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Environnement Effets des pratiques agricoles sur la flore des bords des champs

GUILLAUME FRIED*, ALEXANDRE VILLERS**, EMMANUELLE PORCHER***, CAMILA ANDRADE***, JÉRÔME JULLIEN*****, NICOLAS LENNE***** ET PASCAL MONESTIEZ****** *Anses - Laboratoire de la santé des végétaux, unité entomologie et plantes invasives - Montferriez-sur-Lez. - Phytoma - n°725 - juin 2019 - page 43

Le réseau Biovigilance 500 ENI livre une première analyse sur l'influence de la fertilisation ou encore des traitements sur l'environnement.
1. Végétation de bordures de vignes dans le Roussillon.      2. Quadrats de 2 m × 0,5 m dans une bordure herbacée de tournesol. Photos : G. Fried

1. Végétation de bordures de vignes dans le Roussillon. 2. Quadrats de 2 m × 0,5 m dans une bordure herbacée de tournesol. Photos : G. Fried

Fig. 1 : Répartition des parcelles utilisées pour analyser la flore des bordures de champs      Chaque point correspond à une parcelle. Au total, 430 parcelles sur 500.

Fig. 1 : Répartition des parcelles utilisées pour analyser la flore des bordures de champs Chaque point correspond à une parcelle. Au total, 430 parcelles sur 500.

Fig. 2 : Protocole du relevé floristique du réseau 500 ENI

Fig. 2 : Protocole du relevé floristique du réseau 500 ENI

Fig. 3 : Spectre biologique de la flore des bordures de champs      Les espèces pérennes dominent, mais pour un milieu herbacé de type prairial, la contribution des annuelles est forte (35 %), ce qui révèle l'influence du champ cultivé voisin et/ou des perturbations de la bordure.

Fig. 3 : Spectre biologique de la flore des bordures de champs Les espèces pérennes dominent, mais pour un milieu herbacé de type prairial, la contribution des annuelles est forte (35 %), ce qui révèle l'influence du champ cultivé voisin et/ou des perturbations de la bordure.

Fig. 4 : Représentation simplifiée des deux premiers axes de l'analyse RLQ      Les espèces sont positionnées selon leurs traits, et leurs réponses aux pratiques et conditions du milieu. Deux espèces proches sont deux espèces ayant des traits et une réponse similaire aux conditions du milieu.

Fig. 4 : Représentation simplifiée des deux premiers axes de l'analyse RLQ Les espèces sont positionnées selon leurs traits, et leurs réponses aux pratiques et conditions du milieu. Deux espèces proches sont deux espèces ayant des traits et une réponse similaire aux conditions du milieu.

Fig. 5 : Nombre d'espèces agrotolérantes et à valeur naturelle dans les bordures de champs      À gauche, champs conduits en mode conventionnel et, à droite, en mode biologique. Basé sur 430 bordures échantillonnées en 2013 et 2014. Les espèces agrotolérantes sont les adventices communes des cultures présentes dans plus de 10 % des pleins champs des parcelles à l'échelle nationale (réseau Biovigilance 2002-2010 relatif au suivi d'adventices des cultures). Les espèces à valeur naturelle sont toutes les autres espèces, combinant des espèces prairiales et des adventices rares ou peu fréquentes (par ex. des messicoles).

Fig. 5 : Nombre d'espèces agrotolérantes et à valeur naturelle dans les bordures de champs À gauche, champs conduits en mode conventionnel et, à droite, en mode biologique. Basé sur 430 bordures échantillonnées en 2013 et 2014. Les espèces agrotolérantes sont les adventices communes des cultures présentes dans plus de 10 % des pleins champs des parcelles à l'échelle nationale (réseau Biovigilance 2002-2010 relatif au suivi d'adventices des cultures). Les espèces à valeur naturelle sont toutes les autres espèces, combinant des espèces prairiales et des adventices rares ou peu fréquentes (par ex. des messicoles).

