Parmi les cinq innovations fongicides présentées à la Conférence internationale sur les maladies des plantes, quatre déclinent des modes d'action déjà connus, et une en possède un inédit.
Oxathiapiproline
Un tout nouveau mode d'action
C'est un événement que l'arrivée d'un nouveau mode d'action chez les fongicides conventionnels ! Le dernier en date était celui des SDHI dont le premier représentant a été autorisé en France en 2002... Aujourd'hui, c'est le tour de l'oxathiapiproline de marque déposée Zorvec, présentée par Corteva AgriScience, la division agricole de DowDuPont.
Cette substance antimildiou issue de la recherche de DuPont de Nemours a été présentée à la précédente Cima en 2015(1). Elle était alors en développement et son mode d'action n'était pas publié.
Aujourd'hui, on en sait un peu plus : la substance agit au niveau d'une protéine dite, en anglais dans le texte, « oxysterol binding protein(2) », qui est impliquée dans le métabolisme des lipides au niveau de leur homéostasie, de leur transfert et de leur stockage. Elle est le seul fongicide phyto(3) connu à agir de la sorte.
Par conséquent, elle est actuellement la seule et unique représentante du groupe 49 du FRAC(4) (et même du surgroupe F9 dit des actions sur l'homéostasie et le transfert/stockage des lipides) ainsi que du groupe U-E5 de R4P(5), toutes catégories créées spécialement pour elle. Elle est annoncée comme ne présentant pas de résistance croisée avec d'autres substances du marché. Cela en fait un outil intéressant pour gérer les résistances. Selon le FRAC, il s'agit d'un mode d'action unisite - tout comme ceux des quatre autres nouvelles substances présentées à la Cima 2018.
Sur mildious de la vigne et de la pomme de terre, et en mélange
De ce fait, bien que les premiers produits autorisés à base de cette substance ne contiennent qu'elle (et des coformulants), ils seront proposés systématiquement avec un autre partenaire à mode d'action différent - c'est la stratégie de mélange explicitée en p. 28 à 33 de ce numéro(6).
En France, deux produits à base d'oxathiapiproline ont obtenu leur AMM(7) en août 2018 :
- Zorvec Zelavin est autorisé contre le mildiou de la vigne ;
- Zorvec Enicade contre celui de la pomme de terre.
La communication à la Cima présente les performances de ce fongicide sur ces deux maladies : mode de distribution translaminaire avec une systémie acropétale qui permet la protection des organes néoformés, résistance au lessivage, efficacité, persistance d'action...
Isofétamide
Un SDHI avec une souplesse
La seconde nouveauté, nommée isofétamide, est issue de la recherche du japonais ISK (Ishihara Sangyo Kaisha). La commercialisation en France des produits qui la contiennent a été confiée à Belchim Crop Protection.
Cette substance active est un SDHI, autrement dit un inhibiteur de la SDH (succinate-déshydrogénase). Cette dernière est une enzyme impliquée dans la respiration cellulaire, appelée aussi respiration mitochondriale(8), à un niveau précis, dit « complexe II ». Ce mode d'action unisite est déjà représenté sur le marché.
La molécule est annoncée comme appartenant à un groupe chimique original nommé « phényl-oxo-éthyl thiophène amide ». Sa structure comprend une liaison flexible qui lui permet de s'adapter à certaines des mutations de la SDH qui confèrent la résistance à d'autres SDHI. C'est le cas notamment de certaines des souches résistantes de Botrytis cinerea, l'agent de la pourriture grise (dit aussi « le botrytis ») de la vigne.
Botrytis, monilia, sclérotinia sur vigne, fruits et colza
Un produit à base de cette substance est autorisé en France depuis février 2018. Nommé Kenja(9), il peut s'utiliser contre :
- B. cinerea sur vigne mais aussi sur fraise ;
- monilioses (dues à des Monilia spp., c'est-à-dire à des espèces de champignons du genre Monilia) sur cerisier et abricotier ;
- sclérotinioses (Sclerotinia spp.) sur colza.
L'article en p. 48 à 50 de ce numéro(10) publie des précisions à ce sujet !
