DOSSIER

Produits phyto en jevi : l'innovation voit la vie en vert

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°715 - juillet 2018 - page 34

Après un ralentissement, l'innovation en matière de produits phytopharmaceutiques destinés aux jevi semble à nouveau investir le terrain. Le biocontrôle s'y taille une part de choix.
 Les jardiniers amateurs peuvent protéger leurs légumes de l'oïdium à l'aide d'un SDN à base de COS-OGA, et des ravageurs avec des insecticides à l'huile de colza.  Photo : Pixabay

Les jardiniers amateurs peuvent protéger leurs légumes de l'oïdium à l'aide d'un SDN à base de COS-OGA, et des ravageurs avec des insecticides à l'huile de colza. Photo : Pixabay

Les jevi ont vu arriver de nouvelles autorisations de produits phyto(1) depuis un an : spécialités inédites et extensions d'usage notables, pour les marchés professionnels et amateurs.

Les herbicides « pro » se mettent au vert

L'acide pélargonique, le biocontrôle multi-usage

Commençons par faire le point sur les produits phyto réservés aux professionnels. Et tout d'abord ceux destinés au désherbage. Cette activité est en effet le premier poste de dépense « phyto » des gestionnaires d'espaces verts, forêt et infrastructures.

Le marché a ainsi vu trois nouveautés. Tout d'abord, l'acide pélargonique d'origine végétale investit un usage nouveau pour lui, à savoir le désherbage des arbres et arbustes en place - le terme réglementaire est « en plantation pleine terre » (Tableau 1).

La substance était déjà disponible en jevi pour le désherbage dit PJT, c'est-à-dire des allées de parcs et jardins et des trottoirs, y compris en cimetières et sur la voirie, ainsi que pour la destruction des mousses dans les gazons et en traitements généraux, sans compter des usages agricoles. Le nouveau produit est commercialisé par Bayer ES sous le nom commercial de Kalipe (le nom de référence est Katoun Gold, et l'AMM(2) est attribuée à Jade, société rachetée par Belchim Crop Protection).

Outre ces usages nouveaux pour l'acide pélargonique, le produit est également autorisé pour des usages déjà couverts par d'autres herbicides à base d'acide pélargonique : le désherbage PJT/cimetières/voirie et la destruction des mousses en traitements généraux, ainsi qu'en horticulture ornementale (désherbage des arbres et arbustes en pépinière et des cultures ornementales en interculture et en cours de culture).

Point important, il est « listé biocontrôle L. 253-5 », autrement dit, il figure sur la liste des produits de biocontrôle au titre des articles L. 253-5 et L. 253-7 du code rural. En clair, il fait partie des produits qui restent aujourd'hui utilisables dans tous les jevi, y compris les jardins, espaces verts, forêts, promenades et voiries appartenant au domaine public et ouverts ou accessibles au public. En revanche, attention, il n'est applicable que de janvier à août.

Flazasulfuron : dans certains lieux

Cependant, parmi les surfaces de jevi à désherber, certaines ne sont pas ouvertes au public et/ou n'appartiennent pas au domaine public. Ainsi les voies de chemin de fer, pistes d'aéroport et leurs voies d'accès aux véhicules d'entretien peuvent encore être désherbées avec des produits conventionnels. Le désherbage des sites industriels existe toujours. Le glyphosate reste utilisable... mais pour combien de temps ?

Dans ce contexte, le flazasulfuron se voit autoriser de nouvelles utilisations, d'une part par extension d'usage des produits Epsilon et Palma, proposés respectivement par Nufarm et Syngenta, d'autre part par l'autorisation de Matsuda (second nom Jocoto), de Sapec Agro (Tableau 1).

Les deux premiers, déjà autorisés en PJT et sur voies ferrées, le sont désormais aussi pour le désherbage total des sites industriels. Le nouveau produit arrive sur l'usage « cimetières et voies » (attention, il faut que ces dernières soient privées et/ou non accessibles au public), en même temps que sur les usages PJT, désherbage total et des utilisations agricoles.

