Fig. 1 : Variation du nombre de larves de grosse altise en sortie d'hiver dans les modalités avec légumineuses par rapport à un colza implanté seul (exprimée en pourcentage) Essais leviers agronomiques, campagnes 2016/2017 et 2017/2018.
Fig. 2 : Nombre de larves d'altise par plante en sortie d'hiver dans le témoin et dans les modalités avec légumineuses CO : colza seul, Fev : féverole, LFG : lentille/fenugrec/gesse, LFTa : lentille/fenugrec/trèfle d'Alexandrie. Seuls les essais 2016/2017 et 2017/2018 où les légumineuses sont bien implantées ont été conservés (biomasse des légumineuses > 0,2 kg/m²). Les groupes de significativité sont issus d'un test de Tukey à 5 %.
Fig. 3 : Pourcentage de plantes apparemment indemnes d'attaques d'altise d'hiver et de charançon du bourgeon terminal en fonction du poids frais entrée hiver des colzas sur des parcelles ou modalités non traitées par des insecticides Les références en bleu sont issues des essais faisant l'objet de cet article.
Fig. 4 : Rendement aux normes dans le témoin colza seul et les différentes modalités CO colza seul, CO-F colza fertilisé, CO-Fev colza associé à de la féverole, CO-Fev-F colza associé à de la féverole et fertilisé, CO-Fev-F-T colza associé à de la féverole, fertilisé et traité, CO-T colza traité. Seuls les essais 2016/2017 et 2017/2018 où les légumineuses sont bien implantées ont été conservés (biomasse des légumineuses > 0,2 kg/m2). Les groupes de significativité sont issus d'un test de Tukey à 5 %.
Fig. 5 : Différence de marge semi-nette par rapport au témoin dans différentes modalités CO colza seul, CO-F colza fertilisé, CO-Fev colza associé à de la féverole, CO-Fev-F colza associé à de la féverole et fertilisé, CO-Fev-F-T colza associé à de la féverole, fertilisé et traité, CO-T colza traité. Seuls les essais 2016/2017 et 2017/2018 où les légumineuses sont bien implantées ont été conservés (biomasse des légumineuses > 0,2 kg/m2). Les groupes de significativité sont issus d'un test de Tukey à 5 %. L'astérisque signifie que le rendement de la modalité concernée est significativement différent de celui du témoin.
L'altise d'hiver et le charançon du bourgeon terminal ont développé depuis 2014-2015 de nombreux mécanismes de résistance aux pyréthrinoïdes. Les produits à base d'organophosphorés constituent la seule alternative chimique encore disponible dans les secteurs où les résistances sont fortes. Plusieurs leviers agronomiques sont efficaces pour limiter les attaques et leur nuisibilité. Certains ont été testés par Terres Inovia en 2016-2017 et 2017-2018.
L'altise d'hiver et le charançon du bourgeon terminal
Deux ravageurs qui s'attaquent au colza à l'automne
Les altises d'hiver (aussi appelées grosses altises) sont nuisibles sous forme adulte et sous forme larvaire, alors que chez le charançon du bourgeon terminal, seules les larves le sont. Les altises adultes quittent leurs abris d'estivation à l'automne et migrent dans les parcelles de colza à partir de fin septembre. Très voraces, elles consomment les cotylédons et les jeunes feuilles. Les prélèvements foliaires sont particulièrement préjudiciables entre la levée et le stade 3 feuilles. À partir du stade 4 feuilles, le colza se développe suffisamment rapidement pour compenser les pertes de surface foliaire. Le charançon du bourgeon terminal colonise les parcelles en général entre mi-octobre et début novembre.
Quelques semaines après leur arrivée dans les parcelles, ces deux ravageurs pondent leurs oeufs dans le sol ou dans les pétioles selon l'espèce considérée, puis les larves pénètrent dans les pétioles et s'y développent. Elles peuvent y passer l'intégralité de leur cycle de vie mais peuvent également migrer vers le coeur de la plante pendant l'hiver (les larves de charançon du bourgeon terminal ont plus tendance à le faire que les larves d'altise). Les larves détruisent alors le bourgeon terminal et engendrent des plantes à port anormal, appelé port buissonnant.
Date de semis, croissance continue et couverts
L'importance des données collectées
Des travaux antérieurs ont montré l'intérêt de certains leviers agronomiques dans des essais ponctuels ou des réseaux d'agriculteurs. L'importance de dates de semis adaptées pour faire face aux attaques d'altises adultes n'est, par exemple, plus à démontrer. L'objectif pour l'agriculteur est ainsi de viser une levée au plus tard le 1er septembre afin que le colza ait atteint le stade 4 feuilles au moment des vols d'altises d'hiver, fin septembre.
