Bonnes pratiques

Le plan Écophyto à Mayotte : exemple du maraîchage

DOMINIQUE DIDELOT*, AUDREY MEULE-ALDEBERT**, DANIEL HOARAU***, THOMAS CHESNEAU**** ET GASPARD THOMAS***** - Phytoma - n°704 - mai 2017 - page 39

Une enquête visant à mieux connaître les pratiques phytosanitaires et la création d'un réseau Dephy Ferme ont permis d'accélérer la mise en oeuvre du plan Écophyto sur l'île de Mayotte.
Session de formation des maraîchers au bon usage des traitements phytosanitaires en 2015.  Photo : A. Aldebert

Session de formation des maraîchers au bon usage des traitements phytosanitaires en 2015. Photo : A. Aldebert

À Mayotte, une bonne partie de la production de légumes est réalisée par les immigrés clandestins (ici, arrosant des tomates). De ce fait, très peu d'informations sur leurs pratiques sont disponibles. Photo : D. Didelot

À Mayotte, une bonne partie de la production de légumes est réalisée par les immigrés clandestins (ici, arrosant des tomates). De ce fait, très peu d'informations sur leurs pratiques sont disponibles. Photo : D. Didelot

Tableau 1 : origine des conseils engrais et semences

Tableau 1 : origine des conseils engrais et semences

Tableau 2 : origine des conseils phyto

Tableau 2 : origine des conseils phyto

Le plan Écophyto n'a été opérationnel à Mayotte qu'à partir de 2013-2014. Un inventaire préalable, mené par le Sise/Daaf en 2015, a montré que parmi l'ensemble des cultures présentes sur l'île, seuls la salade, la tomate et les cucurbitacées (concombre et courgette essentiellement) faisaient l'objet de traitements réguliers.

L'enquête réalisée

La Capam (chambre d'agriculture de Mayotte - animatrice du plan Écophyto) s'est associée au Sise/Daaf en 2016 pour interroger trente producteurs maraîchers, essentiellement parmi les « informels ». Ce ciblage s'explique par le fait qu'à Mayotte, une bonne partie de la production de légumes (tomate, salade, etc.) est réalisée par les immigrés clandestins qui, grâce à cela, y trouvent leurs moyens de subsistance. Or, du fait de leur statut, très peu d'informations sur leurs pratiques sont disponibles.

Le questionnaire comportait deux parties :

- des informations générales (mode de culture, sources d'approvisionnement et de conseils, devenir des produits, etc.) ;

- une fiche par culture (tomate, salade ou concombre) pour inventorier précisément le mode d'application des produits phytosanitaires (PP), dose, dilution, surface traitée et fréquence de traitement.

Le constat

Qui sont les exploitants, qui les conseille, où se fournissent-ils ?

Le constat est le suivant : plus de 55 % des enquêtés ont déclaré ne recevoir de conseils que d'une « connaissance » de proximité, à savoir un exploitant un peu plus chevronné. Le technicien d'encadrement n'a été cité que dans 12 à 14 % des cas. L'origine des conseils est résumée dans les Tableaux 1 et 2 page suivante. Les exploitants « établis » ou « intermédiaires » pouvaient parfois attester d'une capacité professionnelle. Par contre, il y avait absence de qualification professionnelle chez les informels qui pratiquent des traitements phytosanitaires.

Soixante-dix-neuf pour cent des enquêtés ont déclaré se fournir directement auprès des distributeurs officiels (coopérative, GMS, etc.), alors que la plupart des informels ne disposaient pas du « certiphyto » les autorisant à acheter des produits professionnels. En réalité, certains produits tels que le Décis sont vendus également en gamme « jardin » et sont donc accessibles sans certiphyto. Les questions sur les étiquettes et la provenance des produits semblent indiquer toutefois que, dans 50 % des cas, les PP arriveraient en fraude des pays voisins.

Les produits et leur usage

Une gamme limitée de spécialités commerciales était utilisée. Les quatre produits majoritaires étaient, pour les fongicides, le Dithane et la bouillie bordelaise et, pour les insecticides, le Décis et le Karaté.

