Bioagresseurs

L'esca/BDA en Bourgogne au cours des XXe et XXIe siècles

PHILIPPE LARIGNON, Institut français de la vigne et du vin, Pôle Rhône-Méditerranée - Rodilhan. - Phytoma - n°726 - septembre 2019 - page 42

Dans le vignoble bourguignon, les conditions climatiques et le retrait de l'arsénite de sodium expliqueraient la recrudescence des maladies de dépérissement.
Symptômes d'esca/BDA sur pinot noir. Défoliation, dessèchement des rameaux et des raisins. Photo : P. Larignon - IFV

Symptômes d'esca/BDA sur pinot noir. Défoliation, dessèchement des rameaux et des raisins. Photo : P. Larignon - IFV

Fig. 1 : Évolution des conditions climatiques favorables à l'expression de l'esca et du BDA au cours du XXe et du début du XXIe siècle en Bourgogne      Les chiffres 1 à 5 correspondent aux cinq principales étapes d'évolution des conditions favorables aux symptômes.

Fig. 1 : Évolution des conditions climatiques favorables à l'expression de l'esca et du BDA au cours du XXe et du début du XXIe siècle en Bourgogne Les chiffres 1 à 5 correspondent aux cinq principales étapes d'évolution des conditions favorables aux symptômes.

Le black dead arm, identifié en France en 1999, est connu sous le nom d'apoplexie lente. Ce dépérissement présente des symptômes similaires au syndrome de l'esca, auquel il est souvent confondu.

Fin XIXe : une recrudescence des maladies du bois

Sur tout le territoire sauf en Bourgogne

La reconstitution du vignoble français à la fin du XIXe siècle à la suite de la crise phylloxérique a conduit à la recrudescence des maladies du bois comme en témoignent certains écrits de l'époque (Vinet, 1909 ; Maisonneuve, 1926 ; Geoffrion, 1982). Désignées pendant cette période sous les noms d'apoplexie ou de folletage, ces maladies étaient préoccupantes dans le Midi (Ravaz, 1898, 1909 ; Viala, 1926) et sévissaient également dans les vignobles de la façade atlantique de façon importante : Anjou (Vinet, 1909 ; Moreau et Vinet, 1923), Charentes (Ravaz, 1922 ; Prioton, 1929), Bordeaux (Gaudineau, 1959). Leur importance était tout à fait comparable à ce que nous connaissons aujourd'hui (Grosman et Doublet, 2012 ; Rey et al., 2016). Contrairement à toutes ces régions viticoles, les vignobles septentrionaux étaient peu touchés mais le sont devenus au début du XXIe siècle.

Établissement d'une grille d'évaluation des symptômes

À partir des témoignages trouvés dans les bulletins de viticulture de la Bourgogne, des données climatiques (depuis 1901, ici Dijon), des observations réalisées annuellement dans ce vignoble depuis l'interdiction de l'arsénite de sodium en 2001 ainsi que des connaissances acquises sur les facteurs climatiques favorisant l'expression des symptômes de l'esca et du BDA (Gard, 1922 ; Moreau et Vinet, 1923 ; Ravaz, 1924 ; Rives, 1926 ; Larignon, 2009), une grille d'évaluation du degré potentiel de leur manifestation a été créée par l'auteur (voir tableau). Elle est constituée de cinq classes, caractérisées chacune par une note indiquant le rang d'expression de symptômes (de très défavorable à très favorable). Ce rang est défini par rapport à deux critères : le niveau de pluviométrie et la moyenne des températures maximales pour la période comprise entre le 1er mai et le 30 septembre. La note ainsi donnée permet de caractériser l'année. Pour suivre l'évolution des conditions climatiques favorables à l'expression des symptômes de l'esca/BDA, l'auteur a choisi de représenter les résultats de façon lissée en cumulant les notes sur une période de dix années en fonction des dix années correspondantes.

Évolution dans le vignoble bourguignon aux XXe et XXIe

Début XXe : peu favorables

L'évolution de l'esca/BDA dans le vignoble bourguignon se découpe en cinq principales étapes (Figure 1). Les conditions climatiques sont peu favorables à l'expression des symptômes au début du XXe siècle. Les informations trouvées dans l'ancienne littérature indiquent que cette maladie est rare ou considérée comme une maladie nouvelle (sources : Bulletin du Syndicat viticole de la côte dijonnaise 1912, Bulletin de la société vigneronne de l'arrondissement de Beaune n° 163).