Fenpicoxamide
Un QiI dérivé du vivant
La deuxième substance présentée par Corteva AgriScience, la fenpicoxamide, est développée sous le nom de marque Inatreq (dit aussi « Inatreq active » dans la communication Cima). Issue de la recherche de Dow AgroSciences, elle présente la particularité d'être d'origine biologique. Elle est produite par un micro-organisme, la souche 517-02 de Streptomyces sp., une bactérie du sol naturelle. Mais les produits la contenant ne devraient pas être considérés comme de biocontrôle ni UAB, utilisables en agriculture biologique, car l'extrait naturel (codé UK-2A), trop fugace, doit subir une étape de transformation chimique qui le stabilise pour devenir la substance active proprement dite.
Elle aussi agit sur la respiration cellulaire, mais au niveau du complexe III, c'est-à-dire l'étape postérieure à celle affectée par les SDHI, et précisément sur un des éléments de ce complexe nommé cytochrome b. Elle s'y fixe au niveau de la face interne de la membrane des mitochondries, d'où le nom de son mode d'action : QiI comme « quinone inside inhibitor ».
Ce mode d'action est déjà représenté en France par deux substances, la cyazofamide et l'amisulbrom - mais celles-ci sont des antimildiou. La fenpicoxamide a d'autres cibles et, sur celles-ci, son mode d'action est original.
Sur septorioses et rouilles sur blé
Certes, cette substance qui vient d'être approuvée par l'Union européenne(11) n'est pas encore autorisée en France. Mais on devine déjà sur quels usages sera demandée sa première AMM : les septorioses et rouilles du blé.
La communication présente en effet des résultats obtenus sur blé d'hiver, contre la septoriose due à Zymoseptoria tritici ainsi que les rouilles. Les efficacités sont de haut niveau, avec un atout supplémentaire : le mode d'action, inédit sur céréales et sans résistance croisée avec ceux autorisés sur ces cultures, représente un atout pour la gestion des résistances. Cela intéresse surtout la protection contre les septorioses, enclines à fâcheusement résister aux fongicides.
Cependant, en raison de son mode d'action unisite, là encore la substance sera conseillée en mélange avec d'autres.
Mandestrobine
Un QoI à large spectre
La quatrième substance, la mandestrobine, présentée par Sumitomo est, son nom le suggère, une strobilurine.
Son mode d'action est connu : c'est un QoI. Il s'agit là encore d'une action sur la respiration cellulaire au niveau du complexe III et précisément du cytochrome b, mais le site est différent de celui des QiI car elle se fixe à l'extérieur de la membrane mitochondriale, c'est pourquoi on parle de QoI, comme « quinone outside inhibitor ».
Sclérotinia, monilia, botrytis, tavelure (Venturia inaequalis), phomopsis
Cette substance, approuvée par l'Union européenne depuis fin 2015, n'est pas encore autorisée en France. Elle a, a priori, des cibles communes avec l'isofétamide : Botrytis cinerea, Monilia spp., Sclerotinia spp., respectivement sur vigne, fruits à noyau et colza. Sur ce dernier usage, elle n'est pas le premier QoI autorisé, mais elle aurait, outre son efficacité contre la sclérotiniose, un effet physiologique favorable. Par ailleurs, elle semble être originale sur botrytis et monilia.
Enfin elle est également annoncée comme étant efficace contre la tavelure causée par Venturia inaequalis sur pommier, notamment, ainsi que contre les champignons du genre Phomopsis.
Mefentrifluconazole
Un triazole actif sur bien des souches
Enfin, le mefentrifluconazole est présenté par BASF. C'est un triazole. Il agit sur le métabolisme des stérols en étant un IBS (inhibiteur de la biosynthèse de ces stérols). Des substances de cette famille sont autorisées en agriculture depuis la fin des années 1970 (d'autres sont utilisées en médecine humaine).
Point important, ce nouveau triazole est actif y compris sur des souches de Z. tritici résistant à d'autres substances de la même famille. Rappelons que les résistances aux triazoles de ce champignon sont de type quantitatif (voir article p. 28 à 33).
En premier lieu sur septoriose du blé
Ce fongicide vise donc en priorité la septoriose du blé, avec des autorisations espérées pour 2019 et des résultats d'excellente efficacité présentés à la Cima. Il pourrait être développé ensuite sur d'autres végétaux, notamment les cultures pérennes, les porte-graine et même les gazons.
