Adultes (femelle à gauche et mâle à droite) de Singhellia simplex. Leur taille est de 1,4 à 1,6 mm. Photo : Anses/Inra
Un aleurode inconnu en France a été découvert cette année sur un lot de Ficus cultivés dans la région parisienne. C'est lors d'une visite d'entreprise assurée dans le cadre d'une prestation de conseil d'Astredhor Sud-Ouest GIE fleurs et plantes que le deuxième auteur a suspecté la présence de Singhellia simplex (Singh, 1931), aleurode inféodé au Ficus.
Des larves, adultes et oeufs ont été observés et des feuilles prélevées sur place. L'échantillon a été envoyé au Laboratoire de la santé des végétaux (LSV), de l'Anses de Montpellier, qui a confirmé le diagnostic.
Origine et répartition
Une espèce en pleine expansion au niveau mondial
L'aleurode Singhellia simplex a été décrit en 1931 en Inde (Singh, 1931). Sa distribution naturelle comprend le sous-continent indien et l'Asie du Sud-Est (Myanmar) et remonte jusqu'en Chine et Taiwan (EPPO Global Database, 2017).
L'espèce Singhellia simplex est considérée comme invasive depuis son arrivée en Floride à la fin des années 2000 (Hodges, 2007). À ce jour, elle a gagné la Californie vers l'ouest (Arakelian, 2012) et elle est largement distribuée en Amérique centrale (Mexique, Panama) (Gonzáles-Julián et al., 2013, Esquivel, 2009), du Sud (Colombie, Venezuela, Brésil) (Kondo & Evans, 2013, Ramos et al., 2015, Valasco et al., 2011) et dans la Caraïbe (Barbade, République dominicaine, Jamaïque, Porto-Rico) (EPPO Global Database, 2017). S. simplex a été récolté par le troisième auteur en Guadeloupe, fin 2012.
En Europe, l'espèce a été signalée pour la première fois de Chypre en 2014 (déclaration officielle du ministère de l'agriculture chypriote auprès de la Commission européenne DG Sanco en date du 24 octobre 2014), et le LSV en a identifié sur Ficus en provenance d'Israël en 2013.
Plantes-hôtes
L'espèce, inféodée aux Ficus, est fréquemment rencontrée sur F. benjamina L. et F. microcarpa L., mais aussi sur F. aurea Nutt., F. altissima Blume, F. bengalensis L., F. binnendijkii (Miq.) Miq. et F. maclellandii King. Cependant, toutes les espèces de Ficus ne sont pas attaquées par cet aleurode : F. religiosa L. (le figuier sacré) et F. carica L. (le figuier comestible) ne semblent pas permettre le développement de l'insecte. Les espèces sur lesquelles le premier prélèvement en France a eu lieu sont F. benjamina et F. binnendijkii.
Caractéristiques morphologiques
Les adultes (photo 1) mesurent de 1,4 à 1,6 mm de long. Leurs ailes sont d'un blanc opalescent, barrées d'une ligne oblique transversale d'un brun gris en partie médiane et d'une bande de la même teinte à la base des ailes, côté interne (voir flèches). Le corps est dans les tons jaune orangé.
Les oeufs allongés et d'un jaune-orangé sont en général placés le long de la nervure médiane sur la face inférieure des feuilles. Les premiers stades larvaires sont très aplatis et translucides, ce qui les rend difficilement détectables. Le puparium (dernier stade larvaire), d'une longueur maximum de 1,3 mm, est moins aplati, transparent, la couleur de son support lui donne un aspect verdâtre. Les yeux rouges sanguins sont bien visibles (photo 2).
Biologie
Les connaissances sur la biologie de cette espèce sont encore parcellaires. Quelques travaux réalisés en Floride ont montré que la durée totale du développement post-embryonnaire varie de 97,1 jours à 15 °C à 25, 2 jours à 30 °C. Les adultes peuvent vivre 8 jours à 15 °C, 4,2 jours à 25 °C et 2,5 jours à 30 °C (Legaspi et al., 2011).