Les données collectées au fil des années tendent à montrer que la nuisibilité des attaques larvaires est également amoindrie lorsque les colzas présentent une croissance continue à l'automne et une bonne reprise au printemps. La biomasse entrée hiver constitue un indicateur : ainsi le pourcentage de plantes apparemment saines est d'autant plus élevé que la biomasse entrée hiver est importante.
Des résultats antérieurs ont également révélé une nuisibilité significativement moindre des attaques de charançon du bourgeon terminal, au seuil statistique de 10 %, lorsque le colza était associé avec différents mélanges à base de légumineuses gélives (Cadoux et al., 2015). Sur altises, une différence significative a été montrée avec le mélange féverole/lentille (travaux non publiés). Les mécanismes impliqués ne sont pas connus ; les hypothèses qui sont émises sont une perturbation des ravageurs, une meilleure alimentation et une croissance continue des colzas, une biomasse suffisante (une hypothèse n'excluant pas l'autre)...
Différentes combinaisons de moyens testées
Évaluer, comparer et expliquer
Terres Inovia a testé différentes combinaisons de techniques dans dix-sept essais répartis dans les principales régions productrices de colza au cours des campagnes 2016/2017 et 2017/2018.
Les objectifs de ces essais sont multiples :
- évaluer l'efficacité de leviers agronomiques, seuls ou combinés, pour contrôler les dégâts larvaires, dans différents contextes pédoclimatiques, et l'impact sur le rendement et la rentabilité économique ; comparer avec une stratégie en lutte chimique ;
- comparer l'efficacité de différents mélanges de couverts associés gélifs ;
- apporter de premiers éléments permettant d'expliquer comment les légumineuses gélives permettent de gérer les attaques de ces deux ravageurs.
Les modalités d'implantation, en particulier les dates de semis, sont dans la majorité des essais celles préconisées par Terres Inovia, à savoir viser une levée du colza au 1er septembre (semis entre le 17 août et le 1er septembre).
La modalité témoin est un colza sur lequel aucun levier (agronomique ou chimique) n'est actionné pour gérer le charançon du bourgeon terminal et les larves de grosses altises.
Le dispositif mis en place est en bloc complet randomisé, en trois à quatre blocs. Les parcelles élémentaires mesurent environ 90 m². Les traitements statistiques sont des analyses de variances et un test de Tukey au seuil de 5 %.
Méthodes agronomiques
Les procédés agronomiques mobilisés sont :
- l'association du colza avec des légumineuses gélives (féverole, lentille/fenugrec/gesse, lentille/fenugrec/trèfle d'Alexandrie) ;
- l'apport ou non de trente unités d'azote (forme 18-46 ou ammonitrate) au semis selon les modalités, en fixant un même objectif de rendement par parcelle et en s'appuyant sur les reliquats en sortie d'hiver. Les doses sont réduites de trente unités sur les modalités où le colza est associé à des légumineuses (recommandation Terres Inovia d'après Cadoux et al., 2015).
La « lutte chimique »
Le levier « lutte chimique » repose sur les préconisations Terres Inovia pour gérer les attaques larvaires : selon les essais, un à deux traitements, en fonction de la présence ou non de charançons du bourgeon terminal et de larves de grosses altises, sont appliqués sur les modalités concernées. Le choix des produits dépend des contextes de résistance : dans la majorité des essais, Daskor 440 (chlorpyriphos-méthyl 400 g/l + cyperméthrine 40 g/l) contre les charançons du bourgeon terminal puis Decis Protech (deltaméthrine 15 g/l) contre les larves d'altises d'hiver ; dans le secteur avec des populations d'altises présentant de forts niveaux de résistance, Daskor 440 est remplacé par Boravi WG (phosmet 500 g/kg). En dehors des traitements contre le charançon du bourgeon terminal et les larves de grosse altise, des traitements contre les altises adultes et les insectes de printemps ont pu être réalisés, si les seuils étaient dépassés. Dans ce cas, l'ensemble de l'essai a été traité.
Des couverts pour réduire la pression en larves
Les deux campagnes d'essais se sont révélées très contrastées : l'automne 2016 fut marqué par une sécheresse automnale importante engendrant des dates de levée tardives, plus d'un mois après les semis. Dans ces conditions, les colzas mais également les légumineuses ont eu beaucoup de difficultés à s'implanter. Ces conditions ont mis en évidence l'importance de disposer de légumineuses suffisamment développées pour observer une réduction du nombre de larves d'altise dans les colzas. Dans nos essais, cet effet est visible dès lors que le poids frais des légumineuses en entrée d'hiver est supérieur à 0,2 kg/m² (Figure 1). Ainsi, dans les essais dans lesquels cette condition est remplie, le nombre de larves d'altise d'hiver est significativement moindre dans les modalités où le colza est associé à un couvert de légumineuse par rapport à un colza seul (Figure 2), et ce, quel que soit le mélange testé. En moyenne sur l'ensemble de ces essais et modalités avec couverts, le nombre de larves est réduit de 30 % par rapport à la modalité témoin.