 Photo : Cher 2018 - E. Felten

Photo : Cher 2018 - E. Felten

Le code rural et de la pêche maritime (art. L. 251.1) signale que la surveillance biologique du territoire (SBT) assure le suivi de « l'apparition éventuelle d'effets non intentionnels (ENI) des pratiques agricoles sur l'environnement ». Dans ce cadre, depuis 2012, un réseau de 500 parcelles (dit « réseau Biovigilance 500 ENI ») a été mis en place par les pouvoirs publics et financé par le plan Écophyto pour suivre les ENI des pratiques agricoles, dont phytosanitaires, sur des espèces indicatrices de biodiversité : la flore sauvage et les coléoptères des bordures de champs, les oiseaux des zones agricoles et les lombricidés (vers de terre) des parcelles cultivées.

Différentes influences sur les abords de culture

La végétation des bordures de champs est le milieu semi-naturel le plus proche géographiquement des parcelles et donc le plus intéressant à suivre pour détecter d'éventuels effets non intentionnels des pratiques (photo 1). Parmi celles-ci, la dérive de produits herbicides peut affecter les espèces végétales spontanées les plus sensibles. Des expérimentations ont montré que l'application de dicamba à des concentrations équivalentes à 1 % (5,6 g/ha) de celles utilisées dans la parcelle, mimant un effet de dérive, conduisent à des effets sur la reproduction des plantes (Bohnenblust et al., 2016). Le long d'un gradient d'application de glyphosate entre 0, 1, 5 et 25 % de la dose recommandée (1 440 g/ha), le nombre d'espèces décroît (Pelissier et al., 2014). Il a aussi été montré que la fertilisation minérale entraînait une baisse de la diversité floristique des bordures en favorisant quelques espèces compétitives, nitrophiles ou nitratophiles, au détriment des autres (Kleijn et Verbeek, 2000). Les bordures de champs sont généralement entretenues par une ou plusieurs fauches ou tontes. On peut penser que cette gestion directe du couvert herbacé aura également un effet important. Enfin, la dispersion naturelle des plantes laisse supposer que dans des paysages agricoles diversifiés, comprenant des éléments semi-naturels (pelouse, prairie, haie, fossé, point d'eau...), une dynamique de colonisation est maintenue et peut compenser les pertes dues aux pratiques.

Le réseau de biovigilance

Cinq cents parcelles en grandes cultures, vigne et maraîchage

Les 500 parcelles du réseau ont été choisies pour couvrir plusieurs systèmes de cultures dans les conditions pédoclimatiques et paysagères représentatives des principales petites régions agricoles au sein des différentes régions administratives de France métropolitaine. On compte 350 parcelles en grandes cultures avec des rotations associant le blé d'hiver (représentatif des cultures herbacées annuelles semées en automne), d'autres le maïs (représentatif des cultures herbacées annuelles de printemps-été), 100 parcelles en vigne (culture ligneuse pérenne) et 50 parcelles de maraîchage (tête de rotation laitue, plante herbacée à cycle de culture court). Dans cette étude, 430 parcelles ont été sélectionnées (Figure 1) pour lesquelles les données étaient suffisamment fiables et complètes.

Protocole de relevé floristique

La flore est relevée dans la bordure herbacée extérieure de la parcelle (Figure 2). Pour estimer la composition et la diversité de la flore, dix quadrats de 1 m² (2 m de long sur 0,5 m de large (photo 2)) sont placés dans les bordures. Les quadrats sont positionnés au centre de la bordure (même distance entre le quadrat et le champ, et entre le quadrat et le milieu voisin). Les dix quadrats sont disposés en deux lots de cinq quadrats contigus, séparés de 30 m. Les observateurs notent la présence/absence des espèces dans les dix quadrats.Une liste de 150 espèces focales (avec un référentiel partiellement différent en zone océanique et continentale versus en zone méditerranéenne, et prenant aussi en compte les spécificités corses) a été choisie pour représenter au mieux la diversité des caractéristiques des espèces végétales de la bordure (annuelles/vivaces, graminées/eudicotylédones, espèces pollinisées par les insectes/autres modes de pollinisation, espèces nitrophiles/oligotrophes). Les observateurs disposent d'un guide d'identification et bénéficient de formations botaniques régulières. Au-delà de la liste focale des 150 espèces, il est demandé aux observateurs de réaliser le relevé le plus exhaustif possible en notant aussi les espèces non listées afin de pouvoir estimer certains indices de structure et de diversité des communautés (richesse spécifique, diversité de Shannon, etc.).