Insecticides « pro » : il n'y en a que pour le bio

Palme (d'or ?) pour un Beauveria

Du côté des insecticides, la situation est claire : les trois nouveautés de l'année sont toutes reconnues de biocontrôle. La plus notable, toute récente, est un produit à base d'une souche inédite de Beauveria bassiana autorisé contre le charançon du palmier et nommé ARY-0711b-01 (Tableau 2).

L'article p. 15 à 19 donne des détails sur cette nouveauté attendue face à un grave ravageur invasif. Listée biocontrôle L. 253-5, elle apporte une solution « bio » adaptée à ce ravageur. En effet, cette souche naturelle a été isolée à partir de coléoptères malades. Elle a davantage d'activité contre le charançon, lui aussi un coléoptère, que la souche d'Ostrinil (autorisé lui aussi sur palmier) qui, isolée d'un lépidoptère, est - c'est logique -plus active contre le papillon palmivore.

Autre Beauveria dans les fleurs

Une autre souche inédite de B. bassiana a été autorisée contre les aleurodes sur CFPV, cultures florales et de plantes vertes, dans Naturalis, de De Sangosse (Tableau 2).

Certes, cette autorisation vise davantage l'horticulture ornementale, fournisseuse des jevi, plutôt que les jevi proprement dits ; du reste, le produit est également autorisé sur des cultures fruitières et légumières. Mais ce bio-insecticide, autorisé en plein air comme sous abri, peut être utilisé sur des massifs de plantes annuelles, dans des serres de collections végétales même ouvertes au public... car, lui aussi, bien entendu, est listé biocontrôle L. 253-5.

L'huile d'orange douce se raccroche aux branches

La troisième nouveauté est une substance naturelle, à savoir l'huile essentielle d'orange douce (Tableau 2). Elle est proposée depuis une dizaine d'années en agriculture, mais aussi sur cultures florales et rosier, dans Limocide et Essen'ciel (seconds noms de Prev'Am), de Vivagro, rejoints en 2017 par Prev'Am Plus, autorisé en tant qu'importation parallèle et distribué en France par Nufarm.

Les produits, tous listés de biocontrôle, ont eu, depuis leur autorisation, le temps d'être reconnus UAB(3). Ils ont obtenu une palanquée d'extensions d'usage sur de nouveaux végétaux en agriculture et jevi - pour ces derniers, il s'agit des arbres et arbustes d'ornement en place (en plein air comme sous abri) - et sur de nouvelles cibles (thrips, cicadelles, punaises, psylles...), notamment sur rosier et cultures florales.

Fongicides pro

Huile d'orange, soufre, cuivre

Ces mêmes produits ont également des propriétés fongicides. Autorisés jusqu'à présent contre des oïdiums sur diverses cultures, ils ont obtenu des extensions d'usage fongicides, notamment contre les rouilles sur cultures florales (Tableau 3).

Deux autres substances naturelles ont vu des autorisations inédites. Attention, les produits concernés ont des statuts réglementaires différents.

La première est le soufre, autorisé désormais contre l'oïdium sur cultures florales :

- d'une part dans Pol Sulphur 800 SC, nouveau produit de Ciech Sarzyna autorisé en même temps sur de nombreux usages déjà couverts par divers autres produits à base de soufre ;

- d'autre part dans Afesul liquide d'Afepasa et Fluidosoufre d'UPL France, à la faveur d'extensions d'emploi de ces produits connus depuis longtemps.

Ces trois produits sont à la fois UAB et listés biocontrôle L. 253-5 (Tableau 3).

Il n'en est pas de même pour Copper Key Flow, Codimur SC et Cupra, trois nouveaux produits à base d'oxychlorure de cuivre autorisés sur arbres et arbustes d'ornement contre les maladies foliaires (détails dans le Tableau 3).

Ces fongicides sont un exemple de produits de type alternatif (les composés du cuivre sont autorisés en agriculture biologique), que l'on peut assimiler au biocontrôle au sens large, mais qui ne sont pas éligibles sur la liste biocontrôle L. 253-5. En effet, leur substance active, un composé du cuivre, est classée par l'Union européenne comme candidate à la substitution, ce qui est un critère d'exclusion de la liste biocontrôle L. 253-5 française.

