En lisant Phytoma, nul n'a pu ignorer que l'Anses délivre depuis le 1er juillet 2015 les AMM (autorisations de mise sur le marché) des produits phyto (phytopharmaceutiques). Mais une autre mission lui a été attribuée en même temps : la PPV, phytopharmacovigilance.
Pourquoi la PPV ?
Phytoma - Mathilde Merlo, vous êtes chef de l'unité chargée de la PPV à l'Anses. Le dispositif a été créé en 2015. Pourquoi en parler maintenant ?
M. Merlo - Nous avons ouvert cette année l'outil de signalement par internet des effets indésirables des produits phyto. Il est important pour l'Anses de le faire connaître, et de préciser qui peut signaler ces effets.
Avant de présenter ce site, pouvez-vous expliquer ce qu'est la PPV, et pourquoi elle existe ?
Les produits phytopharmaceutiques sont des pesticides. Avant leur commercialisation, leurs principes actifs doivent être approuvés au niveau européen, puis les produits sont autorisés au plan national. La phytopharmacovigilance permet de s'assurer de l'absence d'apparition d'effets indésirables après la commercialisation. En cas d'apparition de tels effets, plus vite les autorités en sont informées, mieux elles peuvent réagir, vite et de façon pertinente, en modifiant les conditions d'AMM par exemple.
Les études avant AMM ne prévoient-elles pas tout ?
L'évaluation des produits avant leur AMM vise à s'assurer qu'ils sont efficaces et sûrs pour la santé humaine et animale, et pour l'environnement. Elle répond à des règles très strictes définies au niveau européen et repose notamment sur des tests expérimentaux réalisés en conditions contrôlées.
Mais ceux-ci ne peuvent pas être représentatifs de l'ensemble des situations réelles d'utilisation. C'est pourquoi, comme en médecine humaine et vétérinaire, un suivi post-AMM est indispensable pour détecter au plus tôt tout effet indésirable inattendu et prévenir sa répétition. La loi d'avenir agricole d'octobre 2014 est venue répondre à ce besoin.
Ce suivi n'était pas assuré ?
Il l'était en partie dans le cadre de l'Observatoire des résidus de pesticides (ORP), pour la contamination des milieux et les expositions alimentaires. Cet observatoire s'intéresse aussi à certains types de biocides et de médicaments vétérinaires. Il continue à exercer ses activités.
De plus, divers organismes surveillaient déjà certains effets indésirables de pesticides. Nous leur avons proposé d'être associés à la PPV.
Comme le centre François-Baclesse, partenaire d'Agrican(1), la MSA avec Phyt'Attitude(2) ou l'ONCFS pour les effets sur la faune sauvage(3) ?
Exactement.
Alors, à quoi sert la PPV ?
Elle a permis de réunir une quinzaine de partenaires(4) qui collectent déjà des données de surveillance des effets de pesticides, pour partager ces données existantes.
Il y en a beaucoup ?
Chaque année, plusieurs millions de données sont générées, notamment pour la surveillance des milieux. L'enjeu est de confronter toutes ces informations pour détecter d'éventuels signaux émergents.
Le site de signalement
Le nouveau site va-t-il collecter plus d'informations ?
Oui. La loi d'avenir prévoit une obligation de signalement des effets indésirables pour de nombreux acteurs. Cette obligation existait déjà pour les détenteurs d'AMM de produits phyto, désormais elle s'applique aussi aux fabricants, importateurs, distributeurs et utilisateurs professionnels, et aux conseillers et formateurs. De plus, nous avons décidé d'offrir la possibilité de signalement aux professionnels de santé humaine et animale, aux associations et aux particuliers.
Les signalements pourront-ils être anonymes ?
Nous disposerons de l'identité du déclarant. Cela permet de lui demander des informations complémentaires si besoin lors de l'instruction du signalement. Mais la confidentialité de son identité sera garantie.
L'analyse du signalement, comment est-elle organisée ?
Elle est réalisée en étroite collaboration avec les partenaires de l'Anses, en s'appuyant sur l'expertise de leurs domaines de compétences respectifs.
Et si vous n'arrivez pas à conclure sur un signalement ?
Nous pouvons mener des études spécifiques avec nos partenaires. Une vingtaine d'études sont en cours afin de générer de nouvelles connaissances. En 2018, l'Anses s'attachera, avec Santé publique France, à renseigner l'exposition aux pesticides des riverains des zones agricoles. Peu de données existent sur cette thématique qui suscite de nombreux questionnements du public.