Caractérisation des bordures

Parmi les nombreux descripteurs des parcelles et des bordures suivis, nous en avons retenu onze qui nous semblaient être les plus pertinents. Ils concernent :

- la nature du sol (texture et pH, matière organique) ;

- le paysage (pourcentage de surface non cultivée dans un rayon de 250 m, nature des éléments fixes voisins de la parcelle tels que haies ou fossés) ;

- la bordure (largeur de la bordure) et le nombre d'événements de gestion par an ;

- les pratiques dans la parcelle (l'intensité d'utilisation des produits phytosanitaires avec les indicateurs de fréquence de traitements (IFT) herbicide et insecticide, la dose d'apport de fertilisation azotée).

La date d'observation et l'année ont également été prises en compte dans l'analyse.

Richesse spécifique des espèces

Deux aspects de la flore des bords de champs ont été analysés :

- la richesse spécifique qui correspond au nombre d'espèces identifiées dans les dix quadrats ;

- la composition fonctionnelle qui correspond à la « nature » des espèces rencontrées définie selon leurs caractéristiques biologiques, encore appelées traits.

La richesse spécifique est un indicateur simple de la diversité de la flore. Selon une théorie développée en écologie végétale, on s'attend à ce que la richesse d'un milieu soit maximale à des niveaux de perturbations intermédiaires. En l'absence de toute perturbation, le milieu est progressivement occupé par les espèces les plus compétitives au détriment des espèces annuelles pionnières. Lorsque les perturbations augmentent, seules les espèces adaptées peuvent persister et la richesse décroît. Entre ces deux situations, des niveaux de perturbations intermédiaires ou localisés rendent le milieu hétérogène et permettent la coexistence d'espèces compétitives et pionnières. Au-delà de la richesse spécifique de l'ensemble des espèces, il semble donc pertinent de décomposer la richesse et d'analyser la proportion d'espèces agrotolérantes versus prairiales. On s'attend à ce que la richesse et la proportion des secondes reflètent des bordures moins perturbées. Les espèces agrotolérantes sont ici définies comme les adventices des cultures présentes dans plus de 10 % des champs cultivés du réseau Biovigilance Flore (2002-2012) (Fried et al., 2008, 2019).

Composition fonctionnelle

L'utilisation de traits pour caractériser les espèces permet de s'affranchir des espèces spécifiques à chaque région et d'identifier des règles générales dans la réponse des espèces aux pratiques agricoles et aux conditions du milieu. Nous avons retenu dix traits en lien avec une réponse possible aux pratiques : le cycle de vie (annuel/pérenne), la hauteur maximale de la plante, la surface spécifique foliaire, la masse des graines, la date de début de floraison, le mode de pollinisation (par les insectes/autres modes), le mode de dispersion (par les animaux/autres modes), la valeur indicatrice pour la réponse des plantes à la lumière, à l'humidité du sol et à la richesse du sol en éléments nutritifs.

Analyses statistiques

Les corrélations entre les pratiques agricoles et les conditions du milieu d'une part, et les traits des espèces d'autre part, ont été mesurées par une méthode d'analyse multivariée dite RLQ et par l'analyse dite du quatrième coin (4th corner analysis). Les variations de la richesse spécifique ont été analysées par un modèle généralisé additif mixte (GAMM).

Panorama de la flore des bords de champs

Genres et familles représentées

Depuis le début du suivi Biovigilance 500 ENI, 702 taxons distincts ont été dénombrés (21 uniquement déterminés au niveau du genre), au sein de 330 genres et 66 familles. Cela représente pas moins de 12 % de la flore de France. Les trois familles les plus représentées sont les Asteraceae (même famille botanique que le tournesol ou la laitue) (106 taxons, 15,10 %), les Poaceae (même famille que le blé ou le maïs) (101 taxons, 14,39 %) et les Fabaceae (même famille que le pois, la féverole, le trèfle ou la luzerne) (81 taxons, 11,54 %). Suivent les Brassicaceae, les Lamiaceae, les Apiaceae, les Caryophyllaceae, les Rosaceae et les Plantaginaceae. Avec 15,9 espèces (écart-type : +/- 7,7) observées en moyenne par bordure, la richesse spécifique reste stable (maximum observé en 2014 : 16,2 espèces, minimum observé en 2015 : 15,7 espèces), sans changement significatif au cours des quatre premières années, de 2013 à 2016 (test de Kuskal-Wallis, KW <03C7>²= 0,905, P = 0,824).

