Solène Garson, ingénieur conseil en pomme de terre(1), a accompagné des producteurs picards pour mettre en oeuvre la technique du broyage combiné au défanage chimique.
Pouvez-vous rappeler les évolutions récentes en matière de défanage ?
Solène Garson : Après l'arrêt du Basta F1 et du Réglone 2 dont les dernières utilisations datent respectivement de 2017 et 2019, seules trois matières actives restent disponibles : le pyraflufen-éthyl (Sorcier), la carfentrazone-éthyl (Spotlight Plus) et l'acide pélargonique (Beloukha). Le Basta F1 et le Réglone 2 étaient très efficaces en tant que défoliants. Les spécialités restantes sont des dessiccants qui agissent uniquement sur les tiges. Le broyage est maintenant le seul moyen efficace pour enlever les feuilles. Avant le retrait de ces deux matières actives, la combinaison broyage-défanage chimique était une stratégie possible pour réduire les IFT et stopper net le grossissement des tubercules. Mais peu de producteurs l'utilisaient. Le retrait du Basta F1 et du Réglone 2 marque un réel tournant.
Concrètement, comment cette technique est appliquée ?
S. G. : La majeure partie du temps, elle est réalisée en deux passages : le broyage d'abord puis le défanant en plein trois à quatre jours plus tard. L'autre solution, quasiment pas utilisée, est le tout en un passage avec un broyeur et une cuve sur le tracteur pour traiter en localisé sur le haut de la butte avec une réduction possible de 20 à 30 % de la dose. Pour quelques parcelles très sénescentes, le broyage seul suffit. La combinaison s'adresse aux variétés tardives et à celles qui ont beaucoup de végétation. Le risque de reprise après broyage est réel car le plant continue à pousser. Un deuxième passage de défanant cinq à sept jours après le premier peut parfois être nécessaire, avec une dose adaptée à la quantité de végétation restante. En production de plants, beaucoup broient aussi aujourd'hui avant le défanant pour limiter le calibre des tubercules.
Est-ce aussi efficace que le tout chimique ?
S. G. : Sur les variétés très vertes qui ont des grosses tiges rustiques, cette stratégie est même beaucoup plus efficace que le tout chimique car les défanants autorisés aujourd'hui ont une action dessiccante relativement longue à obtenir. Le broyage permet de gagner en vitesse d'action. La récolte peut alors se faire deux à trois semaines après le défanage. Sans broyage, il faut attendre plus longtemps pour que la végétation meure. Quant à la stratégie tout en un passage, nous manquons encore de résultats.
Faut-il des conditions particulières pour sa réussite ?
S. G. : Il vaut mieux un écartement de 90 cm entre rangs pour pouvoir atteler le broyeur sur le tracteur habituel. Même s'il existe des broyeurs pour un écartement de 75 cm, cela nécessitera un tracteur doté de roues très étroites dont l'inconvénient est de tasser le sol lors du broyage. La technique n'est pas compliquée à mettre en oeuvre quand les conditions météo sont bonnes : le sol ne doit pas être trop humide pour éviter qu'il soit trop tassé. Il faut donc parfois avancer ce passage si un gros orage est annoncé par exemple. La récolte ne doit pas s'effectuer avec une arracheuse à mailles carrées qui est conçue pour éliminer les fanes entières à l'arrière de la machine. En présence de mildiou ou d'Erwinia dans la parcelle, on évitera de broyer pour ne pas disséminer la maladie. Le développement des adventices peut également être favorisé par le broyage qui leur laisse le champ libre pour se développer. Mais ce qui freine le plus les agriculteurs, c'est le faible débit de chantier : 1 à 2 ha/h avec un broyeur contre plus d'une dizaine d'hectares à l'heure avec un pulvérisateur de 36 m.
Quels sont les investissements à prévoir ?
S. G. : Il faut compter 14 000 à 15 000 € pour un broyeur de quatre rangs. L'écartement entre rangs peut-être de 75 cm ou de 90 cm. Ce dernier est cependant le plus courant pour les raisons exposées auparavant. Le passage à 90 cm nécessite de changer tout le matériel dédié à la pomme de terre. En Picardie, l'écartement habituel entre rangs était déjà de 90 cm. Le broyeur étant spécifique à la pomme de terre, certains agriculteurs l'achètent à plusieurs.
Quel développement voyez-vous pour cette technique ?
S. G. : Un concessionnaire picard estimait que d'ici la fin de l'année, 80 % des exploi-tations de pommes de terreseraient équipées d'un broyeur. La technique est en train de se développer fortement car nous n'avons plus de défoliants et elle permet de répondre à la demande sociétale. Et nous avons la chance d'avoir une alternative au tout chimique efficace, ce qui n'est pas souvent le cas lors de retraits de matières actives. Les producteurs de pommes de terre pour l'industrie, actuellement non encore très équipés en broyeur, vont certainement devoir passer à cette technique comme pour le frais. Les régions où la technique se développera le moins sont celles qui produisent avec un écartement de 75 cm comme le Nord-Pas-de-Calais. Quant à la stratégie tout en un passage, les agriculteurs attendent d'avoir plus de références techniques et de choix de matériel.
(1) au Gitep pendant sept ans, puis à la chambre d'agriculture de la Somme. Depuis le 1er mars 2020, elle est responsable technique cultures spécialisées chez Unéal.
Stéphane Desmidt, producteur dans la Somme
« J'utilise la combinaison broyage-défanage chimique sur les 80 ha de chair ferme depuis que je me suis séparé de mon arracheuse à mailles carrées. Après le broyage, un seul passage de Spotlight à 80 % de la dose suffit, même sur les variétés tardives. Le broyage à l'avantage de stopper net le calibre et le taux de matière sèche, ce qui permet de répondre aux exigences des cahiers de charges, notamment en grenaille. J'ai aussi réduit mon IFT de 2 à 0,8. La difficulté est d'anticiper de deux à quatre jours la date du broyage pour être sûr de pouvoir le réaliser sur un sol pas trop humide. Dans les parcelles infestées de chénopodes, ceux-ci prennent cependant le dessus après le broyage alors que les défoliants les éliminaient. »