Decis, Karaté et Dithane ont respectivement des fréquences maximales de traitement autorisées par cycle de tomate (trois mois) de trois, deux et cinq. Or, ils étaient en moyenne utilisés onze fois par cycle de culture. Les exploitants traitaient donc deux à trois fois plus souvent que ne l'autorise l'homologation des produits.

Quel que soit le produit employé, le dosage moyen était deux fois supérieur à la dose préconisée. Pour le Décis, seulement 44 % des agriculteurs interrogés respectaient la dose maximale autorisée.

Si certains utilisaient correctement la seringue graduée et le doseur livrés avec les produits, une grande majorité utilisait pour doser des bouchons en plastique de bouteilles d'eau ou de soda, des boîtes de conserves, des pincées (sans protection par des gants). Le traitement se faisait parfois avec un pulvérisateur à dos, mais aussi fréquemment avec un arrosoir.

Des IFT quatre à huit fois plus élevés que les indices de référence

L'indicateur de fréquence de traitement (IFT) exprime le cumul des doses appliquées pour tous les produits utilisés sur un cycle de culture en comparaison des doses/ha recommandées dans l'homologation. L'IFT évalue ainsi la « pression de traitement phytosanitaire » appliquée sur chaque parcelle. La donnée communément utilisée est « l'IFT 70e percentile ». Elle correspond à la valeur en dessous de laquelle on trouve 70 % des IFT calculés pour un ensemble de parcelles portant une culture donnée.

Ainsi, les IFT 70 % à Mayotte étaient de respectivement 53, 55 et 9 sur les cultures de tomate, de concombre et de salade. À titre de comparaison, ces valeurs étaient à La Réunion de 13 et 3,8 pour respectivement la tomate et la salade de plein champ (Source Agreste 2013).

La salade était nettement moins surtraitée que les deux autres cultures, car son cycle de production est plus court. Elle est, dans les conditions locales, moins sensible aux problèmes parasitaires que la tomate, très fréquemment attaquée par une mouche qui pond et dont les asticots se développent dans le fruit

Résultats du réseau Dephy Ferme

Stratégies d'efficience et de substitution

Le réseau Dephy Ferme est également une des actions du plan Écophyto. Lancé en 2015, il a été conçu pour permettre un suivi des pratiques agricoles et la mise en application par des exploitants volontaires de techniques innovantes et raisonnées de gestion des bioagresseurs.

Au sein du réseau Dephy Mayotte, les valeurs d'IFT sont désormais similaires à celles observées à La Réunion, à savoir 13, 7 et 2 respectivement sur tomate, concombre et salade. Ceci atteste de la possibilité de grandement améliorer la situation des pratiques de traitements à Mayotte.

L'accent en terme de vulgarisation doit être mis sur :

- une stratégie d'efficience (amélioration des modalités de prise de décision et des techniques de pulvérisation) ;

- une stratégie de substitution (remplacement des produits phytosanitaires de synthèse par des méthodes alternatives et des produits de biocontrôle).

Méthodes alternatives expérimentées

Le lycée agricole de Coconi expérimente ces méthodes alternatives. Il a obtenu des résultats probants avec des produits de biocontrôle sans nocivité sur les consommateurs : Capsicol BB (bouillie bordelaise), Thiovit et Kumulus (soufre) et Kocide (hydroxyde de cuivre) pour les fongicides, Dipel (Bacillus thuringiensis) et Success 4 (spinosad) pour les insecticides et Tonifruit (ANA + NAD) pour agir sur la nouaison.

Sur sept exploitations Dephy qui ont fait l'objet d'un suivi régulier, la proportion de produits de biocontrôle représente déjà 35 % des usages.

Vers une structuration de la filière maraîchère attractive et sécurisante

Contrer les produits phyto clandestins

« Des phytos hors-la-loi, ce n'est pas pour moi. » Vu les risques pour la santé de la population que représente la consommation de légumes contenant des résidus de pesticides à des doses supérieures à celles fixées par la réglementation, la lutte contre les filières clandestines d'approvisionnement en produits phytosanitaires et le contrôle de l'usage des pesticides et de la qualité des produits en marché est une mission importante des services de l'État (douanes, Daaf, Dieccte).

Compte tenu des résultats des précédentes campagnes de contrôle et ceux présentés ci-dessus, cette mission va se renforcer.