Spectre biologique

Dans les bordures de champs, milieu à l'interface du champ cultivé et d'autres éléments du paysage, le calcul du spectre biologique (encadré p. 44) montre que ce sont les plantes pérennes passant l'hiver sous forme de rosette (hémicryptophytes) qui dominent (Figure 3). Ces espèces qui maintiennent un couvert herbacé en jours courts, comme le dactyle aggloméré, le ray-grass anglais ou le plantain lancéolé, représentent en moyenne 52,4 % de l'abondance d'une bordure. Elles sont suivies des plantes annuelles, comme le pâturin annuel, le géranium disséqué ou la véronique de Perse (thérophytes, 35,3 % de l'abondance), et des pérennes qui persistent sous forme de bulbes, rhizomes ou tubercules comme le pâturin des prés, le chiendent rampant ou le cirse des champs (géophytes, 11,4 %). Les espèces ligneuses, comprenant arbrisseaux (0,1 %), arbustes (0,2 %) et arbres (0,7 %) ne représentent que 1 % de l'abondance car, comme mentionné plus haut, les bordures sélectionnées sont toutes à dominante herbacée et non ligneuse (broussaille, haie, etc.). Ce spectre biologique est globalement conforme à celui de prairies mésophiles, avec toutefois une plus forte contribution des espèces annuelles, révélant l'influence de la parcelle cultivée voisine, source d'une colonisation par des adventices, majoritairement annuelles et nitrophiles, dispersées par le vent, les animaux ou par l'homme (machines et outils agricoles). Comme le montrent les résultats décrits plus loin, cette colonisation sera d'autant plus forte que la bordure est étroite et perturbée (en conséquence d'une gestion trop fréquente ou inappropriée).

Effets sur la composition fonctionnelle de la flore

Effet paysage et largeur de bordure

L'analyse RLQ, comme toute analyse multivariée, identifie des axes « synthétiques » le long desquels le nuage de points (un point = une bordure) est le mieux discriminé, ici selon les variables décrivant les pratiques agricoles et le milieu d'une part, et les traits des espèces d'autres part. Les axes sont obtenus par ordre décroissant d'importance.

L'analyse RLQ identifie un premier axe, le plus important (Figure 4, axe horizontal), qui discrimine les bordures de champs en fonction du paysage, des éléments voisins de la bordure et de la largeur de la bordure. Cet axe oppose d'une part des espèces pérennes, de grande taille, hygrophiles et supportant un certain ombrage (lysimaque vulgaire, menthe à feuilles rondes, houlque laineuse) dans les bordures larges, situées dans un paysage diversifié, voisines d'un fossé et/ou d'une haie ; et d'autre part des espèces annuelles, de petite taille, de pleine lumière et plus xérophiles (érodium à bec-de-grue, sisymbre officinal, égilope ovale) dans des bordures étroites, dans des paysages simples à dominance cultivée, sans éléments voisins particuliers (ni fossé, ni haie).

Effet taille de parcelle et nombre d'interventions

Le deuxième axe (Figure 4, axe vertical) discrimine les bordures selon la taille de la parcelle, du nombre d'interventions de gestion dans la bordure, de l'IFT herbicides et de la dose de fertilisation azotée : il peut être vu comme un gradient d'intensification agricole. Lorsqu'on analyse la répartition des espèces sur ce 2e axe, il apparaît que les espèces oligotrophes (adaptées à des milieux pauvres en ressources), de grande taille, à grosses graines, à floraison tardive, à pollinisation par les insectes et dispersion par les animaux (achillée millefeuille, renoncule âcre, knautie des champs) se trouvent dans les bordures de petites parcelles, peu gérées, à faible niveau d'intrants. À l'opposé, dans les bordures de grandes parcelles, fréquemment gérées, à niveau d'intrants chimiques élevé, on trouve des espèces présentant un syndrome de traits d'espèces rudérales : petite taille, surface spécifique foliaire élevée, masse des graines faible, degré de nitrophilie élevé, pollinisation autogame ou anémogame (pissenlit, pâturin annuel, séneçon vulgaire).

