distinction dans ce réseau des méthodes de lutte mise en oeuvre ou non par l'agriculteur). Mais il reste tout de même des parcelles ou la situation reste critique jusqu'au printemps.

En Champagne, sur un territoire plus restreint à production plus concentrée (départements Aube et Marne), près de 70 parcelles ont été observées de 2010 à 2016 (Figure 2). Les résultats montrent des niveaux de présence systématique dans des proportions parfois fortes, pouvant atteindre plus de 33 % d'indices de présence, sur plus plus du tiers des parcelles observées (là encore, les résultats sont ceux cumulées sur sept ans).

Lutte expérimentée en Isère

Des perspectives prometteuses

Au-delà de la biosurveillance, la Fnams contribue activement auprès du réseau des multiplicateurs de semences à inciter à la mise en oeuvre de stratégies de lutte contre les campagnols des champs associant la prévention (essentiellement le développement de la prédation naturelle par rapaces) et la lutte curative (appât à base de bromadiolone précocement et en faible quantité).

Le cas du territoire de la plaine de Bièvre, en Isère, qui concentre environ 200 ha de production de semences de graminées, est exemplaire. L'organisation collective, associant les acteurs concernés (Fnams, FDGDON/Fredon, LPO, fédération des chasseurs...) et cofinancée par le département de l'Isère, donne des résultats intéressants à moyen terme (Deneufbourg, 2017).

Philippe Rivat, agriculteur multiplicateur de semence de la région, témoigne : « Les méthodes de lutte ont profondément changé depuis dix ans. Au prix d'un important travail collectif et individuel très gourmand en temps, le campagnol des champs est à peu près contrôlé. »

Cependant, il estime que la situation reste très fragile : « Les pullulations peuvent très vite repartir si on relâche l'attention. Après l'interdiction de la chlorophacinone en 2010, les populations avaient fortement augmenté, condamnant la production de semences fourragères pendant deux ans tant les dégâts étaient importants. L'autorisation d'emploi de la bromadiolone contre les campagnols des champs à partir de 2014 m'a permis de reprendre ces cultures porte-graines en modifiant radicalement la méthode de lutte. Celle-ci impose désormais la mise en place de leviers d'action préventifs combinés à l'emploi de la chimie.

Grâce au développement de la prédation par les perchoirs et nichoirs, j'ai diminué les quantités d'appâts épandus et un nouvel équilibre de populations de rongeurs à bas niveau semble s'installer. Mais la vigilance et la surveillance permanente de nos parcelles restent essentielles », conclut-il.

Fig. 1 : Relevés dans l'ouest, 2007 à 2016

Résultats dans les départements de Maine-et-Loire, Vienne, Deux-Sèvres et Vendée, sur 252 parcelles, toutes années confondues. Les résultats de biosurveillance de la Fnams sont exprimés en % de parcelles classées par niveau de pression dans chacune d'elles.

Fig. 2 : Relevés en Champagne, 2010 à 2016

Résultats dans les départements de l'Aube et de la Marne, sur 67 parcelles, toutes années confondues. Les résultats de biosurveillance de la Fnams sont exprimés en % de parcelles classées par niveau de pression dans chacune d'elles.

Une enquête nationale sur les dégâts, pour le maintien d'une lutte encadrée collective

En 2013, une enquête nationale a couvert toute la production par expertise des dégâts observés par les techniciens de production en parcelles d'agriculteurs. Cette année-là, sur les 20 800 ha enquêtés, plus de 10 % des surfaces étaient été classées gravement touchées, voire détruites pour certaines.

Les deux principales régions de production (Ouest, Nord-est) sont les plus affectées : plus de 5 % des surfaces détruites sur luzerne en Vendée et près de 15 % en graminées en Champagne.

Dans le Sud-Est, les productions de graminées subissent d'importants dégâts (12 % détruites) (Deneufbourg, Broucqsault, 2014).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les cultures fourragères porte-graines (= de production de semences) étant très sensibles aux attaques de campagnol des champs, la Fnams travaille sur cette problématique.

SURVEILLANCE - Elle a développé depuis 2007 un réseau de biosurveillance qui a permis de mieux connaître les évolutions des populations, notamment les variations saisonnières.

PROTECTION - Elle accompagne et encourage les réseaux de lutte collective. Ainsi, en plaine de Bièvre, en Isère (département 38), cette lutte associe mesures préventives (pose de perchoirs à rapaces pour encourager leur activité de prédation) et lutte directe collective (apports de bromadiolone réduits car bien raisonnés).

MOTS-CLÉS - Vertébrés nuisibles, campagnol des champs Microtus arvalis, fourragères porte-graines, Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences), biosurveillance, Isère, prévention, prédation, rapace, lutte collective, bromadiolone.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : francois.deneufbourg@fnams.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Deneufbourg F., 2017, Lutte intégrée contre les campagnols des champs : L'expérience de la Bièvre partagée au coeur des parcelles de multiplication, Bulletin Semences n° BS 255 (à paraître).

- Deneufbourg F., Broucqsault L.-M., 2014, Le campagnol des champs en production de semences fourragères : évaluation de présence et méthodologie d'observation, AFPP, 10e Conférence internationale sur les ravageurs en agriculture, Montpellier, octobre 2014.

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