Hausse et baisse entre 1920 et 1980

Elles deviennent plus propices à leur expression aux alentours de 1920 à 1950, à la suite du réchauffement du climat (selon Le Roy Ladurie et al., 2006). L'utilisation régulière de l'arséniate de plomb à cette époque pour lutter contre les vers de la grappe aurait empêché leur manifestation, comme cela a été mentionné dans la littérature. Ce produit était appliqué pendant la période végétative avant la floraison pour lutter contre la première génération de vers (source : Bulletin de la société vigneronne de l'arrondissement de Beaune n° 170).

À la suite du léger refroidissement du climat allant de 1948 à 1977 (selon Le Roy Ladurie et al., 2006), les conditions climatiques deviennent de moins en moins favorables à leur manifestation pour même y devenir très défavorables durant les années 1960. Les maladies de dépérissement ne touchent que quelques souches. D'ailleurs les traitements avec les produits arsenicaux n'étaient préconisés que pour les vignes qui avaient été rabattues après des hivers froids et non pas à l'égard de l'esca (source : avertissements agricoles de la station de Bourgogne-Franche-Comté, Bulletin janvier 1965).

Des conditions de plus en plus propices

Si la période de réchauffement à partir de 1978 (Le Roy Ladurie et al., 2006) apparaît plus favorable à l'extériorisation de l'esca, la maladie a alors certainement été influencée par l'utilisation fréquente de l'arsénite de sodium. Selon les informations fournies par Adivalor sur la collecte de l'arsénite de soude en Bourgogne, effectuée entre octobre 2006 et avril 2007, 12 tonnes et 31 tonnes de produit ont été respectivement récupérées en Côte-d'Or et en Saône-et-Loire. En ramenant à une surface équivalente à celle du vignoble de la Gironde, ces quantités équivaudraient à 150 et 300 tonnes de produits collectés, à comparer aux 194 tonnes de préparations récupérées dans le vignoble girondin, qui a fait un large usage de l'arsénite de sodium. Cela signifie que la Côte-d'Or et la Saône-et-Loire ont également été grandes consommatrices de ce produit.

Début XXIe, les conditions deviennent encore plus propices à l'expression des symptômes. Ce fait additionné à l'interdiction des traitements avec l'arsénite de sodium à partir de 2001 en raison de son caractère cancérogène (IARC 1987, Spinosi et al., 2009) a conduit à une recrudescence des maladies du bois dans le vignoble bourguignon. Ces événements se sont traduits tout d'abord par une inquiétude des professionnels sur la propagation de cette maladie sur l'ensemble du vignoble bourguignon (sources : journal L'Exploitant agricole de Saône-et-Loire du 24 octobre 2008, le Journal de Saône-et-Loire du 7 mai 2009), puis à des manifestations (marche silencieuse des viticulteurs à Mâcon le 26 octobre 2012, déversement de pieds de vigne devant les permanences des parlementaires de Saône-et-Loire le 4 novembre 2014).

Perspectives

Cet examen de la fréquence des symptômes d'esca/BDA pour le vignoble bourguignon montre que leur recrudescence semble très influencée par les conditions climatiques. Selon les prévisions actuellement émises par le Centre de recherches de climatologie, le réchauffement va probablement s'accentuer au cours des trente prochaines années ; les précipitations estivales ne semblent pas, quant à elles, évoluer. Dans ces conditions, et en l'absence de solutions de protection à l'efficacité indiscutable, les symptômes de ces maladies du bois sont certainement appelés à croître, en Bourgogne.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - En vigne, les maladies de dépérissement du bois, dont l'esca et le BDA (black dead arm), font l'objet d'un plan national spécifique avec plusieurs axes de recherche.

ÉTUDE - L'auteur a établi une grille méthodologique afin de caractériser l'évolution des conditions climatiques favorables à l'expression des symptômes de l'esca/BDA. Cette évolution a été effectuée entre 1901 et 2018, en Bourgogne, et comparée avec des informations issues de la bibliographie sur l'état sanitaire du vignoble bourguignon.

RÉSULTATS - Cet examen suggère une recrudescence des symptômes influencée par l'évolution des conditions climatiques et l'utilisation de l'arsénite de sodium. Selon l'auteur, l'expression des maladies du bois est appelée à croître, en Bourgogne.

MOTS-CLÉS - Esca, apoplexie de la vigne, maladies du bois, black dead arm (« bras mort noir », BDA), Bourgogne, arsénite de sodium, conditions climatiques.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : philippe.larignon@vignevin.com

LIEN UTILE : www.plan-deperissement-vigne.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (19 références) est disponible auprès de son auteur.

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