Analyse dite du quatrième coin

L'analyse RLQ permet donc de relier une combinaison de pratiques avec une combinaison de traits d'espèces. L'inconvénient est qu'elle ne permet pas de tester le lien de corrélation directe entre une pratique agricole particulière et un trait particulier. Ceci est rendu possible par l'analyse dite du quatrième coin (4th corner analysis). Elle met en évidence que la présence de fossé est associée à des plantes pérennes de grande taille, tandis que l'absence d'éléments particuliers (ni fossé, ni haie) est associée à des espèces héliophiles (c'est-à-dire de pleine lumière) de taille maximale plus modeste. Par ailleurs, les bordures étroites sont associées à une plus forte proportion d'espèces annuelles, alors que la proportion d'espèces pérennes augmente avec la largeur de la bordure. Plus la bordure est gérée fréquemment, plus on sélectionne des espèces dont la taille maximale est faible. Les IFT herbicides et insecticides ne sont, quant à eux, reliés à aucun trait retenu dans cette étude. En revanche, on constate que plus la dose de fertilisation azotée est élevée dans la parcelle, plus la flore des bordures de champs comprend des espèces nitrophiles.

L'inconvénient de l'analyse du quatrième coin est qu'elle ne prend pas en compte l'existence de combinaisons de pratiques d'une part et de compromis nécessaires dans les traits des espèces d'autre part (toutes les combinaisons de traits ne sont pas possibles du fait de compromis, par exemple entre l'énergie allouée à la compétition versus à la reproduction). Il est possible de combiner l'analyse RLQ et l'analyse du quatrième coin, en testant :

- les traits corrélés avec les combinaisons de pratiques issues de l'analyse RLQ ;

- les pratiques corrélées avec les combinaisons de traits issues de l'analyse RLQ.

Cette dernière analyse confirme les relations décrites précédemment et met également en évidence une corrélation négative entre l'abondance des espèces dépendant des animaux pour leur reproduction (entomogame) et leur dispersion (zoochore), et le gradient d'intensification agricole incluant la taille des parcelles et le niveau d'intrants chimiques.

Effets sur la richesse spécifique

Intensité d'utilisation des herbicides et surface de la parcelle

Le modèle GAMM a identifié trois variables qui ont un effet significatif sur la richesse spécifique. Le nombre d'espèces dans la bordure diminue selon la surface de la parcelle adjacente, ainsi que l'IFT herbicide appliqué dans la parcelle adjacente, et augmente avec la teneur en matière organique du sol. La surface de la parcelle est souvent corrélée avec le niveau d'intensification agricole. Cependant, des variables quantifiant le niveau d'intensification sont prises en compte dans le modèle (dose de fertilisation azotée, IFT insecticides et herbicides). Dans les paysages où les parcelles sont de grande taille, le ratio périmètre/surface et la surface totale de bordure des parcelles sont moins importants que dans les paysages à parcelles de petite taille : l'effet de la variable « surface » pourrait alors s'expliquer par la rareté des sources de propagules pour recoloniser les bordures. L'effet de l'IFT herbicides suggère lui un effet non intentionnel lié à la dérive des herbicides appliqués dans la parcelle. Pour aller plus loin et confirmer cet effet, il faudra distinguer le spectre d'actions des herbicides et la sensibilité des espèces.

Avec une moyenne de 16,53 ± 6,38 espèces, les bordures de champs conduits en agriculture biologique sont significativement plus riches que les bordures de champs conduits en agriculture conventionnelle avec une moyenne de 14,07 ± 6,61 espèces (Test-t de Student, t = 3,690, P < 0,001). Fait intéressant, la différence entre ces deux modes de production repose principalement (75 % de la différence) sur la présence dans les bordures de champs biologiques d'espèces à valeur naturelle (voir légende de la Figure 5, 9,34 ± 5,29 contre 7,49 ± 4,89, respectivement, t = 3,509, P = 0,001). Les espèces agrotolérantes sont également plus nombreuses en bordure de champs biologiques mais la différence est moindre (7,19 ± 3,24 contre 6,58 ± 3,26, respectivement, t = 1,841, P = 0,022).