À noter qu'en revanche la fertilisation n'a eu aucun impact sur le niveau de pression larvaire : aucune différence significative n'a été mise en évidence entre les modalités « colza seul non fertilisé » et « colza seul fertilisé » (non montré).
Augmenter la biomasse fraîche entrée hiver
Fertiliser au semis pour limiter la nuisibilité des attaques
La biomasse fraîche entrée hiver (début décembre) est significativement plus importante dans les modalités fertilisées par rapport aux modalités non fertilisées. L'effet est plus marqué sur les essais 2017/2018 (ou irrigués) avec une augmentation de 46 % ; sur les essais 2016/2017, l'augmentation n'est que de 26 %. L'écart entre les deux campagnes est vraisemblablement lié à la différence de précipitations. Les données obtenues confirment la relation entre le pourcentage de plantes apparemment indemnes de dégâts d'insectes, c'est-à-dire à port normal et la biomasse entrée hiver (Figure 3). Le risque de pertes liées aux larves est ainsi maximal lorsque la biomasse entrée hiver est inférieure à 1 kg/m2 et, au contraire, fortement réduit lorsque cette biomasse est supérieure à 1,5 kg/m2 (Figure 3). Cependant, la biomasse entrée hiver reste un indicateur partiel ; c'est bien la dynamique de croissance au cours de l'automne et à la reprise au printemps qui est importante pour limiter la nuisibilité des insectes (non montré).
Rôle des légumineuses
Sur ces essais, aucun effet direct des légumineuses n'a été mis en évidence sur la dynamique de croissance des colzas avec lesquels elles étaient associées : la biomasse des colzas est la même qu'ils soient seuls ou associés, à la fois en entrée et en sortie d'hiver. Cependant, des travaux antérieurs ont montré que la concentration en azote des parties aériennes était plus importante en entrée d'hiver dans des colzas associés à des légumineuses (Cadoux et al., 2015 ; Verret et al., 2017) et que ces colzas valorisaient également mieux l'azote au printemps (Cadoux et al., 2015 ; Lorrin et al., 2016). Ces deux points n'ont pas été vérifiés dans les essais présentés dans cet article. Une hypothèse pour expliquer cette action des légumineuses serait une meilleure exploration du sol par les racines des colzas en association, démontrée notamment par Shroder et Kopke (2012) et Jamont et son équipe (2013).
Effets sur le rendement et la marge
Un rendement significativement plus élevé
Le rendement est significativement plus élevé que celui sur colza seul non traité dès lors qu'au moins un levier est actionné (Figure 4) : association réussie avec des légumineuses (leur biomasse a atteint au moins 0,2 kg/m2 en entrée d'hiver) ou traitements insecticides. L'effet de la fertilisation au semis est en revanche plus aléatoire : elle s'est révélée efficace pour améliorer le rendement sur les essais récoltés en 2017 (+2,4 q/ha) mais n'a pas eu d'effet significatif en 2018. La dose d'azote est ajustée par modalité via la réglette azote. Les trois mélanges de légumineuses présentent la même efficacité, avec en moyenne sur tous les essais un rendement pouvant être amélioré jusqu'à +3,5 quintaux par hectare. Sur ces essais, les associations bien implantées font ainsi aussi bien que les traitements insecticides.
Charges opérationnelles et de mécanisation
Le rendement est un indicateur intéressant mais, pour l'agriculteur, la marge est plus informative. Dans cette étude, l'indicateur économique retenu est la différence de marges semi-nettes qui correspond à l'écart entre la marge partielle de la micro-parcelle concernée et la marge partielle de la modalité témoin (Figure 5). Pour toutes les micro-parcelles, la marge partielle est égale au produit brut (= rendement × prix de vente) moins les seules charges opérationnelles et de mécanisation variant entre modalités. Trois postes sont ainsi concernés :
- la fertilisation azotée : 1 €/unité apportée (coût représentatif à une échelle pluri-annuelle), plus un coût de passage à 4 €/ha. Au printemps, le nombre de passages est modulé en fonction de la dose apportée : si la dose est inférieure à 80 unités, l'apport est réalisé en un passage ; si la dose est comprise entre 80 et 150 unités, deux passages sont réalisés ; au-delà de 150 unités, trois passages sont comptabilisés.
- l'association avec les légumineuses : le prix des semences plus le coût des semis (voir tableau).
- les insecticides : le prix de chaque insecticide (prix indiqués dans la brochure colza Terres Inovia en 2018) plus un coût de passage à 9 €/ha.