(1) Voir « Agriculture et cancer : le bruit des cohortes », Phytoma n° 647, octobre 2011, p. 8 à 10, et « Agriculture et cancer : Agrican suit sa cohorte », Phytoma n° 680, janvier 2015, p. 8 à 10. (2) Voir « Pesticides et santé : la MSA informe », Phytoma n° 585, septembre 2005, p. 8 à 11 et « Protection individuelle : sortir du "tout ou rien" », Phytoma n° 683, avril 2015, p. 22 à 28. (3) Voir « Détection de produits phyto dans les oeufs de perdrix grise », par Bro É, Devillers J., Millot F., Devillers H. et Decors A., Phytoma n° 697, octobre 2016, p. 41 à 44. (4) Liste dans l'Encadré 2 ci-dessus.
1 - Parcours
De formation ingénieur du génie sanitaire, Mathilde Merlo a exercé au ministère en charge du Travail (DGT) de 2003 à 2006, puis au ministère de l'Écologie de 2007 à 2008.
En 2008, elle entre à l'Afssa(1) pour mener une enquête sur l'imprégnation aux PCB des consommateurs de poissons d'eau douce.
En 2012, elle prend en charge la responsabilité de l'ORP, Observatoire des résidus de pesticides.
En 2015, lorsque l'Anses crée l'unité regroupant l'ORP et la PPV au sein de sa DER (Direction de l'évaluation des risques), Mathilde Merlo en est nommée chef.
(1) Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui a fusionné avec l'Afsset le 1er juillet 2010 pour donner naissance à l'Anses.
2 - La PPV, phytopharmacovigilance : origine, objet et participants
La PPV, « phyto-pharmaco-vigilance », est la vigilance concernant les produits phytopharmaceutiques - en fait, l'apparition d'effets indésirables à la suite de leur utilisation.
La loi d'avenir d'octobre 2014(1) a décidé la création de la PPV, en introduisant dans le code rural un article L. 253-8-1 dont voici un extrait : « [...] un dispositif de surveillance des effets indésirables des produits phytopharmaceutiques sur l'homme, sur les animaux d'élevage, dont l'abeille domestique, sur les plantes cultivées, sur la biodiversité, sur la faune sauvage, sur l'eau et le sol, sur la qualité de l'air et sur les aliments, ainsi que sur l'apparition de résistances à ces produits. Ce dispositif de surveillance, dénommé phytopharmacovigilance [...] ».
L'Anses s'est vu confier la responsabilité de ce dispositif le 1er juillet 2015. En novembre 2016, un décret(2) a précisé ses modalités de fonctionnement.
Enfin, un arrêté de février 2017(3) a officialisé la participation au dispositif des organismes non ministériels(4), et défini les informations à transmettre. Il précise également à qui doit s'adresser toute personne, entreprise ou organisme pour faire un signalement :
- pour ce qui est des cas d'intoxication humaine, aux « organismes chargés de la toxicovigilance mentionnés à l'article R. 1340-4 du code de la santé publique » ; en pratique, le centre antipoison de sa région (voir « Liens utiles ») ;
- pour toute autre situation, à l'Anses (qui sollicitera ses partenaires selon leurs compétences).
(1) Loi n° 2014/1170 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, publié au JORF (Journal officiel de la République française) le 14 octobre. La PPV est dans l'article 50. Voir aussi « Loi d'avenir agricole : quel volet végétal ? », Phytoma n° 677, octobre 2014, p. 6 et 7.
(2) Décret n° 2016/1595 du 24 novembre 2016, au JORF du 26 novembre.
(3) Arrêté du 16 février 2017, au JORF du 1er mars.
(4) La liste de l'arrêté comprend :
- SPF (Santé publique France) ;
- le centre François-Baclesse (centre de lutte contre le cancer de Caen) ;
- l'Itsap (Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation) ;
- l'ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) ;
- les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air et le LCSQA (Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air) ;
- les centres de consultation de pathologies professionnelles et services de santé au travail participant au RNV3P (Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles) ;
- la MSA (Mutualité sociale agricole) ;
- les organismes chargés de la toxicovigilance mentionnés à l'article R. 1340-4 du code de la santé publique ;
- l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) ;
Les ministères participants sont ceux chargés de l'Agriculture, de la Consommation, de l'Écologie, du Travail et de la Santé.