Communication et formation

Des formations ont été réalisées. Il convient également pour être efficace de renforcer les actions de communication, qui doivent toucher deux publics : d'abord les professionnels des filières maraîchères puis les consommateurs de produits maraîchers.

L'objectif est de pousser le premier public à abandonner l'utilisation des intrants interdits et à mieux raisonner leurs pratiques, et d'inciter le deuxième public à exiger des produits de qualité, voire certifiés. Il faut ainsi orienter autant que possible la consommation vers une filière structurée, contrôlée et certifiée saine.

Importance de la présence technique sur le terrain

Les organismes d'encadrement technique (Capam, Coopac, GVA, etc.) doivent pouvoir effectuer des tournées régulières sur les « spots » maraîchers, pour diffuser, sans discrimination de statut des exploitants, des conseils pratiques et concrets. C'est aussi ce qu'attendent les producteurs.

Il est nécessaire que les méthodes expérimentées dans le cadre de Dephy Ferme fassent l'objet de démonstrations pour prouver qu'elles sont efficaces et rentables dans le temps et qu'elles peuvent être mises en application en grandeur nature par les professionnels.

Vers une charte de qualité

Par ailleurs, il s'agit de sélectionner des exploitations pouvant souscrire à une charte qualité simple : a minima, respect de la réglementation, traçabilité des produits d'origine végétale et engagement dans la réduction d'utilisation de produits phytosanitaires en suivant les prescriptions du réseau Dephy.

La certification de ces produits et leur identification, couplées à une communication de masse et leur distribution sur des points de vente volontaires pour leur mise en avant, permettraient de faire émerger une filière structurée, répondant à des critères de qualité et à même de rassurer les consommateurs.

*Chef du Sise, Daaf Mayotte. **Animatrice projet Écophyto, en poste à la Capam jusqu'en juillet 2016. ***Protection des végétaux au SA/Daaf. ****Animateur maraîchage Dephy Fermes et Rita au LPA de Coconi. *****Chargé de mission Capam « préfiguration d'une filière pérenne de gestion des intrants agricoles en fin de vie », en poste jusqu'à mi-2016.

Fig. 1 : Situation de départ : une sur-utilisation des produits

Nombre de traitements par cycle de culture de tomates pour les quatre produits principaux. Réponses du panel de trente enquêtés en 2016.

Fig. 2 : IFT par culture au sein du réseau Dephy Ferme

Les IFT ont baissé : 12,9 sur tomate, 6,9 sur concombre, 2 sur salade au lieu de respectivement 53 , 55 et 9 observés en 2016 chez les producteurs informels, à la différence des producteurs du Dephy Ferme. LPA = lycée professionnel agricole.

REMERCIEMENTS

Étude menée grâce à une collaboration Capam (chambre d'agriculture), DAAF (services Sise et SA) et lycée agricole de Coconi.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - À Mayotte, département d'outre-mer, le plan Écophyto, opérationnel depuis seulement 2013-2014, présente déjà des résultats.

SITUATION DE DÉPART - En 2016, une enquête sur les pratiques des maraîchers a identifié les progrès à réaliser. Les fréquentes sur-utilisations de produits (sur-dosage et nombre des traitements) conduisaient à des IFT très supérieurs à ceux de La Réunion (climat proche) sur tomate, concombre et salade.

ÉVOLUTION - Un réseau Dephy Ferme a été mis en place, dans lequel les IFT ont été fortement réduits sans incidence sur la productivité. Des produits de biocontrôle testés au lycée agricole ont été adoptés et représentent 35 % des IFT. Le travail continue, en particulier la lutte contre les produits clandestins.

MOTS-CLÉS - Plan Écophyto, Mayotte, maraîchage, tomate, concombre, salade, IFT (indicateur de fréquence de traitement).

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS :

dominique.didelot@agriculture.gouv.fr

audrey.aldebert@gmail.com

daniel.hoarau@agriculture.gouv.fr

thomas.chesneau@educagri.fr

gaspard.thms@gmail.com

LIEN UTILE : http://daaf.mayotte.agriculture.gouv.fr/Sante-et-protection-des-vegetaux

L'essentiel de l'offre

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