Les coûts de passage s'appuient sur le barème APCA 2017 et intègrent le coût du carburant et l'amortissement du matériel (tracteur et outil). La main-d'oeuvre n'est pas intégrée. À noter que l'économie de charges d'herbicides recommandée par Terres Inovia quand le colza est associé (-15 à -50 €/ha, source point technique Terres Inovia « colza associé à un couvert de légumineuses gélives ») n'est pas prise en compte dans le calcul.
Différence de marges semi-nettes
La différence de marge semi-nette avec le témoin est significativement plus importante pour les couverts à base de féverole (+123 €/ha) et de lentille/fenugrec/gesse (+94 €/ha) (non montré), sous réserve qu'ils soient bien implantés. Avec l'association lentille/fenugrec/trèfle d'Alexandrie, l'écart de marge nette est de 46 €/ha (non montré). Concernant le levier fertilisation, en 2016/2017 comme en 2017/2018, l'écart de marge entre le colza seul fertilisé et le colza seul non fertilisé n'est pas significatif (respectivement de +56 €/ha et +28 €/ha).
Comme pour le rendement, l'écart de marge semi-nette avec le témoin est significativement plus élevé dès lors qu'au moins un levier (association réussie avec des légumineuses ou traitements insecticides) est actionné. Le cumul des leviers (colza + féverole + fertilisation au semis + traitement insecticide) donne les meilleurs résultats avec en moyenne +157 €/ha, sans être significativement différent des modalités traitées ou associées.
La réussite de l'implantation reste l'étape clé
La réussite de l'implantation reste l'étape clé pour faire face aux attaques de l'altise d'hiver et du charançon du bourgeon terminal. Tous les leviers permettant d'avoir un colza qui pousse régulièrement tout au long de l'automne peuvent être mobilisés (date de semis adaptée au contexte local, fertilisation au semis, association avec des légumineuses). Dans tous les contextes de résistance, sous réserve d'une implantation réussie et de légumineuses suffisamment développées, le cumul des leviers agronomiques (fertilisation + colza associé) a, dans nos essais, des performances équivalentes à celle d'un colza traité contre le charançon du bourgeon terminal et/ou les larves d'altise d'hiver (sous réserve de disposer de semences de couverts à prix compétitifs). Le cumul du levier chimique aux leviers agronomiques assure une certaine sécurité sans impact négatif sur la marge. Si l'implantation n'est pas réussie, le choix des insecticides adaptés au contexte de résistance est indispensable sous peine de pertes de rendement et de marge parfois importantes, en particulier dans des contextes de fortes pressions insectes.
RÉSUMÉ
CONTEXTE - Terres Inovia a évalué l'efficacité de différents leviers agronomiques ainsi que leurs limites pour gérer deux bioagresseurs s'attaquant au colza à l'automne : l'altise d'hiver et le charançon du bourgeon terminal. Différentes combinaisons ont été testées dans dix-sept essais répartis dans les principales régions productrices de colza lors des campagnes 2016/2017 et 2017/2018.
RÉSULTATS - Les couverts de légumineuses gélives s'avèrent intéressants pour réduire la pression en larves de grosses altises dès lors qu'ils sont suffisamment développés.
La fertilisation au semis constitue un levier généralement efficace pour limiter la nuisibilité des attaques des deux ravageurs, en favorisant la croissance des colzas au cours de l'automne.
Lorsque l'association date de semis/couvert/fertilisation est réussie, son efficacité dans ces essais est comparable à celle d'un traitement insecticide sur le rendement et sur la marge.
MOTS-CLÉS - Colza, altise d'hiver, charançon du bourgeon terminal, fertilisation azotée, couvert, légumineuses gélives, implantation.
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : c.robert@terresinovia.fr
LIEN UTILE : www.terresinovia.fr
BIBLIOGRAPHIE : - Cadoux S., Sauzet G., Valantin-Morison M., Pontet C., Champolivier L., Robert C., Lieven J., Flénet F., Mangenot O., Fauvin P., Landé N., 2015, Intercropping frost-sensitive legume crops with winter oilseed rape reduces weed competition, insect damage, and improves nitrogen use efficiency. OCL 22(3), D302.
- Lorin Mathieu, 2015, Services écosystémiques rendus par des légumineuses gélives introduites en tant que plantes de service dans du colza d'hiver : évaluation expérimentale et analyse fonctionnelle, thèse de doctorat AgroParisTech, 206 p.
- Schröder D., Köpke U., 2012, Faba bean (Vicia faba L.) intercropped with oil crops - a strategy to enhance rooting density and to op- timize nitrogen use and grain production? Field Crops Res. 135: 74-81.
- Verret V., Gardarin A., Makowski D., Lorin M., Cadoux S., Butier A., Valantin-Morison M., 2017, Assessment of the benefits of frost-sensitive companion plants in winter Rapeseed, European Journal of Agronomy, 91, 93-103.