Les filets Alt'Carpo sont un outil de protection des vergers de pommiers et poiriers contre le carpocapse. Quels effets ont-ils sur les oiseaux ?

La production de pommes se trouve de plus en plus sévèrement contrainte par les dégâts de carpocapse des pommes (Cydia pomonella) en raison de plusieurs facteurs.

Récit d'un succès

Des filets devenus incontournables

Le carpocapse des pommes présente à la fois des résistances aux insecticides chimiques et biologiques. Par ailleurs, la modification de la réglementation sur les produits phytosanitaires réduit le nombre de matières actives disponibles. Quant à la confusion sexuelle, son efficacité décroît avec l'augmentation des niveaux de populations d'insectes. Enfin, le réchauffement climatique induit une augmentation du nombre de générations annuelles de carpocapses. On observe également une forte augmentation des surfaces de vergers conduites en agriculture biologique.

Dans un tel contexte, les filets mono-rang Alt'Carpo sont aujourd'hui la méthode la plus efficace pour protéger les vergers contre les carpocapses en constituant une barrière physique qui limite leur accès aux pommiers. Ces filets perturbent également les vols d'accouplement des papillons ayant franchi cette barrière, ce qui réduit significativement le nombre de femelles fécondées et par conséquent leur succès reproducteur (Sévérac & Siegwart, 2013).

Le pourcentage de fruits présentant des piqûres de carpocapses dans les vergers de pommiers protégés par les filets mono-rang n'excède généralement pas les 0,5 % (en moyenne : 0,06%) sans protection insecticide complémentaire, ni confusion sexuelle. Seuls des cas exceptionnels nécessitent d'associer une protection complémentaire.

Ces filets permettent de réduire de 50 % l'usage des pesticides chimiques de synthèse en production raisonnée, et de réduire de 40 % les indices de fréquence des traitements (IFT) en agriculture biologique (Capowiez et al., 2012).

Effets secondaires bien connus, sauf sur les vertébrés

Les filets mono-rang Alt'Carpo sont sans risque majeur de développement d'autres ravageurs (tordeuse orientale, zeuzère, cératite, pucerons cendré et lanigère, acariens phytophages, pou de San José) et de maladies comme la tavelure (Sévérac & Siegwart, 2013). Ils n'altèrent pas la croissance des arbres ni la qualité des fruits et des rendements, et ils constituent une protection contre le vent et la grêle.

Du point de vue environnemental et paysager, ces filets interrogent quant à leur bilan carbone et leur esthétique ; cependant ils semblent peu toucher la diversité des arthropodes : la baisse des IFT liée à leur installation favorise la présence des forficules, araignées (Capowiez et al., 2012) et coccinelles (Sévérac & Romet, site Alt'Carpo), à la fois dans des vergers en agriculture biologique et conventionnels.

Jusqu'à présent, l'impact de ces filets sur les communautés animales dans les vergers n'a été étudié que sur très peu de taxons, essentiellement des arthropodes. C'est pourquoi nous avons décidé d'évaluer les conséquences de la présence de filets Alt'Carpo mono-rang sur les populations d'oiseaux en période de reproduction en vergers de pommiers.

Une étude au printemps

Quarante-six parcelles commerciales

Les principaux bioagresseurs en culture de pommes sont, d'une part, la tavelure et l'oïdium et, d'autre part, le carpocapse des pommes, le puceron cendré et la zeuzère.

Dans les parcelles conventionnelles, les maladies et ravageurs sont traités respectivement avec des fongicides et des insecticides issus de la synthèse industrielle, souvent associés à la confusion sexuelle des mâles contre le carpocapse.

En agriculture biologique, les maladies sont traitées avec des fongicides minéraux comme le soufre et le cuivre. Dans les parcelles sans filet Alt'Carpo, le carpocapse est régulé à l'aide de la confusion sexuelle des mâles complémentée du virus de la granulose.