Approfondir les corrélations entre IFT, faune et flore

Impact de la fertilisation azotée et de l'IFT herbicide

Ces premières analyses permettent de mieux comprendre la structuration du jeu de données et la variabilité des parcelles suivies dans le réseau Biovigilance 500 ENI, le long de gradients d'intensification des pratiques agricoles, de diversité du paysage ou encore de types de sol. Les premiers résultats sont cohérents avec plusieurs hypothèses initialement formulées et permettent de les préciser ou d'en formuler de nouvelles. Ainsi, parmi les pratiques agricoles, la fertilisation azotée a un impact élevé sur la composition de la flore. Cela peut s'expliquer par la projection directe des granulés de fertilisants minéraux autant que par le transfert des matières azotées par ruissellement. On pourrait confirmer cette dernière hypothèse en se penchant de plus près sur la topographie, notamment les bordures positionnées en bas de parcelle. L'IFT herbicide est associé à une diversité d'espèces plus faible. Comme l'analyse prend en compte les effets du paysage (taille des parcelles et diversité du paysage) et d'autres facteurs d'intensification (apports d'azote, IFT insecticides) qui ne sont pas identifiés comme significatifs par le modèle, l'effet observé de l'IFT herbicide sur la diversité de la flore ne serait pas simplement dû à une corrélation globale avec des facteurs d'intensification (parcelle dans un paysage d'openfield avec des niveaux élevés d'intrants chimiques) mais pourrait bien être lié à un effet non intentionnel spécifique des herbicides. La caractérisation d'autres traits des espèces liés à la sensibilité aux herbicides permettrait de conforter ce résultat.

Effets non intentionnels des traitements

La cohérence des résultats atteste de la qualité des données récoltées par les observateurs du réseau Biovigilance 500 ENI, dont le travail est très important. À ce stade, il n'est cependant pas possible d'évaluer l'effet non intentionnel d'une substance active ou d'une famille chimique en particulier. Dans les perspectives d'analyses futures, notamment en lien avec la phytopharmacovigilance conduite par l'Anses, il est envisagé de regrouper les produits par famille, mode de diffusion (contact versus systémique) ou mode d'action (cible de chaque produit).

Il sera également intéressant de tester les liens au sein de la guilde trophique (coléoptères et oiseaux), en particulier la relation entre diversité et structure de la végétation, et abondance de certains groupes de coléoptères floricoles, granivores, phytophages ou carnassiers (en lien avec leurs proies).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Dans le cadre de la surveillance biologique du territoire, les effets non intentionnels des pratiques agricoles sont suivis depuis 2012 sur 500 parcelles en France métropolitaine.

ÉTUDE - À partir d'une liste de 150 espèces, la diversité floristique des bordures de parcelle a été évaluée : nombre d'espèces identifiées et caractéristiques biologiques.

RÉSULTATS - La richesse spécifique reste stable au cours des quatre premières années (2013-2016), avec 15,9 espèces observées par bordure. La répartition des espèces annuelles et pérennes (spectre biologique) révèle l'influence de la parcelle cultivée voisine, source d'une colonisation par des adventices. Le paysage environnant et la fertilisation influent le plus sur la composition fonctionnelle de la flore, tandis que l'intensité d'utilisation des produits phyto et la surface de la parcelle jouent sur la richesse spécifique.

MOTS-CLÉS - Surveillance biologique du territoire (SBT), réseau Biovigilance 500 ENI, effets non intentionnels, pratiques agricoles, flore de bords de champs.

Types et spectres biologiques

Les plantes peuvent être classées selon la position de leurs organes de survie durant la période écologiquement défavorable : ce sont les types biologiques de Raunkiaer, distinguant par exemple les espèces annuelles (thérophytes), qui passent la mauvaise saison sous forme de graines, et différents types d'espèces pérennes suivant que les bourgeons sont à la surface du sol, protégés par une rosette de feuilles (hémicryptophytes), ou sous terre (géophytes), protégés par des bulbes ou sur des rhizomes. À partir de cette classification, on peut établir le spectre biologique d'une végétation, qui correspond à l'abondance relative des différentes espèces au sein des différents types biologiques. L'intérêt principal des spectres biologiques est qu'ils reflètent, par la structure de la végétation dont ils sont une traduction, les conditions du milieu ambiant. Ainsi dans les milieux perturbés comme les cultures (travail du sol, désherbage), les espèces annuelles dominent et représentent souvent plus de 90 % du spectre biologique.

POUR EN SAVOIR PLUS

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