En revanche, ils pourraient être à l'avenir reconnus UAB puisque d'autres spécialités à base d'oxychlorure de cuivre le sont déjà, mais ce n'est pas encore fait (voir encadré). En attendant, ils ne sont donc pas utilisables en espaces publics ouverts au public.

Trois conventionnels

Quant aux fongicides dits « conventionnels » (certains écrivent « issus de la chimie organique de synthèse »), ils ne sont pas utilisables dans ces lieux publics, mais le restent dans les autres lieux. Deux d'entre eux visent la protection des gazons - pas ceux des jardins publics, mais par exemple ceux des golfs. Est-ce pour remplacer les produits à base d'iprodione, qui viennent d'être interdits (voir l'article p. 15) ?

D'abord Exteris Stressgard, de Bayer, est une spécialité inédite dédiée à la protection des gazons de golf et terrains de sport. Il est autorisé contre le dollar spot, les fusarioses et le complexe à helminthosporiose. Il contient du fluopyram, substance récente, connue en agriculture mais inédite sur gazon, associée à la trifloxystrobine déjà utilisée sur ces usages (Tableau 3).

Par ailleurs Héritage, de Syngenta, à base d'azoxystrobine, était déjà autorisé sur gazons contre les fusarioses et le complexe à helminthosporiose ainsi que le rhizoctone. Il a reçu une extension d'usage contre l'anthracnose et la rouille.

La troisième nouveauté fongicide est une extension d'usage, mais elle fait arriver en jevi une substance connue jusqu'ici seulement en agriculture : le mandipropamide. Dans Revus, de Syngenta, il est désormais utilisable sur cultures florales et arbustes, contre les mildious.

Du côté des amateurs

Il faut se souvenir que les jevi, ce sont aussi les jardins d'amateurs. Actuellement, les jardiniers amateurs ont encore le droit d'acheter des produits phyto conventionnels, alias « pesticides chimiques », mais cela cessera le 1er janvier prochain. Certes, des AMM de tels produits, demandées il y a des années, ont fini par être obtenues (voir le « N. B. » du Tableau 4 page suivante), mais cela relève plutôt de la curiosité administrative qu'autre chose ! En revanche, il y a trois nouveautés du côté du biocontrôle au sens large.

Les nouveautés avec AMM

Ainsi, l'huile de colza se retrouve autorisée seule dans les deux produits quasi jumeaux Nativert et Nativert Spray, tous deux de Compo France. Ils sont utilisables contre des ravageurs variés (acariens et phytoptes, aleurodes, cicadelles, cochenilles, psylles, pucerons, punaises, thrips) sur des cultures ornementales (rosier, cultures florales et de plantes vertes) mais aussi des légumes et fruits du jardin. Ils sont à la fois UAB et de biocontrôle L. 253-5 (Tableau 4).

Autre bio-insecticide, Rapidinsect, de Scotts France, associe l'huile de colza à des pyréthrines. Là encore, il s'agit d'un produit à large spectre, visant les aleurodes, cicadelles, cochenilles et pucerons, mais aussi les cercopides, chenilles phytophages et coléoptères phytophages. Il est autorisé sur végétaux ornementaux : rosier et CFPV, mais encore arbres et arbustes sous abri, ainsi que plantes d'intérieur et de balcon. Il n'est pas de biocontrôle L. 253-5 vu sa toxicité contre les organismes aquatiques (il est classé H410) mais peut espérer décrocher sa mention UAB avant le 1er janvier prochain (Tableau 4).

Enfin, Fytosave Garden, de Fytofend, est à base de COS-OGA, substance reconnue à faible risque par l'Union européenne. Le produit est un fongicide anti-oïdium autorisé sur légumes de jardin, avec un mode d'action particulier : il n'agit pas comme un pesticide (même biopesticide) mais comme un SDN, stimulateur des défenses naturelles des plantes. Le COS-OGA, déjà autorisé en agriculture, entre ainsi dans les jardins (Tableau 4).