En France, ce dernier usage ne concernera que les gazons sur lesquels les fongicides conventionnels restent autorisés (les jardins de particuliers et les espaces du domaine public ouverts au public sont exclus). Mais, dans plusieurs autres pays européens, tous les gazons pourront être intéressés. Sans compter le reste du monde...
En France, aucun produit contenant cette substance n'est encore autorisé pour l'instant, car elle n'est pas encore approuvée par l'Union européenne. Son approbation y a été demandée et le dossier a été jugé admissible en avril 2016, mais, à l'heure où nous mettons sous presse, il semble encore en cours d'examen.
(1) Voir « Substances actives, trois nouveautés à découvrir » en bibliographie. (2) Voir Pasteris & al. en bibliographie. (3) Dans cet article, « phyto » = phytopharmaceutique. (4) Fungicide Resistance Action Commitee, comité (international) d'action contre (en pratique, de surveillance de) la résistance aux fongicides. (5) Réseau de réflexion et de recherche sur les résistances aux produits phytopharmaceutiques. Auteur d'une classification unifiée (voir bibliographie). (6) Voir Walker A.-S. en bibliographie.(7) Autorisation de mise sur le marché. (8) C'est le processus de récupération d'énergie qui a lieu dans les mitochondries de cellules. (9)Autre nom commercial : Krior.(10) Voir Archer E. & al., 2018. en bibliographie. (11) Règlement n° 2018/1265 du 20 septembre 2018, au JOUE du 21 (voir Phytoma n° 717, octobre 2018, p. 5).
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Lors de la session sur les nouvelles spécialités de la 12e Cima, cinq substances actives à modes d'action différents, mais tous unisite, ont été présentées.
MODE D'ACTION INÉDIT - L'oxathiapiproline (marque Zorvec, origine DuPont) est présenté par Corteva AgriScience. Son mode d'action, situé au niveau du métabolisme des lipides, est original. Deux antimildiou à base de la substance viennent d'être autorisés en France, l'un sur vigne et l'autre sur pomme de terre.
SDHI - L'isofétamide d'origine ISK, présentée par Belchim CP, est un SDHI de famille chimique nouvelle qui reste actif sur des souches résistantes à d'autres SDHI. Il agit contre Botrytis cinerea, Monilia spp. et Sclerotinia spp. Un produit le contenant est autorisé en France sur vigne, verger, fraise et colza.
QII - La fenpicoxamide (origine Dow AS.), présentée par Corteva, est un QiI issu d'une bactérie (Streptomyces sp.), stabilisé chimiquement et développé sur rouilles et surtout septoriose du blé.
QOI - La mandestrobine, de Sumitomo, est un QoI visant Botrytis cinerea, Monilia spp. et Sclerotinia spp., mais aussi Phomopsis spp. et Venturia inaequalis.
IBS - Le mefentrifluconazole, de BASF, est un triazole (mode d'action IBS) développé pour l'instant contre la septoriose du blé.
MOTS-CLÉS - Maladies des plantes, Cima (Conférence internationale sur les maladies des plantes), fongicides, substances actives, mode d'action, unisite.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : m.decoin@gfa.fr
LIENS UTILES : www.phi-base.org/images/fracCodeList.pdf
www.r4p-inra.fr/fr/classification-des-ppp/
BIBLIOGRAPHIE : - Archer E. et al., 2018, L'isofétamide, fongicide de nouvelle génération, Phytoma n° 719, décembre 2018, p. 48 à 50.
- Pasteris R. J., Hanagan M. A., Bisaha J. J., Finkelstein B. L., Hoffman L. E., Gregory V., Andreassi J. L., Sweigard J. A., Klyashchitsky B. A., Henry Y. T. & Berger R. A., 2016, Discovery of oxathiapiprolin, a new oomycete fungicide that targets an oxysterol binding protein, Bioorg Med Chem., 2016 Feb 1;24(3):354-61. doi: 10.1016/j.bmc.2015.07.064. Epub 2015 Jul 31.
- R4P, 2018, Une classification unifiée des produits de protection des plantes, Phytoma n° 716, août-septembre 2018, p. 42 à 46.
- Substances actives : trois nouveautés à découvrir, Phytoma n° 689, décembre 2015, p. 30 à 33.
- Walker A.-S., 2018, Comment prévenir et gérer la résistance aux fongicides ? Phytoma n° 719, p. 28 à 33.