Ingénieur de recherche à l'Inra de Bordeaux, Laurent Delière est multicasquette.
« Mes travaux sur les cépages résistants se déroulent dans le cadre de l'unité Santé et agroécologie du vignoble (Save), explique le chercheur. J'assure en plus la direction de l'unité expérimentale Vigne et vin de Bordeaux. »
Depuis 2014, il coordonne la filière viticulture au niveau du réseau national Dephy, mais c'est sa première mission qui nous intéresse aujourd'hui.
Pour planter le décor, l'unité Save se concentre principalement sur l'agrosystème viticole pour comprendre les mécanismes de développement des maladies et des ravageurs. La finalité est de développer une protection intégrée et durable de la vigne et limiter le recours aux traitements chimiques. L'unité comprend environ soixante-dix personnes réparties sur cinq thématiques dont la gestion durable des résistances variétales. C'est cette dernière qui occupe notre chercheur.
Seize cépages disponibles
Depuis avril 2017, les viticulteurs français peuvent implanter douze cépages européens résistants au mildiou et à l'oïdium pour produire des vins de France. S'y ajoutent, depuis début 2018, quatre cépages français issus des travaux de l'Inra de Colmar. D'autres variétés Inra devraient arriver d'ici trois à quatre ans. En attendant leur inscription en France, elles peuvent être testées par les producteurs dans des conditions réelles (jusqu'à commercialisation) mais sur des surfaces limitées et sous la houlette de l'Inra et de l'IFV dans le cadre d'un classement temporaire.
« Ma mission avec d'autres collègues est d'étudier comment ces nouveaux cépages peuvent s'intégrer dans le paysage viticole, surveiller le comportement de l'ensemble des maladies face à ceux-ci, et voir les itinéraires techniques à mettre en place pour tirer profit de la résistance et réduire l'usage des produits phytosanitaires. »
Expérimenter
Pour cela, Laurent Delière dispose de deux moyens : une expérimentation système à l'Inra et l'Observatoire national du déploiement des cépages résistants (Oscar). La première est réalisée depuis 2011 sur des parcelles de 0,6 ha.
« Sur celles-ci, nous essayons de définir des règles de décision pour combiner la résistance variétale, une gestion des sols sans herbicides et un recours minimum aux fongicides et insecticides. Nous les mettons en oeuvre et regardons ce qui se passe au niveau du sol, de la plante, de la biodiversité, du rendement, de la qualité du vin, des résidus phytosanitaires... »
Un IFT réduit
« Dans ce cadre, nous avons un projet sans insecticides ni herbicides et avec une forte réduction des fongicides. » Ce projet implique un dispositif équivalent planté en Alsace en 2014 et un autre qui sera installé à Montpellier en 2019.
Il fait aussi partie du réseau expérimental Dephy. « C'est une approche expérimentale, mais sur des surfaces importantes, avec un itinéraire technique qui peut être adapté si besoin. »
Jusqu'à présent, cette approche a déjà démontré un potentiel important de réduction de l'IFT.
« Nous avons également observé des maladies secondaires type black-rot ou anthracnose, jusqu'à présent éliminées par les fongicides. L'enjeu est de les gérer avec très peu de fongicides. » Les leviers pour réduire les phytos et les indicateurs mesurés étant identiques dans les trois vignobles, les résultats pourront faire l'objet d'une analyse globale.
Surveiller les maladies
Deuxième moyen : l'observatoire national Oscar, lancé en 2017, dont Laurent Delière est coanimateur. « Là, on s'appuie sur des viticulteurs volontaires ayant planté des cépages résistants. L'information est moins précise que celle de l'expérimentation système, mais elle provient de beaucoup plus de parcelles et c'est ça l'intérêt. »
En 2018, Oscar comptait déjà soixante-neuf parcelles mono-cépages. Premier objectif : la surveillance des maladies via des notations réalisées par les structures partenaires (chambre d'agriculture, caves coopératives, viticulteurs...).
« Pour le mildiou, des isolats sont collectés pour les comparer à d'autres provenant de cépages sensibles. On espère ainsi pouvoir détecter des évolutions de virulence du mildiou pour anticiper des érosions d'efficacité. »
Échanger les expériences
Second objectif : faire remonter les expériences des viticulteurs par le biais d'un questionnaire. Utilisent-ils des fongicides, quelles règles de décision suivent-ils, comment se comportent les cépages résistants dans leur système de culture ? « Ce sont des viticulteurs pionniers qui aiment la technique, donc les retours sont très intéressants. Cela nous aidera à construire des itinéraires culturaux adaptés à ces nouveaux cépages. Un site web est dédié à Oscar. Il doit devenir un centre de ressources sur les cépages résistants pour ceux qui souhaitent aussi se lancer dans l'aventure. »
Et celle-ci ne fait que commencer ! « Il y a dix ans, ils n'intéressaient personne. Aujourd'hui, face à la pression médiatique de plus en plus forte, la filière peut difficilement les ignorer. D'où l'importance de la durabilité des résistances car il existe peu de gènes à disposition de la sélection. C'est pour cela que l'Inra prend des précautions avec le déploiement de ces cépages sur le terrain », conclut Laurent Delière.
BIO EXPRESS
LAURENT DELIÈRE
1994. Ingénieur des techniques agricoles spécialisé en viticulture-oenologie à l'Enita de Bordeaux (Gironde).
Objecteur de conscience à l'Inra de Bordeaux.
1996. Conseiller viticole à la chambre d'agriculture du Rhône.
1998. Chargé d'étude (expérimentation en protection du vignoble) à la chambre d'agriculture de la Gironde.
2000. Ingénieur de recherche à l'Inra de Bordeaux, chargé d'une station d'expérimentation en fongicides vigne.
2007. Directeur adjoint de l'unité Santé et agroécologie du vignoble.
2014. Assure l'animation de la filière viticole au niveau du réseau national Dephy.
2018. Directeur de l'unité expérimentale Inra Vigne et vin de Bordeaux.