Le « sans AMM »

Cette revue d'actualité se doit de signaler l'existence des produits à usage phytosanitaire sans AMM phytopharmaceutiques. Ils se divisent en deux catégories :

- les macro-organismes auxiliaires, qui se développent tant en agriculture qu'en jevi, pour les professionnels et les amateurs ;

- les PNPP (préparations naturelles peu préoccupantes) composées de substances de base (y compris l'ortie ! - voir leur liste dans l'article p. 15) qui se sont fortement développées depuis un an, notamment pour le marché amateur.

Par ailleurs, il existe des PNPP à usage biostimulant, à base de substances de la pharmacopée commercialisables ailleurs qu'en pharmacie : il est légal de les fabriquer et de les vendre pour application sur végétaux, par les professionnels et les amateurs... Mais elles doivent être vendues, vantées, conseillées et appliquées pour stimuler la physiologie des plantes (croissance, mise à fleur et à fruit, nutrition, résistance aux stress abiotiques, etc.) et non pour les défendre contre des bioagresseurs.<25A0>

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

(1) Phytopharmaceutiques.(2) Autorisation de mise sur le marché.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En un an, le rythme des AMM de produits phyto destinés aux jevi s'est intensifié.

HERBICIDES « PRO » - Un nouvel herbicide de biocontrôle à base d'acide pélargonique offre de nouveaux usages à cette substance. Un nouvel herbicide à base de flazasulfuron, ainsi que des extensions d'usage de deux autres herbicides à base de cette même substance, offrent à celle-ci des usages inédits.

INSECTICIDES « PRO » - Deux bio-insecticides à base de souches inédites de Beauveria bassiana ont été autorisés. Des bio-insecticides à base d'huile essentielle d'orange ont reçu des extensions d'usage.

FONGICIDES « PRO » - Ces derniers produits ont aussi bénéficié d'extensions d'usage comme fongicides. Un nouveau fongicide gazon et trois produits à base d'oxychlorure de cuivre ont été autorisés. Trois produits de biocontrôle à base de soufre et deux fongicides conventionnels ont reçu des extensions d'usage.

PRODUITS EAJ - Le marché amateur a vu arriver des bio-insecticides à base d'huile de colza, avec ou sans pyréthrines, et un bio-fongicide SDN à base de COS-OGA.

MOTS-CLÉS - Jevi (jardins, espaces végétalisés et infrastructures), produits phyto, biocontrôle, professionnel, amateur.

Pourquoi la mention UAB est (souvent) plus longue à obtenir que l'inclusion sur la liste biocontrôle

 Cet espace, visiblement accessible au public et probablement relevant du domaine public, pourra être désherbé à l'acide pélargonique. Photo : Pixabay

Cet espace, visiblement accessible au public et probablement relevant du domaine public, pourra être désherbé à l'acide pélargonique. Photo : Pixabay

 Un fongicide gazon nouvellement autorisé est utilisable notamment sur les terrains de golf.

Un fongicide gazon nouvellement autorisé est utilisable notamment sur les terrains de golf.

Pour obtenir la mention officielle française UAB, un produit phyto doit avoir passé plusieurs examens :

- sa substance active doit être approuvée comme substance phyto par l'Union européenne selon le règlement phyto (comme pour n'importe quel produit phyto)...

- elle doit être reconnue comme convenant à l'agriculture biologique par l'Union européenne selon le règlement bio ; selon la catégorie de substance, cette reconnaissance nécessite un examen qui peut demander un certain délai ;

- le produit doit être autorisé en France comme n'importe quel phyto ;

- une fois les trois étapes précédentes franchies avec succès, il doit être examiné par la commission intrants de l'Inao-Cnab, puis validé par le Cnab qui lui donnera sa mention UAB.

Toutes ces étapes nécessaires ont chacune leur calendrier de réunions décisionnaires... .

Quant aux produits de biocontrôle « L. 253-5 », ils doivent bien entendu avoir leur substance active approuvée par l'Union, puis être eux-mêmes autorisés par la France.

Mais ensuite, leur inscription sur la liste est effectuée par l'administration selon des critères préalablement rendus publics. Ainsi, il n'y a que trois étapes à franchir, la dernière pouvant être très rapide (voir le cas de ARY-0711b-01).

L'essentiel de l'offre

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