Dégâts
Dans ses zones d'expansion, les attaques ne concernent, dans la majorité des cas, que des arbres d'alignement le long des voies urbaines ou des arbres situés dans des parcs et jardins. Les adultes et les larves se nourrissent sur le feuillage (photo 3). Contrairement à de nombreux aleurodes dont les larves ne sont visibles que sur la face inférieure des feuilles, les stades immatures de S. simplex peuvent également se rencontrer sur la face supérieure des feuilles.
La prise de nourriture, phloème ou sève élaborée, peut provoquer un jaunissement des feuilles, une défoliation sévère et un dépérissement des tiges et rameaux. Des populations importantes ralentissent la croissance des jeunes arbres. Les fortes capacités de reproduction de cet aleurode peuvent aboutir à l'émergence d'un très grand nombre d'individus adultes de façon concomitante. Ces pullulements génèrent des désagréments pour les résidents des zones urbaines plantées de nombreux Ficus.
Contrôle
Des mesures de contrôle chimique sont disponibles mais l'application d'insecticides en milieu urbain n'est plus à l'ordre du jour. Depuis l'arrivée de cette espèce sur le continent américain, des recherches ont débuté pour inventorier ses ennemis naturels dans le but de mettre en place un contrôle biologique.
Deux parasitoïdes ont été identifiés en Floride, Encarsia protransvena Viggiani, 1985 (Hymenoptera : Aphelinidae) et Amitus bennetti Viggiani et Evans, 1992 (Hymenoptera : Platygastridae) (Avery et al., 2011). Un seul parasitoïde originaire d'Asie est connu à ce jour, Encarsia singhiella Polaszek et Shih, 2015. Il semble spécifique de S. simplex et a été décrit très récemment de Chine et de Taiwan (Ko et al., 2015). Myartseva et al., 2014 citent également Encarsia hispida De Santis, 1948, présente en France.
Les prédateurs semblent plus nombreux avec des chrysopes du genre Chrysopa, plusieurs coccinelles, Harmonia axyridis (Pallas, 1773), Olla-v-nigrum (Mulsant, 1866), Exochomus childreni Mulsant, 1850, Chilocorus nigritus (F., 1798) et Curinus coeruleus (Mulsant, 1850) (Coleoptera : Coccinellidae) (Avery et al., 2011). Legaspi et al., 2012 ont testé l'efficacité d'une autre espèce de coccinelle déjà commercialisée en Amérique du Nord et en Europe, Delphastus catalinae (Horn, 1895). Ils la considèrent bon candidat comme agent biologique contre S. simplex.
Plusieurs champignons entomopathogènes ont également été isolés, Isaria fumosorosea Wize, Paecilomyces lilacinus Thoern (Samson), Lecanicillium sp., Fusarium sp. et Aspergillus sp. (Avery et al., 2011). Nombre de ces auxiliaires ou champignons sont commercialisés en France.
Au niveau réglementaire
En l'état, Singhellia simplex n'est pas réglementé au niveau européen mais l'espèce est présente sur la liste d'alerte de l'OEPP depuis 2014. Actuellement, tout ravageur inscrit dans les listes de l'OEPP est de facto traité comme un organisme réglementé par les autorités françaises.
Conclusion
Les préférendums thermiques de cette espèce sont assez proches de ceux de Bemisia tabaci. Par ailleurs, elle est inféodée au genre Ficus mais ne semble pas apprécier F. carica, notre espèce autochtone, ce qui rend son établissement en France métropolitaine peu probable. Par contre, le risque est plus élevé pour les productions sous serre et pour les départements ultra-marins.
Dans les DROM, les Ficus sont bien représentés par des espèces ornementales ou bien indigènes. Les pays méditerranéens moins septentrionaux que la France pourraient davantage être impactés par l'arrivée de ce nouvel aleurode, les Ficus y étant largement utilisés en arbres d'ornement.
Singhellia simplex n'était pas seul
Plusieurs espèces d'aleurodes peuvent être rencontrées sur Ficus dans le Bassin méditerranéen, comme Bemisia tabaci (Gennadius, 1889), Dialeurodes citri (Ashmead, 1885) Singhiella citrifolii (Morgan, 1893) ou Trialeurodes vaporariorum (Westwood, 1856).
L'échantillon soumis au LSV contenait également une deuxième espèce, Parabemisia myricae (Kuwana, 1927) (photo), en moindre quantité. Cet aleurode est déjà présent dans plusieurs pays du Bassin méditerranéen.