Notre étude a été réalisée au cours du printemps 2015 dans 46 parcelles commerciales de pommiers situées dans le sud-est de la France (Figure 1). Nous entendons par parcelle les rangs de pommiers ainsi que leurs haies brise-vent associées.

Parmi ces parcelles, quatorze sont conduites en agriculture biologique et équipées de filets mono-rang Alt'Carpo (photo 1), quatorze sont également en agriculture biologique mais sans filet (photo 2), les dix-huit autres sont en agriculture conventionnelle sans filet (photo 3).

Comptage des oiseaux

Dans chacune de ces parcelles, l'avifaune a été recensée par la méthode des transects d'observation. Cette méthode consiste à identifier et compter les oiseaux tôt le matin en marchant régulièrement sur la périphérie puis sur l'interrang central de chaque parcelle. Les oiseaux sont identifiés à partir de leurs chants et de leurs cris et/ou en les observant directement, posés ou en vol. Dans notre analyse, nous avons considéré uniquement les espèces d'oiseaux pour lesquelles les parcelles constituent un habitat pour l'alimentation et/ou la reproduction. Deux séries de comptages ont été réalisées les jours sans pluie ni vent : la première série à la mi-avril, la seconde fin mai. Ces comptages ont été réalisés alors que les filets mono-rang Alt'Carpo étaient déployés. Pour une espèce d'oiseau donnée, nous avons retenu le plus élevé des effectifs obtenus au cours de ces deux séries de comptage. Ces recensements nous ont permis d'obtenir un nombre d'oiseaux (abondance) et d'espèces (richesse spécifique) pour chaque parcelle.

Une avifaune diversifiée

Trente-deux espèces identifiées

L'avifaune observée en période de reproduction sur l'ensemble des parcelles étudiées est très diversifiée (tableau page suivante). Sur les 32 espèces recensées, plus de la moitié sont insectivores (53 %), les autres sont granivores (19 %), omnivores (12,5 %), ou avec un régime alimentaire mixte composé de graines et d'insectes (12,5 %). Nous n'avons observé qu'une espèce de rapace, le faucon crécerelle, mais nous savons que la buse variable et l'épervier d'Europe fréquentent régulièrement ce type de vergers au printemps pour se reproduire ou se nourrir (Bouvier et al., 2011).

Trente-deux espèces, c'est un peu plus de 10 % de l'avifaune qui niche en France actuellement, ce qui n'est sans doute pas négligeable.

Une telle attractivité des vergers de pommiers du sud-est de la France pour des oiseaux aux exigences écologiques aussi variées peut s'expliquer par la diversité d'habitats associés aux différentes strates de l'agroécosystème que ce soit à l'intérieur même de la parcelle (pommiers et strate herbacée) ou dans l'environnement proche (les haies). En effet, les parcelles de cette étude comportent toutes des interrangs enherbés et sont bordées de deux ou trois haies de cyprès et/ou de peupliers portant d'autres espèces favorables telles que le lierre.

Le rouge-gorge (photo 5) et la mésange charbonnière (photo 6) sont les espèces les plus communes présentes dans toutes les parcelles.

Cinq autres espèces sont actuellement inscrites sur la liste rouge des espèces menacées en France(1). Il s'agit du rollier d'Europe (photo 4), du moineau friquet, du chardonneret élégant, du serin cini et du verdier d'Europe. Les causes de leur vulnérabilité dépassent les limites des vergers et sont généralement liées à la disparition de leurs habitats ainsi qu'à la diminution de leurs ressources alimentaires à l'échelle du territoire, voire de l'Europe. L'utilisation de pesticides chimiques au printemps quand les oiseaux se reproduisent, mais aussi le recul des jachères et des chaumes dans lesquels les espèces granivores comme le chardonneret, le serin et le verdier trouvent leur nourriture en hiver pourraient expliquer la chute alarmante de leurs effectifs enregistrée depuis une dizaine d'années.

Globalement, peu d'effet des filets mono-rang Alt'Carpo sur les oiseaux

Nous constatons que l'avifaune des parcelles de pommiers étudiées, observée dans sa globalité, n'est pas touchée par les filets Alt'Carpo. En effet, nous n'avons pas trouvé de différence entre les parcelles biologiques « avec et sans filets » pour les deux paramètres étudiés, l'abondance et la richesse spécifique (Figures 2A et 2B).

En revanche, la comparaison de ces paramètres entre les deux modalités en agriculture biologique et non biologique montre que les communautés d'oiseaux sont beaucoup moins riches et abondantes dans les parcelles de pommiers conventionnelles au cours de la période étudiée (Figures 2A et 2B). Ces différences déjà mises en évidence dans une précédente étude (Bouvier et al., 2011) peuvent être attribuées à la fois à une toxicité directe des pesticides sur les oiseaux et à une toxicité indirecte par les conséquences de ces produits sur les quantités de nourriture disponible, en particulier sur les insectes.

Le cas des arboricoles insectivores

Les filets Alt'Carpo empêchent l'accès des pommiers aux carpocapses mais également aux espèces d'oiseaux qui recherchent leur nourriture essentiellement dans les arbres d'une manière générale, comme les fauvettes à tête noire et mélanocéphale, le grimpereau des jardins, l'hypolaïs polyglotte, le loriot d'Europe, les mésanges bleue et charbonnière et le pic épeiche. Nous nous sommes donc intéressés spécifiquement à l'impact que pouvaient avoir les filets sur la présence et l'abondance de ces espèces d'oiseaux arboricoles et insectivores dans les différences parcelles de pommiers suivies.

De même que précédemment, la présence des filets Alt'Carpo dans les parcelles en agriculture biologique ne semble pas affecter la richesse spécifique dans ce groupe d'oiseaux en particulier, contrairement à la conduite conventionnelle des parcelles (Figure 2C).

La Figure 2D montre également que les effectifs de ces espèces arboricoles sont significativement inférieurs dans les parcelles de pommiers conventionnelles et dans une moindre mesure dans les parcelles biologiques équipées de filets que dans les parcelles en agriculture biologique sans filet.

La taille des territoires de nidification de ces passereaux dépend des niveaux de ressources alimentaires disponibles et accessibles, de telle sorte que plus les insectes sont abondants plus les territoires sont petits (et inversement). En supprimant des espaces de chasse, les filets contraignent les oiseaux à occuper de plus grands territoires pour se nourrir, ce qui réduit leur abondance locale par voie de conséquence.

Conclusion

Les oiseaux, Alt'Carpo et la bio

Dans un article publié précédemment, nous avons montré l'importance des vergers de pommiers comme site d'hivernage pour les passereaux dans le sud-est de la France (Bouvier et al., 2016). La présente étude montre que ces vergers sont également très importants pour les oiseaux en période de reproduction. Dans ces agroécosystèmes, l'avifaune est toutefois très dépendante des modes de protection phytosanitaire, et en particulier des méthodes de lutte contre le carpocapse des pommes (Bouvier et al., 2011).

Du fait de leur efficacité contre ce ravageur et que les seules espèces d'oiseaux partiellement affectées sont les arboricoles, les filets Alt'Carpo représentent une alternative intéressante à la lutte chimique, aussi bien d'un point de vue agronomique qu'écologique. De plus, cette innovation technique compte parmi les rares méthodes de protection répondant aux objectifs de réduction du recours aux produits phytosanitaires du plan Écophyto. Elle contribue également fortement au développement de la production de pommes en agriculture biologique.

(1) https://inpn.mnhn.fr/docs/LR_FCE/UICN-LR-Oiseaux-diffusion.pdfREMERCIEMENTS Nous tenons à remercier les arboriculteurs qui nous ont accueillis dans leurs vergers. Nous remercions également Laurent Poulet, du GRCETA de Basse Durance, de nous avoir mis en contact avec une